LA MER QUAND ELLE A FAIT SON LIT PAR GUY GOFFETTE


LA MER QUAND ELLE A FAIT SON LIT PAR GUY GOFFETTE

La mer quand elle a fait son lit sous la lune et les étoiles
et qu’elle veut sombrer tout à fait dans le sommeil ou dans
l’extase
la mer quand les poissons ont trouvé une autre route
pour tirer la soie du cocon et gagner leur temps de paresse
la mer quand plus rien ne la retient d’en faire à sa tête
le contrat des Compagnies maritimes ni le traité des Eaux territoriales
ni le cours du baril ni celui du dollar
la mer enfin quand elle peut se ranger pour de bon et voyager incognito
ne descend pas à l’hôtel comme on pourrait s’attendre
de la part d’une personne de son importance, non
car elle n’a rien à voir avec les chambres de hasard
et peu lui importe que des princes y soient descendus
la mer comme tout ce qui cherche mesure à sa soif ne descend pas, elle monte
elle monte dans les trains à petite vitesse les derniers survivants de l’ère
vagabonde
à pratiquer le précepte bouddhique du voyage
et qui vont de gare en gare abandonnées dans la bruyère pour le plaisir de
quelques vaches
elle monte dans les collines pour voir les toits d’ardoise et les tuiles
et la lumière sur eux qui pêche à la ligne et le mouvement de la terre alertée
elle monte aussi dans les chambres pour saluer les femmes
qui savent aimer et dont le corps garde longtemps la chaleur des étreintes
et là, s’arrête enfin et ses vagues l’une après l’autre se couchent dans leurs
yeux
alors les femmes se lèvent car il est l’heure du café dans la cuisine
l’heure à nouveau d’affronter la houle des enfants et ces pensées en grand
tumulte.
qui vont viennent se brisent en éclats de verre et toujours ressuscitent
comme cet oiseau inlassable au fond du noyer qui répète
la même question — deux ou trois mots seulement — et le cœur est au large…

— Mère, que disais-tu déjà ?
(J’ai vu bouger tes lèvres) et ces yeux, qui te les a changés?

Guy Goffette

Extrait de:  1988, Eloge pour une cuisine de province, (Editions Champ Vallon)

AUX LISIÈRES


AUX LISIÈRES

I

Nous avons longtemps cru qu’il nous suffisait d’allonger le bras pour toucher le ciel et tenir en laisse le vieil horizon

si longtemps qu’en nous le geste demeure à la vue d’une femme à l’aube surprise lavant dans ses larmes le jour et la nuit

que plus rien ne reste à la fin que l’ombre pour raser de frais au fil de l’amour nos corps effondrés dans la chambre avec

le ciel comme un bas sur le parquet nu.

II

Amour, disais-tu. J’entendais lisières genêts, passerelles. Tes yeux résistaient. Ce n’était pourtant qu’un seuil à franchir.

Déborder le corps et qu’amour soit d’eau vive, non comme ici lac où tournent tournent poissons et noyés, le ciel, les nuages

les belles promesses. Reste, disais-tu.

Je voyais mourir les hommes aux barrières

battre comme un bleu crevé par l’orage

leurs bras affolés leurs ailes d’Icare.

Guy Goffette

LA MAIN BRULEE


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LA MAIN BRULEE

Comme toujours, nous avons voué le meilleur à ceux qui, passant, l’ont dispersé plus loin, dilapidé dans des auberges obscures, perdu au fond d’une combe et rien

n’est venu en retour soutenir le feu poussif, alléger la charge d’ombres, dissoudre la lie des habitudes, ce champ aride où tout fait pierre : nos moindres gestes,

nos paroles — et la nuit, même au mitan du lit, n’est plus qu’un fleuve à sec, de cailloux.
Mon amour, est-ce ainsi que les roses meurent quand vient l’hiver,

le cœur serré comme un poing, dans les épines ?

