LE RETOUR DU PRODIGUE PAR PHILIPPE DELAVEAU


LE RETOUR DU PRODIGUE

PAR

PHILIPPE DELAVEAU

Vous savez bien ces nuits très douces; les abeilles

Conspirent en silence dans la ruche du ciel

Au miel des blondes paix.
La lune

Est immobile.
Qui chuchote dans l’orme attentif?

L éternité jette a travers le siècle sa mésange

Qui nous tient éveillés.
Pendant un court instant,

Le cerf qui a sailli lève sa tête couronnée parmi

Les branches; l’étang laiteux ausculte le vestige

Sur le sang de l’argile où le renard a bu.
Mais vainement,

Icare tente de rassembler sur l’aile son plumage,

Et de pétrir la cire déchirée par le soleil jaloux;

Il darde de si haut cette colère.
Pour qui l’ordre

Sur la campagne plate cousue de bout en bout, avec les murs

Coupant le vent qui secoue l’or de ce qui meurt;

Les intrépides sont heureux de ce larcin, levant dans la

Ciélée leurs branches; d’autres, le bras trop court

Crachent dans l’eau qui réfléchit le ciel;
Septentrion lèche les

pans
Des toitures arides de sa bile, qui ne se plaignent pas.
L’absolu ne se contente pas d’un rapiéçage; l’emblavure
D’hiver seule parle du pays sous l’armure des neiges;

Il faut oser plus loin et haut, comme l’aigle céleste,
Plutôt qu’aux profondeurs du puits sur lequel l’arbre veille,
Où l’ingrate poulie jette sa voix geignarde, obéissant
Aux bras de la servante, ignorante du nombre, soumise aux lois

De la maison carrée dans le vent fort.

Et les fenêtres grimaçant dans la douleur des bois

Que la pluie gonfle, aimée du sol qui draine les vivants

Dans l’ombre où se défont les morts, mêlant les ongles

Et les vers, je les défie!
Et la bouche tordue, les jambes vaines,

Il tombe au bas du gouffre où les villages

Éteignent leurs fenêtres l’une après l’autre, cessant

D’attendre le retour du prodigue, fils oublié, fils

Ingrat, banni trois fois depuis les
Ides de novembre; et sa

photo jaunie
Se gonfle dans l’enclos des porcs qui le reniflent.
Le prophète
Annonce avec les premiers froids le retour imminent
De ce frère à demi voyageur, aimant l’horizontale des rivières,
Les carrefours baignant dans la lumière orange des banlieues.
Les mauvais coups, la fièvre dans les bouges; pleurant
Sur les ordures le nom de son village, son père avec un aiguillon
De sauge hâtant les bœufs sur le sol gras, avant
La pluie près d’assiéger, au loin, l’orangeraie grise de
Zabulon.
Sur la grand-route les peupliers alignent leur carrure
Pieuse, au chapeau bosselé, qu’agrémente l’épingle d’un corbeau noir

Moquant l’aurore aux pieuses liturgies.
Le maire

Et ses notables ne veulent plus de désordres

Qui heurtent la sobriété des bourgs paisibles.

Rien ne doit dissiper le pacifique agencement de l’heure,

Rythmée par les horloges, enregistrée dans les archives

Par l’employé qui tire en s’appliquant la langue sur le livre.

Il ne reviendra plus.
Le prophète se moque, disent les vieilles,

Debout sur le seuil obscurci, en fichu noir et rouge, de leur

bouche
Qui siffle : et que nous sert d’entendre l’oracle du
Puissant?
La soupe fume dans les salles, nous ne désirons rien.
La guerre
A fini par mourir comme le feu de branches, sous la petite

pluie.
Le vent se lève, mais les foins sont rentrés.
Nous avons fait nos comptes; les affaires vont bien.
Une banque
S’installe à l’entrée du village.
A quoi sert aux grenouilles de la douve, aux crapauds de

guetter
La route blanche qui se perd dans les complications de l’ombre?
Et si dans l’enclos l’étalon roux lève des yeux craintifs,
Il oubliera l’herbe à ses pieds, sans notable profit.
Seul le prodigue a vu dans le ciel une étoile qui hurle
Muette, tombant depuis des millénaires, suspendue
Entre les voies lactées, ténébreuses et froides, et l’arc
Des pluies tambourinant sur la vitre des mers; ne cessant de

