La Sorgue – Paroles et musique de Léo Ferré


LA SORGUE – PAROLES ET MUSIQUE DE LÉO FERRÉ

Je suis le tapin de la lune
Sur le macadam à Greenwich
Et mes jupons troués de lunes
Se retroussent devant l’anglich

Je suis la copine à radar
Ce curieux ce flic ce voyeur
Et chaque fois qu’il est de quart
Je me mets à poil sans pudeur

Je suis la plage d’océan
Où je compte des grains de sable
Que je refile à un marchand
En société avec le diable

Je suis la gomme à effacer
Les gratte-ciel au crépuscule
Et le buvard qui vient sécher
Les mains moites des funambules

Je suis la couche du soleil
Qui ferme ses yeux dans mes mains
Chaque soir en grand appareil
Avec des étoiles (s) à mon sein

Je suis la voûte impénétrable
Des oiseaux fous volant de nuit
Et qui picorent à ma table
Des logarithme(s) et du défi

Je suis le jour des yeux crevés
Et qui regardent en dedans
Des couleurs à réinventer
Que ne voient jamais les voyants

Je suis l’orgue des anonymes
Qui me pelotent de leurs doigts
Avec des cris d’amour sublimes
Qui me jaillissent malgré moi

Je suis la femme du soldat
Sur un châlit de paille rêche
Qu’il prend perhaps pour de la soie
Tellement mes rêves le lèchent

Je suis la lame du bandit
Que le crime paie quelquefois
Et quand on parle de minuit
C’est en plein milieu de chez moi

Je suis la soie du condamné
Comme une araignée je déroule
La toile du remords et fais
Qu’au petit jour il perd la boule

Je suis la graine d’hôpital
Qui pousse des fleurs mécaniques
Pétales d’aube et de bocal
Où baignent mes nuits romantiques

Je suis la raison d’espérer
De l’anarchiste et du poète
Et je tiens leurs idées au frais

En attendant qu’on les achète


Léo Ferré - La sorgue

« SPECTACLE » Niala revient en loge


« SPECTACLE »

Niala

revient en loge

Par la Rue de Seine ?

Atout prendre, j’en vois pas d’autre pour me rendre à ce

SPECTACLE DE 2015

qui me ramène aux fenêtres sur l’avenir d’en vie de parler

d’écrire

de ma peinture

sans intention d’éternité mais de relais de continuité

La pouliche sortant de la fenêtre qu’elle a ouverte au soleil

s’étend maisons épaules contre épaules en plain-chant

Sont passés les jeux du cirque, saltimbanques et acrobates d’un trapèze en tapis-volant

pour conduire la Veuve à la maternité depuis la sarbacane amazonienne du poumon gardé

Sur les planchas grillent les fesses posées par le fakir

pour laisser mes mains développer l’idée de construire en dépit de la pandémie génétique du futur

Marcello je t’avais dit que je peindrais ton idée avec mes couleurs

tu vois ce retour en arrière me booste en avant pour

faire du vivant au jour des Morts.

Niala-Loisobleu .

31 Octobre 2022

FUGUE LUNAIRE


FUGUE LUNAIRE

La pleine-lune emporte la moindre partie d’ombre en promesses de clarté

En sortant du lit la rivière offre à boire ses reflets argentés

Le cheval me guide à bord d’une fugue

Sous ta robe les fleurs ont une autre odeur dont je connais la couleur et le dessein par cœur

Tu nous passes, le cheval et moi, de l’autre coté du mûr.

Niala-Loisobleu – 31 Octobre 2022

PORTES DECLOSES


PORTES DECLOSES

Murmure solaire

tend la main

Mes traces sont restées là où étaient leur place

mon regard s’ouvre à la clef restée sur l’apporte

Halloween refoulé est reconduit dans son pays d’origine.

Niala-Loisobleu – 31 Octobre 2022

JACQUELINE LAMBA


JACQUELINE LAMBA

Jacqueline Lamba est le symbole féminin de la lutte pour être peintre. Moins connue comme artiste que ses amies Dora Maar, Frida Kahlo ou Claude Cahun, elle demeure dans les livres et les catalogues l’épouse numéro deux d’André Breton, l’ « ondine » qui a séduit le poète de « la nuit du Tournesol ». La muse « scandaleusement belle » décrite dans L’Amour fou. Mais aussi la mère d’Aube Breton Élléouët.

