Dans les rails – Pierre Reverdy


NIALA – OEUVRE EN COURS

DANS LES RAILS

PIERRE REVERDY

Le vent revient plus tard du chemin reconnu
Les mains pendent au bord du livre

Tête nue l’homme traverse l’heure l’éclair le champ perdu
Sur la pointe où le ciel se fixe
L’étoile et son pignon
Quand les raies de couleurs arrêtent l’horizon
Une roue se détourne l’eau s’éveille en sueur

et les berges ruissellent

Une fenêtre glisse un regard imprévu
Entre le coin du mur et la flèche de l’arbre

Une ombre qui remue

Pierre Reverdy

Chute d’eau – Pierre Reverdy


   
  
 

Chute d’eau – Pierre Reverdy

En face du mur sur la glace le périscope d’eau bouge et se rétrécit entre les montants verts de la cascade
Dans les parures du papier aux vitres jaunes d’où tombent quelquefois des feuilles sèches l’atmosphère sent toute la campagne au déclin de l’été
L’air est gai l’air est frais
Le ciel est plus bas et plus sombre
On compte d’ici là le temps qu’il fait
La mécanique jusque-là tassée dans un angle se déploie en montrant les engrenages à développements lents irrésistibles
Des yeux de feu des pinces de métal sensible
Le cœur jeté sous les coups du mouvement d’acier un peu trop plat
Le tout se meut trop aisément dans la chambre de chauffe et dans l’arbre où fleurit l’éclair du diamant et la manie des articulations artificielles
C’est un bec de gaz de triste mine et chancelant qui veille près du ponton et qui surveille
Mais les hommes sont à l’air plus naturel sur le
Mont
Blanc
Pierre Reverdy

POUR JAMAIS PAR PIERRE REVERDY


Pierre Reverdy

POUR JAMAIS PAR PIERRE REVERDY

A la suite du temps présent

du dégoût soulevé le flanc couvert les bras tendus le cœur mis de côté
Avec toutes la place pour le même trésor

le métal de l’esprit lavé
La main tiède sur la prunelle
Et le décor remis à neuf par l’éclat de l’été

que le délire appelle ou un autre intérêt
Au ras de la fenêtre l’homme noir qui a bu

la conscience molle et toujours mal vêtu
A la fin de son rôle quelque mépris roulé
Près de la voie où quelqu’un marque

un pas qui n’est plus le dernier
Ce n’est pas le même qui passe

Puisqu’il ne s’est pas retourné.

Pierre Reverdy

MOUVEMENT INTERNE PAR PIERRE REVERDY


Pierre Reverdy

MOUVEMENT INTERNE PAR PIERRE REVERDY

Sa face écarlate illumine la chambre où il est seul. Seul avec son portrait qui bouge dans la glace. Est-ce bien lui? Serait-ce l’œil d’un autre? Il n’en aurait pas peur. Son
pied manque le sol et il avance en éclatant de rire. Il croit que cette tête parle — celle qu’il a devant lui, ivre, les yeux ouverts.

Le plafond s’abaisse, les murs vont éclater et il rit. Il rit au feu qui lui chauffe le ventre; à la pendule qui bat comme son cœur. La chambre roule — ce bateau dont le
mât craquerait s’il faisait plus de vent. Et, sans s’apercevoir qu’il tombe, sur le lit où il va s’endormir, il croit encore rêver que les vagues l’emportent. Trop loin. Il n’y a
plus rien que le rire idiot du réveil et le mouvement inquiétant de la porte.

Pierre Reverdy

RIEN AVANCE


RIEN AVANCE

A part ce qui fout l’camp

rien avance

pas d’image la parole est bloquée

à croire que ce qui couvre le feu devance l’heure

Niala-Loisobleu – 6 Avril 2021

PIETON

PIETON

Le soir

Il y a des bras dans la rue qui s’étreignent
Des mains dans le jardin
Des plaies qui saignent
Il y a des murmures dans le vent

D’où viennent les voyageurs qui passaient sur le chemin
Où mène aussi la grand’route qui croise le chemin
La maison seule au carrefour
Les plaintes dans les arbres qui ont ri tout le jour
Les lignes de la main
Les lignes de la terre
Sur les routes et les chemins qui se croisent
Près de la chapelle en passant ils ont cherché l’ombre et le repos

Avant la nuit

La terre tourne autour de cette borne kilométrique et le mouvement s’étend

Il y a un va-et-vient du centre
L’impulsion se donne par les roues par les pieds

Elle vient d’en bas sur la plaine et le cadran l’arbre et l’aiguille marquent le point du jour

Le soleil court sur chaque ruisseau
La haie brisée la terre monte
Et à pied l’on vient d’un autre pays d’un autre monde
Des rayons en zig-zag s’abattent sur le pont battant les arches et c’est là qu’on se rencontre

