La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Ce matin, loin de vouloir jouer au Socrate je serais passé à côté du propos
Pour je n’avais pas lu le Sud-Ouest du jour
Amusant mais bien ressemblant à l’impression que je laisse …
Niala-Loisobleu – 5 Novembre 2021
LE FEUILLAGE ÉCLAIRÉ
Dis-tu qu’il se tenait sur l’autre rive. Dis-tu qu’il te guettait à la fin du jour ?
L’oiseau dans l’arbre de silence avait saisi
De son chant vaste et simple et avide nos cœurs,
Il conduisait
Toutes voix dans la nuit où les voix se perdent
Avec leurs mots réels.
Avec le mouvement des mots dans le feuillage
Pour appeler encor, pour aimer vainement
Tout ce qui est perdu,
Le haut vaisseau chargé de douleur entraînait
Toute ironie loin de notre rivage.
Il était l’ange de quitter la terre d’âtres et de lampes
Et de céder au goût d’écume de la nuit.
II
La voix était d’ironie pure dans les arbres,
De dislance, de mort,
De descellemeni d’aubes loin de nous
Dans un lieu refusé. Et notre port
Était de glaise noire. Nul vaisseau
N’y avait jamais fait le signe de lumière,
Tout commençait avec ce chant d’aube cruelle.
Un espoir qui délivre, une pauvreté.
C’étaii comme en labour de terre difficile L’insiant nu, déchiré
Où l’on sein que le 1er trouve le cu’ur de l’ombre Et invente la mort sous un ciel qui change.
III
Mais dans les arbres,
Dans la flamme des fruits à peine aperçue,
L’épéc du rouge et du bleu
Durement maintenait la première blessure,
La souflerte puis l’oubliée quand vint la nuit.
L’ange de vivre ici, le tard venu. Se déchirait comme une robe dans les arbres, Ses jambes de feuillage sous les lampes Paraissaient, par matière et mouvement et nuit.
IV
Il est la terre, elle l’obscure, où tu dois vivre.
Tu ne dénieras pas les pierres du séjour.
Ton ombre doit s’étendre auprès d’ombres mortelles
Sur les dalles où vient et ne vient pas le jour.
Il est la terre d’aube. Où une ombre essentielle Voile toute lumière et toute vérité. Mais même en lieu d’exil on a aimé la terre. Tant il est vrai que rien ne peut vaincre l’amour.
Et maintenant tu es Douve dans la dernière chambre d’été.
Une salamandre fuit sur le mur. Sa douce tête d’homme répand la mort de l’été. « Je veux m’abîmer en toi, vie étroite, crie Douve. Éclair vide, cours sur mes lèvres, pénètre-moi !
« J’aime m’aveugler, me livrer à la terre. J’aime ne plus savoir quelles dents froides me possèdent. »
II
Toute une nuit je t’ai rêvée ligneuse. Douve, pour mieux t’offrir à la flamme. Et statue verte épousée par l’écorce, pour mieux jouir de ta tête éclairante.
Éprouvant sous mes doigts le débat du brasier et des lèvres : je te voyais me sourire. Or, ce grand jour en toi des braises m’aveuglait.
III
« Regarde-moi, regarde-moi, j’ai couru ! »
Je suis prés de toi, Douve, je t’éclaire. Il n’y a plus entre nous que cette lampe rocailleuse, ce peu d’ombre apaisé, nos mains que l’ombre attend. Salamandre surprise, tu demeures immobile.
Ayant vécu l’instant où la chair la plus proche se mue en connaissance.
IV
Ainsi restions-nous éveillés au sommet de la nuit de l’être. Un buisson céda.
Rupture secrète, par quel oiseau de sang circulais-tu dans nos ténèbres ?
Quelle chambre rejoignais-tu, où s’aggravait l’horreur de l’aube sur les vitres
Quand reparut la salamandre, le soleil
Était déjà très bas sur toute terre,
Les dalles se paraient de ce corps rayonnant.
Et déjà il avait rompu cette dernière
Attache qu’est le cœur que l’on touche dans l’ombre
Sa blessure créa, paysage rocheux, Une combe où mourir sous un ciel immobile. Tourné encor à toutes vitres, son visage S’illumina de ces vieux arbres où mourir.
Cassandre, dira-t-il, mains désertes et peintes, Regard puisé plus bas que tout regard épris, Accueille dans tes mains, sauve dans leur étreinte Ma tête déjà morte où le temps se détruit.
L’Idée me vient que je suis pur et je demeure Dans la haute maison dont je m’étais enfui. Oh pour que tout soit simple aux rives où je meure Resserre entre mes doigts le seul livre et le prix.
