Chanson Violette par Albert Samain


Chanson violette

par Albert Samain

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Et ce soir-là, je ne sais,
Ma douce, à quoi tu pensais,
Toute triste,
Et voilée en ta pâleur,
Au bord de l’étang couleur
D’améthyste.

Tes yeux ne me voyaient point ;
Ils étaient enfuis loin, loin
De la terre ;
Et je sentais, malgré toi,
Que tu marchais près de moi,
Solitaire.

Le bois était triste aussi,
Et du feuillage obscurci,
Goutte à goutte,
La tristesse de la nuit,
Dans nos cœurs noyés d’ennui,
Tombait toute…

Dans la brume un cor sonna ;
Ton âme alors frissonna,
Et, sans crise,
Ton cœur défaillit, mourant,
Comme un flacon odorant
Qui se brise.

Et, lentement, de tes yeux
De grands pleurs silencieux,
Taciturnes,
Tombèrent comme le flot
Qui tombe, éternel sanglot,
Dans les urnes.

Nous revînmes à pas lents.
Les crapauds chantaient, dolents,
Sous l’eau morte ;
Et j’avais le cœur en deuil
En t’embrassant sur le seuil
De ta porte.

Depuis, je n’ai point cherché
Le secret encor caché
De ta peine…
Il est des soirs de rancœur
Où la fontaine du cœur
Est si pleine !

Fleur sauvage entre les fleurs,
Va, garde au fond de tes pleurs
Ton mystère ;
Il faut au lis de l’amour
L’eau des yeux pour vivre un jour
Sur la terre.

Albert Samain.

Recueil: Au Jardin de L’Infante

CHANSON D’ETE PAR ALBERT SAMAIN


ESQUISSE D’UN ETE – NIALA 2022

CHANSON D’ETE PAR ALBERT SAMAIN

Le soleil brûlant
Les fleurs qu’en allant
Tu cueilles,
Viens fuir son ardeur
Sous la profondeur
Des feuilles.

Cherchons les sentiers
À demi frayés
Où flotte,
Comme dans la mer,
Un demi-jour vert
De grotte.

Des halliers touffus
Un soupir confus
S’élève
Si doux qu’on dirait
Que c’est la forêt
Qui rêve…

Chante doucement ;
Dans mon coeur d’amant
J’adore
Entendre ta voix
Au calme du bois
Sonore.

L’oiseau, d’un élan,
Courbe, en s’envolant,
La branche
Sous l’ombrage obscur
La source au flot pur
S’épanche.

Viens t’asseoir au bord
Où les boutons d’or
Foisonnent…
Le vent sur les eaux
Heurte les roseaux
Qui sonnent.

Et demeure ainsi
Toute au doux souci
De plaire,
Une rose aux dents,
Et ton pied nu dans
L’eau claire.

Albert Samain

Extrait: Au jardin de l’Infante

DILECTION PAR ALBERT SAMAIN


DILECTION PAR ALBERT SAMAIN

J’adore l’indécis, les sons, les couleurs frêles,
Tout ce qui tremble, ondule, et frissonne, et chatoie :
Les cheveux et les yeux, l’eau, les feuilles, la soie,
Et la spiritualité des formes grêles ;

Les rimes se frôlant comme des tourterelles,
La fumée où le songe en spirales tournoie,
La chambre au crépuscule, où Son profil se noie,
Et la caresse de Ses mains surnaturelles ;

L’heure de ciel au long des lèvres câlinée,
L’âme comme d’un poids de délice inclinée,
L’âme qui meurt ainsi qu’une rose fanée,

Et tel cœur d’ombre chaste, embaumé de mystère,
Où veille, comme le rubis d’un lampadaire,
Nuit et jour, un amour mystique et solitaire.

Albert Samain

Extrait de: Au jardin de l’infante

PROMENADE A L’ÉTANG


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PROMENADE A L’ÉTANG

Le calme des jardins profonds s’idéalise.
L’âme du soir s’annonce à la tour de l’église ;
Écoute, l’heure est bleue et le ciel s’angélise.

