Le Printemps par François Jacqmin


Le Printemps par François Jacqmin

Ce qu’il y a à dire du printemps, le printemps le dit.

Il n’est pas de signes pour rendre le vide mystérieusement touché.

La croissance s’accorde à son propre lyrisme.

Pour entendre vraiment, il faut au cœur plus d’amnésie que d’enthousiasme.

La brise annonce des noces impitoyables.

Il y a une lueur d’apocalypse dans tout ce qui naît.

L’herbe fait trembler le néant.

Il est périlleux de ne pas être jeune.

Au début de chaque printemps, j’oublie le nom du cornouiller.

Son inflorescence me surprend comme un cantique composé à la hâte.

Autrefois, j’avais juré d’en être l’épigone inlassable.

Depuis, il ne cesse de proclamer mon hérésie.

Le babillage des violettes couvre le redoutable discours de l’avenir.

Il s’agit de designer le fruit qui sera l’étendard de l’espèce.

Toutes les obscurités seront ouvertes et passées au crible du désir.

L’eau va forcer les serrures du sol.

L’origine est là, assemblée comme pour une charge.

Chacun attend le profond ennemi auquel il aspire.

Le génie est de rassembler toutes les ivresses.

Paradoxalement, la mort participe à ce soulèvement.

L’existence va s’élever concrètement dans l’inexprimable.

On se prépare à un bonheur acharné.

On va fêter l’instant qui prétend ne pas mourir.

La tristesse est devenue riche et la torture digne des plus fins éloges.

Le coucou se réjouit jusqu’à l’idiotie.

La légèreté avance lourdement, comme un convoi armé.

Chacun est la sentinelle de son propre corps.

On entend les ordres terrifiés de la nature.

Il faut peu de choses pour construire lorsque l’on est sous l’empire de l’irrépressible.

Les fragments les plus éthérés du paysage ont des ressources inépuisables.

Le vocabulaire du neuf s’élève en significations pures et éternellement précoces.

Il est un temps où l’utopie repose sur un perce-neige.

L’âme des jours devient tendre et bestiale.

Une sorte de désappointement heureux perfore la rêverie.

On s’initie à un rite que chuchote une voix veule et déterminée.

On se souviendra de ce moment comme d’une horrible faveur.

Les ruisseaux se précipitent vers les fonds.

Ils dressent la généalogie de la fraîcheur en courant.

Lorsqu’ils meurent, il reste la source qui les refait jusqu’au dénouement du tout.

La vase est la première étape de l’extase.

La boue chante comme une chair pétrie, folle de sa graisse.

Les métaphores de la volupté sont maintenant perceptibles par les pieds.

L’étang est épuisé.

Il faut une extrême délicatesse

pour explorer son reflet.

Même le ciel est incertain quand il faut trier les variantes du sujet et de l’objet.

Les jeunes eaux vont lui refaire un visage.

Il est une zone de souriante mollesse, un phénomène sans corps ni pensée que l’on affirme être le printemps.

Un tel ensemble d’imprécisions est apte à former une rose et une interrogation.

Pour la première fois dans l’histoire du monde, il fait plus beau qu’ailleurs.

Les enfants défient toutes les lois de la gravité.

Ils sentent que l’absolu a des vibrations de toupie.

Peut-on désigner par un mot ce qui ne porte pas de robe ?

Je parle de la jeune pluie qui stimule l’argile et bleuit l’épaule des cardamines.

L’eau devine les formes les plus indécises du printemps.

La vie reprend haleine dans le lilas.

L’illusion est délectable.

On se protège du destin en mangeant une fraise.

Dans sa douce duplicité, le coucou tente un timide avertissement.

Dans toutes les langues du monde, l’œuf est un mot en formation.

C’est un gousset d’aspirations molles retenues par une frontière de silence chaulé.

Le temps le tient dans sa mire.

Sa première tentative d’être sera une cassure ; son expression, une astuce au visage de poussin.

Chaque printemps qui revient exhale l’odeur de promesses pourries.

Il a le goût d’anciens destins.

C’est le surprenant miasme des vieux puits subitement mis au jour.