 

Guy Goffette

UN PEU D’OR DANS LA BOUE


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UN PEU D’OR DANS LA BOUE

I

Je me disais aussi : vivre est autre chose
que cet oubli du temps qui passe et des ravages
de l’amour, et de l’usure – ce que nous faisons
du matin à la nuit : fendre la mer,

fendre le ciel, la terre, tour à tour oiseau,
poisson, taupe, enfin : jouant à brasser l’air,
l’eau, les fruits, la poussière ; agissant comme,
brûlant pour, allant vers, récoltant

quoi? le ver dans la pomme, le vent dans les blés
puisque tout retombe toujours, puisque tout
recommence et rien n’est jamais pareil
à ce qui fut, ni pire ni meilleur,

qui ne cesse de répéter : vivre est autre chose.

II

Le temps qu’on se lève vraiment, qu’on dise
oui de la pointe des pieds jusqu’au sommet
du crâne, oui à ce jour neuf jeté
dans la corbeille du temps, il pleut.

Ô l’exacte photographie de l’âme, ces deux mots
qui nous rentrent les yeux comme des ongles
dans la chair : il pleut. Le sang de l’herbe
est vert insupportablement et c’est en nous

qu’il pleut, en nous qu’une digue rompue
voit s’effondrer peu à peu, derrière la vitre
et parmi les voilures, avec des pans de vieux
regrets, d’attentes fatiguées,

les raisons de partir et d’habiller le froid.

III

Encore si le feu marchait mal, si la lampe
filait un miel amer, pourrais-tu dire : j’ai froid,
et voler le cœur du noyer chauve, celui
du cheval de labour qui n’a plus où aller.

et qui va d’un bord à l’autre de la pluie
comme toi dans la maison, ouvrant un livre,
des portes, les repoussant : terre brûlée, ville
ouverte où la faim s’étale et crie

comme ces grappes de fruits rouges sur la table,
vie étrangère, inaccessible présent
à celui qui ne sait plus désormais
que piétiner dans le même sillon

la noire et lourde argile des fatigues.

IV

Peut-être faudrait-il tirer le rideau, laisser
le corps tout entier couler dans la fatigue
et dénouer l’entrelacs des pensées, la noire
étreinte des algues, trancher vif

avec ta propre mort, ce qui a été et qui n’est
plus, avec ce qui viendra, l’inéluctable
marée de sons et d’images que les noyés – dit-on –
n’emportent pas, laisser le temps

comme la pluie battre ton front
jusqu’à ce que tout redevienne poussière
dans la chambre du mort : on vide les tiroirs,
on balaye et par la porte ouverte la lumière

un instant se fait chair et frissonne

V

On dit : le soleil après la pluie, la mer
après la montagne, l’amour après
et partir, partir. Demain, quand tout sera,
quand tout aura, quand.

Promesses des morts si vivre est plus
qu’attendre, qu’espérer. Cendres jetées
sur le feu qui regimbe un peu puis se tait
sans consolation : la nuit

tombe, l’aube se lève, un été a passé.
Déjà, disent les fumées du hameau
tandis que des animaux sans colère continuent
d’amasser l’or du temps, l’or

de nos yeux avides et si vite fermés.

VI

Et tu finis par ranger le livre, là-haut,
à sa place exacte, ce petit creux d’ombre et d’oubli
comme le coin de terre qui te revient.
Tu reviens toi aussi

à ta place, devant la fenêtre, la table,
ce carré de neige que nul encore n’a forcé
et qui va dans tous les sens comme ta vie
parmi les mots, les morts.

Tu sais bien qu’aucun signe ne guérit de l’absence,
pas plus que le merle en tombant ne renverse
l’axe de la terre, mais tu persiste, ô scribe,
à soudoyer les anges :

un peu d’or dans la boue, dites, que la nuit reste ouverte.

