UN ROCHER PAR FRANCIS PONGE


EDWARD MUNCH

UN ROCHER

PAR

FRANCIS PONGE

De jour en jour la somme de ce que je n’ai pas encore dit grossit, fait boule de neige, porte ombrage à la signification pour autrui de la moindre parole que j’essaye alors de dire. Car,
pour exprimer aucune nouvelle impression, fût-ce à moi-même, je me réfère, sans pouvoir faire autrement, bien que j’aie conscience de cette manie, à tout ce que je
n’ai encore si peu que ce soit exprimé.

Malgré sa richesse et sa confusion, je me retrouve encore assez facilement dans le monde secret de ma contemplation et de mon imagination, et, quoique je me morfonde de m’y sentir, chaque
fois que j’y pénètre de nouveau, comme dans une forêt étouffante où je ne puis à chaque instant admirer toutes choses à la fois et dans tous leurs
détails, toutefois je jouis vivement de nombre de beautés, et parfois de leur confusion et de leur chevauchement même.

Mais si j’essaye de prendre la plume pour en décrire seulement un petit buisson ou, de vive voix, d’en parler tant soi peu à quelque camarade, — malgré le travail
épuisant que je fournis alors et la peine que je prends pour m’exprimer le plus simplement possible, — le papier de mon bloc-notes ou l’esprit de mon ami reçoivent ces
révélations comme un météore dans leur jardin, comme un étrange et quasi impossible caillou, d’une « qualité obscure » mais à propos duquel o ils ne
peuvent même pas conquérir la moindre impression ».

Et cependant, comme je le montrerai peut-être un jour, le danger n’est pas dans cette forêt aussi grave encore que dans celle de mes réflexions d’ordre purement logique, où
d’ailleurs personne à aucun moment n’a encore été introduit par moi (ni à vrai dire moi-même de sang-froid ou à l’état de veille)…

Hélas! aujourd’hui encore je recule épouvanté par l’énormité du rocher qu’il me faudrait déplacer pour déboucher ma porte…

Francis Ponge

CREUSER LE SILENCE


CREUSER LE SILENCE

De la cabane à outils il faut se saisir de la pioche et de la houe

pour retourner le silence qui bloque toute pousse

Edward Munch

en passant devant les fenêtres ouvre les volets du cerisier vers l’intérieur

La neige a blanchi de son pardon toute division

l’oiseau saute sur la branche qu’il a dans le coeur

Le froid ne peut que donner envie de chauffer la palette des couleurs

Dans l’écurie le râtelier cherche à nourrir l’équin de tout un matin qui chante.

Niala-Loisobleu.

13 Décembre 2022

EDWARD MUNCH


EDWARD MUNCH

Flottaison confondue en une seule ligne

la mer adoube le ciel d’une seule couleur

Femmes-baigneuses

venues du sel

bec de corail

déhanché d’anémones

éponge vaginale

estrans poitrinaires

le cri sorti de l’eau nage en corps

jusqu’au bout du tapis-volant sur les villages-blancs

Trois nuages en ballons-captifs suivent sur leur écran l’évolution de la menstrue

et sous l’épave d’une histoire d’amour l’amphore intacte contient le génie de la retrouvaille

Un nord couleur de troll à la boussole

je vais et je viens réaliste

dans la palette des bleus outre-mer

sur mon cheval-drakkar au galop explorateur

en viking du sud à la porte du toril.

Niala-Loisobleu – 25 Novembre 2022

Cette vague où mon pied trempe


EDWARD MUNCH

Cette vague où mon pied trempe

Tel le cri

c’est un pont vers toi

qui me ramène

à l’écume

La taille de tes seins

tombe c’est l’automne

Je peins comme un mendiant.

Niala-Loisobleu.

9 Octobre 2022