SILLAGE


SILLAGE

Nappe fouillée à corps

l’onde pousse la présence animale d’un bord à l’autre

Au creux des pierres les restes de ta parole

deux doigts sur les lèvres

Une grande roue retient en rayons le miel entre les floraisons

pour la prochaine lune pendant que s’offre la saison du blanc choisir sa couleur

La marque de tes pieds mouillés sur les tomettes n’a pas éteint ce qu’il peut y avoir de flamme en toi

j’ai tenu ma promesse en ouvrant l’atelier ce matin d’un coup de chapeau à la fragrance des roses

l’épuisette s’est empressée d’en saisir le parfum avant que la manif sorte ses banderoles et ses protestations légitimes ou non

Emoi dans mon coin, tournant le dos à l’horloge, j’ai remonté les cordes de la boîte à musique comme le gosse qui a gagné un tour gratuit.

Niala-Loisobleu.

19 Janvier 2023

Enrique Noriega, traduit de l’espagnol (guatémaltèque) par Nicole Laurent-Catrice


Enrique Noriega, traduit de l’espagnol (guatémaltèque) par Nicole Laurent-Catrice

Poète, éditeur et animateur d’ateliers d’écriture, notamment aux Etats-Unis, Enrique Noriega est né au Guatemala en 1949. Il a reçu plusieurs prix prestigieux tant au Mexique que dans son pays.
Guastatoya qui donne son nom à un de ses récents recueils (2014) et dont sont extraits ces trois poèmes, est une petite ville au nord de Ciudad Guatemala, sans aucun signe particulier ni intérêt archéologique. Enrique Noriega jette sur son pays un regard nostalgique et sans concession.

Un soir (m’a raconté ma mère)
est arrivé au village
un homme qui demandait mon grand-père
(il chevauchait un étalon au crin épais)
bien sûr il fut traité avec l’hospitalité
coutumière de guastatoya
il dîna à la maison
l’homme dit qu’il fuyait une querelle dans son pays
et qu’on le poursuivait
la nuit tombée ils s’enfermèrent (affaires d’hommes)
pour négocier un fusil
d’accord sur le prix
à l’aube le fugitif demanda au grand-père
de l’accompagner aux environs
(au cas où il y aurait quelqu’un qui guetterait par là)
sûr de lui ou téméraire
le grand-père accepta
les bêtes sellées ils partirent en silence
l’un à côté de l’autre
flanc contre flanc
et quand la première lueur de l’aube éclata
(dissipant et confondant tout ce qui existait)
l’homme fit semblant d’avoir fait tomber quelque chose
et sortit son pistolet
le grand-père
tira avec le sien avant
(il le tenait serré
dans la poche
de sa veste)
car
depuis le début
(dit-il)
j’avais compris
que la chose me concernait
et je ne regrette pas de l’avoir fait
car c’était un homme mauvais
qui était de trop dans le monde
témoin fidèle de ses paroles
il laissa la veste
sur le mur (accrochée à un clou)
à force
la grand-mère la reprisa car (il devint emphatique)
cette histoire tu l’as déjà racontée romuald
personne ne va plus te croire
et comment sont les gens dans le village
ensuite il s’est avéré que
cet homme était la mort
qu’un homme indomptable de guastatoya
avait obligé à remettre sa tâche à plus tard
Una tarde (me contó mi madre)
llegó al pueblo
un hombre preguntando por mi abuelo
(montaba un macho canelo de crin espesa)
por supuesto fue tratado con la correspondiente
hospitalidad guastatoyana
cenó en casa
el hombre dijo que huía de una reyerta en su tierra
y que lo perseguían
ya de noche se encerraron (asunto de varones)
a negociar una escopeta
acordado el precio
hacia la madrugada el fugitivo le pidió al abuelo
que lo acompañara a las afueras
(por aquello de que hubiese alguien por ahí atalayando)
seguro de sí mismo o temerario
el abuelo concedió
ensilladas las bestias se marcharon en silencio
uno a la par del otro
atentos a su flanco
y cuando la primera luz del alba irrumpió
(desvaneciendo y confundiendo lo existente)
aquel hombre fingió que se le caía algo
y sacó una pistola
el abuelo
disparó la suya antes
(la traía empuñada
en la bolsa
de su saco)
pues
desde el inicio
(dijo)
entendí
que la cosa era conmigo
y no me pesa haberlo hecho
puesto que ese era hombre de maldad
que sobraba en el mundo
testigo fiel de sus palabras
en la pared (colgado de un clavo)
dejó el saco
al tiempo
la abuela lo zurció porque (enfatizó)
esa historia ya la contaste demasiado romuald
nadie más te la va a creer
y lo que es la gente en el pueblo
luego se salió con que
aquel hombre era la muerte
a la que un guastatoyano de temple
obligó a postergar su tarea
je suis sûr que personne ne va me dire maintenant
qui furent beethoven et chopin
(c’est arrivé il y a si longtemps)
je pourrais même parier
à coup sûr et personne ne gagnerait
pourtant tu sais que dans ce monde
il y a plus d’un monstre qui connaît son affaire
surtout si c’est un bon navigateur sur internetmais (pour ne pas te faire languir)
beethoven et chopin étaient
une paire de petits lapins jolis et câlins
qui accompagnaient l’enfance triste
d’une fillette que j’ai connuesau-te mon lapi-not
arrê-te tes o-reilles
man-ge ton o-seille
mon lapi-not à moi
mon lapi-not à moileur chantait-elle avec douceur
en les caressant
si bien que ((il faut le dire)avec leur fourrure
ils lui apprirent la tendresse
à elle qui eut l’infortune
de les voir dans la casserole
tout rôtis
un de ces trop nombreux
jours de disette familiale
estoy seguro que nadie me va a decir ahora
quiénes fueron beethoven y chopin
(sucedió hace tanto tiempo)
podría hacer incluso una apuesta
con la certeza de que nadie me la gana
y mira que en este mundo
hay cada monstruo que sabe de su tema
ante todo si es hábil navegador de internetpero (para no hacértela más larga)
beethoven y chopin fueron
un par de conejitos pulcros y cariñosos
que acompañaron la infancia triste
de une niña que conocísál-ta mi cone-ji-tó
pá-ra tus ore-ji-tás
có-me tu zaca-tí-o
conejo mí-o
conejo mí-oles cantaba ella con dulzura
y los acariciaba
de manera que (vale decir)con su afelpada piel
le inauguraron la ternura
a ella que tuvo el infortunio
de verlos en la cacerola
asados
uno de tantos
días de penurie familiar

