HEURES


HEURES

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Quelle importance

Dit-elle

Que je parle

Que je me taise pour toujours

Le vent souffle vers le désert

Y aura-t-il même

Un palmier qui m’entende

J’appelle à moi le chant

Que le siècle blesse à mourir

Goutte à goutte je le recueille

Mais pour qui

Deuil et désir

J’erre parmi les noirs étangs

Eblouie

De si peu même du cri

Rauque de la grenouille

La jeunesse décomposée La terre couverte de plaies Hélas hélas où conduire mes pas Vole ma vie en éclats Et que la poésie se pare De tout ce que je
perds

La poésie fruit défendu Belladone mortelle Dans la débordante Mangeoire universelle

Ne riez pas

Ne condamnez pas si

Contre l’avance des concasseurs

Seule une tige nue

Persiste

Nous sommes les derniers Indiens

Nous sommes les Papous

Les fous les poux

D’un monde antédiluvien

Un oiseau mort depuis longtemps

Chante pour une étoile éteinte

Et plein de grands papillons d’août

Le jour se pend

Sous les beaux térébinthes

A tant de nuit à tant de nulle

Floraison

S’oppose avec douceur

La rose

Au fond des millénaires

C’est ici qu’ils vécurent moururent

Les yeux pleins de rêve

C’est ici qu’ils jouèrent mais d’une flûte

Si triste

Que notre cœur en fut à jamais Transpercé

Vigne heureuse penchée

Sur mes réveils si lourds

Par tous tes pampres retiens-moi

De glisser hors du jour

La nuit pourra venir

Souffler sur mes paupières

Le silence pourra tenir

En laisse tous mes airs

Mais pas avant

Que j’aie jeté aux quatre vents

Mon chant de mort

Et planté dans le front du temps

Mes banderilles d’or

Je suis poussière et cendre Disait le vieil homme

Oh ! l’immense clameur qui monte de Sodome Je suis poussière et cendre Mais j’implore je crie Pitié pour cette ville innombrable De morts

Moi qui savais des mots Pour enchanter la mort Et des secrets pour endormir

Les bêtes carnassières J’ai peur

De ces ombres qui lynchent ma raison Dans un grand bruit rond D’étoffes qu’on déchire

Laissez ah ! laissez-moi

Me perdre dans ce lac d’asphodèles Elles regardent dans les yeux Le ciel

Que m’emporte ce clair essaim Et la nuit viendra boire Dans ma main

C’était peut-être en rêve

Une pluie me tombait des yeux

Le cœur tremblant je descendais

Le chant de la rivière

Les âges me couvraient de leur feu

Et je passais légère

En des fonds somptueux

Quand je serai sous la mer

Compagne d’hippocampes et d’éternelles

Danses quand je serai

Dans les profonds jardins d’iris

Ne m’écrivez pas

Quelles questions sous tant de bleu

Ne se perdraient

Ne me demandez pas

Si j’exulte en ce lieu

Sur vos rivages ma réponse

Serait rejetée

Ne serait-ce mon cœur

Sang d’Arabie vase de Perse

Cette fleur

Illusion que le vent disperse

En mille moucherons moqueurs

Que peut contre la poésie tout ce fleuve de lave

Si dans le monde où nous sommes

Un chant fût-il éteint depuis longtemps

A un autre chant d’homme

Fût-il né dans mille ans

Correspond les oiseaux le savent

Et que peut contre les oiseaux

Transparents

L’hydre du temps

Le souffle noir des hyènes Sous le rossignolier

Mais les radieux Sont trop hauts

Passe le bel ici-bas

Passent les jours si longs

Blessure immonde

Je porte en moi comme le plomb

La mortelle contradiction

D’être et de n’être pas

Au monde

Les blessures comme le feu

Semblent finir par s’endormir

Tromperie

Dans leurs ventres laiteux

Elles roulent des incendies

Chaque matin

Livrée au feu et aux bêtes sauvages

Aux termites anthropophages

Qui me dévorent à grand bruit

Et me laissent en vie

Dans une mort sans fin

Si la seule innocence Etait au fond de l’invisible Dans le regard incorruptible De l’enfant mort à la naissance Où n’entreront jamais Que l’azur et la paix

