Lettres – Poème


28cdb33e2230230a32e484f5d712db1e

Lettres – Poème

 

La scie nous scie le monstre nous saigne si gare à toi

rieur
L’asie nous suit la nuit nous baigne À quoi bon tes manières tes offres tes gaffes tes dettes

tes dates
Tu
Us ? eh quoi ! tu ne lis plus ! tu ne ris plus tu ne

pourris pas tu passes tu ris pour passer tu lasses
Ton passe-temps me passe la tempe m’obnubile m’alite

m’affole m’affuble m’agace
Et ton roquet de rouet ta pendule de ruelle ton

agamemnon de passe ta clytemnestre de case ton

petit fouet de rubis ta chandelle de clapotis ?

Parlons-en ! je veux bien crois-tu j’aurais à vous dire

mais plus tard quand il ne sera de mise que la miss

en plie supplie suffoque
Quelle affaire !
Et très tard il raffolait de l’air des ailes du givre du

plomb du lac du matin de la hutte du lutin du

lutteur du tonnerre du temps beau du bouton du

butin du vautour
Va pour les quenelles !
L’œuf fouettait le plateau englouti le gloussement

timide tempéré tiédi
Il était un soldat rageur un matelot culbuteur un

camélia calciné
Et s’il n’eût atteint l’âge il aurait été lessivé

24 aoûl 1949

Arbrisseau vaisseau de la nuit aussi

Octobre nacré répandu dans les flots tressés du sang

Veux-tu que je te dise l’île s’enlise entourée parsemée

d’iris
Le pavot n’a fait sa leçon n’a avoué son crime que tard

trop noir il bousculait l’intime le ruisselant

cauchemar

J’en souffre j’enrage mes gages s’envolent dans la turbulence hurlante vers la cime neigée où l’abri dissout se penche sur l’azur à bariolage restreint

À camouflage modéré érige la mode

À tueur tué à touffu taillis à tendre tendance

Que l’absence effleure le bois assailli défunt

Il aurait fallu faux luth lieu mal famé

J’ai failli lieu arborer ce drapeau ce trésor à l’eau

Ce vantard galop à m’y perdre

Qu’il tonne ou qu’il vente la nage est tirée l’infortune

étincelle découpe découple défaille
J’y vais

César Moro – 24 août 1949

AVANT LE PREMIER OISEAU LUTTEUR


cfc0f1d5a4a77f86631b13e7e91a2c3a

AVANT LE PREMIER OISEAU LUTTEUR

Tais-toi

Illumine le dais coi

Le liquide rideau du soupçon

Vers la quille peignée d’orage

Sidéré sous toit à perdre vue

À griffer l’air

Vainement feuille

Sans palais

Sans jardins sans géants

Toujours tenir table maison troupeau

Musique orange durée

Naître à mourir pour le feu

Rire à feuilleter les êtres les morts et les autres les lions

Éteindre pour barrer

Si le paysage devient poule canon pied ou poil

 

César Moro

BATAILLE EN POUSSIÈRE 


 

IMG_0593

BATAILLE EN POUSSIÈRE

I

Toi tu de l’amour tu

Tu n’en sais rien toiture de l’âme

Cheval nuancé nourri assez en hourvari

Quelle hutte assiégée

Qu’elle rie asiate la vie

Là vire l’amorce

L’âme hors ce miroir des sceptres lucide roi-spectre

déflore la faune
Nez faux mais on aime le feu à faux cils
Filez félins d’eau !
Endormie l’industrie arachnéenne
Le clapotis du rêve durable ensablé de nuit À tourbillons de lune À coalition de glaces

