Catégorie : Jean Ferrat
SOUFFLET N’EST PAS JOUER

SOUFFLET N’EST PAS JOUER
Accordéons-leurs raison, il ne font pas la manche
ils jouent leur indépendance
Autour du canon qui écrase
peau contre peau
c’est l’amour qui se montre…
Niala-Loisobleu – 2 Mars 2022
GUERRE PAR ANDRE BRETON

GUERRE PAR ANDRE BRETON
Je regarde la
Bête pendant qu’elle se lèche
Pour mieux se confondre avec tout ce qui l’entoure
Ses yeux couleur de houle
A
Pimproviste sont la mare tirant à elle le linge sale
les détritus
Celle qui arrête toujours l’homme
La mare avec sa petite place de l’Opéra dans le
ventre
Car la phosphorescence est la clé des yeux de la
Bête
Qui se lèche
Et sa langue
Dardée on ne sait à l’avance jamais vers où
Est un carrefour de fournaises
D’en dessous je contemple son palais
Fait de lampes dans des sacs
Et sous la voûte bleu de roi
D’arceaux dédorés en perspective l’un dans l’autre
Pendant que court le souffle fait de la généralisation à l’infini de celui de ces misérables le torse nu qui se produisent sur la place publique avalant des torches à
pétrole dans une aigre pluie de sous
Les pustules de la
Bête resplendissent de ces hécatombes de jeunes gens dont se gorge le
Nombre
Les flancs protégés par les miroitantes écailles que
sont les armées
Bombées dont chacune tourne à la perfection sur sa
charnière
Bien qu’elles dépendent les unes des autres non
moins que les coqs qui s’insultent à l’aurore de
fumier à fumier
On touche au défaut de la conscience pourtant
certains persistent à soutenir que le jour va
naître
La porte j’ai voulu dire la
Bête se lèche sous l’aile
Et l’on voit est-ce de rire se convulser des filous au
fond d’une taverne
Ce mirage dont on avait fait la bonté se raisonne
C’est un gisement de mercure
Cela pourrait bien se laper d’un seul coup
J’ai cru que la
Bête se tournait vers moi j’ai revu
la saleté de l’éclair
Qu’elle est blanche dans ses membranes dans le
délié de ses bois de bouleaux où s’organise le
guet
Dans les cordages de ses vaisseaux a la proue desquels
plonge une femme que les fatigues de l’amour ont
parée d’un loup vert
Fausse alerte la
Bête garde ses griffes en couronne
érectile autour des seins
J’essaie de ne pas trop chanceler quand elle bouge
la queue
Qui est à la fois le carrosse biseauté et le coup de
fouet
Dans l’odeur suffocante de cicindèle
De sa litière souillée de sang noir et d’or vers la lune elle aiguise une de ses cornes à l’arbre enthousiaste du grief
En se lovant avec des langueurs effrayantes
Flattée
La
Bête se lèche le sexe je n’ai rien dit.
André Breton
Maria – Jean Ferrat

Maria – Jean Ferrat
Maria avait deux enfants, deux garçons dont elle était fière
Et c’était bien la même chair, et c’était bien le même sang
Ils grandirent sur cette terre, près de la Méditerrannée
Ils grandirent dans la lumière, entre l’olive et l’oranger
C’est presque au jour de leurs vingt ans qu’éclata la guerre civile
On vit l’Espagne rouge de sang crier dans un monde immobile
Les deux garçons de Maria n’étaient pas dans le même camp
N’étaient pas du même combat, l’un était rouge, et l’autre blanc
Qui des deux tira le premier, le jour où les fusils parlèrent
Et lequel des deux s’est tué sur le corps tout chaud de son frère ?
On ne sait pas. Tout ce qu’on sait, c’est qu’on les retrouva ensemble
Le blanc et le rouge mêlés à même les pierres et la cendre
Si vous lui parlez de la guerre, si vous lui dites liberté
Elle vous montrera la pierre où ses enfants sont enterrés
Maria avait deux enfants, deux garçons dont elle était fière
Et c’était bien la même chair, et c’était bien le même sang.
Christine Sevres/Jean Ferrat – La Matinée

Christine Sevres/Jean Ferrat – La Matinée
La matinée se lève
Toi debout, il est temps
Attends encore, attends
J’ai pas fini mon rêve
Le soleil nous inonde
Regarde-moi ce bleu
Attends encore un peu
Je refaisais le monde
Lève-toi donc, respire
Quel printemps nous avons
J’efface mille avions
Une guerre, un empire
Faut labourer la terre
Et tirer l’eau du puits
Changer la vie et puis
Abolir la misère
Regarde l’alouette
Il est midi sonné
Le monde abandonné
Je le donne au poète
Allons, viens dans la vigne
Le soleil est très haut
Le monde sera beau
Je l’affirme, je signe
Le monde sera beau
Je l’affirme, je signe
Le Chataîgnier – Jean Ferrat pour accompagner Michel Deguy sur l’autre rive…

