Sur les traces d’un prince par Jean-Marie Vivier


Sur les traces d’un prince par Jean-Marie Vivier

Je suis né en avril de l’an soixante-dix
Sur une scène de Nantes, maudit que c’était bien
D’une phrase lancée du fond d’une coulisse
Autour de dix-sept heures, la guitare à la main

Il est venu de loin, chanter les grands espaces
Les misères de l’homme et son frère le loup
Il a dit la colère, il a donné l’audace
Qui allait m’emporter dans l’aventure itou

Et sur notre sentier de neige et de froidure
Entre lacs et forêts, montagnes et déserts
Il a guidé mes pas à travers les mouillures
Pour qu’à mon tour je puisse atteindre enfin la mer

Des années de départs et puis de retrouvailles
De leçons engrangées malgré les poudreries
C’est peut-être bien peu mais c’est mon héritage
Mes seules vraies richesses, ma seule académie

Il faut vivre de rêves en étant bohémien
Jamais oui, jamais non, plus souvent non que oui
Jusqu’au soir de sa vie, rester un collégien
Et ne rien accepter de facile, de gratuit

L’humour pour le voyage, l’arme la plus utile
Défricher dans sa tête, toujours chercher sa voie
Tous ces mauvais conseils seraient mon codicille
S’il me fallait renaître une dernière fois

Depuis cette naissance d’avril soixante-dix
Je me suis levé tôt pour inviter l’enfance
Un peu comme un tzigane sur les pas de Francis
La vie, l’amour, la mort sont au bout des errances

J’ai fait le tour de l’île en rêvant de Bozo
J’ai pris le train du nord, remonté la rivière
Pour voir si MacPherson était sur son radeau
Ou s’il avait trouvé un abri pour l’hiver

Même s’il y a des amours, y a toujours un ailleurs
J’ai vu la Gaspésie retrouver petit Pierre
J’ai sali mes souliers pour des petits bonheurs
Et pour la mort de l’ours, mis un genou à terre

À vivre mes saisons sur les traces d’un prince
Restent les souvenirs, maudit que c’était bien
Et ce grand sourire bleu, beau comme une province
Qui me sont un fanal pour finir le chemin

La chanson de Fanon par Jean-Marie Vivier


 La chanson de Fanon par Jean-Marie Vivier

C’est à l’heure où les loups sont chiens
À l’heure blanche du laitier
Au bout de ton dernier matin
Que la chanson s’en est allée

À l’aube du temps des cerises
Sans revoir le soleil de mai
T’es parti chercher tes Marquises
Comme tant de frangins l’ont déjà fait

Peut-être avais-tu à la main
Cette petite rose en tissu noir ?
En souvenir du chante-pain
Qu’il te fallait gagner le soir

T’as vu la gueule qu’elle a la mort

Elle prend les larmes, elle prend les rires
Sans doute lui as-tu dit encore
« Maurice Fanon pour vous servir »

Cette année l’été fut plus pluvieux
Au printemps est venue la garce
La chanson a pris un coup de vieux
De Saint-Germain à Montparnasse

Dans un sourire à la Jésus
À celle qui stoppe les voyages
T’as foutu un coup d’ pied au cul
Comme dernier libertinage

Pour que vive la liberté
Unique guerrier de tes guerres
C’est la paix avec toi signée
Qui t’ouvre l’ultime frontière

Belles, belles à en mourir
Colombes, Polonaises, hirondelles
Passé, présent ou avenir
Tes femmes à toi seront toujours belles

Avec ton pouce suçant le temps
De dernière bière en dernière blonde
Plus rien ne s’ra plus comme avant
Au pied nu de la mappemonde

Tête de quoi ? Tête de con
Élise, Jean-Marie, Jacques Machin
Comme l’éternité, tes chansons
Couchent dans le sac des marins

Faut quand même la vivre sa vie
En conjuguant le verbe croire

Avoir trop bu, avoir trop ri
Même s’il ne faut plus se revoir

C’est donc ça la mélancolie
Une écharpe qui devient poussière
Et ce mardi mouillé de pluie
À faire pleurer un cimetière

Mais ce n’est pas qu’il fasse froid
Le fond de l’air est doux