La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
L’iris au bord du rivage Se reflétait dans l’étang, Bel iris sauvage Qui rêves au beau temps. Iris mes beaux yeux Tu parfumes les draps blancs, Iris merveilleux, Iris au bord de l’étang.
Insiste, persiste, essaye encore. Tu la dompteras cette bête aveugle qui se pelotonne. Aujourd’hui des fous et des sots se promènent par la ville. Parole, on les prend pour des sages. L’équilibre et la lucidité sont un des cas de la folie humaine. Insiste, persiste, essaye encore. Connaissant de ton destin ce qu’homme digne du nom doit en connaître. Résolu comme un homme digne de ce nom doit être résolu. Revenu de bien des illusions dans le domaine du rêve et de l’amitié. Rêvant et aimant autant qu’en ta jeunesse, Moins la duperie. Insiste et persiste encore Capable de parler des étoiles et du ciel et de la nuit et du jour, de la mer, des montagnes et des fleuves. Mais plus dupe. Ni désespéré. Moins encore résigné. Dur comme la pierre et t’effritant comme elle. En marche vers la force dont le chemin est aussi celui de la mort Mais résolu à aller aussi loin, aussi longtemps que possible. C’est-à-dire vivre.
malgré la pauvreté, la tristesse du langage vulgaire
Aimer jusqu’au bout comme le dernier chien sans laisse !!!
Niala-Loisobleu.
24 Août 2022
ART POÉTIQUE
PAR
ROBERT DESNOS
Par le travers de la gueule
Ramassée dans la boue et la gadoue
Crachée, vomie, rejetée —
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître —
Déchet, rebut, ordures
Comme le diamant, la flamme et le bleu de ciel
Pas pure, pas vierge
Mais baisée dans tous les coins
baisée enfilée sucée enculée violée
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître
Baiseuse et violatrice
Pas pucelle
Rien de plus sale qu’un pucelage
Ouf! ça y est on en sort
Bonne terre boueuse où je mets le pied
Je suis pour le vent le grand vent et la mer
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître
Ça craque ça pète ça chante ça ronfle
Grand vent tempête cœur du monde
Il n’y a plus de sale temps
J’aime tous les temps j’aime le temps
J’aime le grand vent
Le grand vent la pluie les cris la neige le soleil le feu et
tout ce qui est de la terre boueuse ou sèche
Et que ça croule!
Et que ça pourrisse
Pourrissez vieille chair vieux os
Par le travers de la gueule
Et que ça casse les dents et que ça fasse saigner les gencives
Je suis le vers témoin du souffle de mon maître
L’eau coule avec son absurde chant de colibris
de rossignol et d’alcool brûlant dans une casserole
coule le long de mon corps
Un champignon pourrit au coin de la forêt ténébreuse
dans laquelle s’égare et patauge pieds nus une femme
du tonnerre de dieu Ça pourrit dur au pied des chênes Une médaille d’or n’y résiste pas C’est mou C’est profond Ça cède
Ça pourrit dur au pied des chênes Une lune d’il y a pas mal de temps Se reflète dans cette pourriture Odeur de mort odeur de vie odeur d’étreinte De cocasses créatures d’ombre doivent se rouler et se combattre et s’embrasser ici Ça pourrit dur au pied des chênes Et ça souffle encore plus dur au sommet Nids secoués et les fameux colibris de tout à l’heure Précipités
Rossignols époumonés Feuillage des forêts immenses et palpitantes
Souillé et froissé comme du papier à chiottes
Marées tumultueuses et montantes du sommet
des forêts vos vagues attirent vers le ciel
les collines dodues dans une écume
de clairières et de pâturages veinée de
fleuves et de minerais
Enfin le voilà qui sort de sa bauge
L’écorché sanglant qui chante avec sa gorge à vif
Pas d’ongles au bout de ses doigts
Orphée qu’on l’appelle
Baiseur à froid confident des Sibylles
Bacchus châtré délirant et clairvoyant
Jadis homme de bonne terre issu de bonne graine par
bon vent Parle saigne et crève Dents brisées reins fêles, artères nouées Cœur de rien
Tandis que le fleuve coule roule et saoule de grotesques épaves de péniches d’où coule du charbon Gagne la plaine et gagne la mer Écume roule et s’use Sur le sable le sel et le corail J’entrerai dans tes vagues A la suite du fleuve épuisé Gare à tes flottes!