Qui oserait défier le sourire des caveaux?

La pudeur du ciel est intense.

Elle exprime l’altitude avec une perfection inoubliable et sans doute dangereuse.

Cette immense réserve dissimule le bleu d’une lame.

Le pré connaît la rébellion douceâtre des cardamines.

Leur tumulte a raison de l’humidité pédante des pâturages.

La brise anime le bleu triste de leur victoire.

Le cœur rosit comme un jeune porc.

Le temps est gros de la turpitude de ces mots-là.

On songe à un couteau adéquat.

Les soins du corps ont un goût de tourment.

Le plaisir de plaire aspire à une alliance avec l’illimité.

La beauté s’élève contre tout ce qui n’adopte pas la démesure.

Il en coûte d’écouter la chair lorsque le soir descend !

La pâquerette se joue de la pesanteur du verger.

Elle traverse la trivialité des saisons sur les reins lisses de l’herbe.

On se perd dans l’engrenage de ses pétales.

Il règne une félicité évasive dont le dessein est de dissimuler.

Dans les airs, il y a un triomphe

étrange que la grâce

d’être neuf rend peu perceptible.

En scrutant l’ombre des bois, la pervenche sent confusément qu’un secret est à l’œuvre.

Les premiers fruits avancent avec précaution.

Ils ont la modestie des corps trop vierges pour accueillir les allusions du temps.

Les oiseaux affranchis déposent des œufs rieurs à l’aisselle des branches.

Le bouleau émiette la lumière.

L’œil s’émancipe et s’arrête sur l’épaule de la forêt.

Les sentiers s’épaississent d’éternités.

Le beau temps parfume la postérité.

Les jeunes femmes flottent

dans cette essence perpétuellement

distillée.

Elles savent discrètement.
Et en sourient.

Le cœur s’acharne à consulter le feuillage.

Mais la frondaison s’obstine à demeurer superficielle et frémissante.

Je ne pourrai jamais prouver que j’ai traversé la forêt.

Le verger est étourdi.

Tout y est charme et entrave.

Un vain et sublime embarras de fleurs pèse sur les branches.

Une fatalité ordinaire est sous la feuille.

On pénètre le secret de l’espèce.

Puis, on est ce secret.

On devient enfin sa propre origine.

D’interminables colonnes de champs marchent sous les fourches de la virginité.

Il est impossible de regarder

le sillon sans y voir

une conspiration de l’amour.

Ferment du vide, l’absolu déborde sur l’herbe.

Le pré dispose de cette faculté aiguë de. rapprocher les sentiments extrêmes.

Une fois de plus, le bon sens est écarté en faveur des graminées.

La lumière vient d’atteindre son plus beau jour.

Il se fait un anneau bref et scintillant autour des arbres en fleurs.

On n’a pas eu le temps d’être vraiment neuf.

La source revient du vide.

On l’accueille avec des baquets d’anémones.

Quelques acides discrets travaillent aux fondations de la primevère.

Le jeune taillis ne résiste plus à l’azur.

Il faut revivre !

Ce cri racle les murs jusqu’à la pierre.

Tout est irrésistiblement cru.

La vérité dégénère en délire oxalique.

L’étendue se refait avec le sourire de ceux qui désespéraient.

L’herbe reverdit autour des tombes.

L’excès bondit hors de tout.

La matière a approuvé le mystère.

Les possibilités du temps sont digérées.

Il est déjà trop tard pour s’initier à l’avenir.

L’appétit est partout, discret comme une chose essentielle.

La raison est immolée à un état quelconque, mais superbe.

L’arbre refait son arc.

Il tend le bourgeon jusqu’à

la limite de la glu et

frappe l’espèce d’étonnement.

Ce qui est blessé suinte d’un désir propice.

Une grande tristesse s’empare du corps à la pensée de refaire une œuvre inutile et infinie.

Il craint le beau temps qui s’assied sans scrupule sur les blessures de l’hiver.

Il ne partage pas

le monstrueux préjugé de la

sève.

Rien n’est plus désolant que de connaître les ressorts du plaisir.

Une joie reconnue est une joie dépravée.