VII

Si j’ai cherché – ai-je rien fait d’autre ? –
ce fut comme on descend une rue en pente
ou parce que tout à coup les oiseaux
ne chantaient plus. Ce trou dans l’air,

entre les arbres, mon souffle ni mes yeux
ne l’ont comblé – et je criais souvent
au milieu des herbes, mais je n’attendais
rien, je me disais : voilà,

je suis au monde, le ciel est bleu, nuages
les nuages et qu’importe le cri sourd des pommes
sur la terre dure : la beauté, c’est que tout
va disparaître et que, le sachant,
tout n’en continue pas moins de flâner.

VIII

Vers l’ouest, avec les derniers rayons roses,
en suivant bien la flèche sur le bas trop tendu
de la nuit qui s’est penchée pour mettre
l’avion dans sa poche, voilà

ce qui tient encore, les yeux au ciel, debout
sur ce parking où tu effiles dans le gris
tes voiles de Colomb, tes routes de la soie
et du sel et du seul, en attendant,

En attendant que tout finisse (tu dis tout
comme celui qui siffle pour garder son ombre
à ses côtés dans la ruelle obscure) tout: ce baiser
– à peine – du couchant sur les lèvres

de celle qui s’en va en te laissant le quai.

IX

Ce que j’ai voulu, je l’ignore. Un train
file dans le soir : je ne suis ni dedans
ni dehors. Tout se passe comme si
je logeais dans une ombre

que la nuit roule comme un drap
et jette au pied du talus. Au matin,
dégager le corps, un bras puis l’autre
avec le temps au poignet

qui bat. Ce que j’ai voulu, un train
l’emporte: chaque fenêtre éclaire
un autre passager en moi
que celui dont j’écarte au réveil

le visage de bois, les traverses, la mort.

X

Je me disais: il faut encore, il faut –
et les mots couraient devant moi, reniflaient
la route, le ciel, les fougères, le ventre
mal boutonné des collines

puis revenaient, me rapportant un bout de peau
calcinée, un fragment d’os: cette vieille
et toujours lancinante question
du pourquoi ici, moi, pourquoi?

  • aller venir attendre comme le préposé
    aux départs, qui ouvre et ferme l’horizon,
    attendre l’ultime voyageur
    avant de retourner l’ardoise, d’écrire

fermé pour cause de paresse;

Extrait de:
1991, La Vie Promise, (Gallimard)
Guy Goffette

Serge Sautreau (1943-2010) présenté par Guy Goffette


Serge Sautreau (1943-2010) présenté par Guy Goffette

UN PEU D’OR DANS LA BOUE


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UN PEU D’OR DANS LA BOUE

I

Je me disais aussi : vivre est autre chose
que cet oubli du temps qui passe et des ravages
de l’amour, et de l’usure – ce que nous faisons
du matin à la nuit : fendre la mer,

fendre le ciel, la terre, tour à tour oiseau,
poisson, taupe, enfin : jouant à brasser l’air,
l’eau, les fruits, la poussière ; agissant comme,
brûlant pour, allant vers, récoltant

quoi? le ver dans la pomme, le vent dans les blés
puisque tout retombe toujours, puisque tout
recommence et rien n’est jamais pareil
à ce qui fut, ni pire ni meilleur,

qui ne cesse de répéter : vivre est autre chose.

II

Le temps qu’on se lève vraiment, qu’on dise
oui de la pointe des pieds jusqu’au sommet
du crâne, oui à ce jour neuf jeté
dans la corbeille du temps, il pleut.

Ô l’exacte photographie de l’âme, ces deux mots
qui nous rentrent les yeux comme des ongles
dans la chair : il pleut. Le sang de l’herbe
est vert insupportablement et c’est en nous

qu’il pleut, en nous qu’une digue rompue
voit s’effondrer peu à peu, derrière la vitre
et parmi les voilures, avec des pans de vieux
regrets, d’attentes fatiguées,

les raisons de partir et d’habiller le froid.

III

Encore si le feu marchait mal, si la lampe
filait un miel amer, pourrais-tu dire : j’ai froid,
et voler le cœur du noyer chauve, celui
du cheval de labour qui n’a plus où aller.

et qui va d’un bord à l’autre de la pluie
comme toi dans la maison, ouvrant un livre,
des portes, les repoussant : terre brûlée, ville
ouverte où la faim s’étale et crie

comme ces grappes de fruits rouges sur la table,
vie étrangère, inaccessible présent
à celui qui ne sait plus désormais
que piétiner dans le même sillon

la noire et lourde argile des fatigues.