C’est une frontière

L’univers entier tient dans ma main
Les étoiles le ciel le vent le soleil

il pleut
Les nuages c’est la tête la tête le phare

On ne peut pas tout voir
La distance s’étend mollement sous les pieds
C’est la plage le sable mouvant
On n’avance pas et le temps passe

On n’arrivera pas
Au moment où le couvercle retombe à l’horizon avec un bruit de machines vers le port

Le globe est fermé

On ne voit plus rien

Puis les yeux s’habituent
Une faible lueur revient le couvercle est si vieux
Il y a des trous

Il y a aussi celui de la serrure aussi rond que le soleil éteint

Derrière le plafond

La lumière est plus dure

La lune

Elle n’est pas là

C’est la nuit noire

Sous le hangar ouvert devant toute la terre avec

sérénité

La porte isole du monde
On a sommeil
Une heure vient où tout s’affaisse devant le sommeil

On pense à se coucher n’importe où
Les voitures pourraient passer on ne bouge pas

On dort

Le hangar est sans toit
Sommeil
Tout redescend
On reste en l’air
Le sol devient glissant et tourne

tourne
On dort tout en marchant

Sommeil
On marche

Il faut marcher pour que la terre tourne tout autour du soleil

Je voudrais m’arrêter pour boire

Je me rappelle avoir marché le long des baraques fermées au bord de l’eau

Je me souviens de la saison qui descendait peu à peu avec la nuit
On allumait des lampes entre les arbres et en bas des femmes se dressaient auprès d’autres lumières
Les marchands de passage faisaient du bruit

Ces nomades riaient indifférents et étrangers dans le pays

On les regardait avec curiosité
Et en partant on n’aurait pas pu dire ce qu’ils emportaient

Dans un creux de la ville des musiques jouaient
Un manège de lumières ou d’étoiles tournait
Le lendemain tout paraissait dormir

Mais il y avait quelque chose qu’on cachait
Je me rappelle avoir marché le long des baraques fermées au bord de l’eau

Les tringles qui se tendent donnent le mouvement
L’aile s’incline

La poussière est devant
Ce sont des voitures qui s’en retournent dans le vent

On ne sait pas ce qui va se passer

Les roues tournent

L’orage éclate
Et le tonnerre est sous le pont où je me cache

Je me rappelle avoir marché contre les arbres qui saignaient
A l’entrée des villages et des villes qui s’ouvraient

Les portes des villes

Elles mangent

Englouti dans les artères et les veines de l’autre côté ce n’est plus le même
En ressortant on a vieilli on a changé

Déjà dix ans
Je me rappelle être passé le long des murs et des fossés

Tout près de la maison aveugle et isolée
L’étoile et l’homme étaient chez eux
La nuit tout se confond une vitre allumée rend le trou plus profond

Le rideau enroule le vent

L’esprit du monde qui se tend
Et les pages du livre tournent
Le moteur en avant
L’oiseau qui allait partir redescend
Je rentre

Une maison se dresse
A-t-on marché longtemps

Les chemins se croisent aussi vite en même temps
Et cette pierre qui n’a pas bougé
Entre deux dates rapprochées tout s’efface


Si tard

Pierre Reverdy

BATAILLE


Pierre Reverdy

BATAILLE

Dans la poitrine, l’amour d’un drapeau décoloré par les pluies. Dans ma tête, les tambours battent. Mais d’où vient l’ennemi?

Si ta foi est morte que répondre à leur commandement ?

Un ami meurt d’enthousiasme derrière ses canons et sa fatigue est plus forte que tout.

Et, dans les champs bordés de routes, au coin des bois qui ont une autre forme parce qu’il y a des hommes cachés, il se promène, macabre comme la mort, malgré son
ventre.

Les ruines balancent leurs cadavres et des têtes sans képis.

Ce tableau, soldat, quand le finiras-tu? Ai-je rêvé que j’y étais encore? Je faisais, en tout cas, un drôle de métier.

Quand le soleil, que j’avais pris pour un éclair, darda son rayon sur mon oreille sourde, je me désaltérais, sous les saules vert et blanc, dans un ruisseau d’eau rose. J’avais
si soif!

Pierre Reverdy

APRES-MIDI


APRÈS-MIDI

Au matin qui se lève derrière le toit, à l’abri du pont, au coin des cyprès qui dépassent le mur, un coq a chanté. Dans le clocher qui déchire l’air de sa
pointe brillante les notes sonnent et déjà la rumeur matinale s’élève dans la rue; l’unique rue qui va de la rivière à la montagne en partageant le bois. On
cherche quelques autres mots mais les idées sont toujours aussi noires, aussi simples et singulièrement pénibles. Il n’y a guère que les yeux, le plein air, l’herbe et l’eau
dans le fond avec, à chaque détour, une source ou une vasque fraîche. Dans le coin de droite la dernière maison avec une tête plus grosse à la fenêtre.

