l’IRIS PAR ROBERT DESNOS


L’IRIS

PAR

ROBERT DESNOS

L’iris au bord du rivage
Se reflétait dans l’étang,
Bel iris sauvage
Qui rêves au beau temps.
Iris mes beaux yeux
Tu parfumes les draps blancs,
Iris merveilleux,
Iris au bord de l’étang.

Robert Desnos

Recueil : « Chantefleurs »

Et avec ça, Madame ? Robert Desnos


Et avec ça, Madame ?

Robert Desnos

Insiste, persiste, essaye encore.
Tu la dompteras cette bête aveugle qui se pelotonne.
Aujourd’hui des fous et des sots se promènent par la ville.
Parole, on les prend pour des sages.
L’équilibre et la lucidité sont un des cas de la folie humaine.
Insiste, persiste, essaye encore.
Connaissant de ton destin ce qu’homme digne du nom doit en connaître.
Résolu comme un homme digne de ce nom doit être résolu.
Revenu de bien des illusions dans le domaine du rêve et de l’amitié.
Rêvant et aimant autant qu’en ta jeunesse,
Moins la duperie.
Insiste et persiste encore
Capable de parler des étoiles et du ciel et de la nuit et du jour, de la mer,
des montagnes et des fleuves.
Mais plus dupe.
Ni désespéré.
Moins encore résigné.
Dur comme la pierre et t’effritant comme elle.
En marche vers la force dont le chemin est aussi celui de la mort
Mais résolu à aller aussi loin, aussi longtemps que possible.
C’est-à-dire vivre.

Robert Desnos

« LE PASSE-MURAILLE » – NIALA 2022 – ACRYLIQUE S/TOILE 61X50


NIALA

« LE PASSE-MURAILLE »

NIALA 2022

ACRYLIQUE S/TOILE 61X50

Mes mots-peints pour la poésie

pour que rien n’arrête sa joie de vivre

malgré la pauvreté, la tristesse du langage vulgaire

Aimer jusqu’au bout comme le dernier chien sans laisse !!!

Niala-Loisobleu.

24 Août 2022

ART POÉTIQUE

PAR

ROBERT DESNOS

Par le travers de la gueule

Ramassée dans la boue et la gadoue

Crachée, vomie, rejetée —

Je suis le vers témoin du souffle de mon maître —

Déchet, rebut, ordures

Comme le diamant, la flamme et le bleu de ciel

Pas pure, pas vierge

Mais baisée dans tous les coins

baisée enfilée sucée enculée violée

Je suis le vers témoin du souffle de mon maître

Baiseuse et violatrice

Pas pucelle

Rien de plus sale qu’un pucelage

Ouf! ça y est on en sort

Bonne terre boueuse où je mets le pied

Je suis pour le vent le grand vent et la mer

Je suis le vers témoin du souffle de mon maître

Ça craque ça pète ça chante ça ronfle

Grand vent tempête cœur du monde

Il n’y a plus de sale temps

J’aime tous les temps j’aime le temps

J’aime le grand vent

Le grand vent la pluie les cris la neige le soleil le feu et

tout ce qui est de la terre boueuse ou sèche

Et que ça croule!

Et que ça pourrisse

Pourrissez vieille chair vieux os

Par le travers de la gueule

Et que ça casse les dents et que ça fasse saigner les gencives

Je suis le vers témoin du souffle de mon maître

L’eau coule avec son absurde chant de colibris

de rossignol et d’alcool brûlant dans une casserole

coule le long de mon corps

Un champignon pourrit au coin de la forêt ténébreuse

dans laquelle s’égare et patauge pieds nus une femme

du tonnerre de dieu Ça pourrit dur au pied des chênes
Une médaille d’or n’y résiste pas
C’est mou
C’est profond Ça cède

Ça pourrit dur au pied des chênes
Une lune d’il y a pas mal de temps
Se reflète dans cette pourriture
Odeur de mort odeur de vie odeur d’étreinte
De cocasses créatures d’ombre doivent se rouler et se combattre et s’embrasser ici Ça pourrit dur au pied des chênes
Et ça souffle encore plus dur au sommet
Nids secoués et les fameux colibris de tout à l’heure
Précipités

Rossignols époumonés
Feuillage des forêts immenses et palpitantes

Souillé et froissé comme du papier à chiottes

Marées tumultueuses et montantes du sommet

des forêts vos vagues attirent vers le ciel

les collines dodues dans une écume

de clairières et de pâturages veinée de

fleuves et de minerais

Enfin le voilà qui sort de sa bauge

L’écorché sanglant qui chante avec sa gorge à vif

Pas d’ongles au bout de ses doigts

Orphée qu’on l’appelle

Baiseur à froid confident des
Sibylles

Bacchus châtré délirant et clairvoyant

Jadis homme de bonne terre issu de bonne graine par

bon vent
Parle saigne et crève
Dents brisées reins fêles, artères nouées
Cœur de rien

Tandis que le fleuve coule roule et saoule de grotesques épaves de péniches d’où coule du charbon
Gagne la plaine et gagne la mer Écume roule et s’use
Sur le sable le sel et le corail
J’entrerai dans tes vagues
A la suite du fleuve épuisé
Gare à tes flottes!

