La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
D’un bruit d’eau qui coule j’avance dans cette journée l’esprit humide. Le brouillard a tout enveloppé sous son voile. C’est le rendez-vous du transporteur. Derniers préparatifs, les toiles en attente d’encadrement vont être habillées. Je me souviens être allé dans la rue Bonaparte sans trop me souvenir de l’heure, en tous cas c’était dans la nuit. Un tour en boutique à moulures, que des coins d’angles possibles. J’ai déroulé des mètres de jute à tendre. Grosse trame à pomme-de-terre et fine à farine, les champs d’une campagne prise à bord d’un train de chalands s’étalent. Un chien aboie en regardant un couple d’amoureux assis sur un tas de sable. je ferme les yeux et te vois qui prend un bain. Le marinier plonge un seau au bout de sa corde, on reste dans l’histoire d’eau. Entre la cabine de pilotage et le ventre des cales des clapiers et une basse -cour sont en place. Des poules se baladent le long du plat-bord. La lumière baisse voici la voûte du pont qui vient. Le ciel va s’arrêter durant quelques minutes. A la sortie les grands magasins étaleront leurs façades lumineuses. Puis les douves annonceront le Louvre. Je vais descendre à quai, nous irons derrière les Halles, chercher un coin poissonnier qui fait penser à la mer. J’ai besoin d’un trou dans les rochers où personne ne passe en voiture. Tu sais comme au cinéma quand le film commence, la lumière se ferme est-ce que ça fait peur, tu me serres la main plus fort ? Approche. Je sens se dresser cette assise. Besoin de repose solide. Que ce qui défile tienne de l’oiseau et que ce qui stagne lève au jardin. L’esprit vif. Solide sur ses jambes. Un édifice, quelque part, venu de l’esprit des cathédrales. N’arrête rien de ce qui bouge depuis tes épaules et s’en échappe comme libéré d’une bretelle.
Des chemins clairs qui figurent sur le plan, parfois des noms de rues s’effacent, se glissent alors des impasses aux fonds baptismaux induisant une erreur de naissance…
Me levant du ban de mon existence, je me souvins que j’avais abandonné mes clefs dans l’appartement avant d’en claquer la porte. La cage d’escalier ne laisse plus passer le moindre bruit de conversation. Lurette qu’aux paliers, DO NOT DISTURB, ça balance comme à pari à la ficelle de chaque poignée de porte. A qui demander « Où par là ça mène-t-il ? »
Nib de Gaston, pas plus qu’un autre pour répondre au téléfon.
Angoisse.
Entrant dans mon jardin secret, derrière le gros cerisier, je trouve le rossignol faisant passe pour tous mes tiroirs
Soudainement un bruit de roues sort du plafond de la cage, le câble des cordes vocales de l’ascenseur, en se tendant, perdait les zoos.
Je me dis, ouf ça va renaître
-Alors qu’est-ce qui t’arrive ? demande Aurore
Passé le frisson d’impression d’au-delà, je reprends conscience. La petite fille de la femme austère est devant moi, elle me tend son sourire. Puis tourne sur les pointes. »Salto tout l’monde »qu’elle dit en riant comme un petit rat dans ses grands égards… Pas Degas n’apparait de derrière les rideaux. Donc pas de vieux salaces dans l’entr’acte. Les lumières me montrent le plafond.
Un émerveillement !
Il est empli de Chagall. Je tremble, pleure, l’émotion me coule des tripes. Plus de fantôme de l’ô qui paiera comme l’injustice l’exige. Il s’est fait avaler par le trou du souffleur. L’instant d’après icelui-ci me dit « Remballe les films d’épouvante, remonte l’heur à la voile, hisse la trinquette et tire un bord, cap au large. On déhale des cons, on s’écarte des lises, des étocs, des naufrageurs, des-on-m’a-dit-que-vous-êtes-au-courant, on casse la mire de la télé-bobards, des émissions qui montrent les richards dépouilleurs d’îles désertes aux SDF, genre la Tessier & Nikos and co, merde à vos bans comme aurait dit Léo !
Aurore me saute au cou, son parfum de gosse me tourneboule. C’te môme à m’sort la barbe de l’attente de la toison d’or.
Le Petit-Prince, son frère Théo au ciel, la p’tite soeur Line agnelle, les roses, les épines, le serpent et le renard, le désert, la serpette et la belette gonflent les binious genre fez noz que ça gigue du talon dans les Monts d’Areu. Me v’là r’venu à Brocéliande. Merlin assis au centre de la ronde clairière me dit :
« Vas ton odyssée jusqu’au bout de la confiance, elle cédera pas, t’es assez un Pi pour muter croyant en ta foi ».
La mer sort de l’épave et remet taire à flots
Du château de sable un don jonc tresse la corbeille de la mariée.
Février 1938, 11 rue de l’Assomption, Paris : devant la grille d’une maison silencieuse, un homme fragile et vieillissant, s’apprête à rendre les armes. A soixante-sept ans, écrivain et poète célébré, professeur au Collège de France, père de famille modèle et mari aimant, il est le grand personnage de la Troisième République.
Pourtant, en ce soir d’hiver, c’est un homme sans défense qui s’avance pour s’engager dans une bataille qu’il s’était juré de ne plus livrer : celle du cœur.
Jeanne Voilier est la plus terrible des guerrières. Loin des murs tapissés de Renoir et de Degas de l’immeuble animé où Valéry habite depuis trente ans avec son épouse, sa famille élargie, les Manet-Rouart, et leurs enfants, Jeanne a dû lutter seule pour se faire une place. Née de père inconnu et d’une mère comédienne, adoptée par un beau-père qui lui offre un état-civil et une situation, elle s’invente ce nom de Voilier, qui fait partie de son charme mystérieux.
Avocate, éditrice, divorcée et très libre de mœurs, courtisée par les plus grands, elle a pris sa revanche sur ses origines lorsqu’elle rencontre Paul Valéry. Lui aussi a connu d’autres femmes, mais jamais il n’a laissé l’amour briser la forteresse de son esprit ou nuire à sa famille et son écriture. Seulement voilà, devant le corps sculptural et la fraîcheur de Jeanne, il va se laisser emporter par la passion.
C’est l’histoire de leur amour que nous raconte merveilleusement Dominique Bona, biographie d’un couple hors du commun, talentueux, tendre, cruel, traversé par la littérature et par la grande histoire
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