CIEL À MOITIÉ ACHEVÉ


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CIEL À MOITIÉ ACHEVÉ

LE COUPLE

Ils éteignent la lampe et son globe blanc rayonne
un instant avant de se dissoudre
comme un comprimé dans un verre d’obscurité. Puis il monte.
Les murs de l’hôtel jaillissent dans le ciel de la nuit.

Les gestes de l’amour ont molli. Ils dorment
mais leurs pensées les plus intimes se rejoignent
comme deux couleurs se confondent
sur le papier mouillé d’une gouache d’écolier.

Tout est noir et paisible. Mais la ville semble s’être rapprochée
cette nuit. Toutes fenêtres éteintes. Les maisont sont venues.
Elle sont là, en attente compacte,
une foule de gens au visage impassible.

L’ARBRE ET LE FIRMAMENT

Un arbre marche sous la pluie,
passe à côté de nous dans la grisaille ruisselante.
Il a une mission. Il soutire la vie à la pluie
comme un merle à un verger.

Quand la pluie cesse, l’arbre s’arrête.
Il brille, paisible et droit dans la nuit scintillante
dans l’attente comme nous de l’instant
où les flocons de neige viendront éclore dans l’univers.

FACE A FACE

En février, la vie était à l’arrêt.
Les oiseaux volaient à contrecoeur et l’âme
raclait le paysage comme un bateau
se frotte au ponton où on l’a amarré.

Les arbres avaient tourné le dos de ce côté.
L’épaisseur de la neige se mesurait aux herbes mortes.
Les traces de pas vieillissaient sur les congères.
Et sous une bâche, le verbe s’étiolait.

Un jour quelque chose s’approcha de la fenêtre
Le travail s’arrêta, je levai le regard.
Les couleurs irradiaient. Tout se retournait.
Nous bondîmes l’un vers l’autre, le sol et moi.

TINTEMENT

Et la grive sifflait son chant sur les os des morts.
Nous étions sous un arbre et voyions le temps s’écouler.
Le cimetière et la cour d’école se rejoignirent et grandirent
comme deux courants dans l’océan.

Le tintement des cloches de l’église s’éparpilla aux quatre vents, porté par les
doux bras de levier d’un planeur.
Laissant sur la terre un silence plus imposant encore et les pas paisibles d’un
arbre, les pas paisibles d’un arbre.

DANS LA FORÊT

Cet endroit qu’on appelle les marais de Jacob :
comme la cave d’une journée d’été
où la lumière surit en un breuvage
au goût de grand âge et de coupe-gorge.

Les géants affaiblis sont si enchevêtrés
que rien ne parvient à tomber.
Le bouleau brisé pourrit là,
au garde-à-vous, comme un dogme.

Je remonte du fond de la forêt.
La lumière renaît entre les troncs.
La pluie s’abat sur mes toitures.
Je suis la gouttière des impressions.

L’air s’adoucit à l’orée du bois. –
De grands sapins, détournés et obscurs,
dont le mufle s’est enfoui dans l’humus de la terre,
lapent l’ombre de la pluie.

NOVEMBRE AUX REFLETS DES NOBLE FOURRURES

C’est parce que le ciel est gris
que la terre s’est mise à briller :
les prairies et leur verdure timide,
le sol labouré et noir comme du sang caillé.

Il y a les murs rouges d’une grange.
Et des terres submergées
comme les rizières lustrées d’une certaine Asie –
où les mouettes s’arrêtent et se souviennent.

Des creux de brume au milieu de la forêt
qui doucement s’entrechoquent.
L’inspiration qui vit cachée
Et s’enfuit dans les bois comme Nils Dacke (*)

(*) Chef d’une rebellion paysanne, au XVIème siècle, Nils Dacke, devenu hors-la-loi, avait trouvé refuge dans les forêts.

Tomas Tranströmer