Lâché-prise


Lâché-prise

En vidant la boîte à boutons sur la table j’ai vu partir les boutonnières des culottes fendues

Du dru qui en dépassait une société de fourmis allait au travail sans s’arrêter de chanter

Plus vraie que les Sept-Nains la métaphore n’avait pas de grincheux

Juste la joie de vivre que donne le travail

J’ai jeté un regard sur l’année 36, le front populaire qui gagnait tout ce qui aujourd’hui se perd

Et fermant la radio sur la grève, j’ai rentré dans l’ô jusqu’au bonheur de vivre

Sur le plus gros caillou l’oiseau creusait son nid.

Niala-Loisobleu – 19 Janvier 2023

Lâché-prise


Lâché-prise

En vidant la boîte à boutons sur la table j’ai vu partir les boutonnières des culottes fendues

Du dru qui en dépassait une société de fourmis allait au travail sans s’arrêter de chanter

Plus vraie que les Sept-Nains la métaphore n’avait pas de grincheux

Juste la joie de vivre que donne le travail

J’ai jeté un regard sur l’année 36, le front populaire qui gagnait tout ce qui aujourd’hui se perd

Et fermant la radio sur la grève, j’ai rentré dans l’ô jusqu’au bonheur de vivre

Sur le plus gros caillou l’oiseau creusait son nid.

Niala-Loisobleu – 19 Janvier 2023

SORTIR DU LAS POUR ENTRER DANS LE LA


SORTIR DU LAS

POUR ENTRER DANS LE LA

Comme la poutre mise au cou de la vache pour la tenir dans la clôture, voici une année lourde et plus confinée que dans le virus qui vient de passer. Jamais vu autant le troupeau de moutons s’engager au précipice. C’est inimaginable de se laisser couler sans réagir de la sorte…

Les amours trompés et la nature escroquée, l’imposture politique, une économie de vie jouée à la roulette russe, la grande illusion remise entre les mains les plus malhonnêtes, cette nullité boostée par le camelotage du trottoir à putes, la défense du con sommateur

Non mais ce n’est pas possible

Où va-t-on ?

