La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Autour des reins cette serinette qui secoue ses boules sans parvenir à faire naître, dans l’invention d’une étable-utérus où l’haleine dans sa jazz-session pousse un boeuf pour enfanter le mythe, bat son plein
Face à face, flanc contre flanc, les vaisseaux de l’armada du business enrôle la family, les sabords ouverts des tiroirs-caisses
Un temps de cartes de voeux prétend mettre du soleil sur les plaines inondées
Remplissant trains et routes comme pour un rencart à la Mecque
Mais putain, moi peintre, jure n’avoir jamais vu de rouge aussi gris, M. le Président
D’un fond de caverne, une horde joyeuse bouscule et renverse le fauteuil où on vient se faire prendre en photo avec le profiteur
Je repeins, une grande-toile (100×73) pour renouer avec le bon motif. Voilà quelques jours que j’étais tenu en dehors de l’atelier pour cause d’emballage. Mais le papier-cadeau me gonfle à souhait pour me ramener sur mes bases et servir la cause. Les gens sont devenus fous, on risque de se faire piétiner pour s’approcher d’une gondole n’ayant rien de Venise, à part le masque qui la caractérise
Il faut que je purifie l’embrouille
Peindre le dernier qui lui rendra hommage, à Jacqueline, l’âme droite, debout, pas à genoux en pensant comme l’a écris Grindel à Joë, qu’on ne doit pas enfariner les enfants pour les racoler dans un système de piratage…
Noël ? Je hais Noël, la pire des fêtes, celle qui veut faire croire aux hommes « qu’il y a quelque chose DE MIEUX sur la terre », toute la cochonnerie des divins enfants, des messes de suif, de stuc et de fumier, des congratulations réciproques, des embrassades des poux à sang froid sous le gui. Je hais les marchands de cochon et d’hosties, leur charcuterie, leur mine réjouie. La neige de ce jour-là est un mensonge, la musique des cloches est crasseuse, bonne au cou des vaches. Je hais toutes les fêtes parce qu’elles m’ont obligé à sourire sans conviction, à rire comme un singe, à ne pas croire, à ne pas croire possible la joie constante de ceux que j’aime. Le bonheur leur est une surprise.
Et puis, votre lettre me désole. Comment n’avez-vous pas pu vous procurer les disques que je vous indiquais. N’importe quelle maison un peu moderne de disques de Marseille, de Paris, vous les procureraient [sic] en quelques jours. Et j’y tenais tant. Enfin, dites-moi tout de suite si je dois vous les faire envoyer par des amis ? Si votre gros Dumont s’adresse à ses fournisseurs habituels, il est peu probable qu’on les lui procure. Il y a partout, dans les Cahiers du Sud, N.R.F., Variétés, etc., des annonces de marchands « à la page », comme on dit.
Mais je dois avoir ces jours-ci la visite d’une amie très au courant de ce genre de recherches et qui m’est très dévouée. Elle sera sûrement très heureuse de vous les trouver tous. Et très vite. Sinon, vous allez vous ruiner en achats au petit bonheur. Tous les petits marchands à la Dumont tiennent à se débarrasser de leur stock et laissent en panne, intentionnellement, les nouvelles commandes.
J’ai eu la visite ces jours-ci de Arp et de Max Ernst. Entendu pour votre tableau. Nelli m’a écrit. Il fait un froid solide.
Vous ne me dites pas si vous avez Les Malheurs des Immortels. Chantiers est bien long à paraître. J’en suis fort curieux.
Croyez-moi très affectueusement vôtre,
Paul ELUARD.
[En marge de la première page] :
Pourquoi faut-il que la joie des enfants soit pour ce jour-là et souvent ce jour-là seulement et souvent jamais.
Deux yeux deux fois deux yeux Ne sont jamais deux fois semblables La femme était toujours tournée Vers le plus sombre du sombre Protée Qui fuyait les hommes
Jeunesse à ne savoir quand elle prendrait fin
Sourires dessinés par des caresses
Douleur déchirée par des caresses
Les jours n’étaient mauvais que pour les autres
femmes Ils brûlaient d’un grand feu aveugle Et ne reconnaissaient rien.
