La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
… Puis ces mouches, cette sorte de mouches, et le dernier étage du jardin… On appelle. J’irai… Je parle dans l’estime.
— Sinon l’enfance, qu’y avait-il alors qu’il n’y a plus ?
Plaines ! Pentes ! Il y
avait plus d’ordre ! Et tout n’était que règnes et confins de lueurs. Et l’ombre et la lumière alors étaient plus près d’être une même chose… Je parle d’une estime… Aux lisières le fruit
pouvait choir
sans que la joie ne pourrisse
au rebord de nos lèvres.
Et les hommes remuaient plus d’ombre avec une bouche plus grave, les femmes plus de songe avec des bras plus lents.
… Croissent mes membres, et pèsent, nourris d’âge ! Je ne connaîtrai plus qu’aucun lieu de moulins et de cannes, pour le songe des enfants, fût en eaux vives et chantantes ainsi distribué… À droite
on rentrait le café, à gauche le manioc
(ô toiles que l’on plie, ô choses élogieuses !)
Et par ici étaient les chevaux bien marqués, les mulets au poil ras, et par là-bas les bœufs ;
ici les fouets, et là le cri de l’oiseau AnnaôHapax, mot qu’on ne rencontre qu’une seule fois dans la langue. – et là encore la blessure des cannes au moulin.
Et un nuage
violet et jaune, couleur d’icaque
Une prune (fruit de l’icaquier)., s’il s’arrêtait soudain à couronner le volcan d’or,
appelait-par-leur-nom, du fond des cases,
les servantes !
Sinon l’enfance, qu’y avait-il alors qu’il n’y a plus ?… »
Saint-John Perse
(Extrait d’Éloges 1911)
Ah mon Jardin, tu me tires en corps du mal extérieur ! Tes arbres aromatiques sur les pierres à réchauffer les espoirs fous, me sauvent d’un moment de torture. Mais il faut bien rentrer de tant à autres au « vrai monde » comme ils disent, pour jouir de l’Absolu.
Mais le choc de tous ces glapissements, le faux-bois des vrais cercueils et le faux-marbre des journaleux, dur dur. M’aime blindé, j’succombe pas à cette manière d’utiliser tout et son contraire pour faire passer la pilule. En touchant l’arbre d’amour, de la langue qui le boit, des couleurs sont montées au grenier et sortant le cerf-volant de la malle à rias, m’ont emmené remonter l’estuaire. D’en haut, cette vulve ouverte sur la mer m’a donné envie de faire un enfant. J’ai peint, libre de moi.
Estuaire, naissance du monde où l’algue se laisse bercer par le flus et le reflux qui huile et oint tout à la fois. Vertige qui depuis la nuit des temps nous traverse sans commandements.
Je ne suis qu’amour de vivre, ouvert et combatif, de négation déclarée à l’impossible. Et alors, oui Môssieur, j’assume mon rêve en entretenant mon jardin magique.
Je rentre de cabane, séchant la larme d’un retroussé de manches pour la remettre debout sur ses jambes.