Belle et indépendante, elle n’a cessé de combattre pour faire reconnaître son besoin impérieux de peindre. Quitte à « préférer » la solitude et l’isolement. Son caractère « haut », direct et franc, sans jamais tomber dans les travers venimeux de Dora Maar, n’était pas facile. Et ne l’a pas aidé. Mais c’était une femme de passion et d’une sincérité absolue.

La peinture de Jacqueline Lamba n’a rien de féminin. C’est là où elle a gagné sa vraie place, qui n’est pas encore reconnue. En secondes noces, elle épousa le sculpteur David Hare, dont elle eut un fils, Merlin. S’il lui laissa plus d’espace pour peindre à sa convenance, le mariage ne tint pas.

NB : Son œuvre a souffert de plusieurs pertes ou dégradations : les tableaux laissés au 42 rue Fontaine en 1940 ont « mystérieusement » disparu ; elle a elle-même détruit une partie des tableaux réalisés à New York au début des années 40 suite à une remarque de Matta qui les trouvait très proches des siens.

BLEU VILLAGE


BLEU VILLAGE

Réverbère, le village où le dernier moû des grappes finit de sécher, l’alambic opiniâtre tient sa lumière allumée

Les raisins testiculaires entrent aux vagins de la beauté en se détournant des banques pour les porteuses

Comme à la veillée où les The Voice n’ont pas accès ont applaudi que si la voix est libre, sinon on siffle en crochet

En selle sur le vent les nuages entourent les maisons dans la ouate en les transportant d’un coeur à l’autre sans réveiller le rêve

Au plafond des oiseaux se déplacent

comme je migre mes pensées sur l’amour qui ne me quittera pas la respiration de tes seins

La vie est si belle qu’incroyablement elle cache les cons qui la défigurent en la tatouant d’un mauvais langage…

Niala-Loisobleu – 30 Octobre 2022

Le creux du fauteuil


Le creux du fauteuil

Du tant qu’il a fallu au sel pour creuser le rocher

les jours ramènent à l’assise cet amour encré aux vagues

Là où le bas s’arrête au haut des jambes la peau élargit l’estuaire

Pré salé du mont

Le cheval remonte l’algue en chariots pour l’épandre entre tien émoi…

Niala-Loisobleu – 30 Octobre 2022

Spiritualité


Spiritualité

Sanctuaire où l’eau des fonds a baptisé des années durant, l’atelier a tenu le graal contre lui sans courir

La vulgarité a fini par gagner en chassant le sacré du réel de la vie

Où sont allées se jeter les âmes ?

Terre à terre l’ESprit gît

Halloween régit…

Niala-Loisobleu – 30 Octobre 2022

FERNANDO PESSOA – BUREAU DE TABAC


FERNANDO PESSOA – BUREAU DE TABAC

Je ne suis rien
Jamais je ne serai rien.
Je ne puis vouloir être rien.
Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde.

Fenêtres de ma chambre,
de ma chambre dans la fourmilière humaine unité ignorée
(et si l’on savait ce qu’elle est, que saurait-on de plus ?),
vous donnez sur le mystère d’une rue au va-et-vient continuel,
sur une rue inaccessible à toutes les pensées,
réelle, impossiblement réelle, précise, inconnaissablement précise,
avec le mystère des choses enfoui sous les pierres et les êtres,
avec la mort qui parsème les murs de moisissure et de cheveux blancs les humains,
avec le destin qui conduit la guimbarde de tout sur la route de rien.

Je suis aujourd’hui vaincu, comme si je connaissais la vérité;
lucide aujourd’hui, comme si j’étais à l’article de la mort,
n’ayant plus d’autre fraternité avec les choses
que celle d’un adieu, cette maison et ce côté de la rue
se muant en une file de wagons, avec un départ au sifflet venu du fond de ma tête,
un ébranlement de mes nerfs et un grincement de mes os qui démarrent.

Je suis aujourd’hui perplexe, comme qui a réfléchi, trouvé, puis oublié.
Je suis aujourd’hui partagé entre la loyauté que je dois
au Bureau de Tabac d’en face, en tant que chose extérieurement réelle
et la sensation que tout est songe, en tant que chose réelle vue du dedans.

