MES MAINS EFFLEURENT TON SOURIRE


MES MAINS EFFLEURENT TON SOURIRE

Aux jonctions de l’herbe sauvage
Et du « forget-me-not »
Se tient une promesse
A conquérir …

J’applique le savoir de mon amour
Laissant vivre la fleur –
Secouant l’arbre
Pour ramasser
Ses fruits
Que j’ajouterai aux tiens

Les mains rougies par leur suc
Je les laverai sur
Tes lèvres …

C’est toi sur ce chemin
Toi dans la jachère
Et je ne t’oublie
Même si je ne
Te cueille pas

Au loin la lune prépare les étoiles
Sur la cime de mon
Orgueil
C’est toi la chair de la promesse
Qui les accueille

Pour toi la rougeur du soir
En une double maraude :
Celle sur le seuil
D’une montagne
Avec celle
Sur le seuil de ton pays !

Jusqu’au-delà de la mer :
C’est toi ma cime
D’orgueil

Sur tes lèvres :
L’herbe folle des oasis
Où tu siffles la source
Délicate …

Mais je n’achèverai pas ton nom
Avec les rutilances
D’un poème
Mes mots traîneront sur
Ta peau solaire …

Peut-être glisseront-ils
De tes yeux d’océan
A ton ventre pétri
D’écume de
Sable

Et la paume sensible de tes mains
Recueillerait la respiration
De mon sourire
Et
Tu la porterais à ton cœur
Comme pour ta
Nouvelle
Jeunesse

Tous les fruits se confondront
Dans la corbeille de fleurs
Que le « Forget-me-not »
Rehaussera sur
Ta tête
Comme au royaume de tes pensées

Mais je ne t’épuiserai pas …
Si ton hasard de reine
Rejoint celui de
Tant de mes bénédictions pour toi

Délicatesse de ta patience
Qui ouvre à une bienveillance
Pour celui qui veut poser
Ses genoux à
Tes pieds asséchés
Au sel du
Désert …

J’entends et je vois sur tes pas
La danse du travail et
Des jours
Que les enfants suivent
En battant le rythme
De ta voix
Qui les baigne d’Humanité

La bienveillance grandit la délicatesse
A la fenêtre d’où s’exhalent
Les parfums de ton grand
Monde généreux

Délicate ! Est-ce ta beauté
En ton grand jardin
Laissant affleurer
Ces fruits de
La nouveauté ?
Je m’y confie
Pour surpasser tout champ d’herbes folles
Et y dégager un sens
Au monde

Au creux de ton pays :
Ton chemin où se croisent
Tant de richesses –
Borde les secrets
D’un continent
Tu les prends
Et les garde
Loin de toute finitude –
Là avec la si délicate énigme
Où tu ranges ton histoire
Si fidèle au souvenir
Où ta liberté
A depuis longtemps
Posé sa trace.

Alain Minod

MILLE MORTS PAR CLAUDE ROY


Iryna Ttsvila

MILLE MORTS PAR CLAUDE ROY

Je suis dans le soleil endormi paresseux habité de pensées comme l’été d’abeilles

Le soleil tout à ce qu’il fait n’est que lumière et que chaleur et l’arbre d’un seul mouvement n’a qu’une idée dans ses racines

L’oiseau qui se pose sur l’arbre est oiseau de toutes ses ailes Toute en couleur toute en parfum la fleur ignore l’ironie le souvenir la nostalgie les bons les mauvais sentiments le temps qui
passe patiemment le temps qui passe tellement

Mon chien qui rêve qu’il est chien et grogne à mes pieds dans l’herbe n’est que mon chien qui se sait chien dans l’herbe qui n’est que de l’herbe

Mais moi Que voulez-vous que je dise de moi Je ne vis qu’une fois mais c’est toujours ailleurs Je vis de mille vies Je meurs de mille morts dénoue ce que j’ai noué déjoue ce qui
me lie sorte d’absent-présent que vous nommez un homme

Homme Qui nommez-vous Un autre Moi Personne

Quand je parle au dedans une autre voix résonne et lorsque je me tais je ne reconnais pas le silence que fait mon long silence en moi

Je suis un homme et plusieurs hommes L’instant présent me prend toujours en défaut

Je vis de mille vies Je meurs de mille morts

Si le vent se lève soudain fait frissonner les peupliers longuement torrent qui s’écoule sur les cailloux blancs pommelés du ciel le vent ne froisse que les feuilles pelage vert
et murmurant

Mais le vent qui court et parcourt mes étendues et mes domaines le vent n’en finit pas d’aller et de venir

Les labyrinthes du souci

et les signes d’intelligence

que le jour fait à la nuit

le sommeil sa fausse vacance

l’ennui qui nie miroir terni

la lampe éteinte de l’absence

le plaisir où je me délie

le travail où je me dépense

et l’amitié où je m’allie

la réflexion que je devance

le livre où je me relis

le poème qui se condense

dans les ténèbres à demi

de la chuchotante présence

que mon absence contredit

les vaines joies les vraies souffrances

demain qui menace aujourd’hui

je ne suis rien que la patience

qu’ont les vivants à être en vie

Je vis de mille vies Je meurs de mille morts.

Claude Roy