La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Nous voulions voir clair dans les yeux des autres Leurs nuits d’amour épuisées
Ils ne rêvent que de mourir Leurs belles chairs s’oublient Pavanes en tournecœur Abeilles prises dans leur miel Ils ignorent la vie
Et nous en avons mal partout
Toits rouges fondez sous la langue
Canicule dans les lits pleins
Viens vider tes sacs de sang frais
Il y a encore une ombre ici
Un morceau d’imbécile là
Au vent leurs masques leurs défroques
Dans du plomb leurs pièges leurs chaînes
Et leurs gestes prudents d’aveugles
II y a du feu sous roche
Pour qui éteint le feu
Prenez-y garde nous avons Malgré la nuit qu’il couve Plus de force que le ventre De vos sœurs et de vos femmes Et nous nous reproduirons Sans elles mais à coups de hache Dans vos prisons
Torrents de pierre labours d’écume
Où flottent des yeux sans rancune
Des yeux justes sans espoir
Qui vous connaissent
Et que vous auriez dû crever
Plutôt que de les ignorer
D’un hameçon plus habile que vos potences Nous prendrons notre bien où nous voulons qu’il soit.
Ce n’est pas le vent de la mer ni mes imprécations qui gonflent ses cheveux, qui l’ont jaillir hors de ses voiles un corps d’une beauté inavouable et qui se donne à tous, tous les jours, et ne se reprend pas.
Si tu l’affrontes, elle s’enlise. Si tu rampes à ses pieds, sa corolle se fend. Le venin gicle. La contrebande de dentelles s’achève en somnolences entre les lignes.
Les grands nuages, ses vassaux, s’appuient sur mon épaule qui éclate. Je n’ai plus la voix sèche des adolescents qui guettent les détonations.
Nommer une blessure avant qu’elle ne suppure Partout l’objet du mépris saigne et pustule à bon escient Nommer l’infamie rose sous ses dentelles avant qu’elle n’implose Partout l’homme se met à genoux pleure et transpire flétri par le deuil solitaire Partout le malaise fleurit L’empire du cadavre s’étend Nommer une fosse une fois recouverte semer dessus des glands et passer votre chemin car la mort est contagieuse et son nom souillera vos lèvres vos lèvres votre langue votre bouche votre blessure
Dans un monde tout gris Une femme étouffée dans sa graisse Crie sa solitude Deux mains crépitent Dans un miroir d’encre Une bouche pleine de viande Blasphème et vocifère La mayonnaise tourne Et brouille les vitres L’or et la tempête Grondent au-dehors La femme mange pour se faire connaître Et meurt la bouche ouverte Devant le sexe en érection D’un veilleur de nuit Dernier soubresaut de la boulimie
La porte est fermée de l’intérieur Je suis en retard d’une heure De maigres voiliers se rangent le long des murs Leurs ancres au repos Leurs voiles endeuillées Un gros doigt se prélasse sur un canapé D’un fusain léger il trace les contours d’un visage féminin Signes de la virginité autre que l’hymen Je suis hantée par des lambeaux absurdes D’une phrase à peine entendue Primitive épellation dans la nuit du temps perdu
L’angoisse tient le cœur de sa petite main de fer Dans le ventre de la géante la boue s’agite L’homme a tête de crocodile mastique les boyaux de la grappe humaine Des vers noirs s’éprennent Des vers blancs gavés de chair font des bulles Où sont les vieillards de mer ?
