Ilarie Voronca
Rien n’obscurcira la beauté du monde

Cette proclamation d’espoir est celle d’un recueil d’Ilarie Voronca, immense poète roumain écrivant en français.
Mais au soir du 4 avril 1946, Ilarie Voronca rentre chez lui, enfin dans sa demeure terrestre; il s’enferme dans la cuisine, prend du temps pour méticuleusement calfeutrer porte et fenêtre, en vérifie l’étanchéité. Puis posément il avale tout un tube de somnifères, lui qui ne prenait jamais ces faux amis du sommeil, boit de l’alcool par-dessus, lui qui ne buvait pas du tout, et arrache le tuyau de gaz. Sans un mot derrière lui, sans le moindre signe.
Et il attend comme il a tant attendu les clignotements de la vie. Et lui qui savait donner aux hommes les rêves d’un arbre ou d’une rivière s’en va. Ce « frère des bêtes et des choses, des livres et des villes, de l’espoir et du malheur » était par trop une conscience aux aguets, un homme de la déchirure.
Il avait 43 ans et c’était sa deuxième tentative de suicide. Être dans son corps réel ne lui suffisait plus. Il lui fallait briser la solitude, « célébrer la fin du règne de la soif ». Il le fit à sa manière désespéré de n’avoir en fait « qu’entrer dans la vie d’un autre » et non dans la sienne.
Il me faudra te quitter ombre, frère
je laisserai ces mots, ces chants inachevés (Permis de séjour, 1935)
Il avait écrit « Ulysse dans la cité » en roumain, il avait 23 ans, et Roger Vailland ébloui l’avait traduit. Maintenant son Ithaque était les fleuves de la mort auquel il avait tenu tête lors de l’occupation nazie.
Il avait tenu tête à la cage d‘écureuil de la vie de tous les jours, celle où se brisent toutes les barques de l’amour.
Sa vie, il l’avait enfermée dans ses livres comme un commentaire, comme les traces d’un autre. Ses hallucinations simples ou profondes il en avait fait de la poésie. Mais là la corde était trop tendue, le désespoir trop vivace.
Et lui qui au-dessus des toits voulait bâtir un autre ciel de chair s‘est enfermé dans lui-même. Il s’était tellement penché sur « le passage à niveau du cœur », qu’il n’aura pas voulu voir passer le train de la vie. La cage des mots se refermera sur lui et sa voix aura fait naufrage, images et biens.
(Source Esprits Nomades)
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Parce que le plus humblement qui soit, je suis de ces êtres là,
ce soir j’ai envie de dire le dégoût que ce monde mérite, tout en sachant que ceci passera au-dessus des têtes et surtout au-dessus de celles qui m’ont abusé en rigolant sans doute dans leur for intérieur. Sûres d’avoir pensé que je n’étais qu’une poire qui gobait leur imposture et en particulier leur infâme trahison.
Désolé de vous décevoir, ce que vous êtes je le tiens de vous seuls. Vous m’avez apporté vous-mêmes de quoi le savoir.
Nous voici au bord de la chute. Mentir est devenu un devoir, plus, une religion. La politique avec ses stars, va le démontrer dans toute sa démesure, tel un Polnareff débris.
Je ne crois pas en votre rédemption tricheurs de tous bords, je crois tant que
Rien n’obscurcira la beauté du monde
et qu’elle se chargera de vous présenter la facture.
Point de nécessité au suicide en ce qui me concerne, juste un ménage relationnel indispensable…
Niala-Loisobleu – 11 Décembre 2016
Sous la lumière rouge de la lune
L’enfant dépossédé erre nu et seul dans la rue.
Ce n’est plus un enfant maintenant. Il ne se rappelle plus
ce qu’il est venu faire dans ce quartier de la ville qui lui semble
soudain inconnu sous la lumière rouge de la lune.
Perdu entre des millions d’hommes
Leur ressemblant de plus en plus jusqu’à ne plus me reconnaître
Pouvant aussi bien vivre leur destinée qu’eux pourraient vivre la mienne
Avec la faim, le froid inscrits sur le visage
Et quelquefois l’extase hébétée d’un désir satisfait
Ce n’est pas moi qui ai su faire un outil de mon corps
Pour dresser dans la mémoire du monde ma statue
Une montagne, une mer ont suffi pour remplir mes poches
Dans les villes mon ombre a fui craintive dans les égouts
Et quand les promeneurs disaient avec respect :
Cette bâtisse est à un tel et ce carrosse
Est à un tel et ce jardin et cette vallée sont à un tel
Ce n’est pas mon nom que prononçaient leurs lèvres.
Mais moi qui n’ai jamais rien eu
Comment pourrait-on se souvenir de moi ?
Car pour s’en souvenir il faut palper, voir ou entendre
Et que pourrait-on voir, entendre ou palper
Sur quelqu’un qui n’a que son regard
Comme une feuille de nénuphar sur l’eau de son âme paisible.
Il y en a certes qui font des actions méritoires
Des capitaines qui conduisent des hommes au combat
Et si un seul parmi ceux-ci échappe à la mort
Il porte témoignage pour la vaillance du chef
Il y en a qui demandent des sacrifices aux foules
“Que chacun, disent-ils, fasse son devoir
Et qu’il se contente d’un salaire minime”
Ceux-là on les nomme bâtisseurs d’avenir.
Leur pouvoir est grandi non seulement des bêtes, des machines et des pierres
Mais des hommes aussi qui font partie de leur avoir.
Pour avoir une identité, il ne suffit pas
De posséder deux bras, deux jambes, deux yeux, un nez, une bouche
Il faut que quelque chose qui est en dehors de vous, vous appartienne
Une terre, une maison, une forêt, une usine
Ne serait-ce qu’une petite échoppe de cordonnier
Une écurie de courses, ce serait parfait mais il ne faut pas viser trop haut
Un troupeau de brebis ou même quelques volailles
Feraient très bien l’affaire
Car l’homme avec ses angoisses et ses soifs d’infini est si peu de choses
Que pour qu’il puisse susciter l’estime
Il doit s’adjoindre quelque bête ou quelque pierre inerte
S’entourer de l’autorité d’une grange ou d’une carrière de sable
Alors ceux qui le croisent voient autour de lui
Les murs de sa demeure, le souffle de ses buffles
Alors sa figure s’augmente de tout ce qu’il possède
Et les hommes s’en souviennent
Mais moi pour la gloire de qui
Ni bêtes, ni gens n’ont travaillé
Je suis passé sans laisser de traces
Nulle empreinte ne ressemble à celle de mon pas
Mes initiales ne sont gravées ni sur l’écorce des arbres
Ni sur les croupes du bétail.
Ah ! j’ai peut-être été entraîné dans ce passage terrestre
Comme un qui se trouve involontairement mêlé
À quelque histoire honteuse
Il valait mieux que je fusse méconnu
Que personne ne puisse dire :
“Il était comme cela !”
Non rien de particulier dans le visage
Je n’ai été ni champion de force ni chanteur, ni meneur d’hommes
Quelle chance d’être passé inaperçu
Et quand les juges chercheront les noms
Ils ne trouveront le mien ni dans les cadastres des mairies
Ni parmi les titulaires de chèques, ni parmi les porteurs de titres
Non, pas même sur une croix ou sur un morceau de pierre
Quelque part se mêlant aux blancheurs d’un ciel bas
Mes os seront pareils aux herbes arrachées.
Ilarie Voronca
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