La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Le vent revient plus tard du chemin reconnu Les mains pendent au bord du livre
Tête nue l’homme traverse l’heure l’éclair le champ perdu Sur la pointe où le ciel se fixe L’étoile et son pignon Quand les raies de couleurs arrêtent l’horizon Une roue se détourne l’eau s’éveille en sueur
et les berges ruissellent
Une fenêtre glisse un regard imprévu Entre le coin du mur et la flèche de l’arbre
En face du mur sur la glace le périscope d’eau bouge et se rétrécit entre les montants verts de la cascade Dans les parures du papier aux vitres jaunes d’où tombent quelquefois des feuilles sèches l’atmosphère sent toute la campagne au déclin de l’été L’air est gai l’air est frais Le ciel est plus bas et plus sombre On compte d’ici là le temps qu’il fait La mécanique jusque-là tassée dans un angle se déploie en montrant les engrenages à développements lents irrésistibles Des yeux de feu des pinces de métal sensible Le cœur jeté sous les coups du mouvement d’acier un peu trop plat Le tout se meut trop aisément dans la chambre de chauffe et dans l’arbre où fleurit l’éclair du diamant et la manie des articulations artificielles C’est un bec de gaz de triste mine et chancelant qui veille près du ponton et qui surveille Mais les hommes sont à l’air plus naturel sur le Mont Blanc Pierre Reverdy
Sa face écarlate illumine la chambre où il est seul. Seul avec son portrait qui bouge dans la glace. Est-ce bien lui? Serait-ce l’œil d’un autre? Il n’en aurait pas peur. Son pied manque le sol et il avance en éclatant de rire. Il croit que cette tête parle — celle qu’il a devant lui, ivre, les yeux ouverts.
Le plafond s’abaisse, les murs vont éclater et il rit. Il rit au feu qui lui chauffe le ventre; à la pendule qui bat comme son cœur. La chambre roule — ce bateau dont le mât craquerait s’il faisait plus de vent. Et, sans s’apercevoir qu’il tombe, sur le lit où il va s’endormir, il croit encore rêver que les vagues l’emportent. Trop loin. Il n’y a plus rien que le rire idiot du réveil et le mouvement inquiétant de la porte.
Il y a des bras dans la rue qui s’étreignent Des mains dans le jardin Des plaies qui saignent Il y a des murmures dans le vent
D’où viennent les voyageurs qui passaient sur le chemin Où mène aussi la grand’route qui croise le chemin La maison seule au carrefour Les plaintes dans les arbres qui ont ri tout le jour Les lignes de la main Les lignes de la terre Sur les routes et les chemins qui se croisent Près de la chapelle en passant ils ont cherché l’ombre et le repos
Avant la nuit
La terre tourne autour de cette borne kilométrique et le mouvement s’étend
Il y a un va-et-vient du centre L’impulsion se donne par les roues par les pieds
Elle vient d’en bas sur la plaine et le cadran l’arbre et l’aiguille marquent le point du jour
Le soleil court sur chaque ruisseau La haie brisée la terre monte Et à pied l’on vient d’un autre pays d’un autre monde Des rayons en zig-zag s’abattent sur le pont battant les arches et c’est là qu’on se rencontre
C’est une frontière
L’univers entier tient dans ma main Les étoiles le ciel le vent le soleil
il pleut Les nuages c’est la tête la tête le phare
On ne peut pas tout voir La distance s’étend mollement sous les pieds C’est la plage le sable mouvant On n’avance pas et le temps passe
On n’arrivera pas Au moment où le couvercle retombe à l’horizon avec un bruit de machines vers le port
Le globe est fermé
On ne voit plus rien
Puis les yeux s’habituent Une faible lueur revient le couvercle est si vieux Il y a des trous
Il y a aussi celui de la serrure aussi rond que le soleil éteint
Derrière le plafond
La lumière est plus dure
La lune
Elle n’est pas là
C’est la nuit noire
Sous le hangar ouvert devant toute la terre avec
sérénité
La porte isole du monde On a sommeil Une heure vient où tout s’affaisse devant le sommeil
On pense à se coucher n’importe où Les voitures pourraient passer on ne bouge pas
On dort
Le hangar est sans toit Sommeil Tout redescend On reste en l’air Le sol devient glissant et tourne
tourne On dort tout en marchant
Sommeil On marche
Il faut marcher pour que la terre tourne tout autour du soleil
Je voudrais m’arrêter pour boire
Je me rappelle avoir marché le long des baraques fermées au bord de l’eau
Je me souviens de la saison qui descendait peu à peu avec la nuit On allumait des lampes entre les arbres et en bas des femmes se dressaient auprès d’autres lumières Les marchands de passage faisaient du bruit
Ces nomades riaient indifférents et étrangers dans le pays
On les regardait avec curiosité Et en partant on n’aurait pas pu dire ce qu’ils emportaient
Dans un creux de la ville des musiques jouaient Un manège de lumières ou d’étoiles tournait Le lendemain tout paraissait dormir
Mais il y avait quelque chose qu’on cachait Je me rappelle avoir marché le long des baraques fermées au bord de l’eau
Les tringles qui se tendent donnent le mouvement L’aile s’incline
La poussière est devant Ce sont des voitures qui s’en retournent dans le vent
On ne sait pas ce qui va se passer
Les roues tournent
L’orage éclate Et le tonnerre est sous le pont où je me cache
Je me rappelle avoir marché contre les arbres qui saignaient A l’entrée des villages et des villes qui s’ouvraient
Les portes des villes
Elles mangent
Englouti dans les artères et les veines de l’autre côté ce n’est plus le même En ressortant on a vieilli on a changé
Déjà dix ans Je me rappelle être passé le long des murs et des fossés
Tout près de la maison aveugle et isolée L’étoile et l’homme étaient chez eux La nuit tout se confond une vitre allumée rend le trou plus profond
Le rideau enroule le vent
L’esprit du monde qui se tend Et les pages du livre tournent Le moteur en avant L’oiseau qui allait partir redescend Je rentre
Une maison se dresse A-t-on marché longtemps
Les chemins se croisent aussi vite en même temps Et cette pierre qui n’a pas bougé Entre deux dates rapprochées tout s’efface
Dans la poitrine, l’amour d’un drapeau décoloré par les pluies. Dans ma tête, les tambours battent. Mais d’où vient l’ennemi?
