FIN DE PARCOURS POSSIBLE
À quoi bon s’agiter ?
J’aurai vécu quand même
Et j’aurai observé les nuages et les gens
J’ai peu participé, j’ai tout connu quand même
Surtout l’après-midi, il y a eu des moments.
La configuration des meubles de jardin
Je l’ai très bien connue, à défaut d’innocence ;
La grande distribution et les parcours urbains,
Et l’immobile ennui des séjours de vacances.
J’aurai vécu ici, en cette fin de siècle,
Et mon parcours n’a pas toujours été pénible
(Le soleil sur la peau et les brûlures de l’être) ;
Je veux me reposer dans les herbes impassibles.
Comme elles je suis vieux et très contemporain,
Le printemps me remplit d’insectes et d’illusions
J’aurai vécu comme elles, torturé et serein,
Les dernières années d’une civilisation.
Est-il vrai qu’en un lieu au-delà de la mort
Quelqu’un nous aime et nous attend tels que nous sommes ?
Des vagues d’air glacé se succèdent sur mon corps ;
J’ai besoin d’une clef pour retrouver les hommes.
Est-il vrai que parfois les êtres humains s’entraident
Et qu’on peut être heureux au-delà de treize ans ?
Certaines solitudes me semblent sans remède ;
Je parle de l’amour, je n’y crois plus vraiment.
Quand la nuit se précise au centre de la ville
Je sors de mon studio, le regard implorant ;
Les boulevards charrient des coulées d’or mobile
Personne ne me regarde, je suis inexistant
Plus tard je me blottis près de mon téléphone
Je fais des numéros, mais je raccroche à temps.
Une forme est tapie derrière l’électrophone ;
Elle sourit dans le noir, car elle a tout son temps.
Michel Houellebecq
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