Celui qui sait ne voit qu’un horizon jaune dans la gorge des jonquilles.

Oui se souviendra que la cerise fut une fleur?

Qui dira que l’arbre fut un bouquet qui dépassa l’entendement du monde ?

N’est-il pas de tocsin pour nous avertir de cette mort qui vient par la beauté ?

Tôt ou tard, chacun connaît un printemps qui fait passer sur l’autre rive du temps.

Là-bas, tout souvenir heureux

a les traits d’un malheur irréparable.

Les oiseaux les plus ingénieux

y sont les outils

de la peur et du silence.

Qu’adviendrait-il du monde si le printemps était fidèle à sa promesse ?

Le vacarme des sources serait décrié comme un règne confus.

L’exaspération de respirer serait alourdie de l’écume de la flore.

Le déséquilibre de la naissance serait sur tous les visages.

François Jacqmin

L’ETE


L’ETE

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Quel contemplateur serait assez intrépide pour sonder l’âme noire dsoleil?

Indicible et obscène, sa brûlure est un refus de tout.

Une immense obscurité est en son centre torride.

Les câbles de la fraîcheur sont rompus.

Il va falloir supporter l’intarissable ennui d’être sans ombre.

Il n’est pas de mélancolie plus infamante que ce néant qui tombe en juillet.

Rien n’est vrai lorsqu’on regarde le soleil.

La vie du moi expire comme si le feu imaginait une pensée plus réelle.

Même le ciel tremble sur la corniche.

Il est impossible d’être ébloui sans broncher.

La lumière entre dans la forêt comme une révélation.

Elle emprunte des sentiers que le feuillage ignore.

Tout devient visible et inexplicable.

L’esprit est confondu à l’idée d’une fatalité qui éclaire.

L œil est alité dans la poussière.

Il songe lourdement à l’écume de la mer lointaine.

Il suit une phrase chancelante qui marche dans l’air asséché.

Ses images sont obstruées.

Personne ne s’engage à définir la finalité de la rosée.

Ce qui est limpide n’est

pas forcément d’une évidence

claire ou supportable.

On attend souvent que le soir nous rende à notre généreuse ineptie.

Le beau temps est une méthode qui refait l’illusion selon des règles plus limpides.

Les formules naissent dans les ajourés des cimes.

Cet enseignement a formé tous les amants.

Dès les premières clartés du jour, on perçoit une image qui ne doit presque rien à la pensée.

C’est un symbole qui tente la traversée du feu.

L’été aussi est à la recherche de la métaphore totale.

Il fait beau.

Même l’horreur est en liesse.

L’univers prête l’instrument de sa permanence.

Le sol est ivre et propose ses dilatations ambiguës.

L’air allège superbement les scrupules de la pesanteur.

Le ciel s’échauffe comme une hérésie.

L’esprit de la braise gagne le cœur des pierres.

Puis, c’est le tombeau de midi.

La poussière y repose dans la paix terrifiante du feu.

Une pyramide de pollen se dresse au milieu du jour.

Autour d’elle, à perte de vue, l’été s’étend, morne et silencieux.

La vibration de l’air rend la pensée méconnaissable.

On sait désormais que l’intelligence a besoin d’eau.

Le foyer est partout.
Il aveugle l’ombre où l’on voulait vivre.

Son ardeur offusque les lois de l’optique.

La matière se découvre une nouvelle faille.

Derrière les portes, on entend la respiration des flammes.

L’air est au supplice.

11 attend en vain le frisson qui vient des grottes.

Le parfum agonise.

Il faut fuir ces dunes accablantes ou mourir assoupi.

L’incandescence est une autre nuit.

Affolées, les fleurs cherchent asile dans les fissures des minéraux.

La pensée craint de s’égarer:

elle bivouaque dans la somnolence.

De torpeur en torpeur, le vallon abandonne ses échos.

Les ramiers fatigués encombrent la vacuité de l’air.

Le moi s’endort dans une ascèse de plomb.

Aujourd’hui, le temps ne vient pas du passé.

Le cœur est trop fin pour ne pas sentir que cet instant nul et prodigieux n’est pas associé à la durée.