Deux araignées géantes Se promènent dans mon cerveau Depuis le temps qu’elles tentent De l’étouffer dans leur réseau De fils atroces ne voient-elles Qu’en jouant des
oiseaux Brisent la toile de leurs ailes Rossignols d’ombre plus fidèles Que le sang sous la peau

Toi rossignol de mon triste été Prends possession de cette terre Que je vais quitter Dis à la rose et à l’ombellifère Qu’elles seront les plus fortes Rends grâce
pour l’absente A la glorieuse lumière Vis et chante Lorsque je serai morte

Bâtissez-moi un grand tombeau

Une haute fontaine

Je vous dis que rien n’est trop beau

Pour ton sommeil ô longue peine

De vivre que nulle eau

N’est assez pure pour atteindre

En moi le ciel profond

N’est assez fraîche pour éteindre

Ces soifs qui détruisent le corps

Ces feux qui brûleront

Les portes de la mort

J’avais reçu trois anneaux d’or

Le premier s’est noyé

Dans le cours du temps

Le deuxième une pie l’a volé

Pour son cou blanc

Le troisième coeur d’ellébore

Garde un secret

Qu’un seul regard en l’effleurant

Briserait

Suspendue au fil

Du lumineux été

La libellule

En gloire semble attester

Que vivre est une royauté

Fragile

Si j’étais le berger

De mes pensées de mes rêves obscurs

Je passerais le mur

Des nuits

J’irais conduire mon léger

Troupeau jusqu’à l’inaccessible source

Et nous boirions au long été

Perdu toute peur endormie à mes pieds

Chienne douce

Moi l’envolée

J’ai perdu dans les airs la trace des oiseaux

Moi l’écoulée

En dormant j’ai perdu la voix des passeurs d’eau

Je suis le chant qui s’en va tout seul Entre terre et ciel

Que je dorme statue

Pierre sauvage sous ton nom

Mycènes que mes veines tes rues

Mêlent leurs sangs de plomb

Ne serait-elle ta cruauté dorée

Plus douce à l’âme que ce temps damné

Chut écoutons les grillons heureux Flûter l’amour

Et sur un air solaire les troupeaux laineux Gagner la source où ronronne le jour

La beauté

Foulée aux pieds par ce siècle barbare

Avec ma sœur la lune

Qui peut les délivrer

Douleur douleur

Le cœur n’est plus

Qu’un cimetière d’astres éboulés

L’arbre en hiver

Se roule dans la douceur fourrée

Des étoiles

Tous ces flocons de neige une absence Infinie de pétales

Mais les fleurs de l’été ne serait-ce leur danse Inverse et royale

Laissez dormir les heures Le temps n’est plus à prendre La mort s’impatiente d’attendre Sous la pluie que je meure Chaque matin je suis cette ombre Qui se délivre d’elle-même Et
danse à la froide fontaine De son double à ses pieds

puis retombe

L’espace est mon jardin

La mer l’habite

Tout entière avec ses vents lointains

Les planètes lui rendent visite

La vie la mort

Egales jouent à la marelle

Et moi captive libre j’erre au bord

De longs jours parallèles

Je parle tout le jour

Avec les coquillages le corail blanc

De la mort et je joue

A me perdre dans les étangs

Pleins d’iris jaunes de grenouilles

Bulbeuses

Qui me reconnaîtrait Dans cette vase où grouillent Tous mes rêves défaits.

Anne Perrier

LE PETIT PRÉ


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LE PETIT PRÉ

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Amour

Les étoiles t’ont pris pour leurs lampes

Buveuses de soleil

Où l’ont-elles mis sous quelle rampe

Du ciel

Ont-elles caché l’Amour

Si doux que je cueillais

Dans un éternel jour

Que je cueillais cueillais

En paix

Cerises mûres au creux du temps

Coqs de lumière

Etés printemps dorés ô ma terre

Brûlante sous la mort ô grand

Soleil des mers

Qui m’emportait tous vents éteints

Et puis sans fin

De rivage en désert

Me répondait au cœur Comme de frère à sœur Et maintenant qui me dira Des mots semblables des mots Si beaux