Les arbres sont extrêmement vivants et tous ces compagnons familiers longent le mur démoli qui s’écrase dans les épines avec des rires. Au-dessus du ravin la rumeur
augmente, s’enfle et si la voiture passe sur la route du haut on ne sait plus si ce sont les fleurs ou les grelots qui tintent. Par le soleil ardent, quand le paysage flambe, le voyageur passe
le ruisseau sur un pont très étroit, devant un trou noir où les arbres bordent l’eau qui s’endort l’après-midi. Et, sur le fond de bois tremblant, l’homme immobile.

Pierre Reverdy

LES CORPS RIDICULES DES ESPRITS


LES CORPS RIDICULES DES ESPRITS

Un cortège de gens plus ou moins honorables. Quelques-uns sourient dans le vide avec sérénité. Ils sont nus. Une auréole à la tête des premiers qui ont su
prendre la place. Les plus petits en queue.

On passe entre les arbres qui s’inclinent. Les esprits qui se sont réfugiés derrière les étoiles regardent. La curiosité vient de partout. La route s’illumine.

Dans le silence digne, si quelqu’un chante c’est une douce voix qui monte et personne ne rit. La chanson est connue de tous.

On passe devant la maison d’un poète qui n’est pas là. La pluie qui tombait sur son piano, à travers le toit, l’a chassé.

Bientôt, c’est un boulevard bordé de cafés où la foule s’ennuie. Tout le monde se lève. Le cortège a grossi.

Enfin par l’avenue qui monte la file des gens s’éloigne, les derniers paraissent les plus grands. Les premiers ont déjà disparu.

Derrière un monument d’une époque oubliée le soleil se lève en rayons séparés et l’ombre des passants lentement s’efface. Les rideaux sont tirés.

Pierre Reverdy

ET TOUJOURS A PROPOS DU RISQUE EQUESTRE


ET TOUJOURS A PROPOS DU RISQUE EQUESTRE

Démonté et mis au sol je regarde le cheval sans penser lui en vouloir. L’injustice s’adresse toujours aux innocents, s’en étonner serait d’un manque de lucidité total. Il y des forces zodiacales contre lesquelles aucune résistance n’est possible. Les conjugaisons contraires vont s’entendre pour vous tendre la plus belle embuscade qui soit. Pour qui ne cesse de brandir l’espoir et l’amour comme les seules vertus à reconnaître dans un monde de brutes qui piétine et enlaidit le beau sans aucun scrupules, c’est plus honorable que tout. Ne pas succomber à la colère et s’égarer avec les oeillères qui viennent fausser l’entendement

MARCHE FORCÉE

Sur son pied droit brille une très ancienne boucle et sur l’autre, en l’air, la menace. N’approche pas de son domaine où dort tout le passé désagréable. Qui es-tu? Sans
prévoir ce qui devait être, un grand changement s’est produit!

Pour tout le reste, la morale d’autrefois serait un crime, et ne pas y penser une injustice. Jamais désirable, cette âme t’a conduit où tu es mieux, où tu es, mal, ce que tu
seras toujours avec les mêmes fatigues de toi-même, en arrière. C’est ton avance, ce qui te pousse et garde-toi de t’arrêter jamais.

Cependant, chaque jour qui te désespère te soutient. Mais va, le mouvement, le mouvement et pour le repos ta fatigue.

Pierre Reverdy

Remonte en selle et saute la haie, derrière les épines tu n’as pas changé, tu te montres depuis toujours tel que tu es. Aime et vas sans t’arrêter, tu es honnête et sans tromper. La colonne vertébrale est saine de moelle et d’esprit comme le corps.

Niala-Loisobleu – 23 Décembre 2020

TOUJOURS L’AMOUR


TOUJOURS L’AMOUR

Sous les lueurs des plantes rares

les joues roses des cerisiers

les diamants de la distance

Et les perles dont elle se pare

Sous les lustres des flaques tièdes

A travers la campagne hachée

A travers les sommeils tranchés

A travers l’eau et les ornières

les pelouses des cimetières

A travers toi

Au bout du monde

Le monde couru pas à pas

Ton amour sous la roue du soir

A peine la force de ce geste de désespoir

A peine l’eau ridée sur le cours de ton sein

Contre le parapet fragile du destin

J’aime ces flocons blancs de la pensée perdue

dans le vent de l’hiver et le printemps mordu

Mon esprit délivré de ces chaînes anciennes

Et que la rouille a dénouées

Pour me serrer plus fort aujourd’hui dans les tiennes.

Pierre Reverdy