Lisse-moi, farde-moi. Colore mon absence. Désœuvré ce regard qui méconnaît la nuit. Couche sur moi les plis d’un durable silence, Éteins avec la lampe une terre d’oubli.
Close la bouche et lavé le visage, Purifié le corps, enseveli Ce destin éclairant dans la terre du verbe, Et le mariage le plus bas s’est accompli.
Tue cette voix qui criait à ma face Que nous étions hagards et séparés, Murés ces yeux : et je tiens Douve morte Dans l’âpreté de soi avec moi refermée.
Et si grand soit le froid qui monte de ton être. Si brûlant soit le gel de notre intimité, Douve, je parle en toi ; et je t’enserre Dans l’acte de connaître et de nommer.
Avec paix. Elles touchent, elles prélèvent le germe.
Elles l’emportent, grainée déjà
D’autres mondes.
Dans l’a jamais de la fleur éphémère.
O flamme
Qui consumant célèbres.
Cendre
Qui dispersant recueilles.
Flamme, oui, qui effaces
De la table sacrificielle de l’été
La fièvre, les sursauts
De la main crispée.
Flamme, pour que la pierre du ciel clair
Soit lavée de notre ombre, et que ce soit
Un dieu enfant qui joue
Dans l’âcreté de la sève.
Je me penche sur toi, je rassemble, à genoux,
Flamme qui vas.
L’impatience, l’ardeur, le deuil, la solitude
Dans ta fumée.
Je me penche sur toi, aube, je prends
Dans mes mains ton visage. Qu’il fait beau
Sur notre lit désert ! Je sacrifie
Et tu es la résurrection de ce que je brûle.
Flamme
Notre chambre de l’autre année, mystérieuse
Comme la proue d’une barque qui passe.
Flamme le verre
Sur la table de la cuisine abandonnée,
AV.
Dans les gravats.
Flamme, de salle en salle.
Le plâtre.
Toute une indifférence, illuminée.
Flamme l’ampoule
Où manquait Dieu
Au-dessus de la porte de l’étable.
Flamme
La vigne de l’éclair. là-bas.
Dans le piétinement des bêtes qui révent
Flamme la pierre
Où le couteau du rêve a tant œuvré.
Flamme,
Dans la paix de la flamme.
L’agneau du sacrifice gardé sauf.
Et. tard, je crie
Des mots que le feu accepte.
Je crie. Regarde.
Ici a déposé un sel inconnu.
Je crie. Regarde.
Ta conscience n’est pas en toi.
L’amont de ton regard
N’est pas en toi.
Ta souffrance n’est pas en toi, ta joie moins encore.
Je crie. Écoute,
Une musique a cessé.
Partout, dans ce qui est.
Le vent se lève et dénoue.
Aujourd’hui la distance entre les mailles
Existe plus que les mailles.
Nous jetons un filet qui ne retient pas.
Achever, ordonner.
Nous ne le savons plus.
Entre l’œil qui s’accroît et le mot plus vrai
Se déchire la taie de l’achevable.
O ratures, ô rouilles
Où la trace de l’eau, celle du sens
Se résorbant s’illimitent,
Dieu, paroi nue
Où l’érosion, l’entaille
Ont même aspect désert au liane du monde.
Comme il est tard !
On voit un dieu pousser quelque chose comme
Une barque vers un rivage mais tout change.
Ellbndrements sur la route des hommes.
Piétinements, clameurs au bas du ciel.
Ici Tailleurs étreint
La main œuvrante
Mais quand elle dévie dans le trait obscur, C’est comme une aube.
Regarde,
Ici, sur la lande du sens,
A quelques mètres du sol,
C’est comme si le feu avait pris feu,
Et ce second brasier, dépossession,
Comme s’il prenait feu encore, dans les hauts
De l’étoffe de ce qui est, que le vent gonfle.
Regarde,
Le quatrième mur s’est descellé,
Entre lui et la pile du côté nord
Il y a place pour la ronce
Et les bêtes furtives de chaque nuit.
Le quatrième mur et le premier
Ont dérivé sur la chaîne,
Le sceau de la présence a éclaté
Sous la poussée rocheuse.
J’entre donc par la brèche au cri rapide.
Est-ce deux combattants qui ont lâché prise.
Deux amants qui retombent inapaisés ?
Non, la lumière joue avec la lumière
Et le signe est la vie
Dans l’arbre de la transparence de ce qui est.
Je crie, Regarde,
Le signe est devenu le lieu.
Sous le porche de foudre
Fendu
Nous sommes et ne sommes pas.
Entre avec moi, obscure,
Accepte par la brèche au cri de faim.