Gare à tes coraux, à ton sable, à ton sel à tes festins
Sorti des murailles à mots de passe
Par le travers des gueules
Par le travers des dents
Beau temps

Pour les hommes dignes de ce nom
Beau temps pour les fleuves et les arbres
Beau temps pour la mer

Restent l’écume et la boue

Et la joie de vivre

Et une main dans la mienne

Et la joie de vivre

Je suis le vers témoin du souffle de mon maître.

Robert Desnos

LE MIROIR ET LE MONDE


LE MIROIR ET LE MONDE

Chaque jour de ses dents aiguës
Le temps déchire un peu le tain
De ce miroir et restitue
A l’espace un nouveau butin

La lèpre marque le visage
Et masque un retard qui s’éteint
Las et las de se reconnaître
Chaque soir et chaque matin

Le paysage apparaissant
Avec son ciel et son lointain
Libère un reflet et invite
Narcisse à vivre l’incertain
Le limpide, le beau voyage
Entre le soir et le matin

Robert Desnos

Mouvements que la mer tient dans ses filets de pêche à vide et remontée plaine

le chat saute d’une fuite à un retour et la fenêtre troue le mur

la jarre garde son contenu sans le changer pour une proposition de passage

puis dépendu de sa ficelle le géranium quitte l’hiver pour la poterie de soleil au feu d’été

Qu’est -ce qui à part le mensonge ne tient pas la route bien que la prenant à chaque coin du matin ?

Les heures où j’entendais ta plume gratter pendant que tu traversais le noir ont obtenues la lumière méritée

Artiste c’est le seul métier où le tain de Narcisse est d’un pâle létal et pourtant que de cierges s’en allument

Le pied de l’arbre n’a rien perdu de la vigueur que nous lui avons transfusé, à un instant du sourire de la pluie d’aujourd’hui je jurerai qu’il a en corps grossi.

Niala-Loisobleu – 8 Janvier 2022

IDENTITE DES IMAGES


IDENTITE DES IMAGES

Depuis peu de temps peut-être dix heures sont passées l’une après l’autre

Je me bats avec fureur contre des animaux et des bouteilles

La belle nageuse qui avait peur du corail ce matin s’éveille

Le corail couronné de houx frappe à sa porte

Ah! encore le charbon toujours le charbon

Je t’en conjure charbon génie tutélaire du rêve et de ma solitude laisse-moi laisse-moi parler encore de la belle nageuse qui avait peur du corail

Ne tyrannise plus ce séduisant sujet de mes rêves

La belle nageuse reposait dans un
Ut de dentelles et d’oiseaux

Les vêtements sur une chaise au pied du lit étaient illuminés par les lueurs les dernières lueurs du charbon

Celui-ci venu des profondeurs du ciel de la terre et de la mer était fier de son bec de corail et de ses grandes ailes de crêpe

Il avait toute la nuit suivi des enterrements divergents vers des cimetières suburbains

Il avait assisté à des bals dans les ambassades marqué

de son empreinte une feuille de fougère des robes de

satin blanc
Il s’était dressé terrible à l’avant des navires et les navires

n’étaient pas revenus
Maintenant tapi dans la cheminée il guettait le réveil

de l’écume et le chant des bouilloires
Son pas retentissant avait troublé le silence des nuits

dans les rues aux pavés sonores
Charbon sonore charbon maître du rêve charbon
Ah dis-moi où est-elle cette belle nageuse cette nageuse

qui avait peur du corail?
Mais la nageuse elle-même s’est rendormie
Et je reste face & face avec le feu et je resterai la nuit

durant à interroger le charbon aux ailes de ténèbres

qui persiste à projeter sur mon chemin monotone

l’ombre de ses fumées et le reflet terrible de ses

braises
Charbon sonore charbon impitoyable charbon.

Robert Desnos

Ainsi fut ma nuit, anthracite, grisou qui souffle la lampe et asphyxie le poisson à le flotter en surface

Epelant ses trois syllabes à la défense

comme le sabre à amputer la pieuvre au sortir de son trou

parvenu au rivage je ne vois rien de mieux à faire, que citer l’image de Desnos pour projeter le film d’horreur dans son placard

Fracas de tonnerre posés sur les vagues, du brouillard que l’horizon souffle aux vitres j’embarque l’encre à bord

pour rincer les effets détestables des marées noires

afin de repeindre les mots en ambassade de l’amor à l’aide du médium de vie.

Niala-Loisobleu – 14 Septembre 2021

RROSE SÉLAVY PAR ROBERT DESNOS


Robert Desnos

RROSE SÉLAVY PAR ROBERT DESNOS

Dans un temple en stuc de pomme le pasteur dis-tillait le suc des psaumes.

.
Rrose
Sélavy demande si les
Fleurs du
Mal ont modulé les mœurs du phalle : qu’en pense
Omphale?

.
Voyageurs, portez des plumes de paon aux filles de
Pampelune.