lancer
L’invective que vomit son ventre, il a compris lorsque le soir
L’appelle en sortant de la ville, quel remords le poursuit;
Et lève en vain ses bras, que la cendre des nuits
Cache ma nuit rebelle, ma tête si coupable, mes mains
Qu’ébrèchent les écales des assiettes sur la décharge,
Où je ronge à genoux l’os rouillé du poulet, les épluchures
Liquoreuses, le fruit pourri, tombé de la table des riches.
J’accourrai, m’agenouillant de loin sur la terre vétusté;
Il ne saura pas même qui je suis, et je dirai quand les chiens
Pourchasseront le puant : ce jouet de bois qui traîne
Sur le sol du grenier, ce fut le mien, cheval qui m’emportait

déjà
Sur les foudres obliques des chemins.
Pitié pour moi, engen-dreur

De ma mort, ô père!
Et peut-être en pleurant la servante

ânonnant
Dans l’arrière-cuisine, aveugle, sur mon crâne
Reconnaîtra la chute, son effroi, en ces temps éloignés de nos

rires.

II

L’illustre maître de la moisson,

Qui pose une main large sur le flanc de l’épouse,

Et promène ses doigts vigoureux sur les brebis, est taciturne

Et triste en traversant les sillons parallèles; sous l’arbre,

La lumière pénètre dans la cave de l’ombre, violette sur les

feuilles
Accumulées.
Midi est l’heure des olives, du vin
Vieux qu’on boit la tête chavirée, les yeux clos en songeant
Aux bonheurs que l’été entremêle dans l’herbe,
Avec les crottes noires des lièvres bruns, les lents insectes
Qui aiguisent la chaleur sur le cuir des cailloux.
Il songe
A la splendeur du ciel, aux noms des rois et des étoiles,
A sa génération qui dort le ventre pénétré de racines,
De cailloux blancs qui se confondent dans le rêve
De la mer proche et bleue, agitée de courants, de tourbillons.
Pourquoi le brusque saut dans l’inconnu, cette part que l’on ôte

Aux communes splendeurs que l’on se passe de toujours, de

fils
En fils, sur le lit rude au moment de figer son regard
Sur les abîmes?
Pourquoi, sans prévenir, pendant l’aigreur de

l’aube

Qui sent le lait de chèvre, s’en aller, bousculant la servante
Qui balaie le dallage du corridor, et s’arrête soudain, surprise
Tenant de ses deux mains blanchies et crevassées par les lessives

Le bâton sur lequel sont arrimées les branches du fagot;
Par la porte le jour pénètre avec le cri des poules,
L’orgueil du coq sur le sommet du mur, et dans le ciel,
L’étrange signe d’une gloire, comme ces barbes qu’octobre
Arrache aux plantes d’or, semées de graines, expirant.
Plus que l’aile grandiose et morte des galaxies, le chemin
Arrêté dans les gouffres de la comète, il navigue
Entre la mort et la lumière, le gouffre et le froissement bleu
De la mer froide, présage illuminant le monde pacifique,
L’ordre des blés qui penchent leurs têtes victimales
Consacrées, même au petit matin, quand l’alouette s’envole
Après les premiers coups de l’aube sur l’horloge
De l’arbre, frémissant et disert.
Pourquoi?
Même en poussant
La porte qui racle les dalles, plus haut qu’elle, portant
Sa fortune sonnante dans un sac, sur une épaule, et lourd
De tous les songes qu’il n’a cessé d’assembler dans sa chambre À l’étage; elle sait bien qui écoute la nuit, le silence
Peset sur les toitures; connaît au loin les bruits réguliers
Des fontaines; l’ordre qui règne dans la pesanteur de l’étable,
Le chuintement des poulaillers, barrières closes; même le cri
Dans le vieux marronnier de la chouette ergotante, aux yeux
Fouailleurs; et la saveur très verte de la nuit, habillée de
Grenouilles que la lune très tard, loue doucement de sa lumière
Blanche et fait sortir des républiques de la boue.
Il allonge le pas et de la cour contemple dans le ciel
Alourdi du passage des oiseaux qui hantent les semailles,
L’autre qui tombe depuis des millénaires de défi,
Suspendu à la voûte du ciel comme la plume
Au roc, parmi la cendre, après que l’aigle
A fracassé sur le granit sa proie.