Qu’ils firent perdre éclat Et rompirent les veines A la douce langue humaine

II

Pour un chemin

Que je connus sans le connaître

Pour un vin

Que je goûtai peut-être

Pour un matin

Qui mit le feu à ma fenêtre

J’irai si loin

Que les morts me verront apparaître

III

Terre sois belle ô l’endormie

Des jours d’été

Peux-tu me contenter

Que je ne crie

Ma faim vers ton silence

Deux à deux brûlent les noisettes

Mais les yeux verts de l’innocence

Dans quelle cachette ?

La source du rocher

Je la vois bien

Mais l’eau dont la nuit m’a parlé

Non point

L’amour pend sous la treille

Comme le chaud raisin

Mais qu’elle est loin

La pure la douce merveille

Dont j’ai faim

IV

Toute la vie quotidienne

Est là

Un visage sous les persiennes

Qui se rabat

Le doux soleil

S’en va mourir la tête en bas

Et le jour se débat

Comme une fine abeille

Entre deux doigts

V

Une enfance nous est cachée

O mon âme

Très loin nous l’aurons cherchée

Mais la recevrons dans les larmes

De tout près

Ce faux deviendra vrai

Ce bas deviendra haut

Déchire ton manteau

O nuit longue douleur

La mort se brise comme un verre

Et le fruit tourne en fleur

Au milieu de l’hiver

VI

Ne me faites pareille

A la rose la passerose

Royale des jardins

Car je n’ose

Porter dans mes rêves les abeilles

Mais l’herbe du chemin

Que nul n’a regardée

Un pied l’a couchée dans le soir

Et les étoiles boivent

Son parfum d’écrasée

VII

O mort un jour enfin

Tu briseras ce voile ce rideau d’arbres

Qui tremble à mi-chemin

D’un monde qui m’est seul adorable

Et le silence couvrira la terre

Couchera les vieux mots au cercueil

Et mille sources bondiront dans l’air

Doux comme un œil

VIII

Nous nous endormirons

Et ce sera tellement simple Nous verrons

Que vivre était beaucoup plus difficile

Et tout rempli de gestes inutiles

Que craindre ? Le jour se changera en un soir

Ordinaire La vigne me le dit si paisible

Au moment de verser dans l’invisible

Pressoir

IX

C’est tout petit qu’il faut entrer dans mon Seule une tête d’enfant [royaume

Peut trouver place entre mes paumes Je ne veux pas qu’on soit grand Ni qu’on pèse trop lourd Sur mes genoux de lumière Que cherchez-vous ailleurs ? Je suis la mère Du pur
amour

X

Si vive était la clarté

Que je fermai les yeux

Si pure était la beauté

Que se taire valait mieux

Et maintenant s’il m’arrive de les citer

C’est un peu

Comme on demande pardon de tenter

Dieu

XI

Un corps

En terre prend si peu de place

Pour un mort

Il suffit de ce bref espace

Marge de bois

Là tiennent les mains les bras

Tous les rêves étroits

Et cette verte immensité

L’Eternité

XII

Souvent je pense qu’il faudra mourir Où, quand ? Seules questions Puis le temps va s’ouvrir Et nous jeter pauvres apodes sur le pont De l’amour Alors nul vent Ne tentera plus nos ailes
Où Irions-nous désormais ô mon cœur ayant Manifestement tout

XIII

En ce monde tu es l’oiseau

Ne trahis pas l’espace ni le chant

Ce serait beau

Déjà et suffisant

Si tu pouvais tenir la note unique

Que Dieu te destina dans sa libre musique

XIV

Joue contre joue ciel contre ciel

Le monde et moi

L’oiseau prend voix

Dans l’arbre artériel [la distance

Depuis longtemps un même sang abolit

Quelle est cette ombre ? Qui m’appelle ?