IV

Peut-être faudrait-il tirer le rideau, laisser
le corps tout entier couler dans la fatigue
et dénouer l’entrelacs des pensées, la noire
étreinte des algues, trancher vif

avec ta propre mort, ce qui a été et qui n’est
plus, avec ce qui viendra, l’inéluctable
marée de sons et d’images que les noyés – dit-on –
n’emportent pas, laisser le temps

comme la pluie battre ton front
jusqu’à ce que tout redevienne poussière
dans la chambre du mort : on vide les tiroirs,
on balaye et par la porte ouverte la lumière

un instant se fait chair et frissonne

V

On dit : le soleil après la pluie, la mer
après la montagne, l’amour après
et partir, partir. Demain, quand tout sera,
quand tout aura, quand.

Promesses des morts si vivre est plus
qu’attendre, qu’espérer. Cendres jetées
sur le feu qui regimbe un peu puis se tait
sans consolation : la nuit

tombe, l’aube se lève, un été a passé.
Déjà, disent les fumées du hameau
tandis que des animaux sans colère continuent
d’amasser l’or du temps, l’or

de nos yeux avides et si vite fermés.

VI

Et tu finis par ranger le livre, là-haut,
à sa place exacte, ce petit creux d’ombre et d’oubli
comme le coin de terre qui te revient.
Tu reviens toi aussi

à ta place, devant la fenêtre, la table,
ce carré de neige que nul encore n’a forcé
et qui va dans tous les sens comme ta vie
parmi les mots, les morts.

Tu sais bien qu’aucun signe ne guérit de l’absence,
pas plus que le merle en tombant ne renverse
l’axe de la terre, mais tu persiste, ô scribe,
à soudoyer les anges :

un peu d’or dans la boue, dites, que la nuit reste ouverte.

VII

Si j’ai cherché – ai-je rien fait d’autre ? –
ce fut comme on descend une rue en pente
ou parce que tout à coup les oiseaux
ne chantaient plus. Ce trou dans l’air,

entre les arbres, mon souffle ni mes yeux
ne l’ont comblé – et je criais souvent
au milieu des herbes, mais je n’attendais
rien, je me disais : voilà,

je suis au monde, le ciel est bleu, nuages
les nuages et qu’importe le cri sourd des pommes
sur la terre dure : la beauté, c’est que tout
va disparaître et que, le sachant,
tout n’en continue pas moins de flâner.

VIII

Vers l’ouest, avec les derniers rayons roses,
en suivant bien la flèche sur le bas trop tendu
de la nuit qui s’est penchée pour mettre
l’avion dans sa poche, voilà

ce qui tient encore, les yeux au ciel, debout
sur ce parking où tu effiles dans le gris
tes voiles de Colomb, tes routes de la soie
et du sel et du seul, en attendant,

En attendant que tout finisse (tu dis tout
comme celui qui siffle pour garder son ombre
à ses côtés dans la ruelle obscure) tout: ce baiser
– à peine – du couchant sur les lèvres

de celle qui s’en va en te laissant le quai.

IX

Ce que j’ai voulu, je l’ignore. Un train
file dans le soir : je ne suis ni dedans
ni dehors. Tout se passe comme si
je logeais dans une ombre

que la nuit roule comme un drap
et jette au pied du talus. Au matin,
dégager le corps, un bras puis l’autre
avec le temps au poignet

qui bat. Ce que j’ai voulu, un train
l’emporte: chaque fenêtre éclaire
un autre passager en moi
que celui dont j’écarte au réveil

le visage de bois, les traverses, la mort.