III

Il tombe infiniment, et voit

Son crime dans le chant bleu des gouffres qui l’aspirent,
Continue néanmoins de se moquer, dieu pour lui-même, s’ado-rant

Sur le miroir exubérant des abîmes déserts, seul, procréant
La mon qu’il se donne, libre (ou se croyant tel), grevé de

haine,
Plus solitaire que l’idolâtre

Qui vénère une tragique idée pour combiner le monde
Avec son rêve; son père, le tragique, en l’engendrant
A détesté ce fils servile que la gloire a tenté, comme lui
Qui s’est fait ange avec l’idée, la lumière et cette fausse neige
Des oiseaux qui traversent dans le vent rouge l’étendue,
Pour revenir aux terres antérieures.
Ils auraient bien gagné
Les terres oubliées, aimant l’ascèse; la matière,
Ils l’ont proclamée vile et le soleil s’approche
Comme un œil que l’on crève, alors, dans la nuit revenue…
Mais le soleil n’a pas voulu de ce théâtre, la lumière
N’a pu se résoudre à vivre désormais cachée.
Il me reste, dit-il, À te haïr pour ce mensonge.
Sur la terre, au petit jour,
Le père est généreux dont on se remémore
Des exemples sans fin de justice; il est un fils, ainsi,
Regrettant peu son frère, irréprochable et pieux, qui n’hésite
Jamais sur le devoir, et tient, le dimanche, à la grand-messe,
L’harmonium, avec la femme du notaire (contralte) et la vieille
Baronne aux cheveux teints (soprane).
Il n’a jamais omis de faire

Ce qu’il doit faire, et sur les prés, pour empêcher les vaches

De s’enfuir, il plante des piquets et des clôtures : c’est un très

bon
Garçon.
Nous nous passerons donc de celui qui s’exclut;
Chacun est libre, il a choisi.
Même il enlève
Sur la table dressée l’assiette de l’absent, nous aurons davantage;
Il épluche les noix entre ses sèches mains; s’essuie
L’extrémité des lèvres du coin de la serviette
Pour ne pas la salir; on le dit économe et le père a raison
D’en être satisfait : la servante, les bœufs, le cheval roux
L’ont adopté pour maître.

IV

Les routes ne furent jamais si longues; l’horizon
Jamais n’attiédit tant les terres aimées que l’on retrouve
Après les longs exils ; et des boules de gui décorent les trembles
Qui encadrent la route.
J’avais si faim mais je ne mangerai

pas;
Le ciel est bleu au-dessus de ma tête.
Pourquoi te résoudre à

rentrer,
Crie de sa prison transparente, de son enfer de feuilles,
Icare?
Il marche sur la douleur de son ombre effilée, tente
D’apprivoiser la douleur de sa tête, ses ongles douloureux.

Solitude,
Tel est le nom de l’ombre; il n’y a plus d’image dans mon

cœur;

D’eux je serai l’esclave puisque je les aime.
Avec les porcs,

Ils me tiendront dans la cabane aux auges débordantes ; comme la truie

J’aurai une génération de soupirs pour me plaindre et peut-être

Ils me diront : prends une place dans la boue,

Sur le fumier tiens-toi; les épluchures seront

Mon royaume de pénitent; l’aube froide

Sera mon seul toit; la nuit

Le dieu que je vénère, bras

Croisés sur mes os qui aspirent à rentrer

Dans le ventre animal de la terre,

Avec ma mère et ma lignée.
Ce père

Aux larges mains est ce que je connais de grand,

De terrible, de beau; sa voix est une profusion

De feuilles sur le vieil arbre.
Je lui dirai

Ce mot et peut-être ma nuit, il la réchauffera.
Quel est le père

Qui pardonne, a crié l’autre avec la grêle.
Donne aux pourceaux

Ton cœur; saigne tes veines dans l’orage : il n’est pas de torrent

Suffisant pour emporter les villes satisfaites.
Je veux aimer

Sans l’artifice de ton rire, ô malheureux et solitaire,

Sans l’œil du juge habile : je serai simple et pauvre, j’aimerai.