Et soyons l’un pour l’aure comme la flamme Quand elle se détache du flambeau, La phrase de fumée un instant lisible Avant de s’effacer dans l’air souverain.
Oui, toutes choses simples
Rétablies
Ici et là, sur leurs
Piliers de feu.
Vivre sans origine, Oui, maintenant, Passer, la main criblée De lueurs vides.
Et tout attachement
Une fumée.
Mais vibrant clair, comme un
Airain qui sonne.
Retrouvons-nous
Si haut que la lumière comme déborde
De la coupe de l’heure et du cri mêlés,
Un ruissellement clair, où rien ne reste
Que l’abondance comme telle, désignée.
Retrouvons-nous, prenons
A poignées notre pure présence nue
Sur le lit du matin et le lit du soir.
Partout où le temps creuse son ornière,
Partout où l’eau précieuse s’évapore.
Portons-nous l’un vers l’autre comme enfin
Chacun toutes les bêtes et les choses.
Tous les chemins déserts, toutes les pierres,
Tous les ruissellements, tous les métaux.
Regarde,
Ici fleurit le rien ; et ses corolles.
Ses couleurs d’aube et de crépuscule, ses apports
De beauté mystérieuse au lieu terrestre
Et son vert sombre aussi, et le vent dans ses branches
C’est l’or qui est en nous : or sans matière.
Or de ne pas durer, de ne pas avoir,
Or d’avoir consenti, unique flamme
Au flanc transfiguré de l’alambic.
Et tant vaut la journée qui va finir, Si précieuse la qualité de cette lumière, Si simple le cristal un peu jauni
De ces arbres, de ces chemins parmi des sources. Et si saiislaisantes l’une pour l’autre Nos voix, qui eurent soif de se trouver Et ont erré côte à côte, longtemps Interrompues, obscures.
Que tu peux nommer Dieu ce vase vide. Dieu qui n’est pas. mais qui sauve le don. Dieu sans regard mais dont les mains renouent. Dieu nuée. Dieu enfant et à naître encore. Dieu vaisseau pour l’antique douleur comprise, Dieu voûte pour l’étoile incertaine du sel Dans l’évaporation qui est la seule Intelligence ici qui sache et prouve.
Et nos mains se cherchant Soient la pierre nue Et la joie partagée La brassée d’herbes
Car bien que toi, que moi Criant ne sommes Qu’un anneau de feu clair Qu’un vent disperse
Si bien qu’on ne saura Tôt dans le ciel Si même eut lieu ce cri Qui a fait naître,
Toutefois, se trouvant. Nos mains consentent D’autres éternité Au désir encore.
Et notre terre soit L’inachevable Lumière de la faux Qui prend l’écume
Et non parce qu’est vraie Sa seule foudre, Bien que le vide, clair, Soit notre couche
Et que toi près de moi. Simples, n’y sommes Que fumée rabattue Du sacrifice,
Mais pour sa retombée Qui nous unit. Blé de la transparence, Au désir encore.
Éternité du cri De l’enfant qui semble Naître de la douleur Qui se fait lumière.
L’éternité descend Dans la terre nue Et soulève le sens Comme une bêche.
Et vois, l’enfant
Est là, dans l’amandier.
Debout
Comme plusieurs vaisseaux arrivant en rêve.
Il monte
Entre lune et soleil. Il essaie de pencher vers nous
Dans la fumée
Son feu, riant.
Où l’ange et le serpent ont même visage.
Il offre
Dans la touffe des mots, qui a fleuri,
Une seconde fois du fruit de l’arbre.
Et déjà le maçon
Se penche vers le fond de la lumière Sa bêche en prend les gravats Pour le comblement impossible.
Il racle
De sa bêche phosphorescente
Cet autre ciel, il fouille
De son fer antérieur à notre rêve
Sous les ronces,
A l’étage du feu et de Pincréé.
Il arrache
La touffe blanche du feu
Au battement de l’incréé parmi les pierres.
Il se tait.
Le midi de ses quelques mots est encore loin
Dans la lumière.
Mais, tard.
Le rouge déteint du ciel
Lui suffira, pour l’éternité du retour
Dans les pierres, grossies
Par l’attraction des cimes encore claires.
N’étant que la puissance du rien, La bouche, la salive du rien, Je crie,
Et au-dessus de la vallée de toi, de moi Demeure le cri de joie dans sa forme pure.
Oui, moi les pierres du soir, illuminées. Je consens.
