JACQUES BERTIN – LE GRENIER


JACQUES BERTIN -LE GRENIER

Dans le grand grenier de mon âmeJ’étouffe très discrètementJe respire mais j’ai la bouchePleine de toiles d’araignéesJe fais de grands pas immobilesJe crie mais je ne m’entends pasIl y fait une chaleur moiteDans un bric-à-brac indécentJ’y vois des bons dieux à crinièresSortir des cartons à chapeauxMes amis révolutionnairesCourent en rond le cul à l’airSur le vélo de mes dimanchesVient un épicier à pomponPuis une femme un peu trop vieilleLe ventre blanc et les bas noirsS’écroule dans les étagèresSur les genoux d’un sénateurEn robe de mariée ma mèrePleure en silence dans un coinEntre des gravures de modeEt les napperons des chrétiensPapa tient les cordons du poêleEt les genoux du généralLes goupillons de la moraleEt ceux de la révolutionContre une fille au torse nuLe jupon très bas sur les hanchesQui voudrait m’apporter à boireEt qu’on traque dans les bouquinsJ’arrive enfin à la fenêtreMais quand je vais sortir au jourJe meurs coincé dans la photoFigé dans un sourire immenseJuste à côté du temps qui passeEt qui me fait un grand « Salut ! »

UNE REPRISE CIRCONSTANCIEE


ROBERT DOISNEAU

UNE REPRISE CIRCONSTANCIEE

Les cris d’écoliers dans les cours 

(Lucien Massion / Philippe Bizais)-

Jacques Bertin

Les cris d’écoliers dans les cours
La pierre blanche au carrefour
Ce signe tracé dans le sable
L’étoile posée sur la table

Ce regard dans la foule hostile
Ce jardin doux des trèfles tendres
Ce printemps du mois de novembre
Cet été dans l’hiver civil

Femme inconnue aux cent visages
Mystérieux livre d’image
Le vol au loin des grands oiseaux
Le chant glissant sur les roseaux

La nuit toute mouillée de roses
La soie des matins vénéneux
Ces îles blanches dans mes yeux
Et ce printemps des ecchymoses

Le soleil dans les rues barrées
Et la rhapsodie des marées
Ma part de pain ma part de rêve
Ce point d’aube au bord de ma lèvre

Femme inconnue aux cent visages
Mystérieux livre d’image
Le vol au loin des grands oiseaux
Le chant glissant sur les roseaux

La déception que je vis lorsque je rencontre l’indifférence fondamentale au profit de l’intérêt seul, me ramène à cette chanson dans laquelle je me retrouve

Je suis malade de ça depuis que je suis au monde

mais n’ai jamais voulu en guérir

juste me soigner de n’en rien perdre

Voilà pourquoi je reprise…

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Niala-Loisobleu.

11 Janvier 2024

JE TIENDRAIS


NIALA 100X73 EN COURS

JE TIENDRAIS…CE SERA MON NOUVEAU-NE DE 2024

Je ne veux pas que tout ce qui n’aboutit qu’au vide

vienne se coller à moi pour me dire

« BONNE ANNEE »

Moi j’enfante, comme l’arbre, qui possède le double-sexe

Rose à la volée du semeur

Jaune le geste déployé

dans l’éteint de la friche du temps présent

La vie dans chaque mur au sein de ses fenêtres

en corps construire

en éjaculant mon sperme bleu de nouveau

Jacqueline au-delà

par tout ce qui poursuit sa suite

je leur renvoie la triste nouvelle reçue aujourd’hui maintenant que la jeunesse me redonne de quoi refuser…

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Niala-Loisobleu.

26 Décembre 2023

A LA POINTE NUE DE L’ AVERSE


A LA POINTE NUE DE L’AVERSE

À la pointe nue de l’averse il y a mon amour
Elle est plus belle que l’averse et que l’eau sur la terre
Vient le vent nu sur son cheval et il la trouve belle

Le vent lui jette son filet, il se baisse et lui parle
Le vent l’emmène dans sa nuit, il la veut pour sa femme
De toute la blancheur des nuits, mon amour est plus blanche

Le vent la met dans le matin entre le gris et l’herbe
Au devant du matin debout, mon amour est plus belle
Plus belle d’herbe et d’eau souillée, la nuit dans son regard

Le vent s’en va. Pour mon amour les soleils vont se battre

Jacques Bertin

TROIS BOUQUETS – JACQUES BERTIN


« Trois bouquets » Jacques Bertin

Trois bouquets de fleurs auprès du lit parmi les livres
La paix qui s’installe ici à cause de toi
Le premier bouquet pour l’enfant que nous ne ferons pas
Le second pour le chant des hommes dont nous sommes séparés
Le troisième parce que tu m’aimes, des œillets