Gare à tes coraux, à ton sable, à ton sel à tes festins Sorti des murailles à mots de passe Par le travers des gueules Par le travers des dents Beau temps
Pour les hommes dignes de ce nom Beau temps pour les fleuves et les arbres Beau temps pour la mer
Chaque jour de ses dents aiguës Le temps déchire un peu le tain De ce miroir et restitue A l’espace un nouveau butin
La lèpre marque le visage Et masque un retard qui s’éteint Las et las de se reconnaître Chaque soir et chaque matin
Le paysage apparaissant Avec son ciel et son lointain Libère un reflet et invite Narcisse à vivre l’incertain Le limpide, le beau voyage Entre le soir et le matin
Robert Desnos
Mouvements que la mer tient dans ses filets de pêche à vide et remontée plaine
le chat saute d’une fuite à un retour et la fenêtre troue le mur
la jarre garde son contenu sans le changer pour une proposition de passage
puis dépendu de sa ficelle le géranium quitte l’hiver pour la poterie de soleil au feu d’été
Qu’est -ce qui à part le mensonge ne tient pas la route bien que la prenant à chaque coin du matin ?
Les heures où j’entendais ta plume gratter pendant que tu traversais le noir ont obtenues la lumière méritée
Artiste c’est le seul métier où le tain de Narcisse est d’un pâle létal et pourtant que de cierges s’en allument
Le pied de l’arbre n’a rien perdu de la vigueur que nous lui avons transfusé, à un instant du sourire de la pluie d’aujourd’hui je jurerai qu’il a en corps grossi.
Qui donc pourrait me voir Moi la flamme étrangère L’anémone du soir Fleurit sous mes fougères
Ô fougères mes mains Hors l’armure brisée Sur le bord des chemins En ordre sont dressées
Et la nuit s’exagère au brasier de la rouille Tandis que les fougères Vont aux écrins de houille
L’anémone des cieux Fleurit sur mes parterres Fleurit encore aux yeux À l’ombre des paupières
Anémone des nuits qui plonge ses racines Dans l’eau creuse des puits, Aux ténèbres des mines
Poseraient-ils leurs pieds Sur le chemin sonore où se niche l’acier Aux ailes de phosphore
Verraient-ils les mineurs Constellés d’anthracite Paraître l’astre en fleur Dans un ciel en faillite
En cet astre qui luit S’incarne la sirène L’anémone des nuits fleurit sur son domaine
Alors que s’ébranlaient avec des cris d’orage Les puissances Vertige au verger des éclairs La sirène dardée à la proue d’un sillage Vers la lune chanta la romance de fer
Sa nage déchirait l’hermine des marées Et la comète errant rouge sur un ciel noir Paraissait par mirage aux étoiles ancrées L’anémone fleurie aux jardins des miroirs
Et parallèlement la double chevelure Rayait de feu le ciel et d’écume les eaux Fougères surgissez hors de la déchirure Par où l’acier saigna sur le fil des roseaux
Nulle armure jamais ne valut votre angoisse Fougères pourrissant parmi nos souvenirs Mais vous charbonnerez longtemps sous nos cuirasses Avant la flamme où se cabrant pour mieux hennir
Le cheval vieux cheval de retour et de rêve Vers les champs clos emportera nos ossements Avant l’onde roulant notre cœur sur la grève Où la sirène dort sous un soleil clément
L’anémone fleurit partout sous les carènes Déchirées aux récifs dans l’herbe des forêts Dans le train des miroirs sur les parquets d’ébène Et surtout dans nos cœurs palpitant sans arrêt
C’est le joyau serti au vif des nébuleuses L’orgueil des voies lactées et des constellations La prunelle qui met au regard des plus gueuses Le diamant de fureur et de consolation
Heureuse de nager loin des hauts promontoires Parmi les escadrons de requins fraternels La sirène aux seins durs connaît maintes histoires Et l’accès des trésors à l’ombre des tunnels
Mais ni l’or reluisant dans les fosses marines Ni les clefs retrouvées des légendes du port Ne la charment autant que d’ouvrir les narines Aux vents salés plus lourds des parfums de la mort
