ACTES

ACTES
monte écouter par le chemin du sang après d’interminables préparatifs de repas de mariages de passions de toilettes de maison de rangement d’opinions ils se tassent les uns
à côté des autres
redresse enfin monte écouter le chef d’exode qui d’un geste les décapite ouvre l’ouïe à l’absence puis greffant une parole à leur corps les ravive
Moïse confié aux phasmes
Invente pour eux leur homologue
La ville le peuple l’histoire
Voyons l’esprit nomade allons l’accueillir
Avec honneur avec préparatifs
Sortons au-devant de lui est-ce lui
Sur le chemin tout le jour qui monte à
Damas
Sa voix reconnue comme la voix d’un autre
Alors entra ce qui était là
Les murs firent un pas en avant
Les meubles se présentèrent dans l’horloge ininterrompue
Le silence fut chez lui
Ce que ça coûte d’écrire, comme vous dites, vous ne le soupçonnez pas, le taedium, l’endurance du jeûne.
Tristesse, te voici.
Je te reconnais à la lisière de l’orage avec tes habits de
Sologne.
Oui, l’humeur vague où vous baignez je la crispe en paroles; mes yeux sur vos épaules pour vous aviser :
une certaine attention que vous n’apprîtes pas, et c’est pourquoi la sourde déception vous entoure souvent.
Ce qui au vol vous échappe, je suis là pour vous le dire — trop tard.
Il vous a échappé ceci, qui s’est posé pour moi comme une semence de platane; ceci qui fait que je peux saluer la tristesse : il y avait je ne sais quelle résignation de la
très petite fille pendant que la mer cernait cette dune avancée ; le large évacué soudain comme le mail sous l’orage, et tandis que la bouche d’un oncle retombait, un de vos
fils rejetait sa mèche en silence; il y avait l’angle de son cou et l’automne amené de force par l’océan comme un tri de taureaux camarguais; tout ce que vous ne savez pas
joindre et qui vous tourmente maintenant comme un profond parasite; ces relations rapides dont vous êtes victime; je veille, vous me trouvez silencieux.
J’appelle la circonstance porche de septembre.
Vous me trouvez taciturne, j’attends comme un serviteur d’accueillir ces lignes que vous négligez; la douleur même de mon épaule et l’oisiveté d’un enfant qui transforme, le
temps d’un dactyle, la chaux en mur lamentable; l’entrée de la mouette de dos dans le taillis de l’averse; l’éternel retour, fugitif, inattendu, des motifs dans notre cirque de
courbes, il me faut veiller sur la lampe à huile pour l’attendre tard et qu’il me trouve prêt malgré tout à remarquer le signe rapide dont il honore; vous êtes sombres
parce que vous n’avez pas su — vous en êtes innocents, et pourtant malheureux — que c’était à saisir, ce bas aparté contemporain d’un if qui se rejette, et, j’y
reviens, les deux bras silencieux de la très petite fille acceptant soudain sa mère et son père, mais la fenêtre battait, le gardien des vaches siffle, une main retombe au
premier plan, et ce geste pour chasser l’insecte, qu’on prend pour une larme, et voici la tristesse entre ses deux parois qui nous invite à traverser.
C’est à quoi je m’emploie.
La tapisserie défaite et retissée, l’étrange filet tendu pour vous mais vous ne le relevez pas, de silhouettes de contes, de rameaux en couleurs, d’alertes chez les oiseaux,
d’entrailles de jusant, de pages écorchées, d’assonances fanées qui revivent, car tout est rencontre beaucoup plus surprenante que celle d’un tesson et d’une fleur dans le
même réseau, et l’art de nos époques rejoint ce qu’il y a, la concroissance instantanée de regards et de branches, ces alignements d’amers : votre manche, le bouton noir de
la fenêtre, un cri de gibier; cette carte marine changeante : quelles hauteurs de tons différents dans le faisceau qui se défait aussitôt de nos phrases, on dit «
conversation », le vent ouvre un livre, et c’est
Pindare que la couverture recache, un avion s’enivre, la voile rouge de
Thésée double le cap de
Branec, la chanson à la mode croise la rue, les sœurs échangent des propos méchants, tristesse te voici.
Art poétique
Le corps et sa charade
Quand le vent s’enroule dans les veines
Un vivant crucifié
Le haut lui passe, un tuteur aux épaules
Ii marche pendu
Contre la pesanteur
Le nom et la chose
Disant à son fils le nom d’une fleur
(S’il n’oublie pas son premier vers le poème décline)
Liseron mais pourquoi, fragte er,
Cette fleur ne s’appelle pas blanche?