L’orage qui s’attarde, le lit défait, La fenêtre qui bat dans la chaleur Et le sang dans sa fièvre : je reprends La main proche à son rêve, la cheville A son anneau de barque retenue Contre un appontement, dans une écume, Puis le regard, puis la bouche à l’absence Et tout le brusque éveil dans l’été nocturne Pour y porter l’orage et le finir. – Où que tu sois quand je te prends obscure, S’étant accru en nous ce bruit de mer. Accepte d’être l’indifférence, que j’étreigne A l’exemple de Dieu l’aveugle la matière La plus déserte encore dans la nuit. Accueille-moi intensément mais distraitement, Fais que je n’aie pas de visage, pas de nom Pour qu’étant le voleur je te donne plus Et l’étranger l’exil, en toi, en moi Se fasse l’origine… – Oh, je veux bien. Toutefois, l’oubliant, je suis avec toi, Desserres-tu mes doigts. Formes-tu de mes paumes une coupe, Je bois, prés de ta soif. Puis laisse l’eau couler sur tous nos membres.
Eau qui fait que nous sommes, n’étant pas, Eau qui prend au travers des corps arides Pour une joie éparse dans l’énigme, Pressentiment pourtant ! Te souviens-tu, Nous allions par ces champs barrés de pierre. Et soudain la citerne, et ces deux présences Dans quel autre pays de l’été désert ? Regarde comme ils se penchent, eux comme nous, Est-ce nous qu’ils écoutent, dont ils parlent, Souriant sous les feuilles du premier arbre Dans leur lumière heureuse un peu voilée ? Et ne dirait-on pas qu’une lueur Autre, bouge dans cet accord de leurs visages Et, riante, les mêle ? Vois, l’eau se trouble Mais les formes en sont plus pures, consumées. Quel est le vrai de ces deux mondes, peu importe. Invente-moi, redouble-moi peut-être Sur ces confins de fable déchirée.
J’écoute, je consens. Puis j’écarte le bras qui s’est replié, Me dérobant la face lumineuse. Je la touche à la bouche avec mes lèvres, En désordre, brisée, toute une mer. Comme Dieu le soleil levant je suis voûté Sur cette eau où fleurit notre ressemblance. Je murmure : C’est donc ce que tu veux, Puissance errante insatisfaite par les mondes, Te ramasser, une vie, dans le vase De terre nue de notre identité ?
Et c’est vrai qu’un instant tout est silence. On dirait que le temps va faire halte Comme s’il hésitait sur le chemin, Regardant par-dessus l’épaule terrestre Ce que nous ne pouvons ou ne voulons voir. Le tonnerre ne roule plus dans le ciel calme, L’ondée ne passe plus sur notre toit, Le volet, qui heurtait à notre rêve, Se tait courbé sur son âme de fer. J’écoute, je ne sais quel bruit, puis je me lève Et je cherche, dans l’ombre encore, où je retrouve Le verre d’hier soir, à demi plein. Je le prends, qui respire à notre souffle, Je te fais le toucher de ta soif obscure, Et quand je bois l’eau tiède où furent tes lèvres, C’est comme si le temps cessait sur les miennes Et que mes yeux s’ouvraient, à enfin le jour.
***
Donne-moi ta main sans retour, eau incertaine Que j’ai désempierrée jour après jour Des rêves qui s’attardent dans la lumière Et du mauvais désir de l’infini. Que le bien de la source ne cesse pas A l’instant où la source est retrouvée, Que les lointains ne se séparent pas Une nouvelle fois du proche, sous la faux De l’eau non plus tarie mais sans saveur. Donne-moi ta main et précède-moi dans l’été mortel Avec ce bruit de lumière changée. Dissipe-toi me dissipant dans la lumière.
Les images, les mondes, les impatiences. Les désirs qui ne savent pas bien qu’ils dénouent, La beauté mystérieuse au sein obscur. Aux mains frangées pourtant d’une lumière, Les rires, les rencontres sur des chemins,
El les appels, les dons, les consentements, Les demandes sans fin, naître, insensé. Les alliances éternelles et les hâtives, Les promesses miraculeuses non tenues Mais, tard, l’inespéré, soudain : que tout cela La rose de l’eau qui passe le recueille En se creusant ici, puis l’illumine Au moyeu immobile de la roue.
***
Paix, sur l’eau éclairée. On dirait qu’une barque Passe, chargée de fruits : et qu’une vague De suffisance, ou d’immobilité. Soulève notre lieu et cette vie Comme une barque à peine autre, liée encore. Aie confiance, et laisse-toi prendre, épaule nue ? Par l’onde qui s’élargit de l’été sans fin ? Dors, c’est le plein été ; et une nuit Par excès de lumière : et va se déchirer Notre éternelle nuit ; va se pencher Souriante sur nous l’Égyptienne. Paix, sur le flot qui va. Le temps scintille. On dirait que la barque s’est arrêtée. On n’entend plus que se jeter, se désunir, Contre le liane désert l’eau infinie.