Avant même que ton frère approche, je l’ai vu;
Avant même qu’il me prévienne, je sais son retour.
Matin
Nimbé de gloire, l’aurore est douce, que le jour
Au chemin long et rude soit clément!
Fais dire à la servante
D’apprêter le veau gras; d’oindre de graisse la volaille
Qu’elle a plumée sur le seuil des cuisines.
La neige rousse tombe

Sur le seuil de la cour; et les légumes chantent sur le feu.
Ainsi

Le laboureur pressent à l’odeur de la terre, à la couleur
Du vent sur les bruyères, le retour du printemps
Que guident à la proue de son vaisseau, les hirondelles.
Fais dire à la servante de hâter son pas.
Nous irons convoquer
Les voisins, les notables.
Que le curé sur son échelle aille atteindre

Au clocher les bourdons qui entonnent

De quoi émerveiller le bleu de la campagne, et toute une

journée.
Que le maire abandonne l’inspection des fossés, le tour de la

commune;
Il mariera plus tard.
Va dire à la servante
De mettre sur la table une nappe si blanche
Que l’aube hésitera même à nous réveiller.
Je veux des fleurs, des feuilles, du houx vert, le gui
Des peupliers; enlevons le fumier où se vautrent les porcs.
Qui donc me balaiera la cour, les marches du perron?
Bouchonnez le cheval que j’aille sur la route,
Je veux être celui, malgré mes pauvres yeux, qui le voit
Le premier.
Les cailloux du chemin éreintent ses sandales.
Va dire à la servante d’étendre les tapis sur les cailloux aigus,
De préparer le bain, les huiles odorantes.
Qu’elle ouvre les

armoires,
Les fasse joyeusement grincer; je veux du linge neuf, des sachets
De lavande; une serviette onctueuse où le vent a rôdé.
Va dire

à la
Servante d’ôter son tablier : il n’y a plus, demain, de maître,
De servante; je crains les seules larmes sur mes yeux fatigués.
Saurai-je à sa venue m’agenouiller assez, le voir
De mes tremblantes mains, caresser sous mes doigts
Le grain de sa peau; sur ses cheveux trop longs.
Perdre sans fin mes lèvres?
Va dire à la servante…
Pourquoi cet œil si dur, ces lèvres serrées, ce pli sévère
Sur le front?

Vi

L’amour traduit l’épuisement des faibles; c’est leur arme.
Pardonner engage aux fautes plus terribles, rejoins-moi.
Les mâles

Ne sauraient nullement s’abaisser à des pensées coupables :
Courber le front devant celui qui t’a craché aux morts amères.
Rejoins-moi; la hauteur où je me tiens, je l’affirme sublime.
Le jugement impitoyable, de mon domaine sans pitié, je le jette

En châtiment aux sols qui ont cru pardonner, quand ils abandonnaient

La vieille loi.
Aime ce que tu édictés; comme la foudre
Aie la parole sans merci; défie le vieux faussaire
Qui parcourt en rôdant les campagnes honnies, l’exubérant,
L’aimé des houles et des pailles : soleil, je t’apprendrai ma

loi:
Je crèverai sans fin ton seul œil qui repère
La prière du juste et l’ennui du menteur.
Unissons la splendeur
De nos stérilités.
Laisse aux faibles le seul amour,
Source connue des désordres, feu qui ne réchauffe pas
Le froid où je grandis, yeux et cœur révulsés.
Mais tu
N’écoutes pas! et tu t’éloignes.

VII

Je ne lui ferai pas de reproches; ne dirai pas : je t’avais

Prévenu.
Je ne hausserai ni la voix, ni le sourcil.

Même saurai-je dire : fils? m’abstraire,

Etre infime, montrer que tout lui appartient — mon royaume,

Le nom, le temps et toutes les douceurs; l’implorerai.