Albe liseron grimpacée
Le nom qui convient mimerait quelle genèse
Le voyage
Au pays où les hommes sont pieux
Et la lune croissante
Les morts les corbeaux les cyprès fortifient ensemble
Un argument contre l’idéalisme (j’ouvris un livre sur la déportation : celle à qui fut donné de vivre dans son tombeau ses jambes se séparaient)
L’œuvre et le nom
L’Aurige au visage d’Aurige
Doucement staring at
(toutes levées vers lui les consultantes
cerclant sa figure orbitante)
Enseignait que l’œuvre ne déçoit pas son nom
I^e poème et son espérance
Entre l’or et le ciel un grand vent
Il rendrait la justice sur la litière du bateau
Les oiseaux sans compte auguraient
Ce qu’un poète a fait
Un autre ne peut le défaire
Le mot chargé d’horreur, d’aimant
Prête son nom à ce qu’il intitule
Nef chargé de sel, de distance
Prête son nom au bateau confondu avec lui
Tandis qu’il passe en secret alliance
Avec bleu — lui déguisé en échantillon —
Ils tolèrent le commerce fructueux
De leurs homonymes pseudonymes
(Topposerais-tu, lecteur (ici tutoyé comme naguère), lecteur que les statistiques disent soupçonneux envers les vers, t’opposerais-tu à ce que nous feignions, non sans
jovialité, de distinguer entre types de poèmes?)
Poème pour (re)poser questions qu’on ne pose plus en dehors du poème, même pas la « phénoménologie », qui doit choisir ses phénomènes,..
Les chiens vont sur la terre comme nous sur le tapis
de la mosquée
Pour courir « comme eux » il faut le long métier
d’athlète «
D’un bond » l’un, s’il est distancé, un chien
Rejoint silencieusement l’autre
II n’est pas lourd
Mais simplement comme un bateau ou plutôt
La terre est une étrave et leur course la houle discrète
Que veut dire ergo la lourdeur des hommes?
Il y a aussi des histoires de famille :
Souvent quand elle ferme la porte
Ma fille rentre plus précoce
Elle porte son image devant
Comme le feu dans la férule
Visages apparentés font comprendre les masques
Un souffle de verrier creusant le plasme les promut
Vide enceint d’os la face comme la terre
Que tu t’excentres en vain pour voir
Le masque des «
Deguy » des «
Balubas »
Devant « soi » crocheté à la cimaise de l’axis
De toi tu parles à la première personne
L’eau me coulait sur la bouche
Et c’est peu supportable
Des notes prises au cours de vivisection quotidienne :
Les greniers du ciel se remplissent
La mort dans la main gisante se réveille
Les jours un fardeau de bûches
Qui disparaît par le col des épaules
Les yeux se rejettent
Avant l’os qui va suivre
Le stère du temps s’écroule
Comme un visage du
Greco
Des fables :
Traité de l’équilibre des liqueurs
Entre les paumes le vase d’air, entre les côtes
Le vase de bronches, entre les ailes ce vase,
Entre les hanches ce vase d’arachide, entre
Les ailettes ce vase d’os fin, entre les myocardes
Ce vase de sang, entre les amis ce vase de cendre
Entre les lèvres ce vase courtois, entre les oreilles ce
Vase de lignes, sur la tète cette urne bleu ciel
De sorte que si tu renverses un verre les femmes s’affolent
Des moments de nostalgie :
Fin dans les villes sur le dos
Du fleuve d’où la ville se découvre
Ovide
Lucrèce
Gœthe
Suarez
La
Renaissance la
Rhétorique
Hardes qui vêtent sur les ponts
Le cynisme qui change d’échelle
Sous l’urne bleue des restes du ciel
Des autoportraits :
C’est fait de la même manière un endroit
Rio quand vous y êtes ou
Neuville ou
Lima
Le linge de
Cusco d’églises sur la pente
Les naïades
Varig dans les agences transparentes
Le grain des bords le temps de tourner la rue
Je ne peux congédier le grand souk du transept
Il n’est fidélité dont je ne sois capable
Ici des hommes qui s’appellent
Rivière
(Quand deux poètes se font face
Il vaudrait mieux que ce fût
Deux lutteurs turcs à culotte graissée
Oiseaux du même sexe étonné
Eux s’évitent comme deux métamorphosé»)
Des moments de rêverie, portée au refrain, au blason, au souvenir :
Où la
Loire abrite
Comme un nuage
Où la carte ressemble
A la carte du tendre
Le
Loir et
Montrésor
« ô tours ô chambres ô femmes ô cavaliers ô jardins et palais »
Cette aflluence que
Tenfant doit voir
Du féminin et de son masculin
Cet échange que l’enfant doit savoir
Du masculin et de son féminin
Car la rivière est
Loir
Et le fleuve est la
Loire
Tandis que dort leur homonyme
Dans l’autre règne et dans l’autre saison
« ô tours ô chambres ô femmes ô cavaliers ô jardins et palais »
Jeanne est un synonyme
Une femme une rivière
Où s’agenouille le lavoir
Au creux de notre histoire
En cette langue patriotique où riment
Loire gloire et croire et
Loir et soir
« ô tours ô chambres ô femmes ô cavaliers ô jardins et palais
Non des fleurs ou des songes
Mais cherchant le langage de langue
Car si j’écris victoire
Ce n’est pour que vous voyiez rouge
Mais pour que vous entendiez
Loire
« ô tours ô chambres ô femmes ô cavaliers ô jardins et palais »
Et, pourquoi pas, donc, des jeux d’anagramme :
As-tu remarqué comme les bêtes tiennent leur distance?
