La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Ces incessantes et phosphorescentes traînées de la mort sur soi que nous lisons dans les yeux de ceux qui nous aiment, sans désirer les leur dissimuler.
Faut-il distinguer entre une mort hideuse et une mort préparée de la main des génies? Entre une mort à visage de bête et une mort à visage de mort?
*
n Nous ne pouvons vivre que dans l’entrouvert, exactement sur la ligne hermétique de partage de l’ombre et de la lumière. Mais nous sommes irrésistiblement jetés en avant. Toute notre personne prête aide et vertige à cette poussée.
*
La poésie est à la fois parole et provocation silencieuse, désespérée de notre être-exigeant pour la venue d’une réalité qui sera sans concurrente. Imputrescible celle-là. Impérissable, non; car elle court les dangers de tous. Mais la seule qui visiblement triomphe de la mort matérielle. Telle est la Beauté, la Beauté hauturière, apparue dès les premiers temps de notre coeur, tantôt dérisoirement conscient, tantôt lumineusement averti.
• Ce qui gonfle ma sympathie, ce que j’aime, me cause bientôt presque autant de souffrance que ce dont je me détourne, en résistant, dans le mystère de mon cœur : apprêts voilés d’une larme.
La seule signature au bas de la vie blanche, c’est la poésie qui la dessine. Et toujours entre notre cœur éclaté et la cascade apparue.
Pour l’aurore, la disgrâce c’est le jour qui va venir; pour le crépuscule c’est la nuit qui engloutit. Il se trouva jadis des gens d’aurore. À cette heure de tombée, peut-être, nous voici. Mais pourquoi huppés comme des alouettes?
Les civilisations sont des graisses. L’Histoire échoue, Dieu faute de Dieu n’enjambe plus nos murs soupçonneux, l’homme feule à l’oreille de l’homme, le Temps se fourvoie, la fission est en cours. Quoi encore ?
La science ne peut fournir à l’homme dévasté qu’un phare aveugle, une arme de détresse, des outils sans légende. Au plus dément : le sifflet de manœuvres.
Ceux qui ont installé l’éternel compensateur, comme finalité triomphale du temporel, n’étaient que des geôliers de passage. Ils n’avaient pas surpris la nature tragique, intervallaire, saccageuse, comme en suspens, des humains.
Lumière pourrissante, l’obscurité ne serait pas la pire condition.
Il n’y avait qu’une demi-liberté. Tel était l’octroi extrême. Demi-liberté pour l’homme en mouvement. Demi-liberté pour l’insecte qui dort et attend dans la chrysalide. Fantôme, tout juste souvenir, la liberté dans l’émeute. La liberté était au sommet d’une masse d’obéissances dissimulées et de conventions acceptées sous les traits d’un leurre irréprochable.
La liberté se trouve dans le cœur de celui qui n’a cessé de la vouloir, de la rêver, l’a obtenue contre le crime.
Combien confondent révolte et humeur, filiation et inflorescence du sentiment. Mais aussitôt que la vérité trouve un ennemi à sa taille, elle dépose l’armure de l’ubiquité et se bat avec les ressources mêmes de sa condition. Elle est indicible la sensation de cette profondeur qui se volatilise en se concrétisant.
Nous nous sommes soudain trop approchés de quelque chose dont on nous tenait à une distance mystérieusement favorable et mesurée. Depuis lors, c’est le rangement. Notre appui-tête a disparu.
Il est insupportable de se sentir part solidaire et impuissante d’une beauté en train de mourir par la faute d’autrui. Solidaire dans sa poitrine et impuissant dans le mouvement de son esprit.
Si ce que je te montre et ce que je te donne te semblent moindres que ce que je te cache, ma balance est pauvre, ma glane est sans vertu.
Tu es reposoir d’obscurité sur ma face trop offerte, poème. Ma splendeur et ma souffrance se sont glissées entre les deux.
Jeter bas l’existence laidement accumulée et retrouver le regard qui l’aima assez à son début pour en étaler le fondement. Ce qui me reste à vivre est dans cet assaut, dans ce frisson.
I Je chante la chaleur à visage de nouveau-né, la chaleur désespéré.
II Au tour du pain de rompre l’homme, d’être la beauté du point du jour.
III Celui qui se fie au tournesol ne méditera pas dans la maison. Toutes les pensées de l’amour deviendront ses pensées.
; IV
Dans la boucle de l’hirondelle un orage s’informe, un jardin se construit.
V Il y aura toujours une goutte d’eau pour durer plus que le soleil sans que l’ascendant du soleil soit ébranlé.
VI Produis ce que la connaissance veut garder secret, la connaissance aux cent passages.
VII Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.
VIII Combien durera ce manque de l’homme mourant au centre de la création parce que la création l’a congédié ?
IX Chaque maison était une saison. La ville ainsi se répétait. Tous les habitants ensemble ne connaissaient que l’hiver, malgré leur chair réchauffée, malgré le jour qui ne s’en allait pas.
X
Tu es dans ton essence constamment poète, constamment au zénith de ton amour, constamment avide de vérité et de justice. C’est sans doute un mal nécessaire que tu ne puisses l’être assidûment dans ta conscience.
XI Tu feras de l’âme qui n’existe pas un homme meilleur qu’elle.
XH
Regarde l’image téméraire où se baigne ton pays, ce plaisir qui t’a longtemps foi.
Xlll Nombreux sont ceux qui attendent que l’écueil les soulève, que le but les franchisse, pour se définir.
XTV Remercie celui qui ne prend pas souci de ton remords. Tu es son égal.
XV Les larmes méprisent leur confident.
XVI Il reste une profondeur mesurable là où le sable subjugue la destinée.
XVII Mon amour, peu importe que je sois né : tu deviens visible à la place où je disparais.
xvIII
Pouvoir marcher, sans tromper l’oiseau, du cœur de l’arbre à l’extase du fruit
XIX Ce qui t’accueille à travers le plaisir n’est que la gratitude mercenaire du souvenir. La présence que tu as choisie ne délivre pas d’adieu.
XX
Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes encore.
XXI
Les ténèbres que tu t’infuseras sont régies par la luxure de ton ascendant solaire.
xxn
Néglige ceux aux yeux de qui l’homme passe pour n’être qu’une étape de la couleur sur le dos tourmenté de la terre. Qu’ils dévident leur longue remontrance. L’encre du tisonnier et la rougeur du nuage ne font qu’un.
XXIII
Il n’est pas digne du poète de mystifier l’agneau, d’investir sa laine.
XXIV Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’étemel.
XXV Yeux qui, croyant inventer le jour, avez éveillé le vent, que puis-je pour vous ? Je suis l’oubli.
XXVT
La poésie est de toutes les eaux claires celle qui s’attarde le moins au reflet de ses ponts.
Poésie, vie future à l’intérieur de l’homme requalifié.
XXVII
Une rose pour qu’il pleuve. Au terme d’innombrables années, c’est ton souhait.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.