En cherchant des salamandres
Des flammes vertes
Des flammes noires
Un été pâle
A réduire un grand chagrin
Pendant les vacances
Buvant du lait
Dans les prairies
Comme un enfant
Mourra la nuit
Pour s’en passer Que faut-il dire Cristal de roche Fauve éventé Bonds des collines Ma belle en liberté Eparpille des herbes Des moires de parfums Des bêtes trébuchantes Des prunelles gelées
Éblouissante et nue A la cuisse une abeille Rires peur de la peur Dans les bras d’un frisson En plein jour le corail Borde l’écume des forêts Un buisson de neige s’envole Je n’ai pas d’ombre à t’opposer Sous ton masque de larmes Tu n’es que plus visible Sur leurs plages de perles Tes yeux sont plus beaux
L’œuf de l’aube lâche ses oiseaux
Fils des reptiles au cœur de marbre
Aux yeux de griffes
Que faut-il taire
Pour t’écouter
Chaîne des ponts
Comme une paille
Tremblante d’air
Le corps très frais les cheveux tièdes
Le front lustré
Tu tournes au beau temps
Et quand le soleil s’oriente
Dans le ciel du matin
Tu souris dans mes plaintes.
L’homme
Ses bizarres idées de bonheur l’avaient abandonné
Il imposait sa voix inquiète
A la chevelure dénouée
Il cherchait cette chance de cristal
L’oreille blonde acquise aux vérités
Il offrait un ciel terne à des regards lucides
Leviers sensibles de la vie
Il n’attendait plus rien de sa mémoire qui s’ensablait
L’amour unique tendait tous les pièges du prisme
Des sources mêlées à des sources
Un clavier de neige dans la nuit
Tour à tour frissonnant et monotone
Une fuite un retour nul n’était parti
Tout menait au tourment
Tout menait au repos
De longs jours étoiles de colères
Pour de longs jours aux nervures de baisers
L’enfance à travers l’automne d’un instant
Pour épuiser l’avenir
Et cent femmes innocentes ignorées ignorantes Pour préférer celle qui resta seule Une nuit de métamorphoses Avec des plaintes des grimaces Et des rancunes à se pendre.
Installez ici les gradins les estrades
Les lampes des musiciens
Gravez partout des personnages ridicules
D’un trait pur d’un trait vif
Enviable
Accrochez les fleurs les grands oiseaux
Tout près des danseuses polies
Et de leurs robes creuses
Tout près des seins aux étranges vertus
Aux maladresses nonchalantes
Jetez des brassées de statues fragiles
Sur de grandes pierres sûres d’elles-mêmes
Pour déchaîner la gaieté
Pour composer un monde involontaire
Tendre et solide
On y trébuche en plein jour
Où suis-je j’y voudrais rester
La moindre ligne blanche Près d’une tache noire Une lampe pour un voyant
Un albinos
Sous les baisers des couleurs
Découvre son regard traqué
Sa candeur
Une couronne diaprée
De violettes roses De boutons d’or fanés
II a le goût d’autres décors D’une clarté moins rassurante Plusieurs petites mains rapprochées Sous un arbuste pâle Carrelage de paumes innocentes
Touche aux mains pour toucher à tout Sans laisser de traces
Pourquoi tant d’égards Fouillez les gouttes d’eau Les graines en haillons Fouillez les mains prodigues La prudence n’est qu’un jeu Sur la table d’un enfant
Les arabesques lentes des poitrines et des lèvres
Les rides de l’écho
Derniers sentiers de la parole
Parmi les bruits de la campagne
Soir sans allure Grand laboureur de ruines Bourreau descendu des îles solitaires Avec le vent dans la poussière De mille vieillesses craquantes
Terre exécrable
Aux grimaces décolorées
Inextricable nœud d’horizons
Ma colère comme un sanglot la fin de tout Puis dans le noir interminable L’abandon d’un regard Dont tout avait le goût
Ses paupières sont prises dans la cire de l’ombre
Et n’y retrouvent rien
Ni la tendresse ni la vie même l’ancienne
Qui n’était pas la nôtre
Pas plus la solitude que l’oubli.
De tout ce que j’ai dit de moi que reste-t-il
J’ai conservé de faux trésors dans des armoires vides
Un navire inutile joint mon enfance à mon ennui
Mes jeux à la fatigue
Un départ à mes chimères
La tempête à l’arceau des nuits où je Suis seul
Une île sans animaux aux animaux que j’aime
Une femme abandonnée à la femme toujours nouvelle
En veine de beauté
La seule femme réelle
Ici ailleurs
Donnant des rêves aux absents
Sa main tendue vers moi
Se reflète dans la mienne
Je dis bonjour en souriant
On ne pense pas à l’ignorance
Et l’ignorance règne
Oui j’ai tout espéré
Et j’ai désespéré de tout
De la vie de l’amour de l’oubli du sommeil
Des forces des faiblesses
On ne me connaît plus
Mon nom mon ombre sont des loups.
