La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
moi! Je vous construirai sans plan et sans ciment Un édifice que vous ne détruirez pas, Et qu’une espèce d’évidence écumante Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire
au nez, Et au nez gelé de tous vos Parthénons, vos arts
arabes, et de vos Mings.
Avec de la fumée, avec de la dilution de
brouillard Et du son de peau de tambour,
Je vous assoirai des forteresses écrasantes et superbes,
Des forteresses faites exclusivement de remous et de secousses,
Contre lesquelles votre ordre multimillénaire et votre géométrie
Tomberont en fadaises et galimatias et poussière de sable sans raison.
Glas! Glas! Glas sur vous tous, néant sur les
vivants ! Oui, je crois en Dieu ! Certes, il n’en sait rien ! Foi, semelle inusable pour qui n’avance pas. Oh monde, monde étranglé, ventre froid ! Même pas symbole, mais néant, je contre, je
contre, Je contre et te gave de chiens crevés. En tonnes, vous m’entendez, en tonnes, je vous
arracherai ce que vous m’avez refusé en
grammes.
Le venin du serpent est son fidèle compagnon, Fidèle, et il l’estime à sa juste valeur. Frères, mes frères damnés, suivez-moi avec confiance.
Les dents du loup ne lâchent pas le loup. C’est la chair du mouton qui lâche.
Dans le noir nous verrons clair, mes frères. Dans le labyrinthe nous trouverons la voie
droite. Carcasse, où est ta place ici, gêneuse, pisseuse,
pot cassé? Poulie gémissante, comme tu vas sentir les
cordages tendus des quatre mondes! Comme je vais t’écarteler!
On embauche les flammes pour la destruction des édifices. On embauche la bassesse humaine pour la destruction des fiertés. On embauche la bêtise et la veulerie dans un immense et composite outil. Et travaille dur cet outil, dur et insolemment, par-ci par-là avec des souplesses, puis de nouveau dur et impudent, lassant la résistance et développant un immense imbroglio.
Mais dur pour qui le subit. Et qui ne le subit pas?
Souvent il arrive que je me jette en avant comme la mer sur la plage. Mais je ne sais encore que faire. Je me jette en avant, je reviens en arrière, je me jette à nouveau en avant.
Mon élan qui grandit va bientôt trouver forme. Il le faut. L’amplitude du mouvement me fait haleter (non des poumons, mais d’une respiration uniquement psychique).
Sera-ce un meurtre? Sera-ce une onde miséricordieuse sur le Monde? On ne sait pas encore. Mais c’est imminent.
J’attends, oppressé, le déferlement de la vague préparatoire.
Voilà le moment arrivé…
Ça été l’onde de joie, cette fois, l’étalement de bienveillance.
Mon royaume, me dit ce prince, est si fatalement voué à la ruine que, le moment viendra, et qui n’est pas lointain, où un mendiant désespéré n’y voudrait mettre les pieds.
Sa perte est sûre. Il y a les ennemis. Ce n’est pas d’eux que je l’attends. Ils n’osent y songer. Cela me sauve, mais ne sauve pas mon royaume, lequel, quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils tolèrent, s’engloutit lentement.
C’est ce que plusieurs de nos savants ont dû remarquer également, qui me sont attachés, et qui pour cette raison ne le proclament pas en public et même s’en taisent totalement, voulant à moi seul confier cette vérité, et je les vois souvent qui viennent vers moi avec des mines trop graves pour de simples compliments de cour, les écarte donc, interrompant vivement leurs discours par des remerciements ou sur une parole cordiale qui donne congé et ainsi je les renvoie, les yeux encore chargés d’un message qu’ils n’ont pu délivrer et qui leur perce la tête, la tête et le cœur, je le sais, mais dont je ne veux les délivrer. Moi non plus, je ne peux m’en délivrer.
Le terrain tout entier de ce pays doit céder et bientôt n’être plus, entraînant ses aveugles habitants.
CONSEILS ET RÉPONSE A DES DEMANDES DE CONSEILS PAR HENRI MICHAUX
Faut-il punaiser les bébés? » m’écrit J. O. Non je ne répondrai pas à cette question insidieuse. Je ne me sens plus en confiance et ne s’agirait-il que d’un papillon, je ne répondrais pas, quoiqu’il ait un vol singulièrement agaçant, genre : « je viens, je ne viens pas » et, affiché sur l’aile, un art décoratif pour pompiers et midinettes, non, à son sujet non plus on ne me démasquera pas.
Quant aux bébés, ils sont l’honneur de la nation. Le futur honneur. Et s’ils crient, c’est assez naturel. Cris comme les vagues de la mer, avec hauts et bas : c’est qu’ils doivent reprendre souffle, tout enragés qu’ils sont et vous faire connaître en pointe qu’ils ont mal. Cris comme un appel à la lumière : c’est qu’ils espèrent arriver une bonne fois à l’exprimer et à vider leur souffrance.
