L’HOMME ET SES MASQUES

L’HOMME ET SES MASQUES
L’homme et son cheval aimaient à galoper dans les forêts, l’hiver surtout.
Jamais ils ne se perdaient, même en terrain peu familier: le givre et la neige gardaient trace de leur course, comme les arbres noirs, dont les brindilles basses étaient brisées
au passage.
Quelquefois, ils rencontraient la mort, qui, elle, était perdue mais ne le savait pas.
Il arrivait alors qu’ils lui fissent un brin de conduite, jusqu’à une clairière où le soleil agonisait.
Entre l’heure d’hiver et d’été
une horloge hésite,
comme entre quartz et ressort.
Elle choisira l’oubli acceptera l’exil des sabliers et des clepsydres, là où le temps n’est visible que si on le nourrit.
Sur une cheminée de faux marbre
une pendule arrêtée
se reflète
dans un miroir sans tain
qui renvoie en négatif
à l’homme
l’image faussée
du voyeur.
Et la terre, de peur, engloutit des maisons; et la mer, de colère, avale des bateaux; et le ciel, de tristesse, fait pleurer des orages sur l’écume de nos échecs.
Entre orage et azur, une réalité nette et huilée: murs pour soutenir les maisons, fenêtres pour les éclairer, ascenseurs amoureux de leur cage.
Monde au mouvement d’horloger mais à l’incertaine météorologie.
Ses fissures sont des cheveux d’ange et sa mort sourit aux objectifs après chaque grand séisme.
Dieu ayant inventé l’oiseau,
l’homme inventa la cage.
Dieu ayant inventé l’envol,
l’homme inventa la chute.
Dieu ayant inventé le ciel,
l’homme inventa la terre
et sa banlieue, l’enfer,
avec ses pavillons de briques flammées
où les oiseaux sont rôtis au four
chaque dimanche d’Apocalypse.
Blaireau, savon à barbe, peigne,
allumette pour la première bouffée,
verre pour le premier coup de blanc,
journal à l’encre humide
sont les petits coups de canif matinaux
qui tailladent le visage de l’homme
en route vers l’usine et le bureau
avec sa moisson de cicatrices poussiéreuses.
La foule était rassemblée devant le tribunal pour demander la tête du gendarme meurtrier.
Le président consentit à donner le képi.
Homme
au regard masqué
d’un fruit défendu.
Paradis
ôté par surprise.
Nul
n’entend le bruit de la chute.
Quand les arbres seront en briques et les maisons en feuilles, la nuit sera liquide comme la mer et nous dormirons dans des nids qui auront pris la place des étoiles ; les oiseaux, eux,
travailleront dans les banques, avec les bûcherons.
Ils ne s’aiment pas pour leur beauté
qui est masquée.
Ils ne s’aiment pas pour les mots échangés:
le silence est de règle.
Ils ne s’aiment pas pour les enfants
qu’ils refusent d’avoir.
Ils s’aiment contre la mort
quand elle tire par la manche.
A force de marcher à l’aveuglette l’homme s’invente des voies de garage au fond desquelles rouillent de vieux destins rédigés en latin.
Ce feu qu’il portait en lui,
venait-il d’Apollon
ou de la boîte d’allumettes?
Cette clé, dans sa poche,
servait-elle à ouvrir des horizons
ou à se fermer l’avenir?
Il perdit la boîte et la clé.
Dans son restaurant habituel,
la serveuse lançait, à l’intention de la cuisine:
«
Et un foie bien cuit pour
M.
Prométhée,
un! »
«
De l’azur ou des canons » avait-on proposé à
l’homme qui partait pour la guerre.
Innocent, il choisit l’azur, où sa tête vole encore
sur les traces d’un boulet (version
XVIIIe siècle),
d’un obus (version
XIXe siècle).
d’une fusée (version
XXe siècle).
… satelbte et décervelé.
Mortelles nuits
des métropoles
Couteaux du long sommeil,
pistolets du rêve éternel,
Nirvanas définitifs de l’overdose,
rassemblés
à l’appel strident des sirènes.
De loin
on vit venir les planètes.
Elles sonnaient comme grelots
sur le collier d’un chien.
Les télescopes devinrent leurs amis
et les ordinateurs apprirent
à leur faire la cour,
malgré la méfiance
de l’homme.
Les droits de l’homme ont échoué
dans l’âme d’un canon et l’obus qui les emporte ne sait toujours pas lire.
Sur un cerisier
un oiseau
fait le tour du monde.
Sur le même cerisier,
un poète
fait le tour du temps.
Assis sur leurs chaises
devant les maisons,
les vieillards attendent la mort
en rêvant, sans trop y croire,
qu’elle aura le visage
d’une sirène au corps de jade.
Ils la salueront
en soulevant leur casquette,
avant de lui tendre une main noueuse.
Le soir, les enfants des vieillards
trouvent un peu de sable
sur les chaises vides.
L’eau des yeux de son chat coule à la même profondeur que les prairies de sa poitrine où nul animal n’a vécu
Quand monte un impossible accord entre la cage et la savane il referme d’un coup ses bras sur le fauve déjà gagné à l’étroite civilisation
Quand les hommes
seront devenus des arbres,
les avions des oiseaux,
et les désirs des monuments,
la terre,
ne pouvant plus exploser,
saura bien résister
au choc des autres planètes.
Le vrai visage du gangster
qui attaque une banque
est-il derrière ou devant le masque?
Le vrai visage de l’argent qu’on lui remet sous la menace, est-il derrière les portes du coffre, ou devant?
Ici, on jette le pain par les fenêtres.
Là-bas, ils meurent de faim.
Ici, on jette les voitures contre les arbres.
Là-bas, ils marchent pieds nus dans la poussière.
Ici, on jette des regards d’envie sur la maison du
voisin.
Là-bas, ils n’ont pas de maison.
Le temps était menaçant,
Fantômas aussi.
Il y avait des meurtres
déguisés en suicides,
des rapts maquillés en fugues,
des tortures arrangées
en accidents,
de faux employés du gaz,
de vraies explosions de haine,
des guerres mises à tiédir
à côté de foyers d’insurrection.
Il y avait l’homme
et ses masques.
L’homme est peuplé de qui le connaissent depuis l’enfance.
Maintenant que les portes
n’ont plus de maisons,
les masques n’ont plus besoin
d’hommes,
et chacun se moque éperdument
des bals et des tremblements de
L’Éden
où le lion vivait en paix
avec l’homme.
Chacun, par son regard était le miroir de l’autre,
et leur langage avait encore la forme des grands arbres.
Le monde
s’éveillera-t-il un jour de ses cauchemars?
Quand viendra le moment
d’entrouvrir les rideaux,
verra-t-on l’œuf originel et géant
prêt à écraser la poule,
ou celle-ci acharnée
à crever la coquille de l’œuf.
Jean Orizet
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.