La Chambre


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La Chambre

À Colomba.

 Je vais te parler des chambres où nous avons vécu. Des chambres que nous n’avons fait qu’apercevoir dans un rêve. Des chambres d’un jour; des chambres d’un mois; des chambres d’une année. Des chambres froides où nos mains se cherchaient effrayées et glacées. Des chambres étouffantes donnant sur une mer tropicale. Des chambres silencieuses comme des tombes. Des chambres bruyantes comme des foires. Chambre blanche de Raguse, les murs sont de vastes miroirs pour le sommeil mouvant des vagues. La craie des mouettes écrit des mots magiques sur le tableau noir de notre souvenir. Chambre vieille de Vienne, sentant le moisi et le renfermé; je suis couvert de sueurs dans le lit et j’ai froid et tu appelles affolée un médecin. Chambre terrible, chambre déserte de Soubolitza en Yougoslavie où notre cœur se déchire entre le désir de retourner en arrière et celui d’aller plus loin. Il n’y a que quelques brindilles pour le feu, et le froid est si grand que nos voix sont comme des morceaux de glace dans nos bouches. Chambre de Venise pesante, lourde comme un tapis plein de broderies et de monnaies anciennes; la mer comme une tireuse de cartes fait sa réussite multicolore. Chambre au baldaquin haut de Pavie, les murs ont un regard de pierre. Chambre de Kaspitcheak en Bulgarie, sentant la terre fraîche et le fumier. O! Chambre vaste et lumineuse de tes parents dans le quartier sud de Bucarest, la nuit comme une main chaude, le dernier fiacre qui s’en va en rêvant sous les fenêtres. Et la chambre inhospitalière dans cet hôtel de Berlin. Et ces chambres qui sont la seule chose que nous avons connue d’une ville; chambre de l’hôtel de Varsovie où les bras des neiges nous ont enlacés et où nous sommes restés de minuit à sept heures du matin. Chambre de Zagreb où par la fenêtre se dessinaient les montagnes. Nous avons rêvé de monter sur les cîmes et de crier au soleil: Hé, nous voici, Soleil! Mais nous n’y sommes jamais revenus. Chambres de Nantes, de La Rochelle, de Bordeaux, du Havre et ô! les chambres de Paris où nos années sont restées comme en des coffres secrets: chambre désolée et vide de la rue Brancion, chambre comme une plage dévastée de la rue Jonquoy. Chambres étroites comme des cercueils où la voix des voisins était haineuse comme la voix des morts. En Suisse, à Vevey, nous avons passé une nuit dans une chambre de vivants; les draps étaient très blancs et à travers les rideaux le lac nous invitait vers son ciel noble. La matin le bon café et le beurre, les confitures ô! belle aube de Suisse. Mais je tremble, une main serre mon cœur comme une éponge. J’entends mon sang qui coule goutte à goutte dans une grotte: je vois la chambre d’hôpital, tu es là après l’opération, tu as un regard si bon, si doux, tu me pardonnes de t’avoir menée dans cette salle hostile. Ta voisine est une petite fille, en face il y a une femme qui te ressemble et son mari qui me ressemble, ils se tiennent les mains, ils ne se disent rien, ils se regardent, c’est peut-être nous-mêmes car nous aussi nous nous taisons, nous nous tenons les mains, nous nous regardons. J’ai peur et je cache ma peur. Dehors les peintres sont en train de peindre les murs, ils sont habillés de blanc, les infirmiers aussi sont habillés de blanc, ce sont peut-être des peintres eux aussi et ils blanchissent à la chaux nos âmes. Quand je m’en allais je rôdais autour de l’hôpital et j’emportais en moi la chambre avec ses lits et ses malades comme un tiroir dans une armoire. Ô ! Il y a aussi les chambres trop vastes qui dépassent les frontières du monde, et celles qui tombent comme des navires au fond de nous et celles où l’on aime revenir pour retrouver son propre visage: Ai-je beaucoup changé? Il y a les chambres où je suis allé avec des femmes de passe et ton souvenir me faisait mal et donnait un goût très amer à l’amour, je fuyais ensuite par les rues et la chambre avec son odeur étrangère cognait les parois de ma tête et ne voulait pas s’en aller, ne voulait pas…

Chambre, je n’ai été en toi que quelques heures
Mais toi, tu resteras, toute ma vie, en moi,
Certes, nous sommes comme ces boissons qui gardent
Longtemps le goût de terre de la cruche qui les a contenues.