.
La solution d’un sage est-elle la pollution d’un page?

.
Je vous aime, ô beaux hommes vêtus d’opossum.

Question aux astronomes:

.
Rrose
Sélavy inscrira-t-elle longtemps au cadran des astres le cadastre des ans?


O mon crâne, étoile de nacre qui s’étiole.

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Au pays de
Rrose
Sélavy on aime les fous et les loups sans foi ni loi

.
Suivrez-vous
Rrose
Sélavy au pays des nombres décimaux où il n’y a décombres ni maux?

zo.
Rrose
Sélavy se demande si la mort des saisons fait tomber un sort sur les maisons.

.
Fassez-moi mon arc berbère, dit le monarque – barbare.

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Les planètes tonnantes dans le del enrayent les cailles amoureuses des plantes étonnantes aux feuilles d’écaillé cultivées par
Rrose
Sélavy.

.
Rrose
Sélavy connaît bien le marchand du seL

Êpitaphe :

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Ne tourmentez plus
Rrose
Sélavy, car mon génie est énigme.
Caron ne le déchiflre pas.

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Perdue sur la mer sans fin,
Rrose
Sélavy mangera-t-elie du fer après avoir mangé ses mains?

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Aragon recueille in extremis l’âme d’Aramis sur un lit d’estragon.

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André
Breton ne s’habille pas en mage pour combattre l’image de l’hydre du tonnerre qui brame sur un mode amer.

.
Francis
Picabia l’ami des castors
Fut trop franc d’être un jour picador
A
Cassis en ses habits d’or.

.
Rrose
Sélavy voudrait bien savoir si l’amour, cetie colle à mouches, rend plus dures les molles couches.

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Pourquoi votre incarnat est-il devenu si terne, petite fille, dans cet internat où votre œil se cerna?

.
Au virage de la course au rivage, voici le secours de
Rrose
Sélavy.

.
Rrose
Sélavy peut revêtir la bure du bagne, elle a une monture qui franchit les montagnes.

.
Rrose
Sélavy décerne la palme sans l’éclat du martyre à
Lakmé bergère en
Beauce figée dans le calme plat du métal appelé beauté.

.
Croyez-vous que
Rrose
Sélavy connaisse ces jeux de fous qui mettent le feu aux joues?

.
Rrose
Sélavy, c’est peut-être aussi ce jeune apache qui de la paume de sa main colle un pain à sa môme.

.
Est-ce que la caresse des putains excuse la paresse des culs teints?

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Le temps est un aigle agile dans un temple.

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Qu’arrivera-t-il si
Rrose
Sélavy, un soir de
Noël, s’en va vers le piège de la neige et du pôle?

Ah! meurs, amour!

.
Quel hasard me fera découvrir entre mille l’ami plus fugitif que le lézard?

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Un prêtre de
Savoie déclare que le déchet des calices est marqué du cachet des délices : met-il de la malice dans ce match entre le ciel et lui?

.
Voici le cratère où le
Missouri prend sa source et la cour de
Sara son mystère.

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Nomades qui partez vers le nord, ne vous arrêtez pas au port pour vendre vos pommades.

.
Dans le sommeil de
Rrose
Sélavy il y a tu» nain sorti d’un puits qui vient manger son pain, la nuit.

.
Si le silence est d’or,
Rrose
Sélavy abaisse ses cils et s’endort.

.
Debout sur la carène, le poète cherche une rime et croyez-vous que
Rrose
Sélavy soit la reine du crime?

.
Au temps où les caravelles accostaient
La
Havane, les caravanes traversaient-elles
Laval?

Question d’Orient:

.
A
Sainte
Sophie, sur un siège de liège, s’assied la folie.

.
Rrose
Sélavy propose que la pourriture des passions devienne la nourriture des nations.

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Quelle est donc cette marée sans cause dont l’onde amère inonde l’âme acérée de
Rrose?

.
Benjamin
Péret ne prend jamais qu’un bain par an.

.
Paul Éluard : le poète élu des draps.

Êpitaphe pour
Apollinaire:

.
Pleurez de nénies, géants et génies, au seuil du néant.

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Amoureux voyageur sur la carte du tendre, pourquoi nourrir vos nuits d’une tarte de cendre?

Martyre de saint
Sébastien:

.
Mieux que ses seins ses bas se tiennent.

.
Rrose
Sélavy a visité l’archipel où la reine
Irène-sur-les-Flots de sa rame de frêne gouverne ses flots.


From
Everest mountain
I am falling dovm to your feet for ever,
Mrs.
Everling.

.
André
Breton serait-il déjà condamné à la tâche de tondre en enfer des chats d’ambre et de jade?


Rrose
Sélavy vous engage à ne pas prendre les verrues des seins pour les vertus des saintes.

.
Rrcse
Sélavy n’est pas persuadée que la culture du moi puisse amener la moiteur du cul.

.
Rrose
Sélavy s’étonne que de la contagion des reliques soit née la religion catholique.

.
Possédé d’un amour sans frein, le prêtre savoyard jette aux rocs son froc pour soulager ses reins.