Le feu, ses joies de sève déchirée. La pluie, ou rien qu’un vent peut-être sur les tuiles. Tu cherches ton manteau de l’autre année. Tu prends les clefs, tu sors, une étoile brille.
Éloigne-toi Dans les vignes, vers la montagne de Vachères. A l’aube Le ciel sera plus rapide.
Un cercle Où tonne l’indifférence. De la lumière A la place de Dieu. Presque du feu, vois-tu, Dans le baquet de l’eau de la pluie nocturne.
***
Dans le rêve, pourtant, Dans l’autre feu obscur qui avait repris, Une servante allait avec une lampe Loin devant nous. La lumière était rouge Et ruisselait Dans les plis de la robe contre la jambe Jusqu’à la neige.
Étoiles, répandues. Le ciel, un lit défait, une naissance. Et l’amandier, grossi Après deux ans : le flot Dans un bras plus obscur, du même fleuve.
***
O amandier en fleurs, Ma nuit sans fin. Aie confiance, appuie-toi enfant A cette foudre.
Branche d’ici, brûlée d’absence, bois De tes fleurs d’un instant au ciel qui change.
Je suis sorti Dans un autre univers. C’était Avant le jour. J’ai jeté du sel sur la neige.
Extrait de: 1975, Dans le Leurre du Seuil, (Editions du Mercure de France)
« Je nommerai désert ce château que tu fus,
Nuit cette voix, absence ton visage,
Et quand tu tomberas dans la terre stérile
Je nommerai néant l’éclair qui t’a porté.
Mourir est un pays que tu aimais. Je viens
Mais éternellement par tes sombres chemins.
Je détruis ton désir, ta forme, ta mémoire,
Je suis ton ennemi qui n’aura de pitié.
Je te nommerai guerre et je prendrai
Sur toi les libertés de la guerre et j’aurai
Dans mes mains ton visage obscur et traversé,
Dans mon cœur ce pays qu’illumine l’orage. »
Yves Bonnefoy, Du mouvement et de l’immobilité de Douve, in Anthologie de la poésie française, II, Gallimard, Collection Poésie, 2004, page 209.
Ce qui fut sans lumière / Début et fin de la neige / Là où retombe la flèche de Yves Bonnefoy
Une poésie grave et sereine, d’une grande sobriété, illuminée par la beauté évanescente du monde et le souvenir des chemins de l’enfance…
Ce volume reprend en édition de poche trois plaquettes parues à la fin des années 80 chez Mercure de France : « Ce qui fut sans lumière », « Début et fin de la neige » et « Là où retombe la flèche ».
Par rapport aux recueils précédents, publiés dans le volume sobrement intitulé « Poèmes » (présenté sur CL) et qui renouvelèrent totalement l’écriture poétique en inaugurant l’après du surréalisme, l’écriture s’est simplifiée sans perdre sa densité. Toujours irriguée par les grands mythes de l’humanité (avec des accents parfois bibliques :Je vais. / Il y a cet éclair immense devant moi, / Le ciel, / L’agneau sanglant dans la paille.) et nourrie par les souvenirs d’une vie vécue (évocations de l’enfance ou d’un long séjour à Hopkins Forest, dans l’hiver nord-américain), elle s’ouvre à la nuit, assumant la part d’ombre et le sentiment d’exil contre lequel le poète avait semblé vouloir lutter quand il quêtait la révélation de la présence du monde… Même s’il écrit dans un poème « Adieu ? Non, ce n’est pas le mot que je sais dire », c’est bien un adieu que le poète prononce, à plusieurs reprises :
Le souvenir : (…) Je vais, / Et il me semble que quelqu’un marche près de moi, / Ombre, qui sourirait bien que silencieuse / Comme une jeune fille, pieds nus dans l’herbe, / Accompagne un instant celui qui part. / Et celui-ci s’arrête, il la regarde, / Il prendrait volontiers dans ses mains ce visage / Qui est la terre même. Adieu, dit-il, / Présence qui ne fut que pressentie / Bien que mystérieusement tant d’années si proche, / Adieu, image impénétrable qui nous leurra / D’être la vérité enfin presque dite, / Certitude, là où tout n’a été que doute, et bien que chimère / Parole si ardente que réelle. Adieu, nous te verrons plus venir près de nous (…) Terre, ce qu’on appelle la poésie / T’aura tant désirée en ce siècle, sans prendre / Jamais sur toi le bien du geste d’amour ! (…)