D’étoiles emmaillotées au nid à la poussière de basalte
Sur le
Nil de ma folie
Ressort perçant les tempes du liège dynastique de la

vitesse

II

Toi tu de l’amour tu
Tu n’en sais rien
Toiture de l’âme cheval
Nuancé riant nu

Nourri assez en hourvari

Quelle hutte assiégée

Quel rire asiate

Là vire l’amorce

L’âme hors ce miroir

Des spectres lucides

Roi spectre déflore la faune

Nez faux mais on aime

Le feu à faux cils

À la file félins d’eau

Endormie l’industrie arachnéenne

Le clapotis du rêve

Durable ensablé de nuit

À tourbillons de lune

À coalition de glaces

D’étoiles emmaillotées au nid

À la poussière du basalte

Sur le
Nil de ma folie

Ressort perçant les tempes

Du liège dynastique

De la vitesse

27 août 1950, 2 heures du matin

César Moro

LETTRE D’AMOUR


10a49d7d5e2c4e977a0a27f159def59d

LETTRE D’AMOUR

Je pense aux holothuries angoissantes qui souvent nous entouraient à l’approche de l’aube
quand tes pieds plus chauds que des nids
flambaient dans la nuit
d’une lumière bleue et pailletée

Je pense à ton corps faisant du lit le ciel et les montagnes suprêmes de la seule réalité
avec ses vallons et ses ombres
avec l’humidité et les marbres et l’eau noire reflétant toutes les étoiles
dans chaque œil

Ton sourire n’était-il pas le bois retentissant de mon enfance
n’étais-tu pas la source
la pierre pour des siècles choisie pour appuyer ma tête ?
Je pense ton visage
immobile braise d’où partent la voie lactée
et ce chagrin immense qui me rend plus fou qu’un lustre de toute beauté balancé dans la mer

Intraitable à ton souvenir la voix humaine m’est odieuse
toujours la rumeur végétale de tes mots m’isole dans la nuit totale
où tu brilles d’une noirceur plus noire que la nuit
Toute idée de noir est faible pour exprimer le long ululement du noir sur noir éclatant ardemment

Je n’oublierai pas
Mais qui parle d’oubli
dans la prison où ton absence me laisse
dans la solitude où ce poème m’abandonne
dans l’exil où chaque heure me trouve

Je ne me réveillerai plus
Je ne résisterai plus à l’assaut des grandes vagues
venant du paysage heureux que tu habites
Resté dehors sous le froid nocturne je me promène
sur cette planche haut placée d’où l’on tombe net

Raidi sous l’effroi de rêves successifs et agité dans le vent
d’années de songe
averti de ce qui finit par se trouver mort
au seuil des châteaux désertés
au lieu et à l’heure dits mais introuvables
aux plaines fertiles du paroxysme
et de l’unique but
ce nom naguère adoré
je mets toute mon adresse à l’épeler
suivant ses transformations hallucinatoires
Tantôt une épée traverse de part en part un fauve
ou bien une colombe ensanglantée tombe à mes pieds
devenus rocher de corail support d’épaves
d’oiseaux carnivores

Un cri répété dans chaque théâtre vide à l’heure du spectacle
inénarrable
Un fil d’eau dansant devant le rideau de velours rouge
aux flammes de la rampe
Disparus les bancs du parterre
j’amasse des trésors de bois mort et de feuilles vivaces en argent corrosif
On ne se contente plus d’applaudir on hurle
mille familles momifiées rendant ignoble le passage d’un écureuil

Cher décor où je voyais s’équilibrer une pluie fine se dirigeant rapide sur l’hermine
d’une pelisse abandonnée dans la chaleur d’un feu d’aube
voulant adresser ses doléances au roi
ainsi moi j’ouvre toute grande la fenêtre sur les nuages vides
réclamant aux ténèbres d’inonder ma face
d’en effacer l’encre indélébile
l’horreur du songe
à travers les cours abandonnées aux pâles végétations maniaques

Vainement je demande au feu la soif
vainement je blesse les murailles
au loin tombent les rideaux précaires de l’oubli
à bout de forces
devant le paysage tordu dans la tempête

1942

Cesar Moro (poète péruvien – 1903-1956)