Ces mauvais artistes créent. Hélas, vous assistez à leur création. Elle est grotesque. Trop tôt pour les convaincre de leur déplaisant échec. Dans quelques années, ces ratés, enfin assagis, renonceront à l’expression, pour s’adonner à la mécanique ou à l’agriculture. Mais il est malheureux qu’ils s’obstinent en ce moment.
J. O. m’écrit encore : « Je les enfariné. Est-ce bien? Dans une énorme dune de sable je les précipite. Dès lors, plus un cri, plus un souffle, et la journée s’achève comme dans une église. Est-ce bien? »
Non, je ne réponds pas à cet homme. La guerre, je pense, a dû l’énerver.
Je l’excuse, mais qu’il fasse attention.
Tout le monde ne sera pas aussi compréhensif que moi, peut-être.
Immensité déserte. Château pareillement désert. Altier, mais désert. Et pendille son enfant dans le vent, dans la pluie.
Pourquoi? Parce qu’il ne pourrait le ramener chez lui, vivant. Du moins il ne sait comment s’y prendre. Et pendille son enfant dans le vent et la pluie. Dans ce dénuement il vit. Maigrement.
Et tous deux de cela ils souffrent. Mais ils n’arrivent pas à changer la situation qui en aurait tellement besoin.
Maintenant U. L. Voici les rapports qu’il a avec le sien. Son enfant à lui n’est pas si loin. Pas à plus de dix pas. Cela n’en vaut guère mieux. A peine s’il l’observe. De loin en loin, il lui fait : « Tut! Tut! » C’est tout. Ils n’ont pas d’autre commerce. Ce n’est pas très réconfortant. Non, ce n’est pas très réconfortant : « Tut! Tut! » crié d’un souffle d’ailleurs retenu. Pauvre secours. Mais pas nul, pourtant, non, pas nul.
Les Meidosems ont encore bien d’autres façons fâcheuses de traiter leurs enfants d’âme. Il faudra en parler. Il n’y a guère d’enfants d’âme heureux.
L’horloge qui bat les passions dans l’âme des Meidosems s’éveille. Son temps s’accélère. Le monde alentour se hâte, se précipite, allant vers un destin soudain marqué.
Le couteau qui travaille par spasmes attaque, et le bâton qui baratte le fond s’agite violemment.
Trente-quatre lances enchevêtrées peuvent-elles composer un être? Oui, un Meidosem. Un Mei-dosem souffrant, un Meidosem qui ne sait plus où se mettre, qui ne sait plus comment se tenir, comment faire face, qui ne sait plus être qu’un Meidosem.
Ils ont détruit son « un ».
Mais il n’est pas encore battu. Les lances qui doivent lui servir utilement contre tant d’ennemis, il se les est passées d’abord à travers le corps.
Mais il n’est pas encore battu.
Ils prennent la forme de bulles pour rêver, ils prennent la forme de lianes pour s’émouvoir.
Appuyée contre un mur, un mur du reste que personne ne reverra jamais, une forme faite d’une corde longue est là. Elle s’enlace.
C’est tout. C’est une Meidosemme.
Et elle attend, légèrement affaissée, mais bien moins que n’importe quel cordage de sa dimension appuyé sur lui-même.
Elle attend.
Journées, années, venez maintenant. Elle attend.
L’élasticité extrême des Meidosems, c’est là la source de leur jouissance. De leurs malheurs, aussi.
Quelques ballots tombés d’une charrette, un fil de fer qui pendille, une éponge qui boit et déjà presque pleine, l’autre vide et sèche, une buée sur une glace, une trace phosphorescente, regardez bien, regardez. Peut-être est-ce un Meidosem. Peut-être sont-ils tous des Meidosems… saisis, piqués, gonflés, durcis, par des sentiments divers…
Ce troupeau qui vient là, comme des pachydermes lents, avançant à la file, leur masse est et n’est pas. Qu’en feraient-ils? Comment la porteraient-ils? Cette lourdeur, cette démarche anky-losée n’est qu’un parti qu’ils ont pris pour échapper à leur légèreté qui les épouvante à la longue.
Et va le cortège des énormes baudruches qui essaie de s’en faire accroire.
Sur ses longues jambes fines et incurvées, grande, gracieuse Meidosemme.
Rêve de courses victorieuses, âme à regrets et projets, âme pour tout dire.
Et elle s’élance éperdue dans un espace qui la boit sans s’y intéresser.
Ces centaines de fils parcourus de tremblements électriques, spasmodiques, c’est avec cet incertain treillis pour face que le Meidosem angoissé essaie de considérer avec calme le monde massif qui l’environne.