Chaque matin d’été a cette minute cruelle et jaillissante.

Sous le règne de la pivoine, le mystère du feu suffit pour alimenter l’esprit.

La léthargie peut tenir lieu de verbe lorsque rien n’est à prouver.

Le matin est si pur qu’il semble falloir mourir pour le dire.

Exprimer un sentiment clair à ce propos est presque une médisance.

Serait-il des douleurs qui affranchissent du désir d’être précis?

Parfois, un tourment imprévu me domine dès l’aube.

Une pensée me troue comme un jet de ciel :

«Aujourd’hui, comme autrefois, » il n’y aura pas assez de » matière pour être. »

Puis, sans transition, j’entame le jour à la sauvette.

Midi est atteint.
Le silence agite ses abeilles.

Une pureté monstrueuse est au sommet de l’air; elle menace tout ce qui incline vers une signification.

L’aiguille du feu renonce à montrer l’immédiat, le plus ancien temps de tout.

Le refus de tout est une condition de survie lorsqu’il fait doux.

Seule la pensée qui n’aspire à rien risque de rester intacte.

Le ciel frôle cette perfection.

Poussés par le feu, les épis hurlent et se ruent vers la forge de la faim.

Ils aspirent au coma du pain.

Ils vont combler le chaos halluciné d’une conscience qui mange la mie.

Ils vont enfin apaiser une pensée écœurée par trop de temps et de lieux.

L’œil s’émiette dans le bouleau.

L’espace frise la folie lorsqu’il traverse son feuillage.

Je m’arrête à temps.

Je pressentais une application personnelle et désastreuse de ce frémissement.

Le ver luisant trace les arabesques de la nuit.

C’est le chemin tremblant qui conduit à l’informe.

C’est la voie complaisante qu’empruntent doucement les monstres.

Parfois, une pluie longue et apathique afflige la fraise et désole le bleuet.

On s’enlise dans la fange des végétaux.

Des alcools pervers naissent dans la bouche fétide des moissons.

Le temps néglige le destin des formes.

Quel univers peut naître des œuvres de l’hébétude?

Que penser d’une lumière qui calcine ses coquelicots?

L’immensité se rétrécit là où la respiration est alarmée.

A la tombée de la nuit, la pensée est prise au piège du chèvrefeuille.

Il suffit de respirer pour tomber sous le coup de sa sentence.

Ses effluves inspirent un chagrin dont la subtilité peut orner une vie.

Dans le bois, c’était comme une galerie taillée dans l’ombre.

Les épices de la fraîcheur tombaient comme une eau qui n’a pas encore choisi d’être fraise.

Au-dessus, je voyais le clapotis du soleil heurter et aviver la grève des feuilles.

Dehors, et plus loin, midi torride sonnait le tocsin de l’air.

La fin du jour est suave et digne d’abîmer un être.

Le parfum des choses qui cessent sans désespérer flotte comme une épave d’absolu.

Une clarté brune meurt au pied des mélèzes.

Demain, le jour viendra parfaire cette déchirure.

Le désir est infatigable.

Il remue ciel et terre pour rendre la pêche irrésistible.

Même fauché, le pré a des attraits que nul ne soupçonnait sous l’herbe.

Il faut prendre garde : la beauté du monde est sans vergogne !

Le frais tisse la tranquillité du soir.

Sauf là où un fruit amer tombe et raie le silence, tout est calme et économie.

Ce recueillement s’intensifie dangereusement.

Il faudra les étoiles pour échapper à cette élégance nocturne.

Très tôt, l’air a une odeur de fond de cruche.

La chaleur est fraîche et le ciel encore blanc.

Ce court miracle tient dans une armature de rosée.

Les étoiles mûrissent dans la distance.

Habile à dissoudre nos convictions, l’espace enténébré nous jette dans le sillon du rien.

Le moi tente de se reconstituer en un renoncement sans bornes.

Les buissons sont bus.

Immobile, le ciel est indifférent au plus vieux délice du monde: l’eau.

Les insectes grignotent l’aridité.

On reconnaît maintenant l’extrême indigence de l’éblouissement.