S’il est au monde une souffrance

Je suis en elle

XV

Je suis l’enfant des rivières lentes

Et des demi-jours

Conduisez-moi je suis l’amante

D’un unique amour

Trop fière pour pleurer trop faible

Pour cacher mes larmes je vais

Sans savoir si je suis partie

Et si viendra le jour que je mendie

XVI

Si j’étais la vallée profonde

Je vous cacherais dans mes fleuves

Si j’étais la mer

Je vous emporterais vers mes abîmes

Si j’étais le torrent

Je me jetterais en vous

Si j’étais le sentier

J’irais me coucher sous vos pieds

Si j’étais la vigne et le vin

Je vous enivrerais toute la nuit

Si j’étais le blé mûr

Je vous couvrirais d’or

Si j’étais l’abeille de juin

Je vous butinerais le cœur

Si j’étais le lézard

Vous me trouveriez dans vos murs

Mais que suis-je ? Rien rien

Pour toujours ce visage en larmes

Blotti dans vos mains

XVII

Lumière je te tiens

Déjà trouble

Joie désirée unique je t’atteins

Double

O monde sur deux tiges

Pour cueillir la fleur simple éternelle

Il faudra choir mortes les ailes

Dans la splendeur et l’ombre du vertige

XVIII

J’ai pris tout l’été

Sur le point de mourir

Avec un mot on pourrait enchanter

La mort et l’endormir

Eterniser doucement la lumière

Et la beauté si belle

Et la vie tout entière

Mais le mot qui rendrait les choses

Est caché dans la mort [immortelles

Et l’été qui s’en va poudre d’or

Sur ma vue l’été le saura

Plus tôt que moi

XIX

Nous nous étendrons sous les arbres

Et le jour passera

Plus tard quelqu’un prendra

Nos veines pour du marbre

Nous serons taillés vifs

Et le sang se taira

Ah! mais qui verra

Battre le cœur vivant sous les massifs

Seules les fleurs de citronnelle

Troubleront l’air de leurs ailes

XX

Une à une

S’éteignent les prunes

Sous les profonds vergers

Où vont-elles pourriture fumier ?

Pour le savoir

Il faut regarder les étoiles

En pleine nuit de juin

Mais encore ce n’est rien

Il faut brûler tous les arbres en un seul feu

Arracher le soleil aux cieux

Mais encore c’est peu

Dire les mots les plus brillants

Perle rosée diamant

C’est encore néant

Quand les yeux pourront voir et les lèvres

Si puissante clarté [chanter

Deviendront pierre glace raideur

Et brûlure sans fin en polaire demeure

XXI

Le temps est mûr

Je n’en sais rien

Je vois le mur

Et le chemin

La vie peut-être qui s’arrête

Un plomb d’or dans la tête

Et moi toute déserte

Les mains bien lisses bien ouvertes

Vivant d’aumônes

A l’entrée des palais

Et des miettes que les balais

Chassent au vent pour personne

XXII

A quoi sert toute nulle la fleur Que l’abeille ne connaît point Vienne sur moi l’essaim Lumineux et que je meure Dans les parfums La prairie gardera le secret Le vent ne dira rien Crime
parfait

XXIII

Sur mes genoux je berce le soleil

Lui grand moi si petite

Lui tout brillant moi l’anthracite

Je berce le soleil

Lui feu moi glace

Lui l’océan moi l’eau qui passe

Sur mes genoux je berce le soleil

Lui riche et moi pauvresse

Lui l’abondance moi sécheresse

Je berce le soleil

Je lui dis les mots d’une mère

Qui ne suit que son cœur

Et tous ces riens miettes misères

Lui sont miel et douceur

O lourd été je tiens mon enfant sans

Lui plénitude moi désaccord

Lui rouge vie et moi la mort

Sur mes genoux je berce le soleil

XXIV

Je marche à la lisière

Du jour ou de la nuit

Qui peut dire si la lumière

Sera plus forte que l’oubli

Le beau soleil je l’ai vu mettre en bière

Tout pourri

Mais on dit

Que le coq a chanté au fond des cimetières

Eblouis

XXV

Voici ma place

Pour l’éternité

Une chaise de paille basse

Le silence et l’été

Un mur que le ciel a fendu

Comme une rue

Et mon âme qui s’habitue

A dire tu

XXVI

Ton nom me suffit

Le livre est mort la page est morte

Dévorés par le feu

Dieu

Ferme la porte

Eteins mes yeux

Tout est dit

XXVII

Tu ne connais pas

La douceur de ton nom

Tu ne sais pas comme il est bon

De le dire d’en bas

Quand on se tient

Dans l’ombre de ton cœur

Quand on n’a rien

Que son âme en pleurs

XXVIII

Dans l’eau de ton visage Je suis le cresson sauvage Ne me demande pas de fleurir Je ne sais comment font Les roses pour mûrir Moi toute verte au fond D’une eau lente à me
recouvrir