Si ta foi est morte que répondre à leur commandement ?
Un ami meurt d’enthousiasme derrière ses canons et sa fatigue est plus forte que tout.
Et, dans les champs bordés de routes, au coin des bois qui ont une autre forme parce qu’il y a des hommes cachés, il se promène, macabre comme la mort, malgré son ventre.
Les ruines balancent leurs cadavres et des têtes sans képis.
Ce tableau, soldat, quand le finiras-tu? Ai-je rêvé que j’y étais encore? Je faisais, en tout cas, un drôle de métier.
Quand le soleil, que j’avais pris pour un éclair, darda son rayon sur mon oreille sourde, je me désaltérais, sous les saules vert et blanc, dans un ruisseau d’eau rose. J’avais si soif!
Au matin qui se lève derrière le toit, à l’abri du pont, au coin des cyprès qui dépassent le mur, un coq a chanté. Dans le clocher qui déchire l’air de sa pointe brillante les notes sonnent et déjà la rumeur matinale s’élève dans la rue; l’unique rue qui va de la rivière à la montagne en partageant le bois. On cherche quelques autres mots mais les idées sont toujours aussi noires, aussi simples et singulièrement pénibles. Il n’y a guère que les yeux, le plein air, l’herbe et l’eau dans le fond avec, à chaque détour, une source ou une vasque fraîche. Dans le coin de droite la dernière maison avec une tête plus grosse à la fenêtre.
Les arbres sont extrêmement vivants et tous ces compagnons familiers longent le mur démoli qui s’écrase dans les épines avec des rires. Au-dessus du ravin la rumeur augmente, s’enfle et si la voiture passe sur la route du haut on ne sait plus si ce sont les fleurs ou les grelots qui tintent. Par le soleil ardent, quand le paysage flambe, le voyageur passe le ruisseau sur un pont très étroit, devant un trou noir où les arbres bordent l’eau qui s’endort l’après-midi. Et, sur le fond de bois tremblant, l’homme immobile.
Un cortège de gens plus ou moins honorables. Quelques-uns sourient dans le vide avec sérénité. Ils sont nus. Une auréole à la tête des premiers qui ont su prendre la place. Les plus petits en queue.
On passe entre les arbres qui s’inclinent. Les esprits qui se sont réfugiés derrière les étoiles regardent. La curiosité vient de partout. La route s’illumine.
Dans le silence digne, si quelqu’un chante c’est une douce voix qui monte et personne ne rit. La chanson est connue de tous.
On passe devant la maison d’un poète qui n’est pas là. La pluie qui tombait sur son piano, à travers le toit, l’a chassé.
Bientôt, c’est un boulevard bordé de cafés où la foule s’ennuie. Tout le monde se lève. Le cortège a grossi.
Enfin par l’avenue qui monte la file des gens s’éloigne, les derniers paraissent les plus grands. Les premiers ont déjà disparu.
Derrière un monument d’une époque oubliée le soleil se lève en rayons séparés et l’ombre des passants lentement s’efface. Les rideaux sont tirés.
Démonté et mis au sol je regarde le cheval sans penser lui en vouloir. L’injustice s’adresse toujours aux innocents, s’en étonner serait d’un manque de lucidité total. Il y des forces zodiacales contre lesquelles aucune résistance n’est possible. Les conjugaisons contraires vont s’entendre pour vous tendre la plus belle embuscade qui soit. Pour qui ne cesse de brandir l’espoir et l’amour comme les seules vertus à reconnaître dans un monde de brutes qui piétine et enlaidit le beau sans aucun scrupules, c’est plus honorable que tout. Ne pas succomber à la colère et s’égarer avec les oeillères qui viennent fausser l’entendement
MARCHE FORCÉE
Sur son pied droit brille une très ancienne boucle et sur l’autre, en l’air, la menace. N’approche pas de son domaine où dort tout le passé désagréable. Qui es-tu? Sans prévoir ce qui devait être, un grand changement s’est produit!
Pour tout le reste, la morale d’autrefois serait un crime, et ne pas y penser une injustice. Jamais désirable, cette âme t’a conduit où tu es mieux, où tu es, mal, ce que tu seras toujours avec les mêmes fatigues de toi-même, en arrière. C’est ton avance, ce qui te pousse et garde-toi de t’arrêter jamais.
Cependant, chaque jour qui te désespère te soutient. Mais va, le mouvement, le mouvement et pour le repos ta fatigue.
Pierre Reverdy
Remonte en selle et saute la haie, derrière les épines tu n’as pas changé, tu te montres depuis toujours tel que tu es. Aime et vas sans t’arrêter, tu es honnête et sans tromper. La colonne vertébrale est saine de moelle et d’esprit comme le corps.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.