C’est avec quoi il va répondre au monde, comme une grelottante sonnerie répond.
Tandis que secoué d’appels, frappé, et encore frappé, appelé et encore appelé, il aspire à un dimanche, un dimanche vrai, jamais arrivé encore.
Le voilà qui file comme un obus. Vitesse que
l’œil ne peut suivre. Qu’arrivera-t-il? Qu’il se
rompra en cent morceaux à l’arrivée, à coup sûr
et dans le sang. Oh non, il n’est même pas parti.
Il n’est parti que de sa marche d’âme.
C’est aujourd’hui l’après-midi du délassement des Meidosemmes. Elles montent dans les arbres. Pas par les branches, mais par la sève.
Le peu de forme fixe qu’elles avaient, fatiguées à mort, elles vont la perdre dans les rameaux, dans les feuilles et les mousses et dans les pédoncules.
Ascension ivre, douce comme savon entrant dans la crasse. Vite dans l’herbette, lentement dans les vieux trembles. Suavement dans les fleurs. Sous l’infime mais forte aspiration des trompes de papillons, elles ne bougent plus.
Ensuite, elles descendent par les racines dans la terre amie, abondante en bien des choses, quand on sait la prendre.
Joie, joie qui envahit comme envahit la panique, joie comme sous une couverture.
Il faut ensuite ramener à terre les petits des Meidosems qui, perdus, éperdus dans les arbres, ne peuvent s’en détacher.
Les menacer, ou encore les humilier. Ils s’en reviennent alors, on les détache sans peine et on les ramène, emplis de jus végétal et de ressentiment.
Dans la glace, les cordons de ses nerfs sont dans la glace.
Leur promenade y est brève, travaillée d’élancements, de barbes d’acier sur le chemin du retour au froid du Néant.
La tête crève, les os pourrissent. Et les chairs, qui parle encore de chairs? Qui s’attend encore à des chairs?
Cependant, il vit.
L’horloge roule, l’heure s’arrête. Le boyau du drame, il y est.
Sans avoir à y courir, il y est…
Le marbre sue, l’après-midi s’enténèbre.
Cependant, il vit…
Oh! Elle ne joue pas pour rire. Elle joue pour tenir, pour se retenir.
Lune qui s’accroche, lune qui se décroche.
Elle joue une bille contre un bœuf et elle perd un chameau.
Erreur? Oh, non, il n’y a jamais erreur dans le cerrcle fatal.
Il n’y a pas de rire. Pas place pour rire. Toute mobilisée pour souffrir, pour tenir.
Le cuvier des larmes est plein jusqu’au bord.
Le Meidosem comme une fusée s’éclaire. Le Mei-dosem comme une fusée s’éloigne.
Allez, il reviendra.
Peut-être pas à la même vitesse, mais il reviendra, appelé par les fibres qui tiennent aux capsules.
Elle chante, celle qui ne veut pas hurler. Elle chante, car elle est fière. Mais il faut savoir l’entendre. Tel est son chant, hurlant profondément dans le silence.
Une gale d’étincelles démange un crâne douloureux. C’est un Meidosem. C’est une peine qui court. C’est une fuite qui roule. C’est l’estropié de l’air qui s’agite, éperdu. Ne va-t-on pas pouvoir l’aider?
Non!
Ils ont mis les gants pour se rencontrer.
Dans le gant, on trouve une main, un os, une épée, un frère, une sœur, une lumière, cela dépend des Meidosems, des jours, des chances.
Dans la bouche on trouve une langue, un appétit, des mots, une douceur, l’eau dans le puits, le puits dans la Terre. Cela dépend des Meidosems, des jours, des chances.
Dans la cathédrale de la bouche des Meidosems, ils font aussi claquer des pavillons.
Un ciel de cuivre le couvre. Une ville de sucre lui rit. Que va-t-il faire? Il ne fera pas fondre la ville. Il ne pourra pas percer le cuivre.
Renonce, petit Meidosem.
Renonce, tu es en pleine perte de substance si tu continues…
Il plaît et pourtant…
Il dort à cheval dans sa peine immense. Son chemin est l’horizon circulaire et la Tour percée du ciel astronomique.
Il plaît. Son horizon inaperçu élargit les autres Meidosems, qui disent « Qu’est-ce qu’il y a? Qu’est-ce qu’il y a donc?… » et sentent de l’étrange, de l’agrandissement à son approche.
Et cependant, il dort à cheval dans sa peine immense…
Cette jeune Meidosemme est toute en pavillons. Sa face ne dit rien que « Regardez mes pavillons ». Et ils sont tellement nets que c’est très joyeux et qu’on pense « Quelle est donc cette Meidosemme porte-pavillon? » car ce sont, quoiqu’elle n’y songe pas, des pavillons qui ne veulent rien dire.