Je me tiendrai mendiant dans l’ombre, à peine

Osant lever mes yeux faibles du côté qu’il se tient :

Je lui tendrai ma main calleuse, car il est riche.
Vois,

Si je possède ceci que tu désires, je suis ton pauvre qui mendie;

Je veux être le roi couvert de cendre, celui qui piétine la boue

Sans gémir, et pose sur la plaie sa main pour la guérir; et tu

Me guériras.
Mes vêtements ne sont pas douloureux

Pour ta douleur, ni assez beaux pour t’honorer, lorsque tu

paraîtras
Dans la fraîcheur du soir, vêtu de blanc et l’âme parfumée.
Pénètre en ta maison, et je courbe la tête.
Unis les cicatrices de tes joues

À mon visage vieux.
Viens t’endormir sur mon épaule,
Et sois l’enfant que je chéris.
Mais toi qui t’en reviens,
Pourquoi demeurer sur le seuil?
J’étais triste
Et tu m’as consolé; mais c’est lui qui m’a fait renaître.
Père j’étais, comme l’arbre impuissant pour ses feuilles qui

tombent;
Désormais, par sa grâce à mes mains l’appelant, je viens
De naître au plus profond, père éternel

Philippe Delaveau

EFFET BOEUF


EFFET BOEUF

Les prés de St-Germain

cavent sans vain

l’adolescence de mon enfance

où tes seins pointaient au déroulé du sax et de la trompette

Rien de lait dans le bidon

et tes cuisses en l’air au be-hop

bandaient mon arc au ciel comme l’âne devant le violet d’un chardon

Qu’un’ trombone passe dans ma tête en cet instant précis montre combien tout va mieux quand ça coulisse

La vie sans amour est l’avant-goût funèbre d’un aujourd’hui à pas laisser entrer foutre en l’air le bon fonctionnement de la nature

Vivre en corps ça par derrière me donne envie de brouter

Que l’herbe revienne sacré bon d’yeux…

Niala-Loisobleu – 29 Septembre 2022

DE MON JARDIN 1


« Mai toujours en corps » – Niala 2022 – Acrylique s/panneau 40×50

DE MON JARDIN 1

« Mai toujours en corps » – Niala 2022 – Acrylique s/panneau 40×50 encadré

PRIX DE VENTE AU DEPART DE L’ATELIER:

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Le Jardin de Niala

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UNE QUESTION AU POEME PAR MICHEL DEGUY


UNE QUESTION AU POEME

PAR MICHEL DEGUY

Orgue et naseau, nasaux d’orgues silencieuses

comme il arrive aux dessins de
Rubens, de
Watteau

que la ligne parfaite se reprenne si bien

que plusieurs dessins dune même chose

dessinent cette chose en surimpression d’elle-même,

cette nuit pour moi la face d’un cheval plus haut :

ruche du verbe frémir à dessiner

— l’ubiquité de bouche et de naseaux strobosco-

piques — je cherchais le mot juste pour cette pieuvre de contours des naseaux, je trouvai celui d’orgue et ne savais plus dans l’échange lequel était comme

Michel Deguy

LE TRONC DU PAUMIER


LE TRONC DU PAUMIER

Du compas où se trace ce parfum rond comme un premier verger, les prés verts faufilent à mots ouverts

Paroles qui rougaillent comme Jacques a dit ses Portraits

Clochardes à la peau fripée par le soleil d’une annonce automnale conduisant son veau à l’école des trains. pour se musculer l’imaginaire d’un ô riant express qui serpenterait en rivière non venimeuse

Des enfants gardiens de vaches à court d’école, la mer plus proche du château d’eau que de la javellisation domestique intellectuelle

Cache-cache

Tu contes jusqu’à sans et je sors du compte de faits label au bois-dormant

Porteur d’ô

Loin du raille d’Ouessant , à la rame de pois-de-senteur, s’intégrant dans un marathon de marguerites venues avant le dernier coup de cidre crêpe de chine

Courbes du tronc prises à demains, merci Georges.

Niala-Loisobleu – 13 Avril 2022

LA CARAVANE


LA CARAVANE

Angle Bonaparte et Malaquais sur la piste va s’ouvrir l’arène de mon destin

Les leçons de Georges Rouault, mon Maître, rentrées dans la boîte à couleurs apprises sortent de l’écurie, la route choisie s’est tenue loin des regrets

Marthe et René ont jalonnés de gratitude l’absence de parapet de ma mère, la pointe d’ail de mon père frottée sur la tartine du regard orienté au Sud a défini le beau

mes jambes arrivent à la porte vertébrale d’un temps qui piétonne

Cette guerre qui s’éloigne du juste terme cède la place à la pénurie de fruit de l’olivier pour montrer l’intérêt qu’elle porte à l’égocentrisme ambiant

je vais mettre mon dernier en vitrine pour me satisfaire, histoire d’afficher pour moi-même un plaisir personnel en sauvegarde à la place

Le dos raide et l’oeil trempé dans l’acide, la place que je garde au rire que les clowns sortent de leurs larmes n’est qu’amour pris au sérieux, le rire des enfants n’excuse pas celui indécent des adultes.