Amants, ô tard venus parmi les marbres et les bronzes, dans l’allongement des premiers feux du soir,Amants qui vous taisiez au sein des foules étrangères,Vous témoignerez aussi ce soir en l’honneur de la Mer :
I… Etroits sont les vaisseaux, étroite notre couche.Immense l’étendue des eaux, plus vaste notre empireAux chambres closes du désir. Entre l’Eté, qui vient de mer. A la mer seule, nous dironsQuels étrangers nous fûmes aux fêtes de la Ville, et quel astre montant des fêtes sous-marinesS’en vint un soir, sur notre couche, flairer la couche du divin. En vain la terre proche nous trace sa frontière. Une même vague par le monde, une même vague depuis TroieRoule sa hanche jusqu’à nous. Au très grand large loin de nous fut imprimé jadis ce souffle…Et la rumeur un soir fut grande dans les chambres : la mort elle-même, à son de conques, ne s’y ferait point entendre !Aimez, ô couples, les vaisseaux ; et la mer haute dans les chambres !La terre un soir pleure ses dieux, et l’homme chasse aux bêtes rousses ; les villes s’usent, les femmes songent…Qu’il y ait toujours à notre porteCette aube immense appelée mer – élite d’ailes et levée d’armes, amour et mer de même lit, amour et mer au même lit –et ce dialogue encore dans les chambres : II1 –… Amour, amour, qui tiens si haut le cri de ma naissance, qu’il est de mer en marche vers l’Amante ! Vigne foulée sur toutes grèves, bienfait d’écume en toute chair, et chant de bulles sur les sables… Hommage, hommage à la Vivacité divine !Toi, l’homme avide, me dévêts : maître plus calme qu’à son bord le maître du navire. Et tant de toile se défait, il n’est plus femme qu’agréée. S’ouvre l’Eté, qui vit de mer. Et mon cœur t’ouvre femme plus fraîche que l’eau verte : semence et sève de douceur, l’acide avec le lait mêlé, le sel avec le sang très vif, et l’or et l’iode, et la saveur aussi du cuivre et son principe d’amertume – toute la mer en moi portée comme dans l’urne maternelle…Et sur la grève de mon corps l’homme né de mer s’est allongé. Qu’il rafraîchisse son visage à même la source sous les sables ; et se réjouisse sur mon aire, comme le dieu tatoué de fougère mâle… Mon amour, as-tu soif ? Je suis femme à tes lèvres plus neuve que la soif. Et mon visage entre tes mains comme aux mains fraîches du naufrage, ah ! qu’il te soit dans la nuit chaude fraîcheur d’amande et saveur d’aube, et connaissance première du fruit sur la rive étrangère.J’ai rêvé, l’autre soir, d’îles plus vertes que le songe… Et les navigateurs descendent au rivage en quête d’une eau bleue ; ils voient – c’est le reflux – le lit refait des sables ruisselants : la mer arborescente y laisse, s’enlisant, ces pures empreintes capillaires, comme de grandes palmes suppliciées, de grandes filles extasiées qu’elle couche en larmes dans leurs pagnes et dans leurs tresses dénouées.Et ce sont là figuration du songe. Mais toi l’homme au front droit, couché dans la réalité du songe, tu bois à même la bouche ronde, et sais son revêtement punique : chair de grenade, et cœur d’oponce, figue d’Afrique et fruit d’Asie… Fruits de la femme, ô mon amour, sont plus que fruits de mer : de moi non peinte ni parée, reçois les arrhes de l’Eté de mer…
2 –… Au cœur de l’homme, solitude. Etrange l’homme, sans rivage, près de la femme, riveraine. Et mer moi-même à ton orient, comme à ton sable d’or mêlé, que j’aille encore et tarde, sur ta rive, dans le déroulement très lent de tes anneaux d’argile – femme qui se fait et se défait avec la vague qui l’engendre…Et toi plus chaste d’être plus nue, de tes seules mains vêtue, tu n’es point Vierge des grands fonds, Victoire de bronze ou de pierre blanche que l’on ramène, avec l’amphore, dans les grands mailles chargées d’algues des tâcherons de mer ; mais chair de femme à mon visage, chaleur de femme sous mon flair, et femme qu’éclaire son arôme comme la flamme de feu rose entre les doigts mi-joints.Et comme le sel est dans le blé, la mer en toi dans son principe, la chose en toi qui fut