Devise de
Rrose
Sélavy:

.
Plus que poli pour être honnête
Plus que poète pour être honni

.
Oubliez les paraboles absurdes pour écouter de
Rrose
Sélavy les sourdes paroles.

Epiphanie :

.
Dans la nuit fade les rêves accostent à la rade pour décharger des fèves.

.
Au paradis des diamants les carats sont des amants et la spirale est en cristaL

.
Les pommes de
Rome ont pour les pages la saveur de la rage qu’y imprimèrent les dents des
Mores.

.
Lancez les fusées, les races à faces rusées sont usées!

.
Rrose
Sélavy proclame que le miel de sa cervelle est la merveille qui aigrit le fiel du ciel.

.
Aux agapes de
Rrose
Sélavy on mange du pâté de pape dans une sauce couleur d’agate.

.
Apprenez que la geste célèbre de
Rrose
Sélavy est inscrite dans l’algèbre céleste.

.
Habitants de
Sodome, au feu du ciel préférez le fiel de la queue.

.
Tenez bien la rampe, rois et lois qui descendez à la cave sans lampe.

.
Morts férus de morale, votre tribu attend-elle toujours un tribunal?

.
Rrose
Sélavy affirme que la couleur des nègres est due au tropique du cancer.

.
Beaux corps sur les billards, vous serez peaux sur les corbillards!

.
Du palais des morts les malaises s’en vont par toutes les portes.

.
Rocambole de son cor provoque le carnage, puis carambole du haut d’un roc et s’échappe à la nage.

.
De cirrhose du foie meurt la foi du désir de
Rrose.

.
Amants tuberculeux, ayez des avantages phtisiques.


Rrose
Sélavy au seuil des deux porte le deuil des dieux.

.
Les orages ont pu passer sur
Rrose
Sélavy, c’est sans rage qu’elle atteint l’âge des oranges.

.
Ce que
Baron aime, c’est le bâillon sur l’arme!

.
Les idées de
Morise s’irisent d’un charme démodé.

.
Simone dans le silence provoque le heurt des lances des démones.

.
Les yeux des folles sont sans fard.
Elles naviguent dans des yoles, sur le feu, pendant des yards, pendant des yards.

.
Le mépris des chansons ouvre la prison des méchants.

.
Le plaisir des morts, c’est de moisir à plat.

.
Aimez, gens,
Janine, la fleur d’hémérocalle est si câline.

.
Sur quel pôle la banquise brise-t-elle le bateau des poètes en mille miettes?

.
Rrose
Sélavy sait bien que le démon du remords ne peut mordre le monde.

.
Rrose
Sélavy nous révèle que le râle du monde est la ruse des rois mâles emportés par la ronde de la muse des mois.

Dictionnaire
La
Rrose :

.
Latinité —
Les cinq nations latines.
La
Trinité —
L’émanation des latrines.

.
Nul ne connaîtrait la magie des boules sans la bougie des mâles.

.
Dans un lac d’eau minérale
Rrose
Sélavy a noyé la câline morale.

.
Rrose
Sélavy glisse le cœur de
Jésus dans le jeu des
Crésus.

Conseil aux catholiques :

.
Attendez sagement le jour de la foi où la mort vous fera jouir de la faux.

.
Au fond d’une mine
Rrose
Sélavy prépare la fin du monde.

.
La jolie sœur disait : «
Mon droit d’aînesse pour ton doigt,
Ernest. »

.
Cravan se hâte sur la rive et sa cravate joue dans le vent.

.
Dans le ton rogue de
Vaché il y avait des paroles qui se brisaient comme les vagues sur les rochers.

.
Faites l’Aumône aux riches, puis sculptez dans la roche le simulacre de
Simone.

Question :

.
Cancer mystique, chanteras-tu longtemps ton cantique au mystère?

Réponse :

.
Ignores-tu que ta misère se pare comme une reine de la traîne de ce mystère?

.
La mort dans les flots est-elle le dernier mot des forts?

.
L’acte des sexes est l’axe des sectes.

.
Le suaire et les ténèbres du globe sont plus suaves que la gloire.

.
Frontières qui serpentez sur les cimes, vous n’entourez pas les cimetières abrités par nos fronts.

.
Les caresses de demain nous révéleront-elles le carmin des déesses ?

.
Le parfum des déesses berce la paresse des défunts.

.
La milice des déesses se préoccupe peu des délices de la messe.

.
A son trapèze
Rrose
Sélavy apaise la détresse des déesses.

.
Les vestales de la
Poésie vous prennent-elles pour des vessies, ô
Pétales !

.
Images de l’amour, poissons, vos baisers sans poison me feront-ils baisser les yeux ?

.
Dans le pays de
Rrose
Sélavy les mâles font la guerre sur la mer.
Les femelles ont la gale.

.
A tout miche, pesez
Ricord.

.
Mots, êtes-vous des mythes et pareils aux myrtes des morts?

.
L’argot de
Rrose
Sélavy, n’est-ce pas l’art de transformer en cigognes les cygnes?