L’eau est une supposition.

La torpeur de la raison et

la mollesse du corps ne permettent

plus au verbe de

désaltérer un concept.

La preuve a cessé d’être limpide.

La fraîcheur descend les marches de la nuit.

C’est la sœur cthcrcc de l’eau, la substance volatile qui erre dans les pâturages de l’ombre.

Le silence est seul à entendre son pas.

Parfois, après la pluie, la forêt inaugure un cristal qui l’em sur le feu et la transparence.

C’est un fragment de source dure que le soleil jette dans l’espace sanglant des lumières.

Il réduit l’œil en écume.

Lorsqu’on a vu la clarté en extase, il n’y a plus d’espoir de vivre comme autrefois.

On renonce à tirer une leçon de ce qui est clair.

Le soleil déforme l’aplomb du jour.

Il invite à la cécité plutôt qu’à la certitude.

L’été fomente des saveurs que l’éternité n’épuiserait pas.

Le verger est conçu pour aboutir à l’impossible.

Je ne puis cueillir une pomme sans m’abîmer dans un vertige.

Le goût que l’on a pour un visage est porteur des mêmes tares.

L’été referme le livre de l’humus et s’en va.

Son enthousiasme pour l’incarnat et les parfums était une étude sur la mort.

La fibre s’était faite fruit dans une même intention inavouée.

Les foins sont faits.

Vide, le pré est devenu un sentier inextricable.

Je renonce à résoudre une énigme qui vient à la faveur de l’herbe fauchée.

Lorsqu’il approche de sa fin. l’été s’adonne à un quiétisme élémentaire.

Il ne provoque plus le paysage en de joutes tranchantes.

Il cultive l’introspection sans méthode ni espoir.

Puis, le temps l’abandonne, comme un érudit rétrograde.

Il est des matins où le soleil brille avec tristesse.

La passion de convaincre les bouquets est altérée par une fatigue inhabituelle.

Un péril diffus commence à marquer le monde.

Les sommets se dissolvent.

Leur velours se déchire en vaines tentatives de reconstituer une évidence.

Il n’est plus possible d’ignorer que la transparence est devenue un poison.

L’altitude puise dans le néant.

On ne sait pas ce que l’été veut dire.

La logique du feu écrase le penseur le plus rigoureux.

A lui seul, le foin constitue des myriades de signes objectifs, mais impénétrables.

Il suffit de lire tête nue

à midi pour que le mental se

couvre d’énigmes et de vapeurs.

François Jacqmin

L’ETE


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Quel contemplateur serait assez intrépide pour sonder l’âme noire du soleil?

Indicible et obscène, sa brûlure est un refus de tout.

Une immense obscurité est en son centre torride.

Les câbles de la fraîcheur sont rompus.

Il va falloir supporter l’intarissable ennui d’être sans ombre.

Il n’est pas de mélancolie plus infamante que ce néant qui tombe en juillet.

Rien n’est vrai lorsqu’on regarde le soleil.

La vie du moi expire comme si le feu imaginait une pensée plus réelle.

Même le ciel tremble sur la corniche.

Il est impossible d’être ébloui sans broncher.

La lumière entre dans la forêt comme une révélation.

Elle emprunte des sentiers que le feuillage ignore.

Tout devient visible et inexplicable.

L’esprit est confondu à l’idée d’une fatalité qui éclaire.

L œil est alité dans la poussière.

Il songe lourdement à l’écume de la mer lointaine.

Il suit une phrase chancelante qui marche dans l’air asséché.

Ses images sont obstruées.

Personne ne s’engage à définir la finalité de la rosée.

Ce qui est limpide n’est

pas forcément d’une évidence

claire ou supportable.

On attend souvent que le soir nous rende à notre généreuse ineptie.

Le beau temps est une méthode qui refait l’illusion selon des règles plus limpides.

Les formules naissent dans les ajourés des cimes.

Cet enseignement a formé tous les amants.

Dès les premières clartés du jour, on perçoit une image qui ne doit presque rien à la pensée.

C’est un symbole qui tente la traversée du feu.

L’été aussi est à la recherche de la métaphore totale.