de mer, t’a fait ce goût de femme heureuse et qu’on approche… Et ton visage est renversé, ta bouche est fruit à consommer, à fond de barque, dans la nuit. Libre mon souffle sur ta gorge, et la montée, de toutes parts, des nappes du désir, comme aux marées de lune proche, lorsque la terre femelle s’ouvre à la mer salace et souple, ornée de bulles, jusqu’en ses mares, ses maremmes, et la mer haute dans l’herbage fait son bruit de noria, la nuit est pleine d’éclosions…Ô mon amour au goût de mer, que d’autres paissent loin de mer l’églogue au fond des vallons clos – menthes, mélisse et mélilot, tiédeurs d’alysse et d’origan – et l’un y parle d’abeillage et l’autre y traite d’agnelage, et la brebis feutrée baise la terre au bas des murs de pollen noir. Dans le temps où les pêches se nouent, et les liens sont triés pour la vigne, moi j’ai tranché le nœud de chanvre qui tient la coque sur son ber, à son berceau de bois. Et mon amour est sur les mers ! et ma brûlure est sur les mers !…Etroits sont les vaisseaux, étroite l’alliance ; et plus étroite ta mesure, ô corps fidèle de l’Amante… Et qu’est ce corps lui-même, qu’image et forme du navire ? nacelle et nave, et nef votive, jusqu’en son ouverture médiane ; instruit en forme de carène, et sur ses courbes façonné, ployant le double arceau d’ivoire au vœu des courbes nées de mer… Les assembleurs de coques, en tout temps, ont eut cette façon de lier la quille au jeu des couples et varangues.Vaisseau, mon beau vaisseau, qui cède sur ses couples et porte la charge d’une nuit d’homme, tu m’es vaisseau qui porte roses. Tu romps sur l’eau chaîne d’offrandes. Et nous voici, contre la mort, sur les chemins d’acanthes noires de la mer écarlate… Immense l’aube appelée mer, immense l’étendue des eaux, et sur la terre faite songe à nos confins violets, toute la houle au loin qui lève et se couronne d’hyacinthes comme un peuple d’amants !Il n’est d’usurpation plus haute qu’au vaisseau de l’amour.
« …Guide-moi, plaisir, sur les chemins de toute mer ; au frémissement de toute brise où s’alerte l’instant, comme l’oiseau vêtu de son vêtement d’ailes… Je vais, je vais un chemin d’ailes, où la tristesse elle-même n’est plus qu’aile… Le beau pays natal est à reconquérir, le beau pays du Roi qu’il n’a pas revu depuis l’enfance, et sa défense est dans mon chant. Commande, ô fifre, l’action, et cette grâce encore d’un amour qui ne nous mette en mains que les glaives de joie !.. »
Et ce fut au couchant, dans les premiers frissons du soir encombré de viscères, quand, sur les temples frettés d’or et dans les Colisées de vieille fonte ébréchés de lumière, l’esprit sacré s’éveille aux nids d’effraies, parmi l’animation soudaine de l’ample flore pariétale.
Et comme nous courions à la promesse de nos songes, sur un très haut versant de terre rouge chargée d’offrandes et d’aumaille, et comme nous foulions la terre rouge du sacrifice, parée de pampres et d’épices, tel un front de bélier sous les crépines d’or et sous les ganses, nous avons vu monter au loin cette autre face de nos songes : la chose sainte à son étiage, la Mer, étrange, là, et qui veillait sa veille d’Etrangère — inconciliable, et singulière, et à jamais inappariée — la Mer errante prise au piège de son aberration.
Mon cheval arrêté sous l’arbre plein de tourterelles, je siffle un sifflement si pur, qu’il n’est promesses à leurs rives que tiennent tous ces fleuves. Feuilles vivantes au matin sont à l’image de la gloire)…
Et ce n’est point qu’un homme ne soit triste, mais se levant avant le jour et se tenant avec prudence dans le commerce d’un vieil arbre,
appuyé du menton à la dernière étoile,
il voit au fond du ciel de grandes choses pures qui tournent au plaisir.
Mon cheval arrêté sous l’arbre qui roucoule, je siffle un sifflement plus pur…
Et paix à ceux qui vont mourir, qui n’ont point vu ce jour.
Mais de mon frère le poète, on a eu des nouvelles. Il a écrit encore une chose très douce. Et quelques-uns en eurent connaissance.