Les visages d’aucuns sont comme les cartes
Où se lit le dessin des chambres qu’ils habitent.
Il y a des chambres trop larges comme des pardessus d’emprunt
Il y a des chambres où l’âme doit se voûter comme un dos.

Il y a des chambres si aérées, si claires
Que rien ne les sépare des montagnes qui les entourent.
La forêt, les étoiles s’approchent des fenêtres,
On prend le thé avec des amis sur la terrasse.

Il y a la chambre où est enfermée ton enfance
Elle se méfie, elle ne te reconnaît plus très bien,
Il y a la chambre où ton père a été malade
Trois mois il a attendu la mort, et elle est venue.

J’ai passé à travers beaucoup de chambres
En les quittant je paraissais le même, mais les murs,
Les miroirs fumeux, les objets qu’enchaînait l’ombre
Gardaient, chaque fois, mon visage secret.

Ceci était ma chair et ceci fut mon sang
Versé de verre en verre, distribué à table,
Parfois je me surprends au milieu d’une chambre
Faisant le pas, le geste venant d’une autre chambre.

Il y avait une porte ici? Il n’y en a plus.
Et la fenêtre où est-elle donc? Il y avait
Un aboiement comme un linge à sécher dans la cour,
De l’autre côté du mur, une voix animée.

Mais ce n’est peut-être partout qu’une même chambre
Que l’on porte avec soi et qui s’adapte aux murs,
Dans les palaces, ou dans une mansarde, ou au fond d’une cave,
Elle sort de nous et recouvre tout de son étoffe.

Chambre qui donnait vers une cour sombre,
Chambre où résonne encore la voix de l’ami,
Lui, il est déjà moins qu’une ombre,
Mais sa toux, sans poitrine, s’affole en cette chambre.

J’ai connu aussi la chambre au retour de voyage
Et cette odeur de cuir et de départs,
La chambre entourée d’orages,
Et envahie par la mer de toutes parts,

Il y a vraiment des chambres qui ne veulent pas de vous,
Qui vous vont mal, qui vous tolèrent à peine,
Il y en a d’autres où l’on se sent à l’aise,
Le cœur tranquille, un livre ouvert sur les genoux.

Car il faut que l’on se mêle à la chambre,
Que l’on se perde en elle comme en un nuage,
Qu’il y ait entre vous et elle un courant continu,
Que l’on s’aime et que l’on se ressemble,

Alors l’âme déploie, confiante, sa lumière,
La chambre devient vaste ou étroite, selon votre désir,
Les murs sont affectueux et au-dessus du lit
Le plafond tend les toiles d’un sommeil paisible.

Ilarie Volonca  (1939)

 

A LA NOTRE

A l’ô, tel un bateau, notre chambre voyage …elle porte le N° Tresse pour que je te peigne sans cesse. Aux trottoirs d’ici et de là-bas, les marchés étalent leurs quatre-saisons. D’un jour lourd se faisant échelle pour un tant meilleur. D’une odeur non coupée, parfum d’intimité dévoilé. A quai, jetées, nos étreintes se font chenal pour sortir du couloir.

N-L  (15/12/16)

LE REFUGE


LE REFUGE

Un bleu de bruit clos m’encerclait depuis ces derniers jours. Gelant toute exclamation de créativité libre, sanguine, vive comme un passage de truite, laissant juste la propulsion de l’écaille au rosé de l’aube. Odeur âcre de métal tournant sa grille pour saisir la dernière parcelle du chenal qui fut la voie du large.

Tout finit au vivant auquel on a pu croire.

La grande aiguille quitte la scène en plein grouillement de secondes écervelées s’ébrouant dans l’écume des jours.