.
Les lois de nos désirs sont des dés sans loisir.

lia
Héritiers impatients, conduisez vos ascendants à la chambre des tonnerres.

m.
Je vis où ta vis, voyou dont k visage est le charme des voyages.

.
Phalange des anges, aux angélus préférez les phallus.

.
Connaissez-vous la jolie faune de la folie? —
Elle est jaune.

.
Votre sang charrie-t-il des grelots au gré de vos sanglots?

.
La piété dans le dogme consiste-t-elle à prendre les dogues en pitié?

.
Le char de la chair ira-t-il loin sur ce chemin si long?

.
Qu’en pensent les cocus?

Recette culinaire : plutôt que
Madeleine l’apotro-phage, femmes! imitez la vierge cornivore.

.
Corbeaux qui déchiquetez le flanc des beaux corps, quand éteindrez-vous les flambeaux?

.
Prométhée moi l’amour!

.
O ris cocher des flots!
Auriç, hochet des flots au ricochet des flots.

.
L’espèce des folles aime les fioles et les pièces fausses.

Définition de la poésie pour :

.
Louis
Aragon :
A la margelle des âmes écoutez les gammes jouer à la marelle.

.
Benjamin
Péret :
Le ventre de chair est un centre de vair.

.
Tristan
Tzara :
Quel plus grand outrage à la terre qu’un ouvrage de ! v^^
I ?
Qu’en dis-tu, ver de terre?

.
Max
Emst :
La boule rouge bouge et roule.

.
Max
Morise :
A figue dolente, digue affolante.

.
Georges
Aurie :
La portée des muses, n’est-ce pas la mort duvetée derrière la porte des musées?

.
Philippe
Soupaidt :
Les oies et les zébus sont les rois de ce rébus.

.
Roger
Vitrac :
Il ne faut pas prendre le halo de la lune à l’eau pour le chant « allô » des poètes comme la lune.

.
Georges
Limbour ;
Pour les
Normands le
Nord ment.

.
Francis
Picabia :
Les chiffres de bronze ne sont-ils que des bonzes de chiffes : j’ai tué l’autre prêtre, êtes-vous prête,
Rrose
Sélavy?

.
Marcel
Ducliamp :
Sur le chemin, il y avait un bœuf bleu près d’un banc blanc.
Expliquez-moi la raison des gants blancs, maintenant?

.
G. de
Chirico :
Vingt fois sur le métier remettez votre outrage.

.
Quand donc appellerez-vous
Prétéritions,
Paul Éluard, les
Répétitions?

*-
O laps des sens, gage des années aux pensées sans langage.

.
Fleuves! portez au
Mont-de-Piété les miettes de pont.


Les joues des fées se brûlent aux feux de joies.

.
Le mystère est l’hystérie des mortes sous les orties.

.
Dans le silence des cimes,
Rrose
Sélavy regarde en riant la science qui lime.

.
Nos peines sont des peignes de givre dans des cheveux ivres.

.
Femmes! faux chevaux sous vos cheveux de feu.

.
Dites les transes de la confusion et non pas les contusions de la
France.

.
De quelle plaine les reines de platine monteront-elles dans nos rétines?

.
La peur, c’est une hanche pure sous un granit ingrat.

.
Les menteurs et les rhéteurs perdent leurs manches dans le vent rêche quand les regarde
Alan
Ray.

.
Si vous avez des peines de cœur, amoureux, n’ayez plus peur de la
Seine.

.
A cœur payant un rien vaut cible.

.
Plus fait violeur que doux sens.

.
Jeux de mots jets mous.

.
Aimable souvent est sable mouvant.

Robert Desnos

« ANEMONE » – NIALA 2021 – ACRYLIQUE S/TOILE 116X81


« ANEMONE »

NIALA

2021

ACRYLIQUE S/TOILE 116X81

Sirène-Anémone

Qui donc pourrait me voir
Moi la flamme étrangère
L’anémone du soir
Fleurit sous mes fougères

Ô fougères mes mains
Hors l’armure brisée
Sur le bord des chemins
En ordre sont dressées

Et la nuit s’exagère
au brasier de la rouille
Tandis que les fougères
Vont aux écrins de houille

L’anémone des cieux
Fleurit sur mes parterres
Fleurit encore aux yeux
À l’ombre des paupières

Anémone des nuits
qui plonge ses racines
Dans l’eau creuse des puits,
Aux ténèbres des mines

Poseraient-ils leurs pieds
Sur le chemin sonore
où se niche l’acier
Aux ailes de phosphore

Verraient-ils les mineurs
Constellés d’anthracite
Paraître l’astre en fleur
Dans un ciel en faillite

En cet astre qui luit
S’incarne la sirène
L’anémone des nuits
fleurit sur son domaine

Alors que s’ébranlaient avec des cris d’orage
Les puissances Vertige au verger des éclairs
La sirène dardée à la proue d’un sillage
Vers la lune chanta la romance de fer

Sa nage déchirait l’hermine des marées
Et la comète errant rouge sur un ciel noir
Paraissait par mirage aux étoiles ancrées
L’anémone fleurie aux jardins des miroirs