Et puis vinrent les neiges, les premières neiges de l’absence, sur les grands lés tissés du songe et du réel ; et toute peine remise aux hommes de mémoire, il y eut une
fraîcheur de linges à nos tempes.
Et ce fut au matin, sous le sel gris de l’aube, un peu avant la sixième heure, comme en un havre de fortune, un lieu de grâce et de merci où licencier l’essaim des grandes odes
du silence.
Et toute la nuit, à notre insu, sous ce haut fait de plume, portant très haut vestige et charge d’âmes, les hautes villes de pierre ponce forées d’insectes lumineux
n’avaient cessé de croître et d’exceller, dans l’oubli de leur poids.
Et ceux-là seuls en surent quelque chose, dont la mémoire est incertaine et le récit est aberrant.
La part que prit l’esprit à ces choses insignes, nous l’ignorons.
Nul n’a surpris, nul n’a connu, au plus haut front de pierre, le premier affleurement de cette heure soyeuse, le premier attouchement de cette chose fragile et très futile, comme un
frôlement de cils.
Sur les revêtements de bronze et sur les élancements
d’acier chromé, sur les moellons de sourde porcelaine et sur les tuiles de gros verre, sur la fusée de marbre noir et sur l’éperon de métal blanc, nul n’a surpris, nul n’a
terni
cette buée d’un souffle à sa naissance, comme la première transe d’une lame mise à nu…
Il neigeait, et voici, nous en dirons merveilles: l’aube muette dans sa plume, comme une grande chouette fabuleuse en proie aux souffles de l’esprit, enflait son corps de dahlia blanc.
Et de tous les côtés il nous était prodige et fête.
Et le salut soit sur la face des terrasses, où l’Architecte, l’autre été, nous a montré des œufs d’engoulevent !
Je sais que des vaisseaux en peine dans tout ce naissain pâle poussent leur meuglement de bêtes sourdes contre la cécité des hommes et des dieux; et toute la misère du
monde appelle le pilote au large des estuaires.
Je sais qu’aux chutes des grands fleuves se nouent d’étranges alliances, entre le ciel et l’eau : de blanches noces de noctuelles, de blanches fêtes de phryganes.
Et sur les vastes gares enfumées d’aube comme des palmeraies sous verre, la nuit laiteuse engendre une fête du gui.
Et il y a aussi cette sirène des usines, un peu avant la sixième heure et la relève du matin, dans ce pays, là-haut, de très grands lacs, où les chantiers
illuminés toute la nuit tendent sur l’espalier du ciel une haute treille sidérale : mille lampes choyées des choses grèges de la neige…
De grandes nacres en croissance, de grandes nacres sans défaut méditent-elles leur réponse au plus profond des eaux ? — ô toutes choses à renaître, ô
vous toute réponse!
Et la vision enfin sans faille et sans défaut!…
neige sur les dieux de fonte et sur les aciéries cinglées de brèves liturgies; sur le mâchefer et sur l’ordure et sur l’herbage des remblais: il neige sur la fièvre et
sur l’outil des hommes
— neige plus fine — qu’au désert la graine de coriandre, neige plus fraîche qu’en avril le premier lait des jeunes bêtes…
Il neige par là-bas vers l’Ouest, sur les silos et sur les ranchs et sur les vastes plaines sans histoire enjambées de pylônes ; sur les tracés de villes à naître
et sur la cendre morte des camps levés ;
sur les hautes terres non rompues, envenimées d’acides, et sur les hordes d’abiès noirs empêtrés d’aigles barbelés, comme des trophées de guerre…
Que disiez-vous, trappeur, de vos deux mains congédiées ?
Extrait: Et voici d’un autre âge, ô Confesseurs terrestres – Et c’est un temps d’étrange confusion, lorsque les grands aventuriers de l’âme sollicitent en vain le pas sur les puissances de matière. Et voici bien d’un autre schisme, ô dissidents !…
… « Car notre quête n’est plus de cuivre ni d’or vierge, n’est plus de houilles ni de naphtes, mais comme aux bouges de la vie le germe même sous sa crosse, et comme aux antres du Voyant le timbre même sous l’éclair, nous cherchons, dans l’amande et l’ovule et le noyau d’espèces
VENTS
Mais c’est de l’homme qu’il s’agit ! Et de l’homme lui-même quand donc sera-t-il question ? – Quelqu’un au monde élèvera-t-il la voix ?