Le Chataîgnier
Jean Ferrat
pour accompagner Michel Deguy
sur l’autre rive…
« Le châtaignier »
J’entends les vieux planchers qui craquent
J’entends du bruit dans la baraque
J’entends j’entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier
Bien à l’abri dans ma soupente
Moi j’entends chanter la charpente
Ce n’est pas du bois vermoulu
J’entends les poutres qui se plaignent
De ne plus donner de châtaignes
En supportant mon toit pointu
J’entends les vieux planchers qui craquent
J’entends du bruit dans la baraque
J’entends j’entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier
[non mon châtaignier
n’est pas mort
étant donné qu’il chante encore
la belle chanson d’autrefois]
Quand on devient poutre-maîtresse
C’est tout le toit qui vous oppresse
Il faut chanter tout doucement
La chanson de ses origines
Celle qu’il me chante en sourdine
En y mettant du sentiment
J’entends les vieux planchers qui craquent
J’entends du bruit dans la baraque
J’entends j’entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier
C’est surprenant mais c’est logique
Il chante la chanson magique
Qu’il a apprise au fond des bois
Il me chante une chanson tendre
Que je suis le seul à comprendre
Quand la nuit vient à petits pas
[Les autres gens de la maison
n’entendent jamais sa chanson
et chacun croit que je débloque
quand je leur dis que la bicoque
est protégée des araignées
par la vie de mon châtaignier]
J’entends les vieux planchers qui craquent
J’entends du bruit dans la baraque
J’entends j’entends dans le grenier
Chanter chanter mon châtaignier
C’est vrai pourtant qu’il nous protège
Contre le froid contre la neige
Tout en berçant mes insomnies
Ce n’est pas une chanson triste
Mon châtaignier est un artiste
Qui continue d’aimer la vie
Jean Ferrat
Jean Ferrat – Mon pays était beau

Jean Ferrat – Mon pays était beau
Mon pays était beau, d’une beauté sauvage
Et l’homme le cheval et le bois et l’outil
Vivaient en harmonie jusqu’à ce grand saccage
Personne ne peut plus simplement vivre ici
Il pleut sur ce village aux ruelles obscures
Et rien d’autre ne bouge, le silence s’installe au pied de notre lit
Ô silence, rendre et déchirant violon, gaie fanfare
Recouvre-nous du grand manteau de nuit, de tes ailes géantes
Mon pays était beau, d’une beauté sauvage
Et l’homme le cheval et le bois et l’outil
Vivaient en harmonie jusqu’à ce grand saccage
Personne ne peut plus simplement vivre ici.
Source : LyricFind
J’Arrive où je suis Etranger – Jean Ferrat/Louis Aragon

J’Arrive où je suis Etranger
Jean Ferrat/Louis Aragon
Rien n’est précaire comme vivre
Rien comme être n’est passager
C’est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J’arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D’où viens-tu mais où vas-tu donc?
Demain qu’importe et qu’importe hier
Le cœur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l’enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C’est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l’enfant qu’est-il devenu?
Je me regarde et je m’étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu à peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d’antan
Tomber la poussière du temps
C’est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C’est comme une eau froide qui monte
C’est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu’on corroie
C’est long d’être un homme une chose
C’est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses?
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
Ô mer amère, ô mer profonde
Quelle est l’heure de tes marées?
Combien faut-il d’années-secondes?
A l’homme pour l’homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées?
Rien n’est précaire comme vivre
Rien comme être n’est passager
C’est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J’arrive où je suis étranger.
AU SOIR D’AVOIR PEINT

AU SOIR D’AVOIR PEINT
Cette terre entre les dents comme l’allée du chant
ici et pourtant un bout plus loin que l’océan
que l’oreille tient naviguant
dans le couloir aux seins du jardin
Niala-Loisobleu – 13 Février 2022
JEAN FERRAT – EPILOGUE

JEAN FERRAT – EPILOGUE
La vie aura passé comme un grand château triste que tous les vents traversent
Les courants d’air claquent les portes et pourtant aucune chambre n’est fermée
Il s’y assied des inconnus pauvres et las qui sait pourquoi certains armés
Les herbes ont poussé dans les fossés si bien qu’on n’en peut plus baisser la herse
Quand j’étais jeune on me racontait que bientôt viendrait la victoire des anges
Ah comme j’y ai cru comme j’y ai cru puis voilà que je suis devenu vieux
Le temps des jeunes gens leur est une mèche toujours retombant dans les yeux
Et ce qu’il en reste aux vieillards est trop lourd et trop court que pour eux le vent change
J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre
Je vois tout ce que vous avez devant vous de malheur de sang de lassitude
Vous n’aurez rien appris de nos illusions rien de nos faux pas compris
Nous ne vous aurons à rien servi vous devrez à votre tour payer le prix
Je vois se plier votre épaule A votre front je vois le pli des habitudes
Bien sûr bien sûr vous me direz que c’est toujours comme cela mais justement
Songez à tous ceux qui mirent leurs doigts vivants leurs mains de chair dans l’engrenage
Pour que cela change et songez à ceux qui ne discutaient même pas leur cage
Est-ce qu’on peut avoir le droit au désespoir le droit de s’arrêter un moment
J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre
Songez qu’on arrête jamais de se battre et qu’avoir vaincu n’est trois fois rien
Et que tout est remis en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable
Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d’épouvantables
Car il n’est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien
Et vienne un jour quand vous aurez sur vous le soleil insensé de la victoire
Rappelez-vous que nous avons aussi connu cela que d’autres sont montés
Arracher le drapeau de servitude à l’Acropole et qu’on les a jetés
Eux et leur gloire encore haletants dans la fosse commune de l’histoire
J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre
Je ne dis pas cela pour démoraliser Il faut regarder le néant
En face pour savoir en triompher Le chant n’est pas moins beau quand il décline
Il faut savoir ailleurs l’entendre qui renaît comme l’écho dans les collines
Nous ne sommes pas seuls au monde à chanter et le drame est l’ensemble des chants
Le drame il faut savoir y tenir sa partie et même qu’une voix se taise
Sachez-le toujours le choeur profond reprend la phrase interrompue
Du moment que jusqu’au bout de lui-même Le chanteur a fait ce qu’il a pu
Qu’importe si chemin faisant vous allez m’abandonner comme une hypothèse
J’écrirai ces vers à bras grands ouverts qu’on sente mon coeur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu’on voit dévaster sa vie et son champ
Et tout haletant du temps qu’il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre
Jean Ferrat
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