A Gabrielle Segal « GUERRIERE »


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A Gabrielle Segal  « GUERRIERE »

Cet article paru il y a un jour, avait retenu mon attention par un double-impact: la photo d’abord, de face et percutante , les mots ensuite et l’intention forte de démasquer sa tricherie personnelle.

La réaction des lecteurs marqué par 76 likes et 22 commentaires m’amène à réagir parce qu’à moins de se méfier de moi, pourquoi ne réponds-tu pas, Gabrielle au propos que j’ai mis ? Sans doute aussi, mais ça rejoint la première question, que le doute du vrai et du faux me taraude.

Ce texte qui se veut fort choisit de se tourner vers la faiblesse des propos élogieux. Le paradoxe ne peut être ignoré. C’est un choix. Mais dans ce cas le poème joue un double-rôle, ce pourquoi j’y réponds ici sur mon site étant donné que tu y viens liker dès que j’écris un article.

C’est pourquoi je pense que ce poème d’Alain Jouffroy exprimera limpidement ma pensée, sans griefs et en totale objectivité.

Amicalement, Gabrielle.

LE DOUBLE EN JEU

La lumière est l’aura d’un Narcisse en deuil de lui-même. Coup d’état narcissique, le suicide, auquel me lie la complicité luciférienne, est le moyen le plus
expéditif de renverser le gouvernement de l’Ange.

Me peigner, nouer ma cravate et, surtout, fermer les yeux devant la glace : toilette mortuaire de mon reflet.

Quand je n’y suis pas, mon miroir est vide comme un cercueil (les déménageurs portant une armoire à glace dans la rue, plus sinistres que des croque-morts une bière). Dans
mon enfance, l’armoire à glace — personnage fantomatique dont la tête était constituée par une mappemonde — bougeait selon mes propres mouvements dans le lit.
Aujourd’hui encore, que je supporte le monde suffit à me terroriser moi-même.

Je suis ci-devant Alain Jouffroy. Comme le miroir, je n’ai rien à voir avec moi-même. Et si je joue aussi froidement, c’est que je n’en mettrais plus mes mains au feu : je les
joindrai à ma dernière lettre.

Si J. : le seul mode conditionnel me fait passer au royaume des ombres. D’ailleurs, mon affectation pure et simple implique une sérieuse désaffection. Se faire aux faits, c’est jouer
un jeu par trop fair play. Je préfère la plutôt sombre fête de feu M. Phénix.

Al Capone m’a chaperonné, Messieurs. En tant que forte tête de Turc, j’ai la hautaine nostalgie de Combourg. Pour tuer mon père, François de Chateaubriand, dont ma mère
fut la dernière sylphe, je me suis suicidé en rêve. Au réveil, je suis René.

Mon père ne s’est pas suicidé à vingt ans comme René, son prénom, l’y obligeait. Il a préféré me renier, moi qui, en m’opposant à lui, chargeais ce
prénom de son unique sens. René assume le premier et le dernier rôles qui consistent à passer outre à la fin d’un monde.

Et si je parle de suicide avec tant d’ostentation, c’est sans doute que je suis extrêmement affecté. Affecté par les bruits qui rôdent autour de moi, sur moi. Ma
sensibilité est ombrageuse à ce point que je suis susceptible de ne plus la révéler au grand jour.

Joueur froid — roi des pales de l’hélice du bateau qui passe au large des îles d’Hyères — ô stormglass — le surnom de Thomas Roide que Beyle avait
donné à son ami Théodore Jouffroy vaut pour moi, le plus roide de tous les rois de cartes — le roi de Pique, bien sûr — que j’abats sur la table verte comme
j’abattrai mon double à coups de revolver lors de ce duel que je lui livrerai un soir au fond d’une forêt — de par cette toujours ombrageuse susceptibilité qui fait que je
me bats froid moi-même.

Homme de verre évoluant dans le palais de miroirs sur patins à glace — et point de fuite d’une perspective sociale sans issue — je suis sur le point d’atteindre
l’invisibilité parfaite.

Alain Jouffroy