Filles de rien prêtes à tout
Sœurs des fleurs sans racines
Sœurs des enfants rebelles
Minuscules
Indifférentes
Réduites à l’intelligence
A la raison à en mourir
Réduites dans vos secrets
Etrangères délaissées
Mes lointaines compagnes
Aux chairs sentimentales
Belles à peine belles mais toujours belles
Plus simples que le malheur
Plus précieuses que la beauté
De vos lèvres abattues
De votre sourire effondré
Vous me confiez vos poisons
O mithridatisées
Et j’oppose à l’amour Des images toutes faites Au lieu d’images à faire.
Il n’y aurait rien Pas un insecte bourdonnant Pas une feuille frissonnante Pas un animal léchant ou hurlant Rien de chaud rien de fleuri Rien de givré rien de brillant rien d’odorant Pas une ombre léchée par la fleur de l’été Pas un arbre portant des fourrures de neige Pas une joue fardée par un baiser joyeux Pas une aile prudente ou hardie dans le vent Pas un coin de chair fine pas un bras chantant Rien de libre ni de gagner ni de gâcher Ni de s’éparpiller ni de se réunir Pour le bien pour le mal Pas une nuit armée d’amour ou de repos Pas une voix d’aplomb pas une bouche émue Pas un sein dévoilé pas une main ouverte Pas de misère et pas de satiété Rien d’opaque rien de visible Rien de lourd rien de léger Rien de mortel rien d’éternel Il y aurait un homme N’importe quel homme Moi ou un autre Sinon il n’y aurait rien.
s’annonce comme ce qu’il faut savoir et surtout distinguer entre le fond et l’apparence
Me voici visible à l’Ecluse
mis à niveau pour le passage
Ce monde à plusieurs faces est un épouvantail redoutant l’oiseau par-dessus tout
aussi il affute son hypocrisie pour le tromper
Par la voie du silence les jours sont baladés en émettant leurs fumées
ruses d’indiens égarant de la seule destination
La poussée du volet libérant la lumière individuelle
Celle d’un Grindel, m’est parvenue au début de l’adolescence
Le matin en quittant la ruche Verneuil, mes pas allaient à sa poésie sans retenue
Visionnaire il m’initia au Surréalisme
Seule ouverture sans limite sur la Muse
Découverte de l’Absolu
De quoi ôter au voeu son machiavélique usage
Et ouvrir sans rien vouloir dénaturer, au mystique dans toute la force de la vérité
L’amour intègre passe par l’inévitable corruption du quotidien
Je peins pour dire autrement
Elle m’entend
Barbara a toujours su la racine
le dernier tableau lui est entièrement dédié
Je lui donne en bonne année comme pour lui dire, je suis là, je tiens sans me retenir autrement qu’au chevalet, La Chaume fertile, la couleur poétique, cet enfant silencieux là, ce sein de sel, plus loin que l’infinité du chien noir, l’Autre-Monde bien réel à la plume de ses vers.
Nous voulions voir clair dans les yeux des autres Leurs nuits d’amour épuisées
Ils ne rêvent que de mourir Leurs belles chairs s’oublient Pavanes en tournecœur Abeilles prises dans leur miel Ils ignorent la vie
Et nous en avons mal partout
Toits rouges fondez sous la langue
Canicule dans les lits pleins
Viens vider tes sacs de sang frais
Il y a encore une ombre ici
Un morceau d’imbécile là
Au vent leurs masques leurs défroques
Dans du plomb leurs pièges leurs chaînes
Et leurs gestes prudents d’aveugles
II y a du feu sous roche
Pour qui éteint le feu
Prenez-y garde nous avons Malgré la nuit qu’il couve Plus de force que le ventre De vos sœurs et de vos femmes Et nous nous reproduirons Sans elles mais à coups de hache Dans vos prisons
Torrents de pierre labours d’écume
Où flottent des yeux sans rancune
Des yeux justes sans espoir
Qui vous connaissent
Et que vous auriez dû crever
Plutôt que de les ignorer
D’un hameçon plus habile que vos potences Nous prendrons notre bien où nous voulons qu’il soit.
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