Car c’est de l’homme qu’il s’agit, dans sa présence humaine ; et d’un agrandissement de l’œil aux plus hautes mers intérieures.
Se hâter ! se hâter ! témoignage pour l’homme !
**
… Et le poète lui-même sort de ses chambres millénaires :
Avec la guêpe terrière et l’Hôte occulte de ses nuits,
Avec son peuple de servants, avec son peuple de suivants –
Le Puisatier et l’Astrologue, le Bûcheron et le Saunier,
Le Savetier, le Financier, les Animaux malades de la peste,
L’Alouette et ses petits, et le Maître du champ, et le Lion amoureux,
Et le Singe montreur de lanterne magique.
… Avec tous hommes de patience, avec tous hommes de sourire,
Les éleveurs de bêtes de grand fond et les navigateurs de nappes
souterraines,
Les assembleurs d’images dans les grottes et les sculpteurs de vulves
à fond de cryptes,
Les grands illuminés du ciel et de la houille, ivres d’attente et d’aubes dans les mines ; et les joueurs d’accordéon dans les chaufferies et dans les soutes ;
Les enchanteurs de bouges prophétiques, et les meneurs secrets de
foules à venir, les signataires en chambre de chartes révolutionnaires,
Et les animateurs insoupçonnés de la jeunesse, instigateurs d’écrits nouveaux et nourriciers au loin de visions stimulantes.
… Avec tous hommes de douceur, avec tous hommes de sourire
sur les chemins de la tristesse,
Les tatoueurs de reines en exil et les berceurs de singes moribonds dans les bas-fonds de grands hôtels,
Les radiologues casqués de plomb au bord des lits de fiançailles,
Et les pêcheurs d’éponges en eaux vertes, frôleurs de marbres filles et
de bronzes latins.
Les raconteurs d’histoires en forêt parmi leur audience de chanterelles, de bolets, les siffloteurs de « blues » dans les usines secrètes de guerre et les laboratoires,
Et le magasinier des baraquements polaires, en chaussons de castor, gardien des lampes d’hivernage et lecteur de gazettes au soleil de minuit.
… Avec tous hommes de douceur, avec tous hommes de patience aux
chantiers de l’erreur,
Les ingénieurs en balistique, escamoteurs sous roche de basiliques à
Coupoles,
Les manipulateurs de fiches et manettes aux belles tables de marbre blanc, les vérificateurs de poudres et d’artifices, et correcteurs de chartes
d’aviation,
Le Mathématicien en quête d’une issue au bout de ses galeries de glace,
et l’Algébriste au nœud de ses chevaux de frise ; les redresseurs de torts
célestes, les opticiens en cave et philosophes polisseurs de verres,
Tous hommes d’abîmes et de grands large, et les aveugles de grandes orgues, et les pilotes de grande erre, les grands Ascètes épineux dans leur bogue de lumière,
Et le contemplateur nocturne, à bout de fil comme l’épeire fasciée.
… Avec son peuple de servants, avec son peuple de suivants, et tout son train de hardes dans le vent, ô sourire, ô douceur,
Le Poète lui-même à la coupée du Siècle !
Accueil sur la chaussée des hommes, et le vent à cent lieux coupant l’herbe nouvelle.
**
Car c’est de l’homme qu’il s’agit, et de son renouement.
Quelqu’un au monde n’élèvera-t-il la voix ? Témoignage pour l’homme…
Que le Poète se fasse entendre, et qu’il dirige le jugement !
… Des hommes encore, dans le vent, ont eu cette façon de vivre et de gravir.
Des hommes de fortune menant, en pays neuf, leurs yeux fertiles comme des fleuves.