Niala-Loisobleu – 2 Avril 2022

« FAITES L’AMOUR, PAS LA GUERRE » – NIALA 2022

MILLE MORTS PAR CLAUDE ROY


Iryna Ttsvila

MILLE MORTS PAR CLAUDE ROY

Je suis dans le soleil endormi paresseux habité de pensées comme l’été d’abeilles

Le soleil tout à ce qu’il fait n’est que lumière et que chaleur et l’arbre d’un seul mouvement n’a qu’une idée dans ses racines

L’oiseau qui se pose sur l’arbre est oiseau de toutes ses ailes Toute en couleur toute en parfum la fleur ignore l’ironie le souvenir la nostalgie les bons les mauvais sentiments le temps qui
passe patiemment le temps qui passe tellement

Mon chien qui rêve qu’il est chien et grogne à mes pieds dans l’herbe n’est que mon chien qui se sait chien dans l’herbe qui n’est que de l’herbe

Mais moi Que voulez-vous que je dise de moi Je ne vis qu’une fois mais c’est toujours ailleurs Je vis de mille vies Je meurs de mille morts dénoue ce que j’ai noué déjoue ce qui
me lie sorte d’absent-présent que vous nommez un homme

Homme Qui nommez-vous Un autre Moi Personne

Quand je parle au dedans une autre voix résonne et lorsque je me tais je ne reconnais pas le silence que fait mon long silence en moi

Je suis un homme et plusieurs hommes L’instant présent me prend toujours en défaut

Je vis de mille vies Je meurs de mille morts

Si le vent se lève soudain fait frissonner les peupliers longuement torrent qui s’écoule sur les cailloux blancs pommelés du ciel le vent ne froisse que les feuilles pelage vert
et murmurant

Mais le vent qui court et parcourt mes étendues et mes domaines le vent n’en finit pas d’aller et de venir

Les labyrinthes du souci

et les signes d’intelligence

que le jour fait à la nuit

le sommeil sa fausse vacance

l’ennui qui nie miroir terni

la lampe éteinte de l’absence

le plaisir où je me délie

le travail où je me dépense

et l’amitié où je m’allie

la réflexion que je devance

le livre où je me relis

le poème qui se condense

dans les ténèbres à demi

de la chuchotante présence

que mon absence contredit

les vaines joies les vraies souffrances

demain qui menace aujourd’hui

je ne suis rien que la patience

qu’ont les vivants à être en vie

Je vis de mille vies Je meurs de mille morts.

Claude Roy

LE JARDIN DE NIALA LE 7 JANVIER 22


LE JARDIN DE NIALA LE 7 JANVIER 22

Les jarres manifestent en brandissant leur symbolisme au sommet du tertre

désir de rien laisser dépérir au fond d’oubliettes inconvenantes

le vouloir vivre est majeur

ces nouvelles en se défaisant des bruits qui courent

envoient par écrit le message fort pur mettre tout à jour

Dehors une pagaille qui galope oblige à faire face chez soi, par-là même devoir arrêter des projets pour ne pas se ranger à des entêtements ministériels qui conduisent au néant

Mon exposition de Février est impossible à tenir , en revanche tout favorisera la sortie du nouveau recueil de Barbara Auzou

De fait ressort qu’on se tient à la marche ascendante de nos oeuvres en les dissociant des affaires politiques détestables pour se tenir à la peau de ce qui respire sans masque

Alors ma Muse a raison

Je dois peindre et créer les heures à vivre en vertu de l’essentiel absolu

Il y a l’enfant dans la vitrine, son ventre n’en est jamais parti, il y est tapi.

