La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
solde des pendules avec des remontoirs et des dates échappées du broyeur
Glisse le rideau sur les rails d’un train
seuls des bruits de remue-ménage sortent des aspirateurs
Un aboyeur vante de son éventail
les premières chaleurs d’un tempérament resté dans sa vieille peau
Sortant en cortège d’une salle-de-garde
les veuves-volontaires dans leur costume vert-religieux redressent leur chapeau
une voile être pour la nouvelle grand-messe
On ouvre les voeux en sacrifice rituel
Et dans le silence de son atelier le vieux peintre muse
en accrochant à la porte la pancarte
DO NOT DISTURB
pour un temps indéterminé.
Niala-Loisobleu.
31 Décembre 2022
Jacques Bertin – Paroisse
Des femmes sont assises dans l’hiver Le long de la radio, sur un dernier travail C’est tard la nuit, il est déjà dans les dix heures Depuis longtemps dorment dans les chambres glacées Des enfants protégés du mal par un signe de croix Des femmes sont assises dans l’hiver. Il fait grand froid. A la gare on attend encore le train de Combourg et Dol Dans la prairie les gitans guettent le sommeil des chevaux Ils ont plié le cirque dérisoire et ils s’en vont. Demain Les maçons ne travailleront pas sans doute à cause du gel Demain il y a messe pour la jeune fille qui est en deuil De Nantes vient le givre avec ses cuivres. Il fait grand froid. Paroisse de l’année soixante. O périphérie de la paix Femme posée comme une lampe à huile dans le silence Rassemble dans cet écrin-là tous tes enfants. Emporte-les Vers le bon dieu et qu’on ne nous sépare pas Demande-lui si c’est bien demain que le payeur passe Et quand va-t-on enfin goudronner la rue. Tu as froid. Tu fermes la radio. Tu montes en faisant attention Vers un endroit que je t’ai préparé dans ma mémoire Et qui s’est détaché de moi pour vivre, comme une chanson Où tu es bien parce qu’on ne nous séparera pas.
Non, je n’ai jamais vu un arbre triste mais je ne veux plus refléter le monde comme un miroir ébréché, découper les solitudes des après-midi de dimanche en suivant la lumière qui saute de jardin en jardin, raccommoder les bouts de mers inaccessibles que tu m’envoies et je suis hors saison. Le facteur a déjà vieilli et je n’ai pas encore réussi à réconcilier le temps et le sel.
Parfois, je fais un éventail des cartes postales, et je regarde de loin les façades des maisons, pareilles à des volées d’oiseaux, prêtes à repartir et douloureusement blanches comme le ventre des hirondelles sur les fils à la fin d’août dans mon pays. Je n’ai jamais vu un oiseau triste non plus car les oiseaux ne se nourrissent pas comme les hommes avec une vie d’autrui pour vivre mais je suis fatiguée d’être à moi seule le capitaine, le bateau et la mer, et les vents tardent. Je ne sais pas si je monte ou descends cette colline mais les matins sans toi sont une église vide où j’entre et prie : Seigneur, je veux seulement ce que tu veux pour moi. Et toi, qui n’entends pas mes pleurs, pour quoi pries-tu ? Regarde, la lumière sous le dôme tresse un filet argenté qui m’enlace et me tire déjà vers le haut. Toi, qui pêches des nuages, fais un peu de place dans ta mer interne pour l’impossible étrangère que je suis avant que le crépuscule ne tourne la clef de ta vue.
C’est tout ce que je peux dire pour le monde qui t’a amené chez moi et avant que je reprenne le chemin de retour où ce monde sera un reflet de ce que je suis, écoute l’oiseau dans mes yeux qui demande : As-tu jamais vu un arbre triste ?
A la crôute des palettes et aux manches qui ont posés leurs poils, le nuancier a forniqué sans froideur, laissant pendre aux verrières assez de chaleur pour arriver au bord de la lumière d’un monde ténébreux. Sans se retourner sur les larmes des pleureuses, dans la ligne des cris de Camille, au fossé de la berme des fosses à purin. La grange a pourri en suivant l’enfermement animal de l’élevage en batterie. Faux-seins à me gonfler et jouets en ferraille dans les narines vaginales, tribale libération de la femme que la buée des vitres emporte. Les genoux rasant la vérité du parvis des temples à travers les marchés ambulants, camelots vêtus en Rois-Mage pour la grande distribution. Fève du loto. Chiffons d’essuie âge pour couvrir les années de veuvage de revenus. Et gratte-cul de reconnaissance de tes lardons.
Ô Lumière tu coûtes cher, mais t’es la vie !
Niala-Loisobleu.
29 Décembre 2022
Une Grange – Jacques Bertin
Peut-être, à travers les chansons Comme à travers les trous du toit De la vieille grange effondrée, Appelant la fraîcheur des doigts, De l’orage ou l’amour, on voit Peut-être ma vie qui appelle Ô vous savez qu’elle était belle Anciens compagnons de ma joie
Puisque c’est vrai, tout est image Nous sommes l’image de nous Et dans les paumes du message Vous voyez la trace des clous Ô les feux allumés de l’âge ! Ne va pas prendre mal, surtout, Et reviens, sèche-toi, sois sage Il tombe de la mort partout
Chevaux tués, ombres des désastres Avenirs aux jambes brisées Éternités tombées des astres Aux formes de lampions brûlés Ô les bombes sur l’abbatiale ! Ô l’incendie dans le verger ! La terre est ce tablier sale Et les couleurs se sont vengées
Puisque c’est vrai, tout est mensonge Le regard franc, profond, surtout Et un cancer d’argent me ronge Puisque la mort rôde partout
Que je sois cette ancienne grange Sans douleur au fond des étés Et dont un peu de chanson penche Et je ne souffre plus d’aimer !
Eté court et mauvaise donne, Brûlant vite, elle était pressée ! Puis on voit le toit qui frissonne Et la vieille âme un peu bouger
Le temps n’est pas plus sûr de ce qu’il va faire que les autres jours, le chevalet lui s’en fout, la touffe de poils qui finit le ventre est un modèle d’équilibre du tant qui va au tempo des couleurs du peintre
Cheval sauvage qui tire la steppe à lui pour naturaliser l’empailleur comme on assure son désir de cheminer sans frein mis sous-globe
Ce qui boîte pourrait provenir de la varice
ce défaut circulatoire du moulin qui n’aube rien de bon dans l’esprit d’un Don
Il est vrai que l’Histoire préfère l’embrouille à la clarté cutanée et le maillot dans les bains de minuit
Gare de l’Est
j’ai choisi de prendre le train, les mains-libres, sans linge de rechange dans la valise, l’oiseau sur les pôles.
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