À voir ce lac mystique où l’azur s’est fondu,
Dirait-on pas, ma soeur, qu’un grand cœur éperdu
En longs ruisseaux d’amour, là-haut, s’est répandu ?

L’ombre lente a noyé la vallée indistincte.
La cloche, au loin, note par note, s’est éteinte,
Emportant comme l’âme frêle d’une sainte.

L’heure est à nous ; voici que, d’instant en instant,
Sur les bois violets au mystère invitant
Le grand manteau de la Solitude s’étend.

L’étang moiré d’argent, sous la ramure brune,
Comme un coeur affligé que le jour importune,
Rêve à l’ascension suave de la lune…

Je veux, enveloppé de tes yeux caressants,
Je veux cueillir, parmi les roseaux frémissants,
La grise fleur des crépuscules pâlissants.

Je veux au bord de l’eau pensive, ô bien-aimée,
À ta lèvre d’amour et d’ombre parfumée
Boire un peu de ton âme, à tout soleil fermée.

Les ténèbres sont comme un lourd tapis soyeux,
Et nos deux cœurs, l’un près de l’autre, parlent mieux
Dans un enchantement d’amour silencieux.

Comme pour saluer les étoiles premières,
Nos voix de confidence, au calme des clairières,
Montent, pures dans l’ombre, ainsi que des prières.

Et je baise ta chair angélique aux paupières.

Albert

Extrait de: Au jardin de l’infante (1893)

 

 

Devant la mer, un soir


Devant la mer, un soir

Devant la mer, un soir, un beau soir d’Italie,
Nous rêvions… toi, câline et d’amour amollie,
Tu regardais, bercée au cœur de ton amant,
Le ciel qui s’allumait d’astres splendidement.

Les souffles qui flottaient parlaient de défaillance ;
Là-bas, d’un bal lointain, à travers le silence,
Douces comme un sanglot qu’on exhale à genoux,
Des valses d’Allemagne arrivaient jusqu’à nous.

Incliné sur ton cou, j’aspirais à pleine âme
Ta vie intense et tes secrets parfums de femme,
Et je posais, comme une extase, par instants,
Ma lèvre au ciel voilé de tes yeux palpitants !

Des arbres parfumés encensaient la terrasse,
Et la mer, comme un monstre apaisé par ta grâce,
La mer jusqu’à tes pieds allongeait son velours,
La mer…

… Tu te taisais ; sous tes beaux cheveux lourds
Ta tête à l’abandon, lasse, s’était penchée,
Et l’indéfinissable douceur épanchée
À travers le ciel tiède et le parfum amer
De la grève noyait ton cœur d’une autre mer,

Si bien que, lentement, sur ta main pâle et chaude
Une larme tomba de tes yeux d’émeraude.
Pauvre, comme une enfant tu te mis à pleurer,
Souffrante de n’avoir nul mot à proférer.

Or, dans le même instant, à travers les espaces
Les étoiles tombaient, on eût dit, comme lasses,
Et je sentis mon coeur, tout mon cœur fondre en moi
Devant le ciel mourant qui pleurait comme toi…

C’était devant la mer, un beau soir d’Italie,
Un soir de volupté suprême, où tout s’oublie,
Ô Ange de faiblesse et de mélancolie.

Albert Samain (Recueil : Le chariot d’or (1900))

Un moment que la chandelle éteinte, garde son impression pérenne quelque part en elle. Le premier de PROMESSE revint allumé d’absence, j’ai repeins une heure en corps mais en dehors des lunettes du serpent à sornettes. Habité d’un sentiment de complicité en demande, seul égaré dans le dédale versatile du dernier qui passe. Double je contraire à l’engagement. Je suis entier., comme la mer.

Niala-Loisobleu – 21 Avril 2017

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