LAISSES BARBARES PAR JEAN-MAX TIXIER (extraits)


LAISSES BARBARES PAR JEAN-MAX TIXIER (extraits)

Des oiseaux teintés de sang de grenouille reprennent leur envol
Leur robe a changé d’espace
Les tambours se sont tus

Résonne encore aux tempes le piétinement de la danse immobile
La célébration d’un temps qui n’aura pas de fin
L’oiseau se souvient des parures des rémiges et du duvet pris dans

la cire
Des plumes qui s’agitent dans la tête d’hommes en transes
Le vol se fait plus lourd
La forêt lance plus haut ses vagues d’émeraude
On ne sait plus dans ce naufrage qui tombe de l’homme ou de l’oiseau

Les dieux verts sont cachés dans le temple par des colonnes de soleil

Pas une pousse n’échappe à leur empire dans l’immense étendue

Pas un geste ne s’accomplit sans leur faveur

Pas une mélopée aux lèvres de l’officiant

Pas une image ne s’éploie

L’année ne tourne pas

La roue s’est arrêtée entre les bras du fleuve «

Le tumulte des eaux naît du souffle des morts

À l’extrême pointe du dard

La goutte de venin embrase le silence

La danse de la guêpe en habits d’apparat conjure la douceur

Répondent les anciens aux visages de cendres

Tandis que la boue se craquelle sur les corps enduits de nuit

Douleur et joie plaisir et peur tissent la même tresse
Ici rien n’est pareil puisque tout recommence
Chaque homme est une jarre emplie de songes
Et tournent les nuées

La femme serre la galette de maïs sur son ventre

La violence de la moisson s’agite dans sa chair

Elle traverse à pas lent la mémoire en quête de l’amant

Son pied s’enfonce dans les légendes chaque fois plus profond

Nulle fatigue n’alourdit ses membres

Nulle angoisse n’entame le soir épandu sur les branches

Mais d’une étrange faim ses entrailles se nouent

Il y aurait des étoiles dans la prunelle de l’Ancien

Une nuit plus noire que la nuit du commencement

Sa parole tendrait d’une corde invisible le cercle des hommes

Jamais on n’entendrait aussi fort le silence

On ne sentirait jamais aussi lourd le lest de pierre dans le cœur

De jour en jour il y aurait plus d’absence

Plus de bornes en marge du village et du foyer éteint

Plus d’étoiles perdues dans les yeux de l’Ancien

Les lucioles s’épuisent à rejaillir de l’ombre

Il écoute le grésillement de la lumière dans les branches

Mâchant l’écorce du mot dont la sève rend fou

Il brasse l’air d’un geste jamais las

Il ramène vers lui l’insecte insaisissable

Les apparences s’apprivoisent et prennent forme du désir

Demain la pluie tissera le ciel à la terre

Quand la main écartera le rideau sur un rire de femme

Il reconnaîtra son passage à la douceur du vent

Jean-Max Tixier