Autre chose, on peut voir dessous, si l’on est celui-là qui doit être appelé à l’y voir, qu’elle-même devine à peine, toute occupée à son pavoi-sement.
Danger! Il faut fuir. Il le faut. Vite.
Il ne fuira pas. Son dominateur droit ne lui permet pas.
Mais il le faut. Ne veut pas son dominateur droit. Son épouvantant gauche s’agite, se tord, au supplice, hurle. Inutile, ne veut pas son dominateur droit. Et meurt le Meidosem qui, indivisé, eût pu fuir.
Finie la vie. Il n’en reste plus. On pourra seulement, si on le veut absolument, en faire l’histoire.
Si grande que soit leur facilité à s’étendre et passer élastiquement d’une forme à une autre, ces grands singes nlamentaux en recherchent une plus grande encore, plus rapide, pourvu que ce soit pour peu de temps et qu’ils soient sûrs de revenir à leur état premier. Et pour cela s’en vont ces Meidosems joyeux ou fascinés vers des endroits où on leur fait promesse d’une grande extension, pour vivre plus intensément et de là repartent excités vers des endroits où une promesse analogue leur a été faite.
Des coulées d’affection, d’infection, des coulées de l’arrière-ban des souffrances, caramel amer d’autrefois, stalagmites lentement formées, c’est avec ces coulées-là qu’il marche, avec elles qu’il appréhende, membres spongieux venus de la tête, percés de mille petites coulées transversales, allant jusqu’à terre, extravasées, comme d’un sang crevant les artérioles, mais ce n’est pas du sang, c’est le sang des souvenirs, du percement de l’âme, de la fragile chambre centrale, luttant dans l’étoupe, c’est l’eau rougie de la veine mémoire, coulant sans dessein, mais non sans raison en ses boyaux petits qui partout fuient; infime et multiple crevaison.
Un Meidosem éclate. Mille veinules de sa foi en lui éclatent. Il retombe, s’étale et s’extravase en de nouvelles pénombres, en de nouveaux étangs.
Qu’il est difficile de marcher ainsi…
Le visage qui porte des chaînes, le voici.
Le chapelet de mailles le tient par les yeux, s’enroule autour de son cou, retombe, arrache, le fait souffrir du poids des mailles uni au poids de l’esclavage.
La longue ombre qu’il projette en avant en dit long là-dessus.
Temps! Oh! le temps! Tout le temps qui est le tien, qui eût été le tien…
Organes épars, courses rompues, intentions prises dans la pierre. Le solide vous a ainsi. En tessons de vous-même. Le solide tant désiré vous a enfin.
Disloqués, en morceaux, genoux de l’élan. Étrange palissade meidosemme.
Plus de bras que la pieuvre, tout couturé de jambes et de mains jusque dans le cou, le Meido-sem.
Mais pas pour cela épanoui. Tout le contraire : supplicié, tendu, inquiet et ne trouvant rien d’important à prendre, surveillant, surveillant sans cesse, la tête constellée de ventouses.
Meidosem, à la tête habitée d arborescences, regardant non par les yeux crevés, mais par le chagrin de leur perte et par la térébrante souffrance.
Une arborescence infinie… sous la minceur translucide du visage exténué, exprime une vie percée, par-dessus un autre qui se forme, qui se forme, malaisé, prudent, effilé et déjà repercé.
Grand, grand Meidosem, mais pas si grand somme toute, à voir sa tête. Meidosem à la face calcinée.
Et qu’est-ce qui t’a brûlé ainsi, noiraud?
Est-ce hier? Non, c’est aujourd’hui. Chaque aujourd’hui.
Et elle en veut à tous.
Calcinée comme elle est, n’est-ce pas naturel?
La grande lance diagonale qui, du haut en bas du Meidosem faiblissant, s’est implantée pour le retenir. Est-ce qu’elle va pour finir le retenir?
Du front au genou, grande béquille sans moelle. Traverse impérieuse, à la dureté militaire.
Tuteur féroce, tu veux tuer ou tu soutiens?
Pas seulement le Christ a été crucifié. Celui-ci aussi l’a été, Meidosem inscrit dans le polygone barbelé du Présent sans issue.
Bien au-delà d’une sentence de juge, bien au-delà d’un écroulement de villes.
La plénitude de sa plaie l’isole de l’accident.
Il pâtit comme on règne.
Cuisses rondes, buste rond, tête ronde. Mais ces yeux? Obliques, dégringolés, percés. Mais cet entredeux yeux? Si grand, si grand, si vide. Pour avaler quoi, avec ce vide?