Le souvenir des instants passés dans l’immédiateté de la nature élémentaire hante le recueil, qu’il nimbe de sentiments de nostalgie et mélancolie. On perçoit également un sentiment d’espoir et d’attente heureuse, comme quelqu’un qui veille la nuit en regardant poindre l’aube tandis que la neige tombe, qui transfigure le ciel et le paysage qu’elle a presque abolis. La lumière (y compris sous la forme du feu), le rêve et la neige sont des thèmes récurrents, voire structurants, du recueil. Même si la neige est avant tout le signe de l’effacement, elle est aussi une sorte d’eau paisible et de lumière silencieuse qui apportent l’évidence d’une présence. Dès « Ce qui fut sans lumière », qui ouvre le recueil, elle apparaît comme le creuset où se révèlent et se détachent, telles les fleurs de printemps perçant les dernières neiges, les signes et les images où se lit la beauté du monde, comme un écho du jardin d’Eden dont le souvenir nous lancine :
L’adieu : (…) L’herbe et dans l’herbe l’eau qui brille, comme un fleuve. / Tout est toujours à remailler du monde. / Le paradis est épars, je le sais, / C’est la tâche terrestre d’en reconnaître / Les fleurs disséminées dans l’herbe pauvre, / Mais l’ange a disparu, une lumière / Qui ne fut plus soudain que soleil couchant. / Et comme Adam et Eve nous marcherons / Une dernière fois dans le jardin. / Comme Adam le premier regret, comme Eve le premier / Courage nous voudrons et ne voudrons pas / Franchir la porte basse qui s’entrouvre / Là-bas, à l’autre bout des longes, colorées / Comme auguralement d’un dernier rayon. (…)
Sur des branches chargées de neige : (…) Ardue est la beauté, presque une énigme / Et toujours à recommencer l’apprentissage / De son vrai sens au flanc du pré en fleurs / Que couvrent par endroits des plaques de neige
Dans « Début et fin de la neige », les flocons de neige, dont la perfection de cristal fond à la chaleur de la main, incarnent la beauté évanescente de notre condition mortelle ; la blancheur d’abîme de la grande neige, dont les flocons virevoltent en se frôlant et incarnent le bonheur souriant et paisible d’un présent sans avenir, enchevêtre les signes de l’écriture qui, en tourbillonnant, devient transparence indéchiffrable, comme si l’écho des mots résonnait ailleurs, dans un autre monde d’éternel été (peut-être un souvenir encore du jardin perdu) où ne mène aucun chemin.
L’été encore : (…) Neige, / Lettre que l’on retrouve et que l’on déplie / Et l’encre en a blanchi et dans les signes / La gaucherie de l’esprit est visible / Qui ne sait qu’en enchevêtrer les ombres claires.
Et on essaye de lire, on ne comprend pas / Qui s’intéresse à nous dans la mémoire, / Sinon que c’est l’été encore ; et que l’on voit / Sous les flocons les feuilles, et la chaleur / Monter du sol absent comme une brume.
Le peu d’eau : (…) Neige / Fugace sur l’écharpe, sur le gant / Comme cette illusion, le coquelicot, / Dans la main qui rêva, l’été passé / Sur le chemin parmi les pierres sèches, / Que l’absolu est à portée du monde.
Pourtant quelle promesse / Dans cette eau, de contact léger, puisqu’elle fut, / Un instant, la lumière ! Le ciel d’été / n’a guère de nuées pour entrouvrir / Plus clair chemin sous des voûtes plus sombres.
Circé / Sous sa pergola d’ombres, l’illuminée, / N’eut pas de fruits plus rouges.
En fait, tout le recueil multiplie les allusions ferventes aux fleurs, aux fruits, aux pierres, aux nuages, aux arbres, au feu, à la pluie, etc. comme si la nature était tissée d’une étoffe vivante dont nous aurions cherché en vain à nous revêtir, comme une cape de pèlerin, pour nos errances en quête du vrai lieu sur les chemins du monde que, dans les très beaux poèmes en prose de la section « Par où la terre finit », Yves Bonnefoy personnifie, en ressuscitant le passé, comme des compagnons d’enfance, petits dieux rieurs bouddhistes sans le savoir ou voyageurs aux regards graves :
I/ (…) Vous avez été l’évidence, vous n’êtes plus que l’énigme. Vous inscriviez le temps dans l’éternité dans l’éternité, vous n’êtes que du passé maintenant, par où la terre finit, là, devant nous, comme un bord abrupt de falaise.