C’était par un soir de printemps d’une des années perdues à l’amour D’une des années gagnées à l’amour pour jamais Souviens-toi de ce soir de pluie et de rosée où les étoiles devenues comètes tombaient vers la terre La plus belle et la plus fatale la comète de destin de larmes et d’éternels égarements S’éloignait de mon ciel en se reflétant dans la mer Tu naquis de ce mirage Mais tu t’éloignas avec la comète et ta chanson s’éteignit parmi les échos Devait-elle ta chanson pour jamais Est-elle morte et dois-je la chercher dans le chœur tumultueux des vagues qui se brisent Ou bien renaîtra-t-elle du fond des échos et des embruns Quand à jamais la comète sera perdue dans les espaces Surgiras-tu mirage de chair et d’os hors de ton désert de ténèbres Souviens-toi de ce paysage de minuit de basalte et de granit 0ù détachée du ciel une chevelure rayonnante s’abattit sur tes épaules Quelle rayonnante chevelure de sillage et de lumière Ce n’est pas en vain que tremblent dans la nuit les robes de soie Elles échouent sur les rivages venant des profondeurs Vestiges d’amours et de rivages où l’anémone refuse de s’effeuiller De céder à la volonté des flots et des destins végétaux À petits pas la solitaire gagne alors un refuge de haut parage Et dit qu’il est mille regrets à l’horloge Non ce n’est pas en vain que palpitent ces robes mouillées Le sel s’y cristallise en fleurs de givre Vidées des corps des amoureuses Et des mains qui les enlaçaient Elles s’enfuient des gouffres tubéreuses Laissant aux mains malhabiles qui les laçaient Les cuirasses d’acier et les corsets de satin N’ont elles pas senti la rayonnante chevelure d’astres Qui par une nuit de rosée tomba en cataractes sur tes épaules Je l’ai vue tomber Tu te transfiguras Reviendras-tu jamais des ténèbres Nue et plus triomphante au retour de ton voyage Que l’enveloppe scellée par cinq plaies de cire sanglante Ô les mille regrets n’en finiront jamais D’occuper cette horloge dans la clairière voisine Tes cheveux de sargasse se perdent Dans la plaine immense des rendez-vous manqués
Sans bruit au port désert arrivent les rameurs Qui donc pourrait te voir toi l’amante et la mère Incliner à minuit sur le front du dormeur L’anémone du soir fleurie sous tes paupières
Baiser sa bouche close et baiser ses yeux clos Incliner sur son front l’immense chevelure Bérénice de l’ombre ah ! retourne à tes flots Sirène avant que l’aube ouvre ses déchirures
Une steppe naîtra de l’écume atlantique Du clair de lune et de la neige et du charbon où nous emportera la licorne magique Vers l’anémone éclose au sein des tourbillons
Tempête de suie nuage en forme de cheval Ah malheur ! Sacré nom de Dieu ! La nuit naufrage La nuit ? Voici sonner les grelots ! Carnaval Ferme l’œil ! En vérité le bel équipage
Et dans ce ciel suintant des barriques des docks Soudain brusquement s’interrompent les rafales Quand la sirène avec l’aurore atteint les rocs L’anémone du ciel est la fleur triomphale
C’est elle qui dresse au-dessus des volcans Jette une lueur blafarde à travers la campagne C’est l’aile du vautour le cri du pélican C’est le plan d’évasion qui fait sortir du bagne
C’est le reflet qui tremble aux vitres des maisons Le sang coagulé sur les draps mortuaires C’est un voile de deuil pourri sur le gazon C’est la robe de bal découpée dans un suaire
C’est l’anathème et l’insulte et le juron C’est le tombeau violé les morts à la voirie La vérole promise à trois générations Et c’est le vitriol jeté sur les soieries
C’est le bordel du Christ le tonnerre de Brest C’est le crachat le geste obscène vers la vierge C’est un peuple nouveau apparaissant à l’est C’est le poignard le poison ce sont les verges
C’est l’inverti qui se soumet et s’agenouille Le masochiste qui se livre au martinet Le scatophage hideux au masque de gargouille Et la putain furonculeuse aux yeux punais
C’est l’étreinte écœurante avec la femme à barbe C’est le ciel reflété par un œil de lépreux C’est le châtré qui se dénude sous les arbres Et l’amateur d’urine au sourire visqueux
C’est l’empire des sens anémone l’ivresse Et le sulfure et la saveur d’un sang chéri La légitimité de toutes les caresses Et la mort délicieuse entre des bras flétris
Pluie d’étoiles tombez parmi les chevelures Je veux un ciel tout nu sur un globe désert où des brouillards mettront une robe de bure aux mortes adorées pourrissant hors de terre