XXIX

Ce que je connais

Est plus profond que tous les mots

A côté c’est en vain que je mets

Les gages les plus beaux

Nul n’existe Pourtant s’il est vrai

Ce que je vois n’est rien

Auprès d’une beauté

Que je ne connais point

XXX

Il n’y a plus vergers ni guêpes

Ni les abeilles préférées

Et la douce lumière aimée

Dort sous le crêpe

Pas de larmes cœur épuisé

Tu comprends que c’était folie

De vouloir éterniser

La danse et la saison fleurie

XXXI

Il suffirait d’un papillon

Pour que la prairie se mette à voler

Que l’oiseau moribond

Cueille son cœur étoile

Quand le trèfle sent bon

Comme un framboisier

Pourquoi dirait-on

Que l’oiseau s’est trompé

De saison

XXXII

Petit chemin blanc

Qui t’agenouilles entre les herbes

Dis-moi quel vent

T’a dépouillé de tous les gestes

Si je m’étends comme toi sous la haie

Serai-je assez inaperçue

Pour que les enfants ne s’effrayent

Et pleins de rires me passent dessus

XXXIII

Abeille qu’as-tu fait ?

Toutes les fleurs te furent prêtées

On vit couler dans la vallée

La luzerne et le serpolet

Nulle excuse pour toi

Et nul amendement

L’été fut grand

Comme un geste de roi

XXXIV

Un jour peut-être que se taire

Sera ma récompense

Les mots tombés à terre

Ont-ils encore un sens ?

O cœur tu ne vois que des morts

Et doucement tu consens au silence

En toi plus beau: pépite d’or

XXXV

Je ne suis pas poète

Dans une chambre j’attendrais

Tous les mots en habits de fête ?

Les jeux sont faits:

Au bord de la rivière

J’habite avec les cailloux blonds

Sur l’eau seule j’écris ton nom

Lumière

XXXVI

Ce n’est pas assez

D’une flaque de ciel en notre cœur

C’est le ciel tout entier

Que je veux Quand viendra l’heure

De s’écouler comme une eau pure

Dans le lit profond de l’amour

Oh! quand viendra le jour

D’être comme une étoffe sans couture

XXXVII

Pauvreté ma demeure

Nulle autre ne m’attend que toi

Je t’aime et tu me fais peur

Pourquoi

Il n’y a plus de traces

Qui peut me montrer le chemin ?

Je marche et le temps passe

Une voix dit rien rien rien

XXXVIII

La gravité

Persienne ouverte sur l’éternité Elle est si tranquille liesse Que les âmes superficielles La prennent pour la tristesse Pourquoi triste quand l’énigme est Mais si profonde
qu’on ne peut La lire sans fermer les yeux

XXXIX

On voudrait dire c’est le paradis

Tellement cette pauvre apparence

Est douce à notre ignorance

Le temps marque midi

La lumière des campaniles

Entre en nous comme une couleuvre

Plus besoin de preuve

Mourir est inutile

XL

Je vois la poésie couchée

Des femmes prient

A côté

Serait-ce l’agonie

Là-bas les blés sont beaux

Comme les yeux de juillet

Si l’on pouvait oublier

Ce visage bientôt

Décomposé

Qui entre dans la mort

Comme un petit pré

S’endort

XLI

Tout est consenti

Je m’abandonne à l’oubli

Au silence à la nudité

Minérale du chant

Forêts et champs

Rivières laissez-moi passer…

Le coeur tremblant

Je cherche la beauté

Vêtue de nuit

Qui vous a renversés

D’un cri

XLII

La fleur

Nous ne la verrons pas

Viendra

La mort et sa profondeur

Et cette chair éclatera

De peur

Luira

Soudain d’éternelle splendeur

XLIII

Suis-je venue

La lumière sera pareille

Exactement

Peut-être même un peu plus belle

Qu’avant

Elle m’aura perdue

Et puis après?