Il fait beau.

Même l’horreur est en liesse.

L’univers prête l’instrument de sa permanence.

Le sol est ivre et propose ses dilatations ambiguës.

L’air allège superbement les scrupules de la pesanteur.

Le ciel s’échauffe comme une hérésie.

L’esprit de la braise gagne le cœur des pierres.

Puis, c’est le tombeau de midi.

La poussière y repose dans la paix terrifiante du feu.

Une pyramide de pollen se dresse au milieu du jour.

Autour d’elle, à perte de vue, l’été s’étend, morne et silencieux.

La vibration de l’air rend la pensée méconnaissable.

On sait désormais que l’intelligence a besoin d’eau.

Le foyer est partout.
Il aveugle l’ombre où l’on voulait vivre.

Son ardeur offusque les lois de l’optique.

La matière se découvre une nouvelle faille.

Derrière les portes, on entend la respiration des flammes.

L’air est au supplice.

11 attend en vain le frisson qui vient des grottes.

Le parfum agonise.

Il faut fuir ces dunes accablantes ou mourir assoupi.

L’incandescence est une autre nuit.

Affolées, les fleurs cherchent asile dans les fissures des minéraux.

La pensée craint de s’égarer:

elle bivouaque dans la somnolence.

De torpeur en torpeur, le vallon abandonne ses échos.

Les ramiers fatigués encombrent la vacuité de l’air.

Le moi s’endort dans une ascèse de plomb.

Aujourd’hui, le temps ne vient pas du passé.

Le cœur est trop fin pour ne pas sentir que cet instant nul et prodigieux n’est pas associé à la durée.

Chaque matin d’été a cette minute cruelle et jaillissante.

Sous le règne de la pivoine, le mystère du feu suffit pour alimenter l’esprit.

La léthargie peut tenir lieu de verbe lorsque rien n’est à prouver.

Le matin est si pur qu’il semble falloir mourir pour le dire.

Exprimer un sentiment clair à ce propos est presque une médisance.

Serait-il des douleurs qui affranchissent du désir d’être précis?

Parfois, un tourment imprévu me domine dès l’aube.

Une pensée me troue comme un jet de ciel :

«Aujourd’hui, comme autrefois, » il n’y aura pas assez de » matière pour être. »

Puis, sans transition, j’entame le jour à la sauvette.

Midi est atteint.
Le silence agite ses abeilles.

Une pureté monstrueuse est au sommet de l’air; elle menace tout ce qui incline vers une signification.

L’aiguille du feu renonce à montrer l’immédiat, le plus ancien temps de tout.

Le refus de tout est une condition de survie lorsqu’il fait doux.

Seule la pensée qui n’aspire à rien risque de rester intacte.

Le ciel frôle cette perfection.

Poussés par le feu, les épis hurlent et se ruent vers la forge de la faim.

Ils aspirent au coma du pain.

Ils vont combler le chaos halluciné d’une conscience qui mange la mie.

Ils vont enfin apaiser une pensée écœurée par trop de temps et de lieux.

L’œil s’émiette dans le bouleau.

L’espace frise la folie lorsqu’il traverse son feuillage.

Je m’arrête à temps.

Je pressentais une application personnelle et désastreuse de ce frémissement.

Le ver luisant trace les arabesques de la nuit.

C’est le chemin tremblant qui conduit à l’informe.

C’est la voie complaisante qu’empruntent doucement les monstres.

Parfois, une pluie longue et apathique afflige la fraise et désole le bleuet.

On s’enlise dans la fange des végétaux.

Des alcools pervers naissent dans la bouche fétide des moissons.

Le temps néglige le destin des formes.

Quel univers peut naître des œuvres de l’hébétude?

Que penser d’une lumière qui calcine ses coquelicots?

L’immensité se rétrécit là où la respiration est alarmée.

A la tombée de la nuit, la pensée est prise au piège du chèvrefeuille.

Il suffit de respirer pour tomber sous le coup de sa sentence.

Ses effluves inspirent un chagrin dont la subtilité peut orner une vie.

Dans le bois, c’était comme une galerie taillée dans l’ombre.