Qu’il te souvienne l’heure du soir où nageaient au loin les îles riantes de notre amour Qu’il te souvienne le chien blanc les yeux crayeux le mufle flamand assoiffé de puissance sous le pansement de sa peur Qu’il te souvienne les perles du soleil jetées sur le sable comme autant de fosses profondes dans la graisse douloureuse de la chair coupée Qu’il te souvienne hélas mon amour hélas de l’entour de ces murailles où murmure la bouche écumeuse de la belle morte ensevelie Qu’il te souvienne l’enchaînement des horreurs de la nuit
Le monde est un oiseau Il tape des pieds Sur une tombe ouverte Il picore le crâne d’un enfant Mou sous son bec d’acier Il bat des ailes Il chante Le monde est un oiseau qui chie
Tombés du soleil sur le rivage où Nulle barque est amarrée ceux qui pensaient mériter le ciel virent clairement passer sur sa roue enflammée un homme à tête de crapaud La prudence exige de ne jamais laisser séjourner l’ordure à la surface du sol Une houle de sang et de fiente gronde bave et revient s’abattre sur la terre poudreuse de mort Les voyageurs furent battus et ils perdirent leurs visages Piétinés par un bousier géant roi de la peur gelée L’homme à tête de crapaud roula sa roue grinçante comme une vieille verrue dans le trou noir spiralé de sa tombe Un grand fracas de sabots brise la marmite Un centaure déchiquetée comme une ombre au coin du jour aspire la sanie des cadavres pour nourrir sa progéniture Le nœud du mariage serre le cou du cavalier « A mort » hurlent les moines écartant les jambes du cheval éventré accolant leurs lèvres à ses plaies ils pompent le sang du cheval et du cavalier pour couler eux-mêmes liquides vers quelle gloire obscure ? Un batelier fou tente de gagner le large sur sa barque abritée de suaires en pavois mais déjà les êtres anxieux des profondeurs lèvent la tête leurs yeux sans paupières comme pondus sur un amas de lamproies blanches scories de la nuit gélatine demandant leur dû de toutes leurs bouches suceuses et le batelier quittant son banc tombe dans la vase déferlante du bateau de la vie il préféra la lame Au loin errent des créatures fanées mollement déformées dans leur étau placentaire victimes de l’immense mâchoire qui galope sur la plage gluante de ganglions entassés « L’hygiène est satisfaite » brame-t-elle arrachant les capons flasques de leur cachot « Connaître c’est aimer » répond le crapaud sur sa roue translucide tournant sur l’espace courbe d’une marine échancrée attendant l’aube du matin qui ne poindra plus jamais
La foule attendait sur la place Le vent broutait l’herbe brin à brin Une obscurité hostile étouffait les bêtes sauvages Les grands arbres bégayaient de toutes leurs langues feuillues La foule attendait sans sourciller L’arrivée de l’insectes géant accourant enfin aux vivres Jouant des pattes Poussant du dos Minaudant dans sa mince gaine cylindrique Prêt à engloutir de ses grandes lèvres difformes La nourriture faisandée Des hommes La foule attendait Amas confus de membres disjoints Le bousier géant et sa besogne ordurière La foule attendait Le vent bruissait dans les haillons de la forêt Et le cauchemar voluptueux Recourbait fortement Les abdomens Humides Piteuse clôture dites-vous ? Tel est le destin de la foule
Ecoute le cri des courlis dans les roseaux près de la mer L’ombre passe sur la campagne comme une main sur un visage lisse Qui fermera les yeux de celle qui se meurt dans l’écume des coteaux bleus Les ramiers roucoulants de l’agonie entourent le haut rocher de la solitude Elle lutte contre l’asphyxie. La terreur comme l’insecte tapi sous l’écorce d’un arbre en feu Ecoute le cri des courlis dans les roseaux c’est peut-être la mort qui passe
Ne faut-il pas être fou A tout âge De porter sa frayeur Comme un masque de craie Sur son visage La bouche ouverte sur un cri Les yeux blancs eux aussi Ne faut-il pas être fou Sous l’orage De porter un fruit dans l’ornière De son ventre Plus apre qu’un abcès Plus avide que l’absence Un fruit plus nocif Que la nuit Plus pulpeux que la mort Prêt à éclater prêt à exploser Un fruit sans pépins Fort de sa boulimie Fruit maudit de la peur Lubrique Banquise
Un rideau d’anxiété s’enroule autour de ses jambes L’angoisse loge dans son nombril Ce tiroir matelassé à demi ouvert L’homme cabré au-dessus d’une femme Ainsi que le bâton à tête de cheval des anciens mimes Flotte au-dessus d’une mare L’homme essaie de conjurer les petits objets aux contours irréguliers Qui envahissent sa gorge Et l’empêche d’avaler Du sang tombe de ses yeux Comme les premières gouttes lentes D’une lourde pluie d’été Il jouit Une trace sinueuse s’élance sur le parquet Il gît Un grand poids pèse sur son visage La femme se démène pour cueillir son dernier souffle Dans un sac de soie sauvage Les cymbales et les tambours se sont tus Qui va se marier ?
Faut-il respirer la mort pour guérir son esprit L’érable sculpte le vent Sans couteau J’attends le tournant de la route Bouche sèche d’insomnie Ravie de peur On abat des arbres dans mon cœur Un pesant fœtus Surgit des rafales de la nuit L’humilité glissante du têtard M’écoeure Belle et sinistre promiscuité Le vent bouge dans le miroir J’ai le corps pourri dans la terre Il est presque trop tard Pour se réveiller
On ne vit pas avec les morts Ils glissent sur le tapis roulant de l’oubli Vers quels noirs pâturages Ils flottent et tremblent dans le vent du soir Leurs yeux se vident comme une baignoire Leurs sexes atrophiés pendent Entre leurs jambes enlisées Dans la boue du souvenir On ne vit pas avec les morts Leurs bouches pleines d’ouate Rient de nos vains efforts Leurs soupirs affamés déchirent l’air Nous nous sommes aimés Mais ils ne se souviennent guère Tout occupés comme ils sont A jouir de leur deuil Caracolant sur l’abîme Comme chevaux de frise Heureux dans l’horreur Les morts passent leur chemin Débonnaires et la tête vide
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