Pour la terre nul intérêt

Que je vive ou je meure

Pour moi c’est l’unique commencement

Dans une heure

Je serai cendre ou diamant

XLIV

Entre les haies fleuries

Je n’irai plus

Rasez ma vie

Comme un talus

Prenez le trésor des greniers

La maison le cellier

Toute la vigne d’or

Je n’en veux plus

Ce temps hurle à la mort

Et je ne peux dormir

Je m’en vais les pieds nus

L’amour seul à dire

XLV

Je chante le très pauvre le très doux amour

Qui m’a rompu le cœur

Ecoutez la fontaine en pleurs

A la tombée du jour

Peut-être que la nuit va réveiller

Celui dont on n’a pas voulu

Et qui mourut

Cent mille fois martyrisé

Si vous le rencontrez

Dans les yeux d’un enfant perdu

Vous comprendrez

Pourquoi mon chant s’est tu

XLVI

C’est le temps de l’humilité

De la petite source

Aux yeux brisés

Nous finirons la course

Aveugles dépouillés

De tout

Frères vivants priez

Pour nous

XLVII

Parler haut

N’a plus de sens

Et le silence

Est un oiseau

Perdu… Peut-être qu’il faut

Donner aux mots

Une nouvelle naissance

Une douce innocence

A l’orée du cœur

Ce qu’ils diront

Tuera les fleurs

Et l’arbre dans l’amande

Terre à nu tremble et demande

Pardon

 

Anne Perrier

HEURES


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HEURES

 
Quelle importance

Dit-elle

Que je parle

Que je me taise pour toujours

Le vent souffle vers le désert

Y aura-t-il même

Un palmier qui m’entende

J’appelle à moi le chant

Que le siècle blesse à mourir

Goutte à goutte je le recueille

Mais pour qui

Deuil et désir

J’erre parmi les noirs étangs

Eblouie

De si peu même du cri

Rauque de la grenouille

La jeunesse décomposée La terre couverte de plaies Hélas hélas où conduire mes pas Vole ma vie en éclats Et que la poésie se pare De tout ce que je
perds

La poésie fruit défendu Belladone mortelle Dans la débordante Mangeoire universelle

Ne riez pas

Ne condamnez pas si

Contre l’avance des concasseurs

Seule une tige nue

Persiste

Nous sommes les derniers Indiens

Nous sommes les Papous

Les fous les poux

D’un monde antédiluvien

Un oiseau mort depuis longtemps

Chante pour une étoile éteinte

Et plein de grands papillons d’août

Le jour se pend

Sous les beaux térébinthes

A tant de nuit à tant de nulle

Floraison

S’oppose avec douceur

La rose

Au fond des millénaires

C’est ici qu’ils vécurent moururent

Les yeux pleins de rêve

C’est ici qu’ils jouèrent mais d’une flûte

Si triste

Que notre cœur en fut à jamais Transpercé

Vigne heureuse penchée

Sur mes réveils si lourds

Par tous tes pampres retiens-moi

De glisser hors du jour

La nuit pourra venir

Souffler sur mes paupières

Le silence pourra tenir

En laisse tous mes airs

Mais pas avant

Que j’aie jeté aux quatre vents

Mon chant de mort

Et planté dans le front du temps

Mes banderilles d’or

Je suis poussière et cendre Disait le vieil homme

Oh ! l’immense clameur qui monte de Sodome Je suis poussière et cendre Mais j’implore je crie Pitié pour cette ville innombrable De morts

Moi qui savais des mots Pour enchanter la mort Et des secrets pour endormir

Les bêtes carnassières J’ai peur

De ces ombres qui lynchent ma raison Dans un grand bruit rond D’étoffes qu’on déchire