Lézard tenace et dur comme le guet, il attend, ce Meidosem. Sans ciller, dans l’espoir de se remplir, il attend…
Très peu soutenus, toujours très peu soutenus, les voilà encore, leur colonne de vertèbres (sont-ce même des vertèbres?) transparaissant sous l’ectoplasme de leur être.
Ils ne devraient pas aller loin.
Si, ils iront loin, vissés à leur faible, en quelque sorte forts par là et même presque invincibles…
Sur un corps mou, une tête de proie et de prise, de domination passée, comme un tracteur arrêté un après-midi sur les sillons d’un champ pas fini d’être labouré.
Macle de tessons, de cristaux, de blocs.
La lumière y arrive droite, en repart droite, n’est entrée nulle part.
Le farouche noyau pétré attend, sur un corps vague, étranger, hétérogène, le clivage salutaire qui l’ouvre et le soulage enfin.
Agrafes du mal, vous avez eu prise ici. Le Mei-dosem a pourtant aussitôt fait butoir. Risible résistance! Palissade de peau contre dents de tigres. Enfin… ça suffira peut-être cette fois.
Bovin Bouddha de sa bête…
Le monde inférieur se médite en lui sans défaire ses courbes, et paît le Meidosem, l’herbe invisible des douleurs remises en place.
Il domine? Non; seulement il n’est pas égalé.
Démons féminins de l’excitation de l’encre du désir, triangulaire visage en poils de tentation, où percent, où coulent cent regards de pluie, cent regards accrocheurs, de regards pour regards en retour. Petite araignée noire, naine et crachant lentement, pour arrêter le temps un instant.
D’une berline de l’air, ou d’une petite terre inconnue dissimulée dans quelque ionosphère est descendue une petite troupe de Meidosems nus, accrochés, certains, à des parachutes, d’autres à quelques ficelles ou à une motte plongeante, d’autres pas accrochés du tout.
Légers, fibres et fils rejetés en arrière, ces Meidosems sont descendus en oblique (sans doute une certaine dérive), mains au repos, appliquées contre la jambe.
Tomber pour tomber, ils préfèrent tomber sagement, dans la dérive légère.
Non, ne s’inquiètent pas, descendent calmes, calmes, bien tendus les membres, bien tendus. Sans arrière-pensée. A quoi bon s’inquiéter déjà? Ils en ont pour quelques secondes encore avant la casse.
Le voici le nœud indivisible et c’est un Meido-sem. Tout éruption, si on l’écoutait, mais c’est un nœud indivisible.
Profondément, inextricablement noué. Sa jambe cessant d’être jambe si jamais elle l’a été, balai terminal d’une poitrine serrée qui elle aussi montre la corde et le jute.
Quel étranglé ne parle un jour de se libérer? Les tables elles-mêmes parlent, à ce qu’on dit, de se libérer de leurs fibres.
Sphérule contractée de tête d’insecte, de tête de libellule, portée haut sur dansante démarche, sur allure paysanne.
Et toujours cette tête inquiète, semblable à celle que la souris porte sur son corps, au-devant des fromages empoisonnés, des graines éparses et des étoffes abandonnées.
Tête pour se broyer.
Un nuage ici fait un nez, un large nez tout
répandu, comme l’odeur autour de lui, fait un œil
aussi, qui est comme un paysage, son paysage
devant lui, et maintenant en lui, dans la géante
tête, qui grandit, grandit démesurément.
D’une brume à une chair, infinis les passages en pays meidosem…
Profils en forme de reproches, profils en forme d’espoirs déçus de jeunes filles, voilà ces profils meidosems.
Concaves par-dessus tout, concaves attristés, mais pas larmoyants.
Pas d’accord pour le dur, pas d’accord pour les larmes. Pas d’accord.
On ne les a jamais qu’entr’aperçus, les Meidosems.
Un bandeau sur les yeux, un bandeau tout serré, cousu sur l’œil, tombant inexorable comme volet de fer s’abattant sur fenêtre. Mais c’est avec son bandeau qu’il voit. C’est avec tout son cousu qu’il découd, qu’il recoud, avec son manque qu’il possède, qu’il prend.
Dans son corps corseté pour sentir le résonnant, tendu vers un monde où la suée même est sonore, il cherche le drame voyageur qui sans trêve circule autour de lui et de tous ses frères meidosems inquiets et qui ne savent quoi saisir.
Quand ils ont des soucis, leur tête se creuse, en jatte, en baquet, mais vide, de plus en plus vide, quoique de plus en plus grand, et ferait presque éclater leur crâne.