X

Je me disais: il faut encore, il faut –
et les mots couraient devant moi, reniflaient
la route, le ciel, les fougères, le ventre
mal boutonné des collines

puis revenaient, me rapportant un bout de peau
calcinée, un fragment d’os: cette vieille
et toujours lancinante question
du pourquoi ici, moi, pourquoi?

– aller venir attendre comme le préposé
aux départs, qui ouvre et ferme l’horizon,
attendre l’ultime voyageur
avant de retourner l’ardoise, d’écrire

fermé pour cause de paresse;

Guy Goffrette – Extrait de: La Vie Promise, (Gallimard)

AUBE VIERGE


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AUBE VIERGE

 

Humide au bord de l’aube

la Terre s’étale toute entière

De chaque côté des jarres les gardiens sont là

le cheval scellé aux reins de la vie ouvre le sillon

 

Niala-Loisobleu – 30 Août 2019

 

 

Autres thèmes

Quelques auteurs

Essais généraux

 

 Pierre Oster

Guy Goffette et Pierre Oster, Paris, juin 2001

 

LA TERRE (10/10/1995)

Poème de Pierre Oster

La terre, les rochers… Les rochers, les maisons, 

la nuit même,

La nuit, la plaine et la mer fondent un savoir 

proche des murs.

Puis, là-bas, le soleil masque sa solitude avec 

la nudité des choses, 

Brise le ciel des flaques, échafaude un bûcher

sur un lac.

La plaine, et la mer ! La prairie, les maisons. La 

campagne,

Dans les champs litérés par l’hiver, par l’hiver 

librement vaincus,

La campagne à mes pas se ranime et les chemins

nous portent. 

Le matin &endash; minceur des haies ! &endash; baigne le dieu du

Tout,

De l’ancienne présence. Ah ! voici que découlent 

des plantes

Des torrents de sève ! Et les eaux dans les nasses

du sol 

Se répandentÖ Aux confins de la vaste prairie 

et du fleuve,

La vérité du fleuve et la vérité de la prairie. Un 

feu 

Dans les feuillages, un feu près des villagesÖ Un 

dieu secret nous comble.

Ses dons, la nuit magnifiquement les cache ; ou les 

restitue à ton ardeur

Face au soleilÖ Tu dois donc les défendre et com-

prendre

La plaine avide, la mer aride -! Et vouloir que le 

jour

Progresse ! Ouvre les mains, la terre dort. Inter-

roge,

Invoque en dehors des mots le murmure de l’air. 

Les mots, 

Les mots que je tais s’achèveraient en combats 

monotones,

Si nous ne pénétrions le camp des saisons ; ne ten-

tions,

De brin d’herbe en brin d’herbe, embruns de la 

rosée et des vagues,

De rompre une énigme heureuse ; ah ! ne redou-

tions d’avoir part

Au poème impossible et favorable ! Une grange 

protège

Comme un bruit magique ; une charpente, arra-

chée aux bois,

Fait la majesté d’un lieu de pérennité. Le poème 

brille

Sur les figures que je contemple et que le temps

dépeint

Dans les parages d’un orage ! À l’entrée, en deçà

de la ferme,

À l’ombre d’un portail, à bord de souverains vais-

seaux,

Notre gloire est de sentir que la profondeur nous 

soulève

Jusqu’au sommet des montagnes ! Et, dès avant 

que midi

N’ait au nom du jour reconquis la nuit, la plaine

infidèle et fidèle,

La plaine, au large, amas de pierres ou puissants

écueils,

La mer avec le ciel recule. Ordre et mesure et dé-

sordre,

Je le cède à la splendeur des fleurs ! Je ne renie 

pas

L’espoir de connaître ou d’envahir, d’affronter

tant de routes,

Tant de jardins bientôt découverts par la marée ! 