Laissez ah ! laissez-moi

Me perdre dans ce lac d’asphodèles Elles regardent dans les yeux Le ciel

Que m’emporte ce clair essaim Et la nuit viendra boire Dans ma main

C’était peut-être en rêve

Une pluie me tombait des yeux

Le cœur tremblant je descendais

Le chant de la rivière

Les âges me couvraient de leur feu

Et je passais légère

En des fonds somptueux

Quand je serai sous la mer

Compagne d’hippocampes et d’éternelles

Danses quand je serai

Dans les profonds jardins d’iris

Ne m’écrivez pas

Quelles questions sous tant de bleu

Ne se perdraient

Ne me demandez pas

Si j’exulte en ce lieu

Sur vos rivages ma réponse

Serait rejetée

Ne serait-ce mon cœur

Sang d’Arabie vase de Perse

Cette fleur

Illusion que le vent disperse

En mille moucherons moqueurs

Que peut contre la poésie tout ce fleuve de lave

Si dans le monde où nous sommes

Un chant fût-il éteint depuis longtemps

A un autre chant d’homme

Fût-il né dans mille ans

Correspond les oiseaux le savent

Et que peut contre les oiseaux

Transparents

L’hydre du temps

Le souffle noir des hyènes Sous le rossignolier

Mais les radieux Sont trop hauts

Passe le bel ici-bas

Passent les jours si longs

Blessure immonde

Je porte en moi comme le plomb

La mortelle contradiction

D’être et de n’être pas

Au monde

Les blessures comme le feu

Semblent finir par s’endormir

Tromperie

Dans leurs ventres laiteux

Elles roulent des incendies

Chaque matin

Livrée au feu et aux bêtes sauvages

Aux termites anthropophages

Qui me dévorent à grand bruit

Et me laissent en vie

Dans une mort sans fin

Si la seule innocence Etait au fond de l’invisible Dans le regard incorruptible De l’enfant mort à la naissance Où n’entreront jamais Que l’azur et la paix

Deux araignées géantes Se promènent dans mon cerveau Depuis le temps qu’elles tentent De l’étouffer dans leur réseau De fils atroces ne voient-elles Qu’en jouant des
oiseaux Brisent la toile de leurs ailes Rossignols d’ombre plus fidèles Que le sang sous la peau

Toi rossignol de mon triste été Prends possession de cette terre Que je vais quitter Dis à la rose et à l’ombellifère Qu’elles seront les plus fortes Rends grâce
pour l’absente A la glorieuse lumière Vis et chante Lorsque je serai morte