III/ Tel qui allait du même pas que le ruisseau proche et se mêlait à lui en des points on se savait guère si gués ou flaques dans la lumière brisée des moucherons et des libellules. / Tel qui avait gravi une pente parmi les pins et les petits chênes puis débouchait à découvert devant tout un chaos de tertres boisés, certains barrés jusqu’à l’horizon de lignes de pierre nue. / Et cet autre, là-bas, – on rêvait que c’était un lac qu’on finirait par atteindre, il y aurait dans les herbes, abandonnée, faisant eau, une barque peinte de bleu
IV/ Tel qui se faufilait comme une couleuvre sous les feuilles d’une autre année. / Il y a une minute, il n’était pas. Dans un instant, il ne serait plus.
V/ Tel accourait, nous suivait. On se prenait à vouloir lui donner un nom. / Il s’était pris d’amitié pour la petite fille. Pour les huit ans de cette année-là ; et jappait sans fin autour d’elle, à grands
IX/ Un qui tenait une coupe, où brillait le vin du ciel calme. / Un qui allait, eût-on dit, « beyond the river and into the trees ». Un qui était notre voie lactée. / Et il y en avait un encore plus large, et qui aimait accueillir nos ombres sur son sable, qui était lisse. Elles couraient loin en avant de nous car c’était le soir, et nous les sentions agitées, inquiètes. Mais l’ombre d’un oiseau les touchait parfois et les accompagnait un instant, avant de s’en écarter d’un brusque coup de rame.
Ces chemins d’enfance reviennent à la fin du recueil, dans la partie intitulée « Là où retombe la flèche » qui évoque l’enfant égaré parce qu’il s’est, pendant quelques minutes, aventuré hors du sentier à la poursuite d’un oiseau. La nuit est encore lointaine ; l’enfant, malgré une sourde angoisse due à la perte de tout repère, n’est pas encore effrayé et ressent soudain la présence énigmatique des choses, dans lesquelles il cherche vainement un indice pour identifier la route à suivre :
Perdu. Et les choses accourent de toutes parts, se pressent autour de lui. Il n’y a plus d’ailleurs dans cet instant où il veut l’ailleurs, si intensément. / Mais le veut-il ? / Et quelque chose accourt du centre même des choses. Il n’y a plus d’espace entre lui et la moindre chose. / Seule la montagne là-bas, très bleue, l’aide ici à respirer dans cette eau de ce qui est, qui remonte.
Et s’il parle à voix haute, c’est pour lui seul, comme plus tard quand il écrira, seul dans sa chambre, quêtant son chemin dans les mots opaques et clos comme des pierres…
Perdu, pourtant. Car il lui faut décider, presque à tout instant, et voici qu’il ne peut le faire. Rien ne lui parle, rien ne lui est plus un indice. L’idée même d’indice se dissipe. Dans l’empreinte qu’avait laissée la parole, sur ce qui est, l’eau de l’apparence déserte est remontée, brille seule. / Chaque mot : quelque chose de clos maintenant, une surface mate sans rien qui vibre, une pierre. / Il peut l’articuler, il peut dire : le chêne. / Mais quand il a dit : le chêne – et à voix haute, pourquoi ? – le mot reste, dans son esprit, comme dans la main la clef qui n’a pas joué se fait lourde. Et la figure de l’arbre se clive, se fragmente et se rassemble plus haut, dans l’absolu, comme quand on regarde ces bossellements du verre qu’il y a dans d’anciennes vitres. / La couleur, rejetée sur le bord de l’image par le gonflement dans le verre. Ce qu’on appelle la forme troué d’un ressaut – démenti. Comme si s’était ouverte la main qui garde serrées couleurs et formes.
Toute la poésie d’Yves Bonnefoy est un renoncement à l’image illusoire pour une célébration, directe et presque charnelle, de la Terre, habitée par un sentiment de joie d’être au monde, parmi les choses, dans l’immédiateté qui fut jadis celle de l’enfance. Dans « Ce qui fut sans lumière », le poète adulte, revenu sur les lieux de son enfance, accueille les souvenirs, comme un fleuve en crue qui déborde la mémoire et les années et débouche dans le rêve. Le rythme des vers, riches d’interrogations et d’aveux à la 1ère personne, reproduit le travail de la pensée et, comme un chemin se proposant au lecteur, invite celui-ci à épouser son questionnement et son parcours, qu’on peut lire et relire à l’infini sans en épuiser la beauté… Peu à peu, comme la neige se dépose sur un paysage, la gravité sereine de la poésie d’Yves Bonnefoy se communique au lecteur et lui fait partager la plénitude d’une extase matérielle, dans l’ici et le présent, soucieuse de la vérité, fragile et sensible, des choses et des êtres que la beauté de leur finitude mortelle illumine :
Mais demeure l’éclair / Au-dessus du monde / Comme à un gué, cherchant / De pierre en pierre.