Vénus

À pleines robes nous caresse. Ah ! la nuit délicate

détisse

La voile où la nature oscille ; où la prairie voyage ; 

Les eaux – du seuil des métamorphoses – imitent 

la solitude

Du soleil, composent la nudité qu’il a vêtue. Ah !

de hauts

Nuages naviguentÖ Un souffle pousse une petite

flamme,

Les éléments brûlent ! Et la flamme au pourtour

des champs

Révèle aux roseaux la base des arbres. En nous, 

à côté de nous, je décèle

La chaste éclosion, le tombeau de féconds bour-

geons

Tachés de mielÖ Maître des sources et du trajet

de la lymphe,

Le premier dieu de grotte en grotte a plusieurs

fois frémi,

Dans l’abri le plus précieux. Je le devine, lui 

demande

La clé de l’abîme ! Observer, quêter, de l’inté-

rieur des cours,

Les dons que le jour reçoit tandis que le dieu 

défaille.

Le brouillard, sur les tôles des hangars, se ré-

sout,

Guide obscur ! Et quelqu’un, sans que les cloches

résonnent,

Dans sa tranquillité vigilante a lancé une prière ; 

a crié, 

Du fond de la nuit presque humaine, une piété 

intrépide !

Ma piété s’adresse aussi peut-être à qui s’en va.

D’est

En ouest les nuages s’espacent, occupent le laby-

rinthe

Que sous nos yeux la mer recreuse en abandon-

nant des lambeaux 

Du manteau céleste ! Étoffe où le marcheur s’en-

roule,

Il s’en empare et ne l’oublie pas. Déjà l’impa-

tient matin

Hisse une faible voile, habille un destin de nau-

frage,

Refuse et présage un passage incertain ! Captifs, 

fugitifs,

Que n’usons-nous &endash; debout ! &endash; du droit d’explorer

la poussière,

La poussière, notre fortune ! Incorporons la cor-

ruption

Puisque le feu des cercles éternels joue sur nos

épaules,

Au fil de la sève s’épanche et dans ma chair.

La nuit

Nous condamne aux assauts de la pluie sur la 

cabine 

De ce tracteur. Rien ne demeure qui ne s’efface.

Et rien ne meurt

Devant les lames de la charrue. Advient, survient, 

très vite,

Un printemps beaucoup trop doux pour qu’il neige 

en avril,

Trop froid pour que nous convoitions l’immensité 

de la paille !

L’hiver s’amenuise et mon âme apprivoise le vent. 

Au-dessus du pavois

Des champs épars, à l’aplomb de mainte meule bâ-

chée

D’une bâche bariolée, le vent se cabre. Ah ! quatre 

chevaux,

Cinq ! Le soleil nous les dispute et les touche ! Un 

geste

Te rattache au royaume animal. Tu les flatteras !

La soumission

Vous inspire. Ils t’obéissent, tu les exauces. Ado-

rateur de météores,

Tu pries cependant les vainqueurs du domaine des 

puits,

De la margelle universelle et de l’humus. Le pay-

sage

Sur l’acier des socs se nuance. Apparition de mi-

roirs

De parfaites maresÖ Et la beauté, à son rythme,

opère

À travers l’azur, enseigne à l’azur la triple le-

çon,

La déchiffre, en invente le thème ! Une leçon 

de joie,

De joie ou d’orgueilÖ De joie et d’orgueil. Ou de 

peur,

Peur que la joie ingénument consume. Et j’épouse

la réponse

De la plaine étale aux arbres silencieuxÖ L’ins-

tant

L’interprète, la répète, la divise ! Et c’est sur lui

que je médite

Après qu’il s’est évanoui. Soif, nous avons faim

et soif

De lait, de semence et de sang ! Les morts mainte-

nant s’en nourrissent,

Sortent sans cesse des ténèbres en montrant leurs

fardeaux, 

De subtils déguisements d’écorce ! Et, dans l’herbe 

aux discrètes veines, 

D’un saule à l’autre, dans mes vers, et de pommier

en pommier,

Le vent régit les chemins qui nous sont chersÖ Un 

lien nous délivre

Que mon ardeur, ma ferveur renoue. Il nous échoit

de souffrir

La plainte héroïque ou la simple voix des saisons 

futures

Sur le continent de la prairie communale. Incons-

tant,

Constant, le soleil est inconstant ! Conquête intime, 

ébauche

D’un cycle infime de grandeur. Défaite, ou victoire, 

ou défi,

Je m’accorde à la matière ! À sa juste abondance.