Quand deux choses ne leur plaisent pas, entre lesquelles il leur faudrait choisir et décider, quand, entre deux décisions à prendre, chacune désagréable et génératrice probable d’autres désagréments mais difficiles à suivre à l’avance, ils n’arrivent pas à donner la préférence à l’une sur l’autre, qui continue en quelque sorte, à chaque instant, de sonner de la cloche, ils agissent alors en reculant de plus en plus dans leur tête qui fait le vide devant le problème tracassant qui ne les tracasse pas moins pour cela, vide douloureux qui occupe tout, sphère de néant.
Il lui est sorti du nez une espèce de lance courbe. Elle vient de se former. C’est un balancier.
Il leur en faut presque toujours des balanciers aux Meidosems, quoique ça les gêne souvent terriblement, comme on pense bien, et dans la marche et à la course; et dans les rencontres.
Souvent vous voyez des Meidosems parfaitement arrêtés, alors qu’il n’y a pas de quoi s’arrêter, sauf que leurs balanciers se sont pris dans des poutres, dans des perches, ou dans les balcons d’une maison ou simplement dans les balanciers les uns des autres et ne peuvent plus avancer, attendent peut-être de périr ou d’être enfin dégagés avec de gros risques par quelque casse-tout qui détermine avec divers accidents l’Accident libérateur.
Pour s’éviter de tomber en pareil engrenage de balanciers ils avancent plus volontiers en cortège, que seuls ou en groupes désordonnés.
Un jeune Meidosem se plie, se replie, s’efface tant qu’il peut, se rejetant en arrière comme un lasso. Mais la terrible tour animée qui le menace, penchée sur lui comme l’écroulement prochain d’un building sur l’auvent d’un petit pavillon…
Mais la terrible tour… en cet instant de flanelle…
Roche d’âme. Contre elle, pas de recours. Ils n’en trouvent pas. Pas de contoumement possible. Ils n’en trouvent pas.
Là-dessus, ils buteraient s’ils avançaient et ce n’est rien que vent, confluent de vents.
Là, remontant le fleuve de boue, monté sur un cheval solide, il espère aboutir à la mer de boue qui submergera ce qui doit être submergé. Les yeux fixés sur l’estuaire dont il croit voir flotter les premières bouées, signes du vaste agrandissement qui va le libérer comme le sombre peut libérer.
Une souris s’échappe, mordille le doigt d’un vieux gant. « Que fais-tu là, souris? » « Je suis l’aigle de demain », répond-elle et déjà les Meido-sems des alentours s’enfuient épouvantés. Le bec impérieux se développe en un temps rapide. Pour se sauver, il faudra faire vite maintenant.
Il se mue en cascades, en fissures, en feu. C’est être Meidosem que de se muer ainsi en moires changeantes.
Pourquoi?
Au moins, ce ne sont pas des plaies. Et va le Meidosem. Plutôt reflets et jeux du soleil et de l’ombre que souffrir, que méditer. Plutôt cascades.
Oh dortoirs-hiboux du souffle inétouffable. Ils viennent ici, Meidosems épuisés, conduits par le iil qui va du féminin au larcin, de la naissance à la pourriture, de la joie à la glaise, de l’air à l’azote.
Ils ont abouti ici. Il n’y a rien à ajouter.
Meidosem qui s’envole par un rideau, revient par une citerne.
Meidosem qui se jette dans un ruisseau, se retrouve dans un étang. Oh étrange, étrange naturel des Meidosems.
Les pattes qui le font courir au bout du monde ne sont pas poilues, ne sont pas soutenues d’os, ne sont pas accrochées à un bassin solide circulaire.
Elles sont comme des gommes, comme de l’ennui qui court.
Les rosées de l’herbe des prairies ne s’attachent pas à elles.
Les pattes qui font courir les Meidosems ne sont pas les pattes qu’il plairait aux bêtes d’avoir pour courir vite, quand la victime est en vue et si bonne dans son soubresaut… quand on arrive jusqu’à elle.
Non, ce ne sont pas ces pattes-là.
Et voici quelques-uns des lieux où vivent les Meidosems, étranges en vérité; étrange qu’ils acceptent d’y vivre…
Il faut le dire, ils vivent surtout dans des camps de concentration.
Les camps de concentration où vivent ces Meidosems, ils pourraient n’y pas vivre. Mais ils sont inquiets comment ils vivraient s’ils n’y étaient plus. Ils ont peur de s’ennuyer dehors. On les bat, on les brutalise, on les supplicie. Mais ils ont peur de s’ennuyer dehors.
Ici une plaine mamelonné éperdue vers le Mei-dosem qui s’arrête stupéfait, lâchant son travail, auquel il était pourtant fort occupé, lâchant tout pour obéir à la fatale fascination.
Les élastiques de son être se tendent, se gonflent.
Ce n’est peut-être pas si dangereux qu’on pourrait croire.