Le signe de partir ailleurs s’est prononcé

Quitter les guirlandes juste avant Noël est un véritable cadeau pour moi. Cette naissance dont je traîne le deuil depuis si longtemps va pouvoir se vider de mes poches.

C’est le dernier tableau…

j’y pars trouver REFUGE en ce 13 Décembre 2016

Bonne Route à toutes et tous.

Niala (Loisobleu)

 

 

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Le Refuge –  2016 – Niala – Acrylique s/carton toilé 35×27 – 13/12/16

EXTRAITS

IL est devant la porte ou devant la fenêtre.

Mais l’a-t-on reconnu ? Il est venu peut-être

Pour entendre nos voix et regarder nos yeux.

Ces routes de la nuit mènent vers ses grands yeux.

Il voudrait nous parler aussi; mais nulle larme

Ne lui est de secours. La mer brûle ses armes

Et ses navires, ses aurores, ses couchants.

Nous sommes là plusieurs à écouter son chant

Et son souffle pareil aux orages de sable.

Et tout devient plus beau. Nul contour haïssable,

Nulle faim, nulle soif, pour tenir son amour.

D’où revient-il ? Du Nord ? De l’Ouest ? Tous les jours

Il rôdait là. Mais nul ne l’a su…

Nulle part un regret, dont il n’eût pas souffert:

L’injustice, les lois méchantes, dans ses vers

Passèrent comme la chenille par la feuille.

Et tu y es aussi, lecteur, que tu le veuilles

Ou non. Le sauras-tu? il te faudrait encore

Te détacher de toi, tel un vaisseau des bords

De l’océan. Ouvre ce livre. Mais peut-être

Une ombre te fera deviner aux fenêtres

Ou dans la chambre ainsi qu’un souffle (auras-tu peur ?)

Ce voyant, ce proscrit, ce triste voyageur.

Il me faudra ici te quitter ombre, frère,

Je laisserai ces mots, ces chants inachevés.

Le souffle est là tout près qui mélange les terres

Et nos regards, nos mains et nos sommeils.

Je vais sans savoir où. Et toi, aussi, ombre, pareille

Au souvenir, oiseau qui dans l’air se dissout

Le soir est là tel un vaisseau qui appareille

Nous séparant de tout ce qu’une fois fut « nous ».

 Ilarie Voronca

(Permis de Séjour, 1935.)

 

COURTOISIE DE LA FATIGUE


COURTOISIE DE LA FATIGUE

Saluons l’arbre, ô l’homme vertical,

Ses feuilles ; ses cheveux au vent de la vie,

Mais l’homme couché est plus près de la terre

Qui ne confie ses secrets qu’à l’oreille.

C’est pendant l’orage que l’arbre se plie

Vers le sol, mais les nuages déchaînés

L’empêchent d’entendre la voix de terre, et quand la foudre

Fait de lui un être horizontal, il est trop tard.

Le songe ne visite pas le téméraire, l’homme debout,

Et la mort demande une grande douceur. L’allongé

Connaît la noble courtoisie de la fatigue,

Son corps est l’ornement à la mesure de la terre.

Mais les multitudes au repos, dominicales

Formes étendues au bord d’un fleuve,

La tête comme un coquillage, remplie de l’écho

Qui vient des couches profondes où sont les ossements,

Les voici prêtes aux visions, les voici calmes.

Le sommeil leur confie ses flûtes de cendre

Car elles savent que ni la mer énorme ni la flamme

Ne pourrait les soustraire aux ordres de la terre.

Vous rêveurs, vous hommes horizontaux qui attendez

La femme à la beauté immuable, la mort,

Saluts à vous, couchés dans le sable ou la boue,

Vous, gloire des navires au fond des océans.

Bientôt en vos bouches pleines de terre les paroles

Seront ces touffes d’herbes transplantées avec le sol

Quand les racines fines trouveront vos ancêtres

Et les clés d’os ouvrant la porte des nuages.

Ilarie VORONCA

(in Les Hommes sans Epaules n°16, 2004).

 

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