Jacques Ancet, Silence corps chemin


Jacques Ancet, Silence corps chemin

« La beauté n’est pas une réponse : une blessure simplement comme une source inépuisable ». Jacques Ancet, Sous la montagne

La notoriété de Jacques Ancet comme traducteur émérite des grands poètes espagnols, (Gamoneda, Valente, Saint Jean de la Croix,…), a un peu recouvert sa propre œuvre poétique d’une fine mousse de séparation.

Pourtant il aura lui aussi témoigné hautement de la poésie comme « art de la mémoire, donc aussi de l’oubli ». Au-delà de l’imperceptible des mots, des choses fuyantes, les gouttes de ses vers coulent sur les vitres du monde. Ils sont autant de signes invisibles pour accroître notre écoute de la vie. C’est là. Ça n’a pas d’images.

C’est un souffle dans les heures,

un instant comme arrêté,

on ne sait pas, presque rien.

Un vide sous les visages,

sous les gestes quelque chose

qui vacille : ombre ou mémoire.

Un silence qu’on écoute

avec toujours ce qui parle

sans un mot, ce qui se tait. ( L’Imperceptible, 1996)

Sa poésie est une attente aux bords du silence, quelque chose va enfin venir que l’on ne sait pas. Dans ce monde incertain, entre chien et loup et homme contre homme, quelque lumière sourd lentement de ses poèmes qui semblent être en suspension :

« La lumière suffirait-elle ? Les ombres sont plus nettes, les couleurs plus vives, mais ce qui vient ressemble à la tempête. Peu importe. Je ne vois pas plus loin que le bout d’un instant qui sans cesse m’échappe, sans cesse m’appelle. C’est pourquoi je suis perdu. Entre la montagne et la tasse, le ronflement de la pelleteuse et le craquement du radiateur. Entre ce que je vais dire et ce que je dis. Entre le regard et les choses, le matin et le soir. Entre, toujours. Entre les mots comme entre les pierres du torrent. Entre ton corps et le mien, entre ma vie et ma mort. » Chronique d’un égarement (2003-2006, inédit).

Jacques Ancet définit lui-même parfaitement sa poésie comme envers de l’invisible :

« Et écrire, ce désir à chaque fois de réparer l’imperceptible accroc ? De recueillir dans un léger tissage des paroles ces figures éparses du devenir et les rendre un instant solidaires. De telle sorte que recouvert, effacé par l’afflux de mots, le monde finirait par venir y renaître, surgissant de ce mouvement même qui d’abord l’a annulé et qui, maintenant, lui offre cette vivacité dont jusque-là il paraissait privé. Oui, écrire ce serait d’abord cela : s’asseoir pour voir se lever le monde dans le jour du langage. Et, d’une voix presque muette — d’un souffle engendré par les mots et qui les porte —, ne cesser de célébrer cette beauté, répétant comme une prière muette cette phrase si simple de Beckett : « Je regarde passer le temps et c’est si beau » ( Un homme assis et qui regarde).

Ce souffle engendré au bord des portes de l’ailleurs est étrange et simple :

Là aussi devant le soir qui tombe

collines bleues brume et

les mots peu à peu deviennent sombres

on croit deviner que c’est à cause

de ce qui s’en va du noir qui vient

pourtant c’est autre chose la lampe

fait de l’ombre les murs se resserrent

on écoute le bruit de la voix

elle s’approche on la reconnaît. (N’importe où,1998)

Ce n’est pas une angoisse aux aguets comme chez Pierre Reverdy, mais une écoute attentive des bruits secrets du monde. Guillevic disait ceci :

« Des poèmes qui montent

Et qui s’enfoncent,

Vont quelque part,

Qui sait où ? »
Les poèmes de Jacques Ancet vont dans cet « empire intermédiaire de l’adieu ».

Le sens coule comme rosée et sourit aux nuages. Rien ne nous est dû ici-bas, tout est donné comme un nouveau matin, une nuit en soie. Et dans l’épiphanie de la transparence, les mots de Jacques Ancet ruissellent. Musique montant comme lierre sur les murs des jours, se lovant dans l’air, les proses ou les vers de Jacques Ancet viennent prendre place imperceptiblement dans nos mémoires. Ils tentent d’occuper pleinement le vide.

« On appelle/mais sans la bouche, d’un petit coin/quelque part entre mémoire et corps ».

Suspension, silences portés à bout de mots, infinie patience autorisant toutes les vagues du ressassement, l’écriture de Jacques Ancet est hantée par les remous du temps, par le poids lourd de l’indicible. Dans ce chuchotement permanent quelqu’un nous écoute : « là comme un souffle entre deux instants ».

Une haleine fraternelle se mélange aux buées de nos doutes.

Comme si

au verdict de chaque instant

répondait un signe invisible.

Ou qu’il suffisait d’un mot

pour que tout ne soit qu’un seul

éclat, la chambre, le monde.

(L’imperceptible)

Des doutes également de l’auteur:

« J’écris, je n’écris pas, je crie en silence à travers ce silence » (L’incessant).

Jacques Ancet (Esprits Nomades)