Van Gogh le suicidé de la société de Antonin Artaud – Extrait 1


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Van Gogh le suicidé de la société de Antonin Artaud – Extrait 1

 

« l’eschare d’écorché » le simple motif d’un bougeoir allumé sur un fauteuil de paille au châssis violacé en dit beaucoup plus sous la main de van Gogh que toute la série des tragédies grecques ou des drame de cyril tourneur, de webster ou de ford jusqu’ici d’ailleurs demeurés injoués.

« Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l’enfer. »

Antonin Artaud

LE BAR


Antonin Artaud

LE BAR

Il y aura encor de petits bars canaille
Avec des viandes d’Extême-Orient
Pour abriter ce nouvel an.

De petits bars avec des marins légendaires
Dont les pipes consumeront d’anciens poisons
Des bars légers avec les fumées qui les gonflent
De petits bars évanouis dans l’aube claire.

Des bars où tourne le soleil et son train
Dans la laque rougie et profonde des verres ;
Des bars aux tables animées, aux vitres mortes
Où ne trempera pas le nez des facultés.

Car il y a d’autres poisons pour corroder
L’Arbre Vivant de nos fibres près d’éclore,
Il a des vins violents comme des catastrophes
Que n’ont pas secrétés les vignes d’ici-bas.

Salut ô bar qui nous délivres des poisons
Des misères et des douleurs et des alarmes
En nous jetant dans la nudité de nos âmes
Sur des grèves où les tourments n’arrivent pas.

Un silence te garde et nous protège, un froid
Silence où ne s’égare pas la médecine,
Un silence qui nous guérit dans la morphine
Sans ordonnances ni décrets.

Antonin Artaud

MAIN MISE 1 – ANTONIN ARTAUD


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MAIN MISE 1 – ANTONIN ARTAUD

 

…Je vous l’ai dit, que je n’ai plus ma langue, ce n’est pas une raison pour que vous persistiez, pour que vous vous obstiniez dans la langue.

Allons, je serai compris dans dix ans par les gens qui font aujourd’hui ce que vous faîtes. Alors on connaîtra mes geysers, on verra mes glaces, on aura appris à dénaturer mes poisons, on décèlera mes jeux d’âmes.

Alors tous mes cheveux seront coulés dans la chaux, toutes mes veines mentales, alors on percevra mon bestiaire, et ma mystique sera devenue un chapeau. Alors on verra fumer les jointures des pierres, et d’arborescents bouquets d’yeux mentaux se cristalliseront en glossaires, alors on verra choir des aérolithes de pierre, alors on verra des cordes, alors on comprendra la géométrie sans espaces, et on apprendra ce que c’est que la configuration de l’esprit, et on comprendra comment j’ai perdu l’esprit.

Alors on comprendra pourquoi mon esprit n’est pas là, alors on verra toutes les langues tarir, tous les esprits se dessécher, toutes les langues se racornir, les figures humaines s’aplatiront, se dégonfleront, comme aspirées par des ventouses desséchantes, et cette lubrifiante membrane continuera à flotter dans l’air, cette membrane lubrifiante et caustique, cette membrane à deux épaisseurs, à multiples degrés, à un infini de lézardes, cette mélancolique et vitreuse membrane, mais si sensible, si pertinente elle aussi, si capable de se multiplier, de se dédoubler, de se retourner avec son miroitement de lézardes, de sens, de stupéfiants, d’irrigations pénétrantes et vireuses,

alors tout ceci sera trouvé bien,

et je n’aurai plus besoin de parler.

Antonin Artaud – Le pèse nerf  extraits,1925