Niala-Loisobleu – 7 Janvier 2022

ENTRE MAIS


ENTRE MAIS

Manillon sur la table

Un viandox et trois oeufs durs

On attend le vitrier pour y voir clair

Niala-Loisobleu – 25 Octobre 2021

LA CROIX DE LA ROSE ROUGE PAR LOYS MASSON


Photo Niala –  » VU DE TOURS DE BREIZH »

LA CROIX DE LA ROSE ROUGE PAR LOYS MASSON

(extraits)

Poitrine de l’olivier où l’arbre de patience est en son plus doux caressé par le temps d’aventure.
Je m’y suis taillé un pan d’écorce

À votre semblance autrefois quand dans votre front l’été se cherchait encore —je l’ai enflammé ;

Un brasier très pur comme d’un holocauste plein de signes et de chants morts, j’y ai promené l’ombre de mes mains

Longtemps pour qu’elles soient sauves de toute tache et puis j’ai écrit à destination des sereins épan-deurs de joie votre nom tel qu’il était avant le lever du vent
d’angoisse:

Avant moi.

Je n’ai jamais connu dans sa vérité ce qui m’était cher;

je brûlais d’absolu je m’inventais nécessaire

à son devenir.
C’était hier.

Je passais près de la source sans voir le rouge-gorge y boire

en silence, économe de sa chanson pour ses amours du soir ;

je n’écoutais que la rumeur là-bas de l’embouchure mariage en moi de l’onde et du divin de la mer.
Maintenant à ces jours morts qui tombent de mes épaules sans même rider l’eau je possède le dur savoir ;

Le pain des joies ne se fait que du levain de l’aléatoire : pour l’avoir ignoré je meurs de faim.
Temps enfui.

Chacun à l’heure d’aimer regarde le soleil en face tel l’aigle en sa légende

et puis ferme les yeux sur une étoile du tard, l’humble et l’habile

la tamisante qui fait durer l’espoir en son leurre, le tranquille.

J’ai regardé jusqu’au vertige.

Temps enfui, cristal rebondissant en son écho de cristal en cristal, aveugle désormais de ne mirer que le convexe et l’oblique.

De lourds loriots anciens, cendres de leur chant encore convoient le matin vers son nom d’été.

Le révolu vit de proies humbles endormies sous le sommeil des haies ; il n’est là que pour témoigner

d’un homme parti de lui-même depuis plusieurs années.

La cécité des larmes est la plus profonde ces yeux dans les yeux qui en calme tumulte ne fixent que l’amour et la mort.

Christ, nuit d’Orphée, syllabe arrêtée du chant d’adieu, hier y ressuscitait dans le remords
Eurydice ;

où maintenant est-il?
Je tourne et tourne en vain dans de rondes ténèbres.
Où sont sa croix, ailes clouées du
Verbe, et mon reniement

qui l’avait plantée ?
Je ne sais.

Déferlement d’eau longue : la mémoire ne s’oriente plus et s’aveugle.

Qu’ai-je été, qu’ai-je désiré, quelle est cette ombre

un matin venue avec l’aube m’aborder pour me rendre si seul ?

Déferlement, déferlement d’eau longue ; j’y ai perdu jusqu’au toucher, je ne peux même plus en suivre le contour.

Ni ombre peut-être ni personne : seulement un dessin de mon souffle

sur une vitre tachée, ma jeunesse.

Chacun du sel de ses larmes sécrète peu à peu lucidement sa tombe.

Où se dresse la mienne et quelle est-elle

au bout de quel sentier du vent?

Je me souviens à peine, comme au fond d’une autre vie, d’effluves tendres

qui me guidaient vers ma fin, me bâtissaient ma prison à la fois d’immobilité et d’audace

et de lendemain.

Comme au fond des sargasses d’une autre vie.
Comme aux marches d’une éternité que je ne gravirai qu’à reculons

condamné à ne jamais montrer mon visage aux étoiles de rémission.

La ronce dans midi se déchire à son ombre saigne petit christ d’interdit

humilié, loin des passions non permises

à qui ne pouvait accueillir la rosée d’aube

qu’en la blessant.

Mon regard malgré lui se fait lance

avide à raviver la poitrine

du rouge-gorge qui déjà mélancolie

chantait frileux sur notre jeunesse

fil à fil s’en allant.

Au poème tombeau d’Arimafhie

que n’avons-nous mis à dormir le temps d’étreinte

afin qu’il ressuscitât un matin,

de grand matin.

Loys Masson

Photo Niala –  » VU DE TOURS DE BREIZH »