Adieu déjà parmi les heures de porcelaine Regardez le jour noircit au feu qui s’allume dans l’âtre Regardez encore s’éloigner les herbes vivantes Et les femmes effeuillant 1a marguerite du silence Adieu dans la boue noire des gares Dans les empreintes de mains sur les murs Chaque fois qu’une marche d’escalier s’écroule un timide enfant paraît à la fenêtre mansardée Ce n’est plus dit-il le temps des parcs feuillus J’écrase sans cesse des larves sous mes pas Adieu dans le claquement des voiles Adieu dans le bruit monotone des moteurs Adieu ô papillons écrasés dans les portes Adieu vêtements souillés par les jours à trotte-menu
Perdus à jamais dans les ombres des corridors Nous t’appelons du fond des échos de la terre, Sinistre bienfaiteur anémone de lumière et d’or Et que brisé en mille volutes de mercure Éclate en braises nouvelles à jamais incandescentes L’amour miroir qui sept ans fleurit dans ses fêlures Et cire l’escalier de la sinistre descente Abîme nous t’appelons du fond des échos de la terre Maîtresse généreuse de la lumière de l’or et de la chute Dans l’écume de la mort et celle des Finistères Balançant le corps souple des amoureuses Dans les courants marqués d’initiales illisibles Maîtresse sinistre et bienfaisante de la perte éternelle Ange d’anthracite et de bitume Claire profondeur des rades mythologie des tempêtes eau purulente des fleuves eau lustrale des pluies et des rosées Créature sanglante et végétale des marées
Du marteau sur l’enclume au couteau de l’assassin Tout ce que tu brises est étoile et diamant Ange d’anthracite et de bitume Éclat du noir orfraie des vitrines Des fumées lourdes te pavoisent quand tu poses les pieds Sur les cristaux de neige qui recouvrent les toits
Haletant de mille journaux flambant après une nuit d’encre fraîche Les grands mannequins écorchés par l’orage Nous montrent ce chemin par où nul n’est venu
Où donc est l’oreiller pour mon front fatigué Où donc sont les baisers où donc sont les caresses Pour consoler un cœur qui s’est trop prodigué où donc est mon enfant ma fleur et ma détresse
Me pardonnant si des brouillards bandent mes yeux Si j’ai l’air d’être ailleurs si j’ai l’air un autre Me pardonnant de croire au noir au merveilleux D’avoir des souvenirs qui ne soient pas les nôtres
Pardonnant mon passé mon cœur mes cicatrices D’avoir parcouru seul d’émouvantes contrées D’avoir été tenté par des voix tentatrices Et de ne pas l’avoir plus vite rencontrée
Saurait-elle oublier mes rêves d’autrefois Les fortunes perdues et les larmes versées L’étoile sans merci brillant au fond des bois Et les désirs meurtris en des nuits insensées
Et ces phrases tordues comme notre amour même Et que je murmurais lorsque minuit blafard Posait ses maigres doigts sur des visages blêmes Séchant les yeux mouillés et barbouillant les fards
Dans ces temps-là le ciel était lourd de ténèbres Le sonore minuit conduisait vers mon lit Des visiteuses sans pitié et plus funèbre Que la mort l’anémone évoquait la folie
Les fleurs qui s’effeuillaient sur les fruits de l’automne Laissèrent leurs parfums aux fleurs des compotiers Et sur le fût tronqué des anciennes colonnes Le sel des vents marins mit des lueurs de glaciers
Et longtemps ces parfums orgueil des porcelaines Flotteront dans la paix des salles à manger Et les cristaux de sel brilleront dans la laine Des grands manteaux flottants que portent les bergers
Mes baisers rejoindront les larmes qui vont naître Ils rejoindront la solitude sans pitié Les vents marins soufflant sur les chaumes sans maîtres Et les parfums mourants au fond des compotiers
Je suis marqué par mes amours et pour la vie Comme un cheval sauvage échappé aux gauchos Qui retrouvant la liberté de la prairie Montre aux juments ses poils brûlés par le fer chaud
Tandis qu’au large avec de grands gestes virils La sirène chantant vers un ciel de carbone au milieu des récifs éventreurs de barils, au cœur des tourbillons fait surgir l’anémone
Le trois nivôse an II de la République Roger se dressa sur son lit. Des têtes de nègres mugissaient sur les fleuves et l’on suspendait le clergé français par les pieds aux lampadaires de l’avenue de l’Opéra.