À ses arcanes, 

À la forme des corps, la masse du ciel. Au sable

intact

Dans le bruit, dans le choc sacré du ressacÖ 

Le siècle,

Tel un appel, tel un écho. Nous y songeons. Nous 

sommes issus 

D’un sommeilÖ d’un éveilÖ absolusÖ Les feuilles

lisses,

Quel délice ! Et le lit du sel brille au dos des ré-

cifs,

On croirait d’une illumination des nations qu’em-

brasse la houle.

Le vent ! La sagesse, la fougue. Un culte, un rituel 

fou,

Le faste des mois dans le berceau des bois ! Ici,

j’anticipe

Le retentissement d’un appel au cúur du prin-

cipe infini.

La sève en réalité nous dévore et les rudes racines

se tordent. 

La mer, dans les grottes, batÖ Ne pas plier, ne pas 

ployer.

La mer, le vent la drosseÖ À distance, à ton rang,

tu discernes

La ronde &endash; ou la gravitationÖ &endash; des grains de pol-

len !

La merÖ Sa terrestre lenteurÖ Sève et lymphe fu-

sionnent,

Refaçonnant leur unité. À nous, dans le jour bref, 

de concevoir

Le crépusculeÖ Au soleil de transparaître au-devant

du cortège

Des champs qui bornent le paradis de l’étendue. 

À nous

De nous enclore dans une alliance et l’humble ten-

dresse !

De bénir la foudre et de faire alterner les dieux.

Je repars

Sans but vers la cible du temps. Audace ou besoin

de renaître

À l’amour des haies vives et des souchesÖ Ah ! dé-

sir

De courir la plaine ! Et la paix vole en direction des 

montagnes,

De sereines collinesÖ Au flanc des meules, des 

tumulus,

De tours que ruinent les saisons. La mer, l’océan 

fossile

Arrime aux remparts, aux rochers, d’incomparables 

vaisseaux,

Des vestiges parés de cielÖ Et les bois parfois rou-

geoient,

Bougent devant la mer, au bout des champs, sur

le parcours

Du feu ! Feu toujours ascendant du foyer des feuil-

lages, 

Toujours divin, toujours nouveau, toujours souter-

rain.

Les chevaux, leurs durs sabots. Le vent sur nos sim-

ples traces,

Selon sa loi disperse ses armées. Nous demeurons

à la merci 

ENTRE TIEN EMOI 113


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ENTRE TIEN EMOI 113

 

Elle, par bonheur, et toujours nue de Guy Goffette

Marthe consent à être nue devant lui et prise, surprise, dessinée

Nue sur le lit juste après l’amour, voluptueuse encore, indolente, une main caressant le sein où le plaisir longuement s’étire, 

Nue à demi enfilant ses bas et tournant la rouge jarretière, la jambe prête aux pires écarts,

Hésitant entre deux, le jour attend que ses yeux choisissent pour y voir plus clair. Il la regarde comme s’il n’était pas sorti d’elle, c’est bon de remonter la rivière au matin, le bord frôle doucement la faim du ventre. Ses seins ont glissé sur le bord, le gauche est sorti du lit, des deux il se prend pour l’aîné et va toujours voir en avant.
La clarté se glisse par la fenêtre ouverte
On voit la touffe prendre une goulée d’air.
Dans l’instant du levé accompagné de cette image, l’odeur de café frais chatouille la marche. Le corps se trempe dans le jus d’orange, les fruits sourient sur la table.  Le chien va plus vite que le temps nécessaire au réveil, il saute déjà comme si ce jour avait plus que les autres.
– Bonjour, comme le soleil arrive pour avaler l’ombre elle vient d’entrer, mi-peau et mi-chiffon, ce que je vois dans le désordre me donne la certitude que tout est en place, les pinceaux sont propres et le chevalet est dressé, la toile a les yeux tournés sur l’encrier.
Niala-Loisobleu – 24/08/19

ENTRE TIEN EMOI 101


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ENTRE TIEN EMOI 101

 

Prenez votre sinche avant d’aller aux vignes rappela la cagouille, c’est un jour qui mouille.