Et parallèlement la double chevelure
Rayait de feu le ciel et d’écume les eaux
Fougères surgissez hors de la déchirure
Par où l’acier saigna sur le fil des roseaux

Nulle armure jamais ne valut votre angoisse
Fougères pourrissant parmi nos souvenirs
Mais vous charbonnerez longtemps sous nos cuirasses
Avant la flamme où se cabrant pour mieux hennir

Le cheval vieux cheval de retour et de rêve
Vers les champs clos emportera nos ossements
Avant l’onde roulant notre cœur sur la grève
Où la sirène dort sous un soleil clément

L’anémone fleurit partout sous les carènes
Déchirées aux récifs dans l’herbe des forêts
Dans le train des miroirs sur les parquets d’ébène
Et surtout dans nos cœurs palpitant sans arrêt

C’est le joyau serti au vif des nébuleuses
L’orgueil des voies lactées et des constellations
La prunelle qui met au regard des plus gueuses
Le diamant de fureur et de consolation

Heureuse de nager loin des hauts promontoires
Parmi les escadrons de requins fraternels
La sirène aux seins durs connaît maintes histoires
Et l’accès des trésors à l’ombre des tunnels

Mais ni l’or reluisant dans les fosses marines
Ni les clefs retrouvées des légendes du port
Ne la charment autant que d’ouvrir les narines
Aux vents salés plus lourds des parfums de la mort

C’était par un soir de printemps d’une des années perdues à l’amour
D’une des années gagnées à l’amour pour jamais
Souviens-toi de ce soir de pluie et de rosée où les étoiles devenues comètes tombaient vers la terre
La plus belle et la plus fatale la comète de destin de larmes et d’éternels égarements
S’éloignait de mon ciel en se reflétant dans la mer
Tu naquis de ce mirage
Mais tu t’éloignas avec la comète et ta chanson s’éteignit parmi les échos
Devait-elle ta chanson pour jamais
Est-elle morte et dois-je la chercher dans le chœur tumultueux des vagues qui se brisent
Ou bien renaîtra-t-elle du fond des échos et des embruns
Quand à jamais la comète sera perdue dans les espaces
Surgiras-tu mirage de chair et d’os hors de ton désert de ténèbres
Souviens-toi de ce paysage de minuit de basalte et de granit
0ù détachée du ciel une chevelure rayonnante s’abattit sur tes épaules
Quelle rayonnante chevelure de sillage et de lumière
Ce n’est pas en vain que tremblent dans la nuit les robes de soie
Elles échouent sur les rivages venant des profondeurs
Vestiges d’amours et de rivages où l’anémone refuse de s’effeuiller
De céder à la volonté des flots et des destins végétaux
À petits pas la solitaire gagne alors un refuge de haut parage
Et dit qu’il est mille regrets à l’horloge
Non ce n’est pas en vain que palpitent ces robes mouillées
Le sel s’y cristallise en fleurs de givre
Vidées des corps des amoureuses
Et des mains qui les enlaçaient
Elles s’enfuient des gouffres tubéreuses
Laissant aux mains malhabiles qui les laçaient
Les cuirasses d’acier et les corsets de satin
N’ont elles pas senti la rayonnante chevelure d’astres
Qui par une nuit de rosée tomba en cataractes sur tes épaules
Je l’ai vue tomber
Tu te transfiguras
Reviendras-tu jamais des ténèbres
Nue et plus triomphante au retour de ton voyage
Que l’enveloppe scellée par cinq plaies de cire sanglante
Ô les mille regrets n’en finiront jamais
D’occuper cette horloge dans la clairière voisine
Tes cheveux de sargasse se perdent
Dans la plaine immense des rendez-vous manqués

Sans bruit au port désert arrivent les rameurs
Qui donc pourrait te voir toi l’amante et la mère
Incliner à minuit sur le front du dormeur
L’anémone du soir fleurie sous tes paupières

Baiser sa bouche close et baiser ses yeux clos
Incliner sur son front l’immense chevelure
Bérénice de l’ombre ah ! retourne à tes flots
Sirène avant que l’aube ouvre ses déchirures

Une steppe naîtra de l’écume atlantique
Du clair de lune et de la neige et du charbon
où nous emportera la licorne magique
Vers l’anémone éclose au sein des tourbillons

Tempête de suie nuage en forme de cheval
Ah malheur ! Sacré nom de Dieu ! La nuit naufrage
La nuit ? Voici sonner les grelots ! Carnaval
Ferme l’œil ! En vérité le bel équipage

Et dans ce ciel suintant des barriques des docks
Soudain brusquement s’interrompent les rafales
Quand la sirène avec l’aurore atteint les rocs
L’anémone du ciel est la fleur triomphale

C’est elle qui dresse au-dessus des volcans
Jette une lueur blafarde à travers la campagne
C’est l’aile du vautour le cri du pélican
C’est le plan d’évasion qui fait sortir du bagne

C’est le reflet qui tremble aux vitres des maisons
Le sang coagulé sur les draps mortuaires
C’est un voile de deuil pourri sur le gazon
C’est la robe de bal découpée dans un suaire