Est-ce que la beauté / N’a été qu’un rêve, / Le visage aux yeux clos / De la lumière ?
Non, puisqu’elle a reflet / En nous, et c’est la flamme / Qui dans l’eau du bois mort / Se baigne nue.
C’est le corps exalté / Par un miroir / Comme un feu prend, soudain, / Dans un cercle de pierres.
Et a sens le mot joie / Malgré la mort / Là où creuse le vent / Ces braises claires.
L’Heure présente d’Yves Bonnefoy, entre inquiétude et espoir
Voici regroupés en un seul volume les trois derniers écrits poétiques d’Yves Bonnefoy dans un nouvel élément de cette chaîne indispensable de caractères qu’est la collection Poésie/Gallimard. Un livre étrange et passionnant de bout en bout qui mêle poèmes, proses et réflexions critiques servis par la plume toujours élégante et gracieuse d’un homme de Lettres hors du commun… Poète avant tout, même si son œuvre critique et ses traductions sont plus nombreuses en terme d’ouvrages, car l’esprit de Bonnefoy est celui d’un poète qui s’entoure de vers et de beauté, surtout quand il devient très pointu dans ses analyses. Ainsi, La longue chaîne de l’ancre vise à explorer ce qui différencie l’écriture en vers de l’écriture en prose, sans jamais les opposer mais en essayant de tisser des liens qui pourrait parvenir à se nouer suffisamment pour qu’une passerelle se dresse et que le passage entre l’une et l’autre apparaisse, mettant alors à jour des régions subconscientes dont le poème est à l’écoute.
Au soir du second jour le monde cesse,
Ce qui aurait pu être ne sera pas,
Toute la nuit il pleut jusqu’au fond de l’herbe
Une chaîne d’encre aussi qui arrime le lecteur dans le cheminement de l’esprit du poète qui, parti des eaux profondes de l’inconscient – lieu de pensée autant que de vie – parvient jusqu’à nous sous différents jeux de langage, images suggérées, musique murmurée…
Personne n’a posé son regard sur lui.
Ce qui aurait pu être ne sera pas.
La parole ne sauve pas, parfois elle rêve.
Avec L’heure présente vous découvrez le jeu de l’alternance entre prose et poésie : Yves Bonnefoy est joueur, il inscrit ses proses pour remuer le sol de la conscience qu’on arrache au monde réel, malgré les réticences à admettre que vives demeurent des impressions et des intuitions que la pensée diurne réprime, pour mieux tourner la page sur un poème qui s’attache à employer ces mots ainsi rénovés, posant alors les problèmes de l’être et du non-être, du sens et du non-sens, sorte d’aveu implicite de cette époque déstabilisante…
Écrire de la poésie pour poser autrement les bonnes questions ? Certes, Bonnefoy est un brillant essayiste, mais il sait aussi que par le biais du poème il pourra distiller son sérum de vérité sans en avoir l’air, ses poèmes pénétrant par fragments de réponse l’âme du lecteur qui sera comblé à la fin du livre, heureux d’en savoir plus, ébahi d’avoir si facilement compris sans effort apparent, ravi du plaisir pris à la lecture…
Avance sur ton seuil, sous les liserons,
Ouvre ta main de l’enclume vers moi.
Viens avec moi boiter dans l’avenir !
On rejette les souvenirs, hélas,
La mémoire n’en finit pas de se redresser,
C’est un feu qu’on écrase, rien de ce monde.
Tel Hamlet, voire l’acteur interprétant Hamlet, tout le moins tentant une approche décalée sur les injonctions du metteur en scène (« Première ébauche d’une mise en scène d’Hamlet »), Yves Bonnefoy s’approche de votre oreille pour vous murmurer sa petite musique poétique, il est la voix de l’espace réfracté dans votre âme aux abois : « il approche, on ne sait pas où il est au juste, peut-être va-t-il paraître en quelque point de la vaste scène, en main une lampe-tempête, sur son visage le masque que sont les mots de la poésie. »
Poète du présent aussi, Yves Bonnefoy veut croire que demain sera plus fertile qu’hier, que la lueur se fera au bout du chemin, optimisme poétique servi par une langue qui revient aux sources de tout :
Heure présente, ne renonce pas,
Reprends tes mots des mains errantes de la foudre,
Écoute-les faire du rien parole,
Risque-toi
Dans même la confiance que rien ne prouve,
Lègue-nous de ne pas mourir désespérés.
François Xavier
En ce jour où la vision se met à l’ordre du jour….
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