La rue que seulement les coulures de dalles habitent, a recours a ses néons racoleurs pour se faire du monde. Les caisses du supermarché ne sont pas toutes ouvertes. On circule sans embouteillages dans les allées. Des caniveaux me reviennent les campagnes de pêche de ma jeunesse. A un point qu’en vérité je me sens moins vieux qu’un râtisseur de curiosité qui n’est plus intéressé que par son smarphone. Dans le écoles les élèves reniflent la fin des cours, un bac pour les vacances ferait leur affaire. Je sors et trouve Ernesto assis les deux pieds dans les flaques. Lancé dans un combat naval impitoyable contre  son prof de robinets. Le petit génie est le seul soleil des temps de pluie qui tiennent. Ma parole faut voit la baffe qu’il tient prête pour les parents d’élèves. Avec sa copine Marguerite ils n’ont pas à refaire le monde, ils sont de l’autre. La couleur dont ils se nourrissent leur pétale l’âme arc-en-ciel .

La baie se profile dans son costume de peau

Le grand tilleul, une sorte d’arbre à soi pour les nuits blanches, abrite les derniers oiseaux de la Chaume.

Des mareyeurs au matin sortant d’un endroit que je nommerai pas voyaient clairs malgré leurs cernes sous les yeux. Dans le vide de la criée les premières moules quittaient les bouchots. J’entendis le livre se relire une dernière page, au moment où la bouilloire siffla le départ. L’abri de la remise à outils avait du temps devant lui avant d’ouvrir. Ernesto s’approcha dans une partie des Jeux d’eaux, sa baguette magique croustillante en main. J’entrevis ton oeil qui se baladait au bout des tiges de coquelicots. Comme la table du jardin était sortie je t’ai cueilli pour me faire un bouquet.

J’ai cru longtemps qu’il suffisait de toucher
le bois d’une table pour marcher avec la forêt,

de caresser le galbe d’une statue pour donner
un corps tout neuf à l’amour, de croquer

un fruit vert pour que s’ouvre à nouveau
le jardin de l’enfance et que la mer appareille

qui était blanche comme tout ce qui endure
sans parler le feu des longs désirs,

j’ignorais

que là où l’enfant peut entrer de plain-pied
un mur se dresse que le temps a bâti

avec nos coeurs aveugles, avides, nos belles
promesses, nos serments de papier,

et c’est celui-là même où nos rêves se brisent
que tu défais, poète, pierre après pierre,

avec des mots de rien, des mots de peu
que les pluies ont lavés, les silences taillés

comme un diamant dans la lumière des jours.

Guy Goffette

Je pris la main d’Ernesto, l’emmenai chez-moi, lui promettant que plus jamais il n’irait à l’école.

Niala-Loisobleu – 05/06/19

AUX LISIERES


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AUX LISIERES
I

Nous avons longtemps cru qu’il nous suffisait d’allonger le bras pour toucher le ciel et tenir en laisse le vieil horizon

si longtemps qu’en nous le geste demeure à la vue d’une femme à l’aube surprise lavant dans ses larmes le jour et la nuit

que plus rien ne reste à la fin que l’ombre pour raser de frais au fil de l’amour nos corps effondrés dans la chambre avec

le ciel comme un bas sur le parquet nu.

II

Amour, disais-tu. J’entendais lisières genêts, passerelles. Tes yeux résistaient. Ce n’était pourtant qu’un seuil à franchir.

Déborder le corps et qu’amour soit d’eau vive, non comme ici lac où tournent tournent poissons et noyés, le ciel, les nuages

les belles promesses. Reste, disais-tu.

Je voyais mourir les hommes aux barrières

battre comme un bleu crevé par l’orage

leurs bras affolés leurs ailes d’Icare.

Guy Goffette