Debout Roger s’écria :
« Je m’appelle Robert Desnos la plume au vent c’est la honte des femmes fécondées. Écoutez écoutez la Marseillaise qui porte vers les frontières un petit peu de vinaigre et du feu central.
Allons Patrie mort des enfants
L’arrivée n’est pas la gloire des tyrans
que tu baises au front levé des étendards
Marchons marchons
Que du sillon sorte le sang. »
Trois carriéristes lui passèrent sa chemise, son fin caleçon de soie sa veste de velours à côtes, son casque, son sabre, ses allumettes, son mouchoir et un petit drapeau en cas de grand besoin. Quand il fut prêt il fit à l’historien habituel de sa famille la sanglante histoire transcrite ci-après.
« Volontaire de l’an II je suis monté sur l’estrade dressée place de la Révolution. Des messieurs en redingote s’y tenaient enrubannés de soie tricolore comme des moutons de comice agricole. Un petit vieux en avait fait des papillotes. Les autres s’étaient contentés d’orner leurs oreilles pour réparer l’irréparable surdité de leur sexe. Un tambour battait smistrement au bas des marches. Sur un calicot on lisait « La Patrie est en danger ». C’est alors que devant la marche triomphale de l’ennemi, de l’ennemi abhorre, détrousseur de filles et voleur de pendules, de l’ennemi dont le ventre était Brunswick et la tête Goethe, c’est alors que les jeunes gens de seize ans et les vieillards se disputèrent la gloire de marcher vers un honorable trépas. Les campagnes alors étaient parsemées de drapeaux.
Au bas des marches ronflaient les tambours. Les pères et les fils, les larmes aux yeux, à l’idée de la patrie relevaient leurs pantalons longs jusqu’au-dessus des genoux et ils montaient vers les vieillards. Ceux-ci leur donnaient des livres reliés de toile reuge et dorés sur tranche, des couronnes de lauriers en papier doré, des livrets de caisse d’épargne. De joie la populace.s’enivrait dans les faubourgs. Mais moi ma couronne sur la tête, mon livret de caisse d’épargne dans ma poche, je me cachais pour lire le livre qu’on m’avait donné.
Le titre était « Sauve qui peut. »
« Un jour, commençait l’auteur, je rencontrai sur une route une femme merveilleuse elle avait des seins de poissons et ses yeux murmuraient à l’âme des choses impondérables. Mon père que ce commerce intriguait, dépensa sa fortune à provoquer des accidents de chemin de fer pour causer la mort de la belle inconnue. Peine perdue ils s’épousèrent et leur fils, fils de ma maîtresse fut spécialement dressé par un orang-outang à repriser mes chaussettes et à provoquer des courts-circuits buccaux dans mon individu… »
J’aurais continué cette poétique lecture si Robespierre n’avait posé sa main sur mon épaule. Nous étions sur une colline. Il me montra l’oeuvre de la Guillotine. Quatre cent mille têtes jonchaient les marais. Des femmes leur suçaient la cervelle. Fou de joie à ce spectacle j’embrassai Robespierre. Il posa sur moi un long regard triste et doux, m’étreignit sur sa poitrine et, avant de se dissoudre en fumée odorante de cigarette anglaise il me dit :
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