Trois bouquets de fleurs auprès du lit parmi les livres
Un jour nous cesserons de fuir ô mon enfant
Un jour nous nous retrouverons, je te dirai : tu as vieilli
Sur une berge triste dans le limon tu es belle et transie
Compagnons, recouvrez notre amour de vos voix humaines
Manteau des révoltes, manteau de laine, celle que j’aime a froid

Jacques Bertin

JACQUES BERTIN – ROMAN


JACQUES BERTIN – ROMAN

Roman

Il descendait de la montagne et du silence et devant lui les hommes

Là-haut il était seul, on n’entend que le vent

Il descendait, dans sa tête il cherchait la parole implacable

Qui le lierait au monde, aux hommes et à lui-même à tout jamais

Vers lui vous avanciez bardés d’objets, petits, malingres

L’histoire sur vous refermée ainsi qu’un guichet qu’on abat

Vous ne disiez que quelques mots, que quelques mots, toujours les mêmes

Vous ne saviez qui vous étiez, la terre roulait sous vos pas

Il descendait, vous lui disiez « Tu viens, tu es des nôtres »

Vous lui disiez « Tu es une part de nous-même », il ne vous aimait pas

Il était jeune, il cherchait Dieu, il ne cherchait que la parole

Comme un ventre large et lumineux où tout se calme et le vent s’abat

Mais il glissait vers vous et il sentait l’odeur des hommes

Il se sentait sombrer, il ne vous aimait pas

Vous lui tendiez les mains, les mains rongées, les os : regarde !

Il voyait qu’il avait les mêmes mains, la même mort collée au bout des doigts

Il entendait votre plainte sur la ville et elle sortait de sa bouche

Il vous voyait égorgés dans les ravins de l’Algérie

Il entendait son propre râle qui montait du métro Charonne

Au Vercors il se levait avec les ombres battant l’air sur les croix

Près de Chateaubriant dans les haies les fusillés chantent

La nuit dans les banlieues les affiches se décollent au vent

Ce sont toujours les mêmes mots à terre simplement qui demandent qu’on les prenne

Et qu’on les porte de main en main, surtout qu’on n’oublie pas

Les mêmes mots toujours la nuit, identiques et la veille

Le même chant, le même râle, peu de choses, des mots blessés

Faites que nous n’ayons pas vécu pour rien. Cela est simple

Et ce chant durera comme la Terre durera

L’ennemi est plus fort que jamais aujourd’hui que notre chant est faible

Les mêmes mots viennent de Billancourt, de Prague et de Madrid

C’est toujours le temps de dresser des barricades de paroles

C’est toujours aujourd’hui qu’il faut défendre ce brasier-là

Une femme passait avec aux yeux la même larme

Le même rêve écrasé au fond des yeux. Ils se sont reconnus

Quelques instants et une porte déjà qu’on referme

Sans mentir il avait eu le temps de lui dire qu’il l’aimait

Il pariait chaque instant, il parlait de choses présentes

Il était de tous les combats systématiquement

Il n’avait pas d’espoir, pas d’avenir, il était ivre

Il se tenait dans l’Histoire comme le pleur arrêté d’un enfant

Jacques Bertin

DURE A PASSER – JACQUES BERTIN


DURE A PASSER – JACQUES BERTIN

Tu as traîné toute la nuit dans les bistrots du centre,

Tu rentres chez toi, tu prends un papier, un crayon,

Mais rien ne vient parce qu’il n’y a rien à dire, au fond,

Tu prends un bain, puis tu prépares ton suicide,

Quelquefois, la nuit est bien plus courte qu’on imagine,

La mort vient vite, et c’est trop tard, le jour est là,

Dans l’arbre, toujours le même, volià déjà le rossignol,

Jour qui vient à poignarder, tu es livide,

Je sens, je sens tous ceux qui, cette nuit, sont seuls,

Qui vont passer la nuit, tenant la main courante,

A regarder le gouffre, à y sombrer,

Je sens la mort qui jaillit du miroir éclaté

Il faut descendre dans la rue, il faut peupler la nuit,

Il faut prendre la mort au licol et l’amener boire

Ensemble, dans une aurore lumineuse, des gouttes de rosée,

Que seront les mots innombrables, par nous, au sol, déposés

Ô mon âme, quand je serai sur l’autre versant de la nuit,

Je serai dans le sel de tes larmes, à toi seul,

Ce soir, la mort pose son muffle chaud sur mon épaule,

Comme une bonne compagne pas trop dérangeante, pour le moment

Jacques Bertin