Une corde dans une tour, il s’enroule dans la corde. Fait! Il se rend compte qu’il y a erreur. Il s’enroule dans la tour. Il se rend compte qu’il y a erreur. Elle fléchit, elle se tord. Il faut la redresser. Il reçoit trois singes et leur fait les honneurs de la tour. Les singes s’agitent et la réception n’est pas parfaite. Cependant la tour est là, il faut monter, il faut descendre, il faut remonter avec deux singes sur les bras et un troisième qui en veut à ses cheveux. Mais le Meidosem est bien plus distrait que le singe. Le Meidosem songe toujours à autre chose.
Ce frêle songe à plus frêle encore, quand, arrivé au bout de l’agitation de ses quelques fils, après un temps pas tellement long, il sera comme s’il n’avait jamais été.
En attendant, il faut d’autres tours. Pour voir plus loin. Pour pouvoir s’inquiéter de plus loin.
Par des plafonds crevés surgissent des têtes avides, curieuses, effarées, des têtes de Meidosems.
Par les cheminées, par les fentes, par tout ce qui peut recevoir l’appareil à regarder.
Dans la maison, dans la pièce, d’entre les lattes, (et il y a des centaines de petites lattes par porte) apparaissent des Meidosems, disparaissent des Meidosems, reparaissent, redisparaissent.
Vite ici, vite partis les Meidosems fureteurs…
Ici est le vieux palais aux longs couloirs où picorent les poules, où l’âne vient passer la tête. Tel est le vieux palais. C’est à plus de mille que les Meidosems s’y tiennent, à bien plus de mille.
Tout est à l’abandon. Personne n’est servi. Personne n’a ce qu’il lui faudrait. Le toit est mauvais. Ils ont seulement, qu’ils tiennent en commun, qu’ils ne lâchent jamais, quatre mauvaises cordes.
Sans elles, même dans le palais, ils ne seraient pas à l’aise. Quant à sortir sans, pas question. Ils seraient épouvantés. Et déjà ils sont épouvantés quand ils les ont dans la main, épouvantés qu’on ne les leur coupe. Et on les leur coupe. Aussitôt tous ensemble se jettent à renouer les morceaux coupés, s’embrouillent, tombent, se font menaçants.
Il y a bien d’autres cordes. Mais avec d’autres, ils auraient peur de s’étrangler par mégarde.
Ici est la ville des murs. Mais les toits? Pas de toits. Mais les maisons? Pas de maisons. Ici est la ville des murs. Plans en mains, vous voyez constamment des Meidosems chercher à en sortir. Mais jamais ils n’en sortent.
A cause des naissances (et les morts momifiés occupent une place toujours plus grande entre les murs) à cause des naissances, toujours plus de gens. Il faut construire de nouveaux murs entre les murs déjà existants.
Il y a de longs entretiens meidosems dans les murs, sur Cela qui serait sans murs, sans limites, sans fin et même sans un commencement.
Quel paysage meidosem est sans échelles? De toutes parts, jusqu’au bout de l’horizon, échelles, échelles…et de toutes parts têtes de Meidosems qui y sont montés.
Les Meidosems d’en bas qui circulent entre les échelles travaillent, entretiennent famille, paient, paient à des encaisseurs de toute tenue qui arrivent constamment. On dit d’eux qu’ils ne subissent pas l’appel de l’échelle.
Pour deviser avec les vautours et avec les aigles qui passent à grande distance, ils édifient en une matière ferme de grands arbres, plus élevés que tout autre arbre, de beaucoup, et capables, pensent-ils, de faire rêver les oiseaux eux-mêmes et de leur faire comprendre directement combien en somme ils sont pareils, Meidosems et oiseaux.
Mais les oiseaux ne s’y sont pas laissé prendre, sauf quelques « mouchetis » de passereaux qui mettraient leur nid sur une lance, pourvu qu’il y ait des Meidosems proches et de la nourriture et de l’agitation sans conséquence.
Parfois une volée d’oiseaux des îles ou une bande de migrateurs est signalée, se pose sur les plus hautes branches pour jacasser quelques instants et repart sans chercher aucun rapport avec les Meidosems déçus, mais jamais tout à fait déçus, et qui attendent toujours.
Il étend la surface de son corps pour se retrouver.
Il renie la présence de lui-même pour se retrouver.
Il vêt d’une chemise quelques vides pour, avant l’autre Vide, un petit semblant de plein.
Les tiges montantes où ils prennent place conduisent à une terrasse ouverte. Il y a beaucoup de tiges montantes. Elles ne font pas de bruit. Il y a beaucoup de terrasses. Mais ce ne sont jamais que des terrasses et il faut tôt ou tard redescendre à cause de choses dont on a besoin.
Ensuite, vite, remonter.
Les plus nombreux efforts passent à trouver les tiges qui montent. On n’a pas toujours la sienne. Il faut que l’impatient se mette avec un autre qui fasse fonctionner la sienne, grande celle-là et où il emporte quantité de Meidosems.
