POEMES DE FAMILLE PAR MILENE FOURNIER


SE COLTINER GRANDIR, Lurlure, 2022 TERRE A CIEL

POÈMES DE FAMILLE

PAR MILENE FOURNIER

C’étaient les vacances d’été et de retour.
L’après-midi, devant l’hôpital de la naissance : « c’est là que tu es née ».
Je les avais filmés, père et mère. Son bras à lui, autour de ses épaules.
L’hôpital en fond de cadre et moi en face, leur fille.
Un hérisson était apparu la veille dans le jardin. Tout sombre.
« En fait, c’est comme un tout petit sanglier ». avait remarqué mon père.
« Toi, maman, gris-gris, il te fait peur ? ».
« Non. Simplement, je ne sais pas quoi en faire ».
Devant la petite affiche dans la rue « Perdu chat tigré peureux maigre, il a une plaie dans la bouche, il est sous traitement », le père avait ri : « on se demande pourquoi ils veulent le retrouver ».
J’ai pensé à la nuit grise comme une portée de chats.
Au soleil qui chaque matin nous adopte.
Le hérisson se cache entre les balais, parce que, a dit la mère, c’est la chose du jardin qui lui ressemble le plus – il cherche ses parents.

Tu as un casse-noix chez toi ?
Et j’ai dit oui -alors que non- à ma mère pensant que c’était pour rien.
Et me voilà avec donc sept noix dans mes bagages.
Sache donc, fille, que pour chaque réponse en l’air
T’attend le poids équivalent
De sept inutiles noix beiges.

N’arrivez pas, mes parents,
Avec vos deux vieillesses
Pour me creuser des tonnerres de patience
Et dénicher parmi moi
La grande fille et jeune adulte –
J’adresserai encore
Aux bords de votre seule grande tombe
Un mail impatient
Envoyé sans objet
À minuit.

Détourne le flot des douleurs
Comme la blague de mon père, quand on se cognait le front au meuble et qu’on allait commencer à pleurer,
D’aller consoler le meuble, et alors, plutôt, on riait.

Ma mère a dit
Qu’on est tous
Traversés par des espérances très profondes
Même ceux qu’on imagine pas, ils sont traversés par des espérances très profondes.
Et j’ai regardé ma mère,
Et c’était effectivement, sur ou dans elle,
Plutôt une espérance que de l’espoir
Comme y’a parfois pas besoin du soleil pour que y ait la lumière, tant il a déjà brillé, et la mer suffit à faire le soleil,
J’ai regardé ma mère avec son espérance
Et comme elle était claire.
Et ma mère aussi me regardait.
Et ça se voyait
Qu’elle espérait pour deux
Et que moi, il suffisait de vivre.

Panier et vieille chaise
C’est toujours beau
A théorisé ma mère,
Sans, elle, prendre comme moi de photo.

Chapeau sur la tête, ma mère analysait :
« En même temps il me protège du soleil
Mais aussi il me donne chaud ».

J’ai écouté une chanson avec mon père
Et quelqu’un pleurait
Sur nos quatre joues.

Avec ces chaussures légères,
Quand je marche sur les pierres
On fait connaissance à chaque pas –
A dit la mère avec sa façon très à elle
De mystère clair.

Mon père m’a demandé
Tu te souviendras de nous vieux
Ou de nous jeunes ?
Mais moi j’avais même oublié
Qu’un jour il faudrait
Seulement m’en souvenir.

Milène Tournier