Mais leur enquête ne fut que de richesses et de titres…
Les buses sur les cols, prises aux courbes de leur vol, élargissaient le cirque et la mesure de l’avoir humain. Et le loisir encore, riche d’ombres, étendait ses audiences au bord des campements. La nuit des sources hébergeait l’argenterie des Vice-Rois…
Et puis vinrent les hommes d’échange et de négoce. Les hommes de grand parcours gantés de buffle pour l’abus. Et tous les hommes de justice, assembleurs de police et leveurs de milices. Les Gouverneurs en violet prune avec leurs filles de chair rousse au parfum de furet.
Et puis les gens de Papauté en quête de grands Vicariats ; Les Chapelains en selle et qui rêvaient, le soir venu, de beaux diocèses jaune paille aux hémicycles de pierre rose :
« Çà ! nous rêvions, parmi ces dieux camus ! Qu’un bref d’Église nous ordonne tout ce chaos de pierre mâle, comme chantier de grandes orgues à reprendre ! Et le vent des Sierras n’empruntera plus aux lèvres des cavernes, pour d’inquiétants grimoires, ces nuées d’oiseaux-rats qu’on voit
flotter avant la nuit comme mémoires d’alchimistes… »
S’en vinrent aussi les grands Réformateurs – souliers carrés et talons bas, chapeau sans boucle ni satin, et la cape de pli droit aux escaliers du port :
« Qu’on nous ménage, sur deux mers, les baies nouvelles pour nos fils, et, pour nos filles de front droit aux tresses nouées contre le mal, des villes claires aux rues droites ouvertes au pas du juste… »
Et après eux s’en vinrent les grands Protestataires – objecteurs et ligueurs, dissidents et rebelles, doctrinaires de toute aile et de toute séquelle ; précurseurs, extrémistes et censeurs – gens de péril et gens d’exil, et tous bannis du songe des humains sur les chemins de la plus vaste mer : les
Evadés des grands séismes, les oubliés des grands naufrages et les transfuges du bonheur, laissant aux portes du légiste, comme un paquet de hardes, le statut de leurs biens, et sous leur nom d’emprunt errant avec douceur dans les grands Titres de l’Absence…
Et avec eux les hommes de lubie – sectateurs, Adamites, mesmériens et spirites, ophiolâtres et sourciers… Et quelques hommes encore sans dessein – de ceux-là qui conversent avec l’écureuil gris et la grenouille d’arbre, avec la bête sans licol et l’arbre sans usage :
« Ah ! qu’on nous laisse, négligeables, à notre peu de hâte. Et charge à d’autres, ô servants, d’agiter le futur dans ses cosses de fer… »
Enfin les hommes de science – physiciens, pétrographes et chimistes : flaireurs de houilles et de naphtes, grands scrutateurs des rides de la terre et déchiffreurs de signes en bas âge ; lecteurs de purs cartouches dans les tambours de pierre, et, plus qu’aux placers vides où vit l’écaille d’un beau songe, dans les graphites et dans l’urane cherchant le minuit d’or où
Secouer la torche du pirate, comme les détrousseurs de Rois aux chambres basses du Pharaon.
… Et voici d’un autre âge, ô Confesseurs terrestres – Et c’est un temps d’étrange confusion, lorsque les grands aventuriers de l’âme sollicitent en vain le pas sur les puissances de matière. Et voici bien d’un autre schisme, ô dissidents !…
… « Car notre quête n’est plus de cuivre ni d’or vierge, n’est plus de houilles ni de naphtes, mais comme aux bouges de la vie le germe même sous sa crosse, et comme aux antres du Voyant le timbre même sous l’éclair, nous cherchons, dans l’amande et l’ovule et le noyau d’espèces
nouvelles, au foyer de la force l’étincelle même de son cri !… »
Et l’ausculteur du Prince défaille sur son ouïe – comme le visionnaire au seuil de sa vision ; comme aux galeries du Monstre le chasseur ; comme l’Orientaliste sur sa page de laque noire, aux clés magiques du colophon.
