La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Toute figure est figure de pensée… Une figure est celle du dieu de poésie Qui se glisse dans la forme de cette figure En ressemblant à s’y méprendre à cet hôte qui l’accueille Pour y féconder Alcmène la poésie
L’esprit de poésie : un défieur de dieux qui invoque : « qu’est-ce que vous attendez ? ! » Cette durée ne peut pas durer ! Il faut que l’interminable soit ponctué ; qu’il y ait de l’interruption, du contour, de l’apparition, de la finition ! Venez. J’expose la peau ocellée d’Argus, une cotte de synonymes : Protée, montre-toi que je te reconnaisse multiple, que je t’épèle à grande vitesse !
L’esprit de poésie compare l’ogre égarant ses enfants à la «forêt obscure» où Dante commençait par se perdre; il perd les «significations admises», tout ce qui s’énonçait vite, ne demandait qu’à être identifié (et sans doute vaudrait-il mieux être égaré par une puissance que prendre les devants par jeu, mais enfin il faut bien que quelqu’un commence) ; l’affaire ordinaire, le patent, l’envoyé loyal, le message escompté, il s’en impatiente ! Le trompeur authentique, le déguisé, le fourbe de comédie, celui que le public a démasqué d’entrée de jeu ne lui suffit pas. Mais où est le dieu ? Dans les tragédies, le dieu ? Celui qui est autre qu’on croit, non par férocité mais parce qu’on ne pourrait l’accueillir, l’excessif, qui éclipserait. Ou alors il y aurait deux dissimulations, et la première, sympathique et remédiable, pour nous préparer à l’autre, « tragique » ? Celui qui est et n’est pas — ce qu’il est.
Et les dieux ont appris aux hommes par les arts à recevoir, à pouvoir recevoir, toute chose comme un dieu, pour ce qu’elle est en étant autre (en excès, en à-côté), autre que ce que c’est qui la comporte, dans quoi elle vient; en étant comme cela qui s’annonce, c’est-à-dire irréductible à cela qu’elle paraît : masqué par son apparaître, par son être-vrai même. L’artiste apprend à ménager, d’un rapport indirect, le « dieu inconnu » en tout. Le dieu est ce qui remplit la forme humaine, parfois trop humble comme Déméter, en retrait dans le visible, pour suggérer l’inégalité de la visibilité à l’être, la « différence de l’être et de l’étant » ?
Ainsi est-ce l’épreuve par tout : reconnaître le dieu. Il s’agit de ce qui excéderait la vie dans la vie, le dieu amour, « promis à tous », en tout cas à toi, à toi, à toi… C’est ton tour. Et si tu ne l’accueilles pas en quelque mode, tant pis pour toi, « tu auras vécu en vain ».
Même la comédie murmure «c’est votre affaire», de le reconnaître dans ce valet, ce double, cette erreur, cette coquette. Il n’est pas réservé aux Princes de la tragédie ; il ne s’agit pas que de mourir.
je tiens la seule couleur qui garde ma raison de vivre
et du bout des miens j’en soupèse chacune de tes formes
dans le carnet
Tu vieillis
quel bonheur de te voir écrire de ce sang qui me fait peindre
Emoi aussi !
.
Niala-Loisobleu.
1er Avril 2023
« Carnet »
Il y a beaucoup de morts dans le journal d’hier Et beaucoup de misère mais partout Beaucoup de gens qui restent indifférents Le lendemain tout semble déjà moins grave
Je ne voudrais pas que tu vieillisses trop vite Avant que nous ayons eu le temps de nous arrêter Et de nous dire : nous sommes heureux Que nous nous regardions encore une fois Dans le miroir amoureux des sourires Que je te trouve belle encore une fois Je veux encore du temps pour offrir Ton corps aux regards de passage Gens de passage prenez cette femme Possédez-la un jour elle ne sera plus rien Montre-toi nue danse pour eux Possédez-la qu’elle demeure Et demeure l’empreinte de ses doigts dans le sol
Je sens maintenant que tout va un peu plus vite Pourtant nous avons juste trente ans Je m’arrête et je te regarde Ai-je assez profité de toi? J’arrête le monde et je regarde Car il est plus que temps aujourd’hui de vivre Je cherche à écrire de plus en plus simplement Je me préoccupe moins des rimes et des rythmes Car il est plus que temps aujourd’hui de vivre De repousser la porte que quelqu’un ferme sur nous inéluctablement
Dans le journal d’hier beaucoup de morts Et puis partout beaucoup de gens indifférents Nous sommes peu nombreux à veiller Nous tenons la lampe allumée Nous repoussons de toutes nos forces le sommeil Et la lampe nous fait les yeux brillants
Nous tenons la lampe allumée Nous ne vieillissons pas
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.