J’ai tout raté.
Comme j’étais sans ambition, peut-être ce tout n’était-il rien.
Les bons principes qu’on m’a inculqués,
je les ai fuis par la fenêtre de la cour.
Je m’en fus aux champs avec de grands desseins,
mais là je n’ai trouvé qu’herbes et arbres,
et les gens, s’il y en avait, étaient pareils à tout le monde.
Je quitte la fenêtre, je m’assieds sur une chaise. À quoi penser ?

Que sais-je de ce que je serai, moi qui ne sais pas ce que je suis ?
Être ce que je pense ? Mais je crois être tant et tant !
Et il y en a tant qui se croient la même chose qu’il ne saurait y en avoir tant!
Un génie ? En ce moment
cent mille cerveaux se voient en songe génies comme moi-même
et l’histoire n’en retiendra, qui sait ?, même pas un ;
du fumier, voilà tout ce qui restera de tant de conquêtes futures.
Non, je ne crois pas en moi.
Dans tous les asiles il y a tant de fous possédés par tant de certitudes !
Moi, qui n’ai point de certitude , suis-je plus assuré, le suis-je moins ?
Non, même pas de ma personne…
En combien de mansardes et de non-mansardes du monde
n’y a-t-il à cette heure des génies-pour-soi-même rêvant ?
Combien d’aspirations hautes, lucides et nobles –
oui, authentiquement hautes, lucides et nobles –
et, qui sait peut-être réalisables…
qui ne verront jamais la lumière du soleil réel et qui
tomberont dans l’oreille des sourds ?
Le monde est à qui naît pour le conquérir,
et non pour qui rêve, fût-ce à bon droit, qu’il peut le conquérir.
J’ai rêvé plus que jamais Napoléon ne rêva.
Sur mon sein hypothétique j’ai pressé plus d’humanité que le Christ,
j’ai fait en secret des philosophies que nul Kant n’a rédigées,
mais je suis, peut-être à perpétuité, l’individu de la mansarde,
sans pour autant y avoir mon domicile :
je serai toujours celui qui n’était pas né pour ça ;
je serai toujours, sans plus, celui qui avait des dons ;
je serai toujours celui qui attendait qu’on lui ouvrît la porte
auprès d’un mur sans porte
et qui chanta la romance de l’Infini dans une basse-cour,
celui qui entendit la voix de Dieu dans un puits obstrué.
Croire en moi ? Pas plus qu’en rien…
Que la Nature déverse sur ma tête ardente
son soleil, sa pluie, le vent qui frôle mes cheveux ;
quant au reste, advienne que pourra, ou rien du tout…

Esclaves cardiaques des étoiles,
nous avons conquis l’univers avant de quitter nos draps,
mais nous nous éveillons et voilà qu’il est opaque,
nous nous éveillons et voici qu’il est étranger,
nous franchissons notre seuil et voici qu’il est la terre entière,
plus le système solaire et la Voie lactée et le Vague Illimité.

(Mange des chocolats, fillette ;
mange des chocolats !
Dis-toi bien qu’il n’est d’autre métaphysique que les chocolats,
dis-toi bien que les religions toutes ensembles n’en apprennent
pas plus que la confiserie.
Mange, petite malpropre, mange !
Puissé-je manger des chocolats avec une égale authenticité !
Mais je pense, moi, et quand je retire le papier d’argent, qui d’ailleurs est d’étain,
je flanque tout par terre, comme j’y ai flanqué la vie.)
Du moins subsiste-t-il de l’amertume d’un destin irréalisé
la calligraphie rapide de ces vers,
portique délabré sur l’Impossible,
du moins, les yeux secs, me voué-je à moi-même du mépris,
noble, du moins, par le geste large avec lequel je jette dans le mouvant des choses,
sans note de blanchisseuse, le linge sale que je suis
et reste au logis sans chemise.

(Toi qui consoles, qui n’existes pas et par là même consoles,
ou déesse grecque, conçue comme une statue douée du souffle,
ou patricienne romaine, noble et néfaste infiniment,
ou princesse de troubadours, très- gente et de couleurs ornée,
ou marquise du dix-huitième, lointaine et fort décolletée,
ou cocotte célèbre du temps de nos pères,
ou je ne sais quoi de moderne – non, je ne vois pas très bien quoi –
que tout cela, quoi que ce soit, et que tu sois, m’inspire s’il se peut !
Mon coeur est un seau qu’on a vidé.
Tels ceux qui invoquent les esprits je m’invoque
moi-même sans rien trouver.
Je viens à la fenêtre et vois la rue avec une absolue netteté.
Je vois les magasins et les trottoirs, et les voitures qui passent.
Je vois les êtres vivants et vêtus qui se croisent,
je vois les chiens qui existent eux aussi,
et tout cela me pèse comme une sentence de déportation,
et tout cela est étranger, comme toute chose. )