Soleil à naître ! Cri du Roi ! … Capitaine et Régent aux commanderies des Marches !
Tiens bien ta bête frémissante contre la première ruée barbare… Je serai là des tout premiers pour l’irruption du dieu nouveau…
Aux porcheries du soir vont s’élancer les torches d’un singulier destin !
Cet après-midi avant ce soir je dirai: j’ai peint toutes ses notes, en désordre, surtout pas triées. Laissant mon coeur se dépasser, prendre l’instrument, qu’il soit guitare ou pinceau, peu importe ils sont chacun du vent qui saura mieux dire qu’une grammaire que j’ignore.
Tu es là à toucher par le fond des yeux. Bain d’image tremblée par l’iris.
Un train, des routes, une chambre, un lit qu’est-ce qu’on va se dire si on ne se tait pas ?Quelle question hors sujet. Voilà du bleu, voici une racine, regarde est-ce que l’arbre te paraît rabougri ?
Il est une fenêtre sur ton front, juste en plein minuit de ta nuque, que tes cheveux n’ont jamais occulté. Elle ouvre sur ton passé parce qu’il tient la clef de ton avenir. Pourquoi « ton », pourquoi pas « nôtre » ? Parce que des réalités, mais c’est quoi la réalité, un âge, un jour, un moment raté, un propice ? Titi Robin, sa première guitare lui a coupé les doigts en lui donnant toutes ses mains. Un vagabond qui savate dans les gamelles pour ne plus entendre les chiens mordre la poussière.
EXIL II
À nulles rives dédiée, à nulles pages confiée la pure amorce de ce chant…
D’autres saisissent dans les temples la corne peinte des autels:
Ma gloire est sur les sables! ma gloire est sur les sables!… Et ce n’est point errer, ô
Pérégrin
Que de convoiter l’aire la plus nue pour assembler aux syrtes de l’exil un grand poème né
de rien, un grand poème fait de rien…
Sifflez, ô frondes par le monde, chantez, ô conques sur les eaux!
J’ai fondé sur l’abîme et l’embrun et la fumée des sables. Je me coucherai dans les citernes
et dans les vaisseaux creux,
En tous lieux vains et fades où gît le goût de la grandeur.
« … Moins de souffles flattaient la famille des Jules; moins d’alliances assistaient les
grandes castes de prêtrise.
« Où vont les sables à leur chant s’en vont les Princes de l’exil,
« Où furent les voiles haut tendues s’en va l’épave plus soyeuse qu’un songe de luthier,
« Où furent les grandes actions de guerre déjà blanchit la mâchoire d’âne,
« Et la mer à la ronde roule son bruit de crânes sur les grèves,
« Et que toutes choses au monde lui soient vaines, c’est ce qu’un soir, au bord du monde,
nous contèrent
« Les milices du vent dans les sables d’exil… »
Sagesse de l’écume, ô pestilences de l’esprit dans la crépitation du sel et le lait de chaux
vive!
Une science m’échoit aux sévices de l’âme… Le vent nous conte ses flibustes, le vent nous
conte ses méprises!
Comme le Cavalier, la corde au poing, à l’entrée du désert,
J’épie au cirque le plus vaste l’élancement des signes les plus fastes.
Et le matin pour nous mène son doigt d’augure parmi de saintes écritures.
L’exil n’est point d’hier! l’exil n’est point d’hier! « Ô vestiges, ô prémisses »,
Dit l’Étranger parmi les sables, « toute chose au monde m’est nouvelle!… » Et la naissance
de son chant ne lui est pas moins étrangère.
St-John Perse
Oui j’ai tout laissé au vent, il est soleil dans un tant se voulant glacè contre-nature ses fraises roides marquant le corsage d’une pointe plus causeuse qu’un non-dit. Je ne m’ai donc pas relu, laissant mes fautes libres d’exprimer au mieux ce que je suis.
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