A peine entrons-nous, elles se dérobent, reculant jusqu’aux bords : corbeaux, cervidés, chats même, ces ailes entrevues qui décroissent; de sorte que pour les voir il fallut
les lier à la maison, poissons qui détalent, bêtes évanouissantes tant que les enfants ne savent pas leurs noms et qu’ainsi, vivant sur la terre, elles demeurent
inconnues.
Le loup alors, le loup que des lunettes même ne suffisent à rapprocher, et qui se métamorphose en berger dès que nous l’encageons, le loup posé sur la lisière de
la nuit entre chien et crépuscule, le loup serait un des noms de la bête incapturable ; plutôt, il nomme l’imminence de ce qui nous frôle, la noirceur, tout près de
nous, de toute quasi présence à contre-jour; car la lampe dissipe l’ombre, mais il suffit d’un couloir, d’un resserrement, de quelque coude qui cache la vue pour que les’ enfants
pressentent son embuscade.
Et pour chacun quand il s’agit de paraître dans une identité défiant toute connaissance, à la faveur de la fête on se masque avec sa peau.
Le loup dévore son antonyme la poule blanche, ronde, étourdie ; son blason contrasté offre cette étrange figure de l’intérieur qui échappe à toute
révulsion : sa peau retournée ne le livre pas; la mort ne le menace pas.
Aujourd’hui que l’homme-loup de
Frazer ou de
Gordon pend dépecé dans les musées de l’Homme, l’enfant et le loup, l’enfant-loup en un comme le
Mino-taure, que la chronique inquiète tire parfois d’une forêt-monstre du
Dekkan, l’enfant qui surveille les bonnes versions de la fable, l’enfant-joue, l’enfant qui se change en cache et que fascine la simple irruption, pareil aux insectes qui se médusent par
leurs ocelles, l’enfant dont le cri de jeu n’est qu’une longue assonance au loup, l’enfant hou-ou, pour lui le noir est métaphore du loup, tout lieu reculé son anagramme…
Le loup de profil, figure de ce qui va surgir de tout angle, le loup en oreilles, jaloux triangulaire omni-absent comme la face cachée des choses, doublure ombreuse au verso de ces
retournements même qui cherchent à débusquer tout le non-vu et s’imaginent que l’inouï va bientôt être tiré au clair, c’est de son pas que s’approche, la
langue l’atteste, à la faveur de l’obscur tout l’envers innommable dont le secret ne peut pas être levé.
(Que le poème enveloppe une valeur de grammaire première, refondation de tropes, naissance de l’usage ou pouvoir de la langue dans ses possibilités.)
Maintenant
Elle peut venir à tout instant
«
Maintenant nous voyons en figure »
Il n’y a qu’une seule figure
La genèse est de mise :
Nous sommes dépossédés —
De la distance du génitif
Comparution
Comparaison
Maintenant elle peut paraître à tout instant
«
Cette chose formidable
Disait l’Homme-qui-rit
Une femme en son nu »
Métaphore est anagramme
D’Aphrodite anadyomène
O promise ô saisissante
Le n’-approche-pas de ton lever
Met en état le poète dessaisi
De soutenir l’apparition
«
Comme en un jour de fête »
Le poème commence fête rythmique par son ouverture ouvragée qui fait le silence, et nous aurons des mots pleins d’odeur légère…
Car un poème est une sorte d’anagramme phonique de ce « mot de lui-même » qu’il ne livre pas autrement, ce mot crypté en lui comme l’acrostiche sonore qui se cache,
cette arcature qu’il cherche en avançant comme le sourcier de sa propre source, une sorte de variation paronomastique sur son propre ton-clé qu’il fraye aveuglément à
soi-même; le poème se fait sonner pour ausculter son cristal.
Michel Deguy
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.