Arrivé en haut, l’autre se fait payer en bruits. De là les vacarmes épouvantables à telle ou telle terrasse, si elle est spacieuse. D’ailleurs presque toute terrasse est libératrice de cris.
Sur un toit, il y a toujours un Meidosem. Sur un promontoire, il y a toujours des Meidosems.
Ils ne peuvent rester à terre. Ils ne peuvent s’y plaire.
Dès que nourris, ils repartent vers la hauteur, vers la vaine hauteur.
Sur une grande pierre pelée, qu’est-ce qu’il attend, ce Meidosem? Il attend des tourbillons. Dans ces tourbillons de Meidosems emmêlés, frénétiques, est la joie; or la germination meido-semme augmente avec l’exaltation.
D’autres Meidosems attendent plus loin, fils légers qui désirent s’emmêler à d’autres fils, qui attendent des effilochés du même genre, qui passent en flocons emportés par le vent, qui eux-mêmes attendent un courant qui les soulève, les ascende et leur fasse rejoindre ou des isolés ou une troupe plus grosse de « Meidosems de l’air ».
La chance fait parfois qu’ils rencontrent les algues d’âmes. Mystérieux est leur commerce, mais il existe.
Tremblements, emportement cyclonique, ce sont les risques de l’air. Ce sont les joies de l’air. Comment ne pas se laisser emporter par la haute bourrasque meidosemme?
Sans doute elle a une fin.
Il y a, en effet, constamment dans le ciel des chutes de Meidosems. On y devient presque indifférent. Il faut être parmi les proches pour y faire attention. Certains ont les yeux en l’air seulement pour voir tomber.
Des ailes sans têtes, sans oiseaux, des ailes pures de tout corps volent vers un ciel solaire, pas encore resplendissant, mais qui lutte fort pour le resplendissement, trouant son chemin dans l’empyrée comme un obus de future félicité.
Silence. Envols.
Ce que ces Meidosems ont tant désiré, enfin ils y sont arrivés. Les voilà.
J’ai vu l’eau qui se retient de couler. Si l’eau est bien habituée, si c’est votre eau, elle ne se répand pas, quand même la carafe se casserait en quatre morceaux.
Simplement, elle attend qu’on lui en mette une autre. Elle ne cherche pas à se répandre au-dehors.
Est-ce la forme du Mage qui agit ?
Oui et non, apparemment non, le Mage pouvant n’être pas au courant de la rupture de la carafe et du mal que se donne l’eau pour se maintenir sur place.
Mais il ne doit pas faire attendre l’eau pendant trop de temps, car cette attitude lui est inconfoi table et pénible à garder et, sans exactement se perdre, elle pourrait s’étaler pas mal.
Naturellement, il faut que ce soit votre eau et pas une eau d’il y a cinq minutes, une eau qu’on vient précisément de renouveler. Celle-là s’écoulerait tout de suite. Qu’est-ce qui la retiendrait ?
L’enfant, l’enfant du chef, l’enfant du malade, l’enfant du laboureur, l’enfant du sot, l’enfant du Mage, l’enfant naît avec vingt-deux plis. Il s’agit de les déplier. La vie de l’homme alors est complète. Sous cette forme il meurt. Il ne lui reste aucun pli à défaire.
Rarement un homme meurt sans avoir encore quelques plis à défaire. Mais c’est arrivé. Parallèlement à cette opération l’homme forme un noyau. Les races inférieures, comme la race blanche, voient plus le noyau que le dépli. Le Mage voit plutôt le dépli.
Le dépli seul est important. Le reste n’est qu’épiphénomène.
Celui qui est fait pour être fils unique et qui a sept frères, voici ce qu’il doit faire :
Non, tout compte fait je ne lui conseille rien. S’il m’a lu, il sait déjà, il connaît la vie plastique. La véritable vie plastique. Sept frères! Quelle aubaine que tant d’ennemis, à portée de soi, toujours!
Mais peut-être n’ai-je pas tout dit de la vie plastique. Il faut savoir que je n’ai pas la réputation de sculpteur que je mérite. Cela ne tient pas aux propos dégoûtés que j’ai pu tenir sur les autres sculpteurs dont les œuvres m’apparaissent comme… mais ne cherchons pas à les qualifier… car elles ne m’apparaissent pas. Ils travaillent, c’est indéniable, mais leurs sculptures ne m’apparaissent toujours pas.
Ces pauvres gens travaillent une matière ingrate, ingrate et terriblement lente à prendre forme.
Moi, je travaille les corps vivants, de prime abord et sur place. Douce matière qui inspire, qui fascine, et il faut plutôt craindre de s’y engloutir.
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