C’est l’anathème et l’insulte et le juron
C’est le tombeau violé les morts à la voirie
La vérole promise à trois générations
Et c’est le vitriol jeté sur les soieries

C’est le bordel du Christ le tonnerre de Brest
C’est le crachat le geste obscène vers la vierge
C’est un peuple nouveau apparaissant à l’est
C’est le poignard le poison ce sont les verges

C’est l’inverti qui se soumet et s’agenouille
Le masochiste qui se livre au martinet
Le scatophage hideux au masque de gargouille
Et la putain furonculeuse aux yeux punais

C’est l’étreinte écœurante avec la femme à barbe
C’est le ciel reflété par un œil de lépreux
C’est le châtré qui se dénude sous les arbres
Et l’amateur d’urine au sourire visqueux

C’est l’empire des sens anémone l’ivresse
Et le sulfure et la saveur d’un sang chéri
La légitimité de toutes les caresses
Et la mort délicieuse entre des bras flétris

Pluie d’étoiles tombez parmi les chevelures
Je veux un ciel tout nu sur un globe désert
où des brouillards mettront une robe de bure
aux mortes adorées pourrissant hors de terre

Adieu déjà parmi les heures de porcelaine
Regardez le jour noircit au feu qui s’allume dans l’âtre
Regardez encore s’éloigner les herbes vivantes
Et les femmes effeuillant 1a marguerite du silence
Adieu dans la boue noire des gares
Dans les empreintes de mains sur les murs
Chaque fois qu’une marche d’escalier s’écroule un timide enfant paraît à la fenêtre mansardée
Ce n’est plus dit-il le temps des parcs feuillus
J’écrase sans cesse des larves sous mes pas
Adieu dans le claquement des voiles
Adieu dans le bruit monotone des moteurs
Adieu ô papillons écrasés dans les portes
Adieu vêtements souillés par les jours à trotte-menu

Perdus à jamais dans les ombres des corridors
Nous t’appelons du fond des échos de la terre,
Sinistre bienfaiteur anémone de lumière et d’or
Et que brisé en mille volutes de mercure
Éclate en braises nouvelles à jamais incandescentes
L’amour miroir qui sept ans fleurit dans ses fêlures
Et cire l’escalier de la sinistre descente
Abîme nous t’appelons du fond des échos de la terre
Maîtresse généreuse de la lumière de l’or et de la chute
Dans l’écume de la mort et celle des Finistères
Balançant le corps souple des amoureuses
Dans les courants marqués d’initiales illisibles
Maîtresse sinistre et bienfaisante de la perte éternelle
Ange d’anthracite et de bitume
Claire profondeur des rades mythologie des tempêtes
eau purulente des fleuves eau lustrale des pluies et des rosées
Créature sanglante et végétale des marées

Du marteau sur l’enclume au couteau de l’assassin
Tout ce que tu brises est étoile et diamant
Ange d’anthracite et de bitume
Éclat du noir orfraie des vitrines
Des fumées lourdes te pavoisent quand tu poses les pieds
Sur les cristaux de neige qui recouvrent les toits

Haletant de mille journaux flambant après une nuit d’encre fraîche
Les grands mannequins écorchés par l’orage
Nous montrent ce chemin par où nul n’est venu

Où donc est l’oreiller pour mon front fatigué
Où donc sont les baisers où donc sont les caresses
Pour consoler un cœur qui s’est trop prodigué
où donc est mon enfant ma fleur et ma détresse

Me pardonnant si des brouillards bandent mes yeux
Si j’ai l’air d’être ailleurs si j’ai l’air un autre
Me pardonnant de croire au noir au merveilleux
D’avoir des souvenirs qui ne soient pas les nôtres

Pardonnant mon passé mon cœur mes cicatrices
D’avoir parcouru seul d’émouvantes contrées
D’avoir été tenté par des voix tentatrices
Et de ne pas l’avoir plus vite rencontrée

Saurait-elle oublier mes rêves d’autrefois
Les fortunes perdues et les larmes versées
L’étoile sans merci brillant au fond des bois
Et les désirs meurtris en des nuits insensées

Et ces phrases tordues comme notre amour même
Et que je murmurais lorsque minuit blafard
Posait ses maigres doigts sur des visages blêmes
Séchant les yeux mouillés et barbouillant les fards

Dans ces temps-là le ciel était lourd de ténèbres
Le sonore minuit conduisait vers mon lit
Des visiteuses sans pitié et plus funèbre
Que la mort l’anémone évoquait la folie

Les fleurs qui s’effeuillaient sur les fruits de l’automne
Laissèrent leurs parfums aux fleurs des compotiers
Et sur le fût tronqué des anciennes colonnes
Le sel des vents marins mit des lueurs de glaciers

Et longtemps ces parfums orgueil des porcelaines
Flotteront dans la paix des salles à manger
Et les cristaux de sel brilleront dans la laine
Des grands manteaux flottants que portent les bergers