Les épices de la fraîcheur tombaient comme une eau qui n’a pas encore choisi d’être fraise.

Au-dessus, je voyais le clapotis du soleil heurter et aviver la grève des feuilles.

Dehors, et plus loin, midi torride sonnait le tocsin de l’air.

La fin du jour est suave et digne d’abîmer un être.

Le parfum des choses qui cessent sans désespérer flotte comme une épave d’absolu.

Une clarté brune meurt au pied des mélèzes.

Demain, le jour viendra parfaire cette déchirure.

Le désir est infatigable.

Il remue ciel et terre pour rendre la pêche irrésistible.

Même fauché, le pré a des attraits que nul ne soupçonnait sous l’herbe.

Il faut prendre garde : la beauté du monde est sans vergogne !

Le frais tisse la tranquillité du soir.

Sauf là où un fruit amer tombe et raie le silence, tout est calme et économie.

Ce recueillement s’intensifie dangereusement.

Il faudra les étoiles pour échapper à cette élégance nocturne.

Très tôt, l’air a une odeur de fond de cruche.

La chaleur est fraîche et le ciel encore blanc.

Ce court miracle tient dans une armature de rosée.

Les étoiles mûrissent dans la distance.

Habile à dissoudre nos convictions, l’espace enténébré nous jette dans le sillon du rien.

Le moi tente de se reconstituer en un renoncement sans bornes.

Les buissons sont bus.

Immobile, le ciel est indifférent au plus vieux délice du monde: l’eau.

Les insectes grignotent l’aridité.

On reconnaît maintenant l’extrême indigence de l’éblouissement.

L’eau est une supposition.

La torpeur de la raison et

la mollesse du corps ne permettent

plus au verbe de

désaltérer un concept.

La preuve a cessé d’être limpide.

La fraîcheur descend les marches de la nuit.

C’est la sœur cthcrcc de l’eau, la substance volatile qui erre dans les pâturages de l’ombre.

Le silence est seul à entendre son pas.

Parfois, après la pluie, la forêt inaugure un cristal qui l’em sur le feu et la transparence.

C’est un fragment de source dure que le soleil jette dans l’espace sanglant des lumières.

Il réduit l’œil en écume.

Lorsqu’on a vu la clarté en extase, il n’y a plus d’espoir de vivre comme autrefois.

On renonce à tirer une leçon de ce qui est clair.

Le soleil déforme l’aplomb du jour.

Il invite à la cécité plutôt qu’à la certitude.

L’été fomente des saveurs que l’éternité n’épuiserait pas.

Le verger est conçu pour aboutir à l’impossible.

Je ne puis cueillir une pomme sans m’abîmer dans un vertige.

Le goût que l’on a pour un visage est porteur des mêmes tares.

L’été referme le livre de l’humus et s’en va.

Son enthousiasme pour l’incarnat et les parfums était une étude sur la mort.

La fibre s’était faite fruit dans une même intention inavouée.

Les foins sont faits.

Vide, le pré est devenu un sentier inextricable.

Je renonce à résoudre une énigme qui vient à la faveur de l’herbe fauchée.

Lorsqu’il approche de sa fin. l’été s’adonne à un quiétisme élémentaire.

Il ne provoque plus le paysage en de joutes tranchantes.

Il cultive l’introspection sans méthode ni espoir.

Puis, le temps l’abandonne, comme un érudit rétrograde.

Il est des matins où le soleil brille avec tristesse.

La passion de convaincre les bouquets est altérée par une fatigue inhabituelle.

Un péril diffus commence à marquer le monde.

Les sommets se dissolvent.

Leur velours se déchire en vaines tentatives de reconstituer une évidence.

Il n’est plus possible d’ignorer que la transparence est devenue un poison.

L’altitude puise dans le néant.

On ne sait pas ce que l’été veut dire.

La logique du feu écrase le penseur le plus rigoureux.

A lui seul, le foin constitue des myriades de signes objectifs, mais impénétrables.

Il suffit de lire tête nue

à midi pour que le mental se

couvre d’énigmes et de vapeurs.

 

François Jacqmin