Bâtissez-moi un grand tombeau

Une haute fontaine

Je vous dis que rien n’est trop beau

Pour ton sommeil ô longue peine

De vivre que nulle eau

N’est assez pure pour atteindre

En moi le ciel profond

N’est assez fraîche pour éteindre

Ces soifs qui détruisent le corps

Ces feux qui brûleront

Les portes de la mort

J’avais reçu trois anneaux d’or

Le premier s’est noyé

Dans le cours du temps

Le deuxième une pie l’a volé

Pour son cou blanc

Le troisième coeur d’ellébore

Garde un secret

Qu’un seul regard en l’effleurant

Briserait

Suspendue au fil

Du lumineux été

La libellule

En gloire semble attester

Que vivre est une royauté

Fragile

Si j’étais le berger

De mes pensées de mes rêves obscurs

Je passerais le mur

Des nuits

J’irais conduire mon léger

Troupeau jusqu’à l’inaccessible source

Et nous boirions au long été

Perdu toute peur endormie à mes pieds

Chienne douce

Moi l’envolée

J’ai perdu dans les airs la trace des oiseaux

Moi l’écoulée

En dormant j’ai perdu la voix des passeurs d’eau

Je suis le chant qui s’en va tout seul Entre terre et ciel

Que je dorme statue

Pierre sauvage sous ton nom

Mycènes que mes veines tes rues

Mêlent leurs sangs de plomb

Ne serait-elle ta cruauté dorée

Plus douce à l’âme que ce temps damné

Chut écoutons les grillons heureux Flûter l’amour

Et sur un air solaire les troupeaux laineux Gagner la source où ronronne le jour

La beauté

Foulée aux pieds par ce siècle barbare

Avec ma sœur la lune

Qui peut les délivrer

Douleur douleur

Le cœur n’est plus

Qu’un cimetière d’astres éboulés

L’arbre en hiver

Se roule dans la douceur fourrée

Des étoiles

Tous ces flocons de neige une absence Infinie de pétales

Mais les fleurs de l’été ne serait-ce leur danse Inverse et royale

Laissez dormir les heures Le temps n’est plus à prendre La mort s’impatiente d’attendre Sous la pluie que je meure Chaque matin je suis cette ombre Qui se délivre d’elle-même Et
danse à la froide fontaine De son double à ses pieds

puis retombe

L’espace est mon jardin

La mer l’habite

Tout entière avec ses vents lointains

Les planètes lui rendent visite

La vie la mort

Egales jouent à la marelle

Et moi captive libre j’erre au bord

De longs jours parallèles

Je parle tout le jour

Avec les coquillages le corail blanc

De la mort et je joue

A me perdre dans les étangs

Pleins d’iris jaunes de grenouilles

Bulbeuses

Qui me reconnaîtrait Dans cette vase où grouillent Tous mes rêves défaits

 

Anne Perrier

CANTIQUE DU PRINTEMPS


A2-Niala 23

CANTIQUE DU PRINTEMPS

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Ce matin la rose Eclate comme le cri du coq Le silence des choses Partout se fend les vieux mots Ont fleuri sur toutes les collines L’eau prise au piège S’échappe et court divine
Entre les herbes vierges

Oh ! quel vent quel soleil

Dans la nuit renversa

Les ombres toucha le sommeil

Mit son doigt

Sur la source empourpra

La mort fit sauter la lumière

De pierre en pierre

Et comble de folie

Alluma l’incendie

Dans toutes les artères

Le ciel comme un grand oiseau

Vole nu

Le cœur prisonnier n’en peut plus

Et brise les barreaux

L’âme bourdonne dans la ruche

L’esprit monte et trébuche

Sur mille pensées mortes

Que le temps les emporte

Ce matin la vigne

Eclate au bord de la ravine

Va cœur d’hiver Longtemps pris dans les glaces Te souvient-il d’avoir souffert Les saisons passent Va l’heure est venue Aujourd’hui de courir A la rencontre de l’été Mais les
chemins de naguère Se sont perdus dans la lumière Est-ce mûrir est-ce mourir Cette douceur inconnue

Qui tombe des pommiers

O papillons de l’enfance

Ne touchez pas à l’ombre des pétales

Leur seule transparence

Me sépare de l’ineffable

Clarté

Ne me conduisez pas

Vers les fleuves d’été

Que faire de tout l’éclat

De juillet

Quand c’est la douce la

Douce éternité

Qui traverse le jour

Quand c’est l’amour

Pommiers pommiers et roses

O simples cerisiers

Quand c’est l’amour qui pose

A la ronde son pied

Limpide fontaine

L’heure de midi

Coule dans mes veines

Le ciel est pris

Comme une tourterelle

Endormez-vous parfums et chants

O rossignols de mon sang

Eteignez vos prunelles

Plus un bruit

Sous l’immense soleil

La bouche à l’oreille

A tout dit

Que vienne la moisson Que tombent les fruits mûrs Sous les arbres profonds Le temps saute le mur Rassemble les saisons Sonne la trompette royale J’écoute au loin la houle des vallons
Les grands troupeaux qui vont S’abreuver aux étoiles

O vigne ô fleur de lait

Ensorcelez l’abeille

Luzerne et serpolet

Pampres et treilles

Et vous gardiens du jour

Lumineux tournesols sans paupière

Ne laissez pas ne laissez pas l’amour

Repasser la rivière

Retenez-le couleur d’été

Couleur d’automne

Son pas résonne

Déjà comme un adieu l’éternité

Ferme les yeux mon cœur est-ce la fin

Du dimanche

Une pluie tombe des branches

Pétales pleurs

L’odeur du foin

Là-bas fait rêver les granges

Le temps meurt

Un ange

Mais d’où ? me prend la main

 

Anne Perrier