Mes baisers rejoindront les larmes qui vont naître
Ils rejoindront la solitude sans pitié
Les vents marins soufflant sur les chaumes sans maîtres
Et les parfums mourants au fond des compotiers

Je suis marqué par mes amours et pour la vie
Comme un cheval sauvage échappé aux gauchos
Qui retrouvant la liberté de la prairie
Montre aux juments ses poils brûlés par le fer chaud

Tandis qu’au large avec de grands gestes virils
La sirène chantant vers un ciel de carbone
au milieu des récifs éventreurs de barils,
au cœur des tourbillons fait surgir l’anémone

Robert DESNOS

Recueil : « Corps et biens »

MAI EN CORPS…


« MAI EN CORPS… »

NIALA

2021

ACRYLIQUE S/TOILE 55X46

PAR UN POINT SITUÉ SUR UN PLAN

Par un point situé sur un plan
On ne peut faire passer qu’une perpendiculaire à ce plan.
On dit ça…

Mais par tous les points de mon plan à moi
On peut faire passer tous les hommes, tous les animaux de la terre

Alors votre perpendiculaire me fait rire.

Et pas seulement les hommes et les bêtes

Mais encore beaucoup de choses

Des cailloux

Des fleurs

Des nuages

Mon père et ma mère

Un bateau à voiles

Un tuyau de poêle

Et si cela me plaît

Quatre cents millions de perpendiculaires.

Robert Desnos

Ainsi soit-île

mon muguet

a bien des filets en Mai

Niala-Loisobleu – 2 Mai 2021

POINT DU JOUR


Robert Desnos

POINT DU JOUR

Le trois nivôse an II de la République Roger se dressa sur son lit. Des têtes de nègres mugissaient sur les fleuves et l’on suspendait le clergé français par les
pieds aux lampadaires de l’avenue de l’Opéra.

Debout Roger s’écria :

« Je m’appelle Robert Desnos la plume au vent c’est la honte des femmes fécondées. Écoutez écoutez la Marseillaise qui porte vers les frontières un petit peu de
vinaigre et du feu central.

Allons Patrie mort des enfants

L’arrivée n’est pas la gloire des tyrans

que tu baises au front levé des étendards

Marchons marchons

Que du sillon sorte le sang. »

Trois carriéristes lui passèrent sa chemise, son fin caleçon de soie sa veste de velours à côtes, son casque, son sabre, ses allumettes, son mouchoir et un petit
drapeau en cas de grand besoin. Quand il fut prêt il fit à l’historien habituel de sa famille la sanglante histoire transcrite ci-après.

« Volontaire de l’an II je suis monté sur l’estrade dressée place de la Révolution. Des messieurs en redingote s’y tenaient enrubannés de soie tricolore comme des
moutons de comice agricole. Un petit vieux en avait fait des papillotes. Les autres s’étaient contentés d’orner leurs oreilles pour réparer l’irréparable surdité de
leur sexe. Un tambour battait smistrement au bas des marches. Sur un calicot on lisait « La Patrie est en danger ». C’est alors que devant la marche triomphale de l’ennemi, de
l’ennemi abhorre, détrousseur de filles et voleur de pendules, de l’ennemi dont le ventre était Brunswick et la tête Goethe, c’est alors que les jeunes gens de seize ans et les
vieillards se disputèrent la gloire de marcher vers un honorable trépas. Les campagnes alors étaient parsemées de drapeaux.

Au bas des marches ronflaient les tambours. Les pères et les fils, les larmes aux yeux, à l’idée de la patrie relevaient leurs pantalons longs jusqu’au-dessus des genoux et ils
montaient vers les vieillards. Ceux-ci leur donnaient des livres reliés de toile reuge et dorés sur tranche, des couronnes de lauriers en papier doré, des livrets de caisse
d’épargne. De joie la populace.s’enivrait dans les faubourgs. Mais moi ma couronne sur la tête, mon livret de caisse d’épargne dans ma poche, je me cachais pour lire le livre
qu’on m’avait donné.

Le titre était « Sauve qui peut. »

« Un jour, commençait l’auteur, je rencontrai sur une route une femme merveilleuse elle avait des seins de poissons et ses yeux murmuraient à l’âme des choses
impondérables. Mon père que ce commerce intriguait, dépensa sa fortune à provoquer des accidents de chemin de fer pour causer la mort de la belle inconnue. Peine perdue ils
s’épousèrent et leur fils, fils de ma maîtresse fut spécialement dressé par un orang-outang à repriser mes chaussettes et à provoquer des courts-circuits
buccaux dans mon individu… »

J’aurais continué cette poétique lecture si Robespierre n’avait posé sa main sur mon épaule. Nous étions sur une colline. Il me montra l’oeuvre de la Guillotine. Quatre
cent mille têtes jonchaient les marais. Des femmes leur suçaient la cervelle. Fou de joie à ce spectacle j’embrassai Robespierre. Il posa sur moi un long regard triste et doux,
m’étreignit sur sa poitrine et, avant de se dissoudre en fumée odorante de cigarette anglaise il me dit :

« Tu t’appelleras Danger de mort ».

Robert Desnos