Je me serais laissé couler, dans l’à quoi bon, à mon âge

Mais je ne suis pas de ce grain à mettre au moulin, l’ART EST UNE ARME, qui veut vivre en guère, doit la trouver en opposition qui tient la route

L’abus qui est fait rejoint l’ignorance qu’on apprend aujourd’hui dans les écoles aux enfants

N’avoir de gueule que pour refuser de travailler plus longtemps, montre vraiment le pitoyable de sa conscience

Ah oui les vacances payées voilà qui ferait l’avenir de la société syndicale

A la tienne et à la vôtre…

Je déplace ma politique de maintenance

j’ai changé le chevalet de place, faut que ça déménage, mais d’abord chez moi, sans compter sur un autre pour le faire

Je peindrai en corps mon dernier baiser, comme sur la bouche de Marthe, me passant du silence de mes enfants

C’est le plus dangereusement vil que je connaisse mais chacun est libre de son choix

A toi tout seul, Alain de te tenir vivant en l’absence de prétextes – y compris ceux de l’âge – gardes-toi, loin du tout fout l’camp

Continue à dire que c’est beau la vie dans la peinture dans ton atelier de pro qui n’a rien confondu du savoir-faire et du bricolage…

Niala-Loisobleu.

18 Janvier 2023

Le bateau Espagnol par Léo Ferre

J’étais un grand bateau descendant la Garonne
Farci de contrebande et bourré d’Espagnols
Les gens qui regardaient saluaient la Madone
Que j’avais attachée en poupe par le col
Un jour je m’en irai très loin en Amérique
Donner des tonnes d’or aux nègres du coton
Je serai le bateau pensant et prophétique
Et Bordeaux croulera sous mes vastes pontons

Qu’il est long le chemin d’Amérique
Qu’il est long le chemin de l’amour
Le bonheur ça vient toujours après la peine
T’en fais pas mon ami je reviendrai
Puisque les voyages forment la jeunesse
T’en fais pas mon ami je vieillirai

Rassasié d’or ancien ployant sous les tropiques
Un jour m’en reviendrai les voiles en avant
Porteur de blés nouveaux avec mes coups de triques
Tout seul mieux qu’un marin je violerai le vent
Harnaché d’Espagnols remontant la Garonne
Je rentrerai chez nous éclatant de lueurs
Le gens s’écarteront saluant la Madone
En poupe par le col et d’une autre couleur

Qu’il est doux le chemin de l’Espagne
Qu’il est doux le chemin du retour
Le bonheur ça vient toujours après la peine
T’en fais pas mon ami je reviendrai
Puis les voyages forment la jeunesse
Je te dirai mon ami à ton tour
A ton tour…

Léo Ferré

Du Noeud


Du NOeud

Sur l’étagère tout ce qui reste est un endroit du caniveau de la déviation empruntée

Les forces de l’ordre garderont leurs mercenaires

Je rentre dans mon lavoir avec le cheval et le chien

Il y’a aurait des abeilles montant la garde la où on trouverait des marguerites à l’orée de champs de lin

Et des loutres joueuses dédaignant les lieux nouant les vipères

En joignant les bouts des échelles de cordes je peux m’accrocher à ce qui s’en balance

Qu’importe l’absence de visiteurs

S’ils sont porteurs du dernier mutant, j’ai reçu avant-hier mon 5ème vaccin.

Niala-Loisobleu – 18 Janvier 2023

UN PONT


UN PONT

Les lèvres du fleuve s’ouvrent et se ferment

l’arche écarte les jambes

Passe une ouïe grande ouverte

le bouchon saute en prononçant le nom qui dormait dans un confluent de garage

ça fait dresser l’aqueux des feuilles d’iris

et combiner un plan aux canards

autour de l’île la navette cesse les balades, les touristes iront en attente se faire voir

plus de monstres de croisière cannibales de Venise

St-Marc lessive

En regardant flotter tes seins

ça fait

comme un sentiment d’enfant drivant son ballon sans qu’un con tende sa jambe

j’ai dit « But », je mourrai pas de fin aujourd’hui

Et laissant les syndicats peaufiner leurs combines

j’ai suivi ton train, comme on se précipite aux sphères pour pu avoir peur du noir

Par le couloir de l’enfilade, cette perspective que les colonnes savent rassemble sans doser l’hier à l’aujourd’hui

La preuve le soleil m’invite à l’atelier, La Chaume est pleine de lumière.

Niala-Loisobleu.