J’ai vécu, aimé – que dis-je ? j’ai eu la foi,
et aujourd’hui il n’est de mendiant que je n’envie pour le seul fait qu’il n’est pas moi.
En chacun je regarde la guenille, les plaies et le mensonge
et je pense : « peut-être n’as-tu jamais vécu ni étudié, ni aimé, ni eu la foi »
(parce qu’il est possible d’agencer la réalité de tout cela sans en rien exécuter) ;
« peut-être as-tu à peine existé, comme un lézard auquel on a coupé la queue,
et la queue séparée du lézard frétille encore frénétiquement ».

J’ai fait de moi ce que je n’aurais su faire,
et ce que de moi je pouvais faire je ne l’ai pas fait.
Le domino que j’ai mis n’était pas le bon.
On me connut vite pour qui je n’étais pas, et je n’ai pas démenti et j’ai perdu la face.
Quand j’ai voulu ôter le masque
je l’avais collé au visage.
Quand je l’ai ôté et me suis vu dans le miroir,
J’avais déjà vieilli.
J’étais ivre, je ne savais plus remettre le masque que je n’avais pas ôté.
Je jetai le masque et dormis au vestiaire
comme un chien toléré par la direction
parce qu’il est inoffensif –
et je vais écrire cette histoire afin de prouver que je suis sublime.

Essence musicale de mes vers inutiles,
qui me donnera de te trouver comme chose par moi créée,
sans rester éternellement face au Bureau de Tabac d’en face,
foulant aux pieds la conscience d’exister,
comme un tapis où s’empêtre un ivrogne,
comme un paillasson que les romanichels ont volé et qui ne valait pas deux sous.

Mais le patron du Bureau de Tabac est arrivé à la porte, et à la porte il s’est arrêté.
Je le regarde avec le malaise d’un demi-torticolis
et avec le malaise d’une âme brumeuse à demi.
Il mourra, et je mourrai.
Il laissera son enseigne, et moi des vers.
À un moment donné mourra aussi l’enseigne, et
mourront aussi les vers de leur côté.
Après un certain temps mourra la rue où était l’enseigne,
ainsi que la langue dans laquelle les vers furent écrits.
Puis mourra la planète tournante où tout cela s’est produit.
En d’autres satellites d’autres systèmes cosmiques, quelque chose
de semblable à des humains
continuera à faire des genres de vers et à vivre derrière des manières d’enseignes,
toujours une chose en face d’une autre,
toujours une chose aussi inutile qu’une autre,
toujours une chose aussi stupide que le réel,
toujours le mystère au fond aussi certain que le sommeil du mystère de la surface,
toujours cela ou autre chose, ou bien ni une chose ni l’autre.

Mais un homme est entré au Bureau de Tabac (pour acheter du tabac ?)
et la réalité plausible s’abat sur moi soudainement.
Je me soulève à demi, énergique, convaincu, humain,
et je vais méditer d’écrire ces vers où je dis le contraire.
J’allume une cigarette en méditant de les écrire
et je savoure dans la cigarette une libération de toutes les pensées.
Je suis la fumée comme un itinéraire autonome, et je goûte, en un moment sensible et compétent,
la libération en moi de tout le spéculatif
et la conscience de ce que la métaphysique est l’effet d’un malaise passager.

Ensuite je me renverse sur ma chaise
et je continue à fumer
Tant que le destin me l’accordera je continuerai à fumer.

(Si j’épousais la fille de ma blanchisseuse,
peut-être que je serais heureux.)
Là-dessus je me lève. Je vais à la fenêtre.

L’homme est sorti du bureau de tabac (n’a-t-il pas mis la
monnaie dans la poche de son pantalon?)
Ah, je le connais: c’est Estève, Estève sans métaphysique.
(Le patron du bureau de tabac est arrivé sur le seuil.)
Comme mû par un instinct sublime, Estève s’est retourné et il m’a vu.
Il m’a salué de la main, je lui ai crié: « Salut Estève ! », et l’univers
s’est reconstruit pour moi sans idéal ni espérance, et le
patron du Bureau de Tabac a souri.

Álvaro de Campos, 15 janvier 1928.

Fernando Pessoa