18 Janvier 2023

La taille


Niala 2023

La taille

Quand cuisse contre cuisse la branche se ressentit essence de vie, elle affirma du je Nous , son engagement à porter le fruit au pouls de la vie

En longueurs ondoyantes le double-genre de l’arbre enfourche en corps en sauvant l’oiseau de l’exil

Et rondeurs de la montagne

Puisant de cette baguette énergétique à la recherche de la source, le puisatier cherche les eaux souterraines

En se fiant au pâturage choisi par l’âne.

Niala-Loisobleu – 18 Janvier 2023

Léo Ferré – La Solitude


Léo Ferré – La Solitude


Je suis d’un autre pays que le vôtre
D’une autre quartier
D’une autre solitude

Je m’invente aujourd’hui des chemins de traverse
Je ne suis plus de chez vous
J’attends des mutants

Biologiquement
Je m’arrange avec l’idée que je me fais de la biologie
Je pisse, j’éjacule, je pleure
Il est de toute première instance
Que nous façonnions nos idées
Comme s’il s’agissait d’objets manufacturés
Je suis prêt à vous procurer les moules

Mais, la solitude

La solitude

Les moules sont d’une texture nouvelle, je vous avertis
Ils ont été coulés demain matin
Si vous n’avez pas, dès ce jour
Le sentiment relatif de votre durée
Il est inutile de vous transmettre
Il est inutile de regarder devant vous car
Devant c’est derrière
La nuit c’est le jour, et

Ah, ah, ah
Ah, ah, ah, ah, ah, ah

La solitude
La solitude
La solitude

Il est de toute première instance que les laveries automatiques
Au coin des rues, soient aussi imperturbables que les feux d’arrêt
Ou de voie libre
Les flics du détersif
Vous indiqueront la case
Où il vous sera loisible de laver
Ce que vous croyez être votre conscience
Et qui n’est qu’une dépendance de l’ordinateur neurophile
Qui vous sert de cerveau
Et pourtant

La solitude
La solitude

Le désespoir est une forme supérieure de la critique
Pour le moment, nous l’appellerons « bonheur »
Les mots que vous employez n’étant plus « les mots »
Mais une sorte de conduit
À travers lequel les analphabètes se font bonne conscience

Mais, ma solitude
La solitude
La solitude, la solitude, la solitude
La solitude

Le Code Civil, nous en parlerons plus tard
Pour le moment, je voudrais codifier l’incodifiable
Je voudrais mesurer vos danaïdes démocraties
Je voudrais m’insérer dans le vide absolu
Et devenir le non-dit
Le non-avenu, le non-vierge
Par manque de lucidité
La lucidité se tient dans mon froc

Dans mon froc

Léo Ferré

« SYMBIOSE » – NIALA 2023 – ACRYLIQUE S/TOILE 55X46


« SYMBIOSE »

NIALA 2023

ACRYLIQUE S/TOILE 55X46

L’oiseau se déplace copié-collé à l’arbre

des terres fendues mendient au passage des migrations

Sur un point non répertorié de l’horizon

que s’agite-t-îles

entre flou et points de repères

il y aurait un espace entre ciel et terre

Pommes de pin tombées
Dans la montagne vide
Tu les entends n’est-ce pas
Là où tu es
En lieu séparé
Mais au même instant

Ces vers nous rappellent, par leur tonalité, un poème de Wang Wei, traduit par François Cheng dans

 L’Écriture poétique chinoise :

François Cheng, L’Écriture poétique chinoiseop. cit., p. 139.

Repos de l’homme. Chute des fleurs du cannelier
Nuit calme, de mars, dans la montagne déserte
Surgit la lune ; effrayé, l’oiseau crie :
Échos des cascades printanières…

Ce qui fait que je me saisis de la manivelle du chevalet

et fouille dans la toile qui monte l’escalier intérieur de mes vertèbres

On dirait que l’âne s’est mis la noria dans le ventre

est-ce un mouvement en résistance

tel l’Arbre de Vie qui s’ébroue ?

Tandis que je finissais ce tableau ce matin sous la verse sans voir que dalle de La Chaume

mes yeux accrochés au dernier souffle de ma main refusaient de s’inscrire à la croisière du Titanic

La chaloupe d’une épopée mise à l’eau et en brassards deux beaux nichons enroulés

j’ai cru z’ô hé qui venait se coller dans cet estuaire d’herbe cressonnière où rien ne végétait

Niala-Loisobleu.

17 Janvier 2023