Suppose
Que je vienne et te verse
Un peu d’eau dans la main
Et que je te demande
De la laisser couler
Goutte à goutte
Dans ma bouche.
Suppose
Que le vol d’un oiseau
Nous invite au voyage
Et que je te demande
De nous blottir en lui
Pour avec lui voler
A travers ta pénombre.
Suppose
Que près de toi mes jours
Aient un cours trop rapide
Et que je te demande
De faire de mon temps
Un temps de végétal
Pas pressé de fleurir.
Suppose
Que le bois de la table
Réclame ses racines
Et que je te demande
De nous y prendre ainsi
Qu’il ait surtout besoin
Du toucher de nos mains.
Suppose
Que la fleur soit si drue
Que c’est trop de défi
Et que je te demande
De m’apprendre à la voir
Sans penser que c’est nous
Que sa mort atteindra.
Suppose
Qu’un couple de mésanges
Cogne à notre fenêtre
Et que je te demande
De les laisser cogner
Jusqu’à ce qu’on nous parle
Un langage entendu.
Suppose
Que le ciel de la plaine
Soit jaloux de nous deux
Et que je te demande
Envers lui ce sourire
Qu’il attend de la terre
Depuis les origines.
Suppose
Que le chêne refuse
Nos corps contre son tronc
Et que je te demande
Que nous lui chantonnions
Le chœur de ses racines Étouffé dans ses feuilles.
Suppose
Que dans l’air chaud le blé
Parle encore de toi
Et que je te demande
D’aller lui rapporter
Que j’en sais davantage
Mais que j’aime écouter.
Suppose
Que tu m’ouvres les bras
Pour fêter le matin
Et que je te demande
De ne pas me garder
Tant que je ne sais pas
Cerner mes cauchemars.
Suppose
Que nous ne soyons pas
Si contents de nous-mêmes
Et que je te demande
De rappeler à nous
Ces moments où j’ai lu
La gloire dans tes yeux.
Suppose
Que le ciel soit trop près
De nos corps extasiés
Et que je te demande
De lui faire accepter
Que nous ne voulons pas
L’avoir comme témoin.
Suppose
Que la feuille du chêne
Te réclame auprès d’elle
Et que je te demande
D’y rester jusqu’au jour
Où ce sera mon tour
D’être appelé par elle.
Suppose
Que la rose ait envie
De devenir bluet
Et que je te demande
Que nous nous appliquions
A l’écœurer du bleu
Des mers azuréennes.
Suppose
Que je voie la pervenche
N’en pouvant plus d’attendre
Et que je te demande
De lui annoncer, toi,
Que ce n’est pas la peine,
Qu’il est déjà venu.
Suppose
Que les herbes grandissent
Plus haut que les terrils
Et que je te demande
Que nous sachions en rire
Comme si c’était nous
Qui prenions la revanche.
Suppose
Que la lune apparaisse
Quand nous ne voulons pas
Et que je te demande
De tout accepter d’elle
Pour qu’elle aille sa route
Et nous laisse à nous-mêmes.
Suppose
Que ce soit le rocher
Qui frappe à notre porte
Et que je te demande
De le laisser entrer
Si c’est pour nous conter
Le temps d’avant le temps.
Suppose
Que tout, sous nos regards,
Soit pris d’un tremblement
Et que je te demande
De garder notre calme,
Tout en faisant semblant
De trembler comme eux tous.
Suppose
Que je coupe la terre
En deux parties égales
Et que je te demande
Laquelle tu choisis,
Celle où je sombrerai,
Celle qui voguera.
Suppose
Que la nuit ait envie
De te prendre pour reine
Et que je te demande
De lui faire accepter
Qu’elle ait à se venger
Sur moi de ton refus.
Suppose
Que le feu te raconte
Sur moi des infamies
Et que je te demande
De croire ce qu’il dit
A moins que tu ne t’offres
A l’épreuve du feu.
Suppose
Que la montagne s’ouvre
En s’avançant sur nous
Et que je te demande
Que nous restions à rire
Du mal que l’on se donne
Rien que pour nous gober.
Suppose
Que nous soyons ensemble
A respecter le soir
Et que je te demande
De le couvrir du sang
De la bête qui vient
Nous humer dans la nuit.
Suppose
Que l’horloge s’arrête
En éclatant de rire
Et que je te demande
De lui dire que rien
N’est changé pour cela
A ce que fait le temps.
Suppose
Qu’un cuivre nettoyé
Se transforme en orchestre
Et que je te demande
De lui faire accepter
Que nous aimons bien mieux
L’accord de son silence.
Suppose
Que nos cailloux se mettent
A hurler tous ensemble
Et que je te demande
De les faire se battre
Et de chanter victoire
Avec le survivant.
Suppose
Que tout à coup le mur
S’effondre devant nous
Et que je te demande
De croire que c’est lui
Qui a voulu répondre
A notre vœu secret.
Suppose
Que sans raison la porte
Se fracasse à nos pieds
Et que je te demande
Si ta peur est plus grande
Depuis que le silence
A lâché sa menace.
Suppose
Que l’espace en courroux
Veuille nous séparer
Et que je te demande
De répéter mon nom,
De le crier toujours
Dans le tohu-bohu.
Suppose
Que la pluie te raconte
Qu’elle envahit la terre
Et que je te demande
De voir à travers moi
Que le soleil la gifle
Et la fait remonter.
Suppose
Que le train nous déverse
Dans quelque terrain vague
Et que je te demande
D’effacer de ce ciel
Ce qui se reproduit
Dans tant de cauchemars.
Suppose
Que je n’aie rien à faire
Que d’attendre la nuit
Et que je te demande
De vouloir qu’elle arrive
Avec tout le retard
Que l’on peut mettre à vivre.
Suppose
Que l’univers entier
Ne soit plus que terreur
Et que je te demande
D’user de tes regards
Pour qu’au moins la prairie
Cède à notre sourire.
Suppose
Que pour moi l’étendue
Soit de l’ordre du cri
Et que je te demande
De ramener son règne
A la plainte habitant
Le creux des coquillages.
Suppose
Que la mer ait envie
De nous voir de plus près
Et que je te demande
D’aller lui répéter
Que nous ne pouvons pas
L’empêcher d’être seule.
Suppose
Que près de nous la mer
Se mette à grommeler
Et que je te demande
De n’avoir d’autre peur
Que celle que nous donne
Son silence étranglé.
Suppose
Qu’il n’y ait que le vent
A rencontrer sur terre
Et que je te demande
De souffler à sa place
Et d’agir avec moi
Comme avec un trois-mâts.
Suppose
Que je me laisse un jour
Marcher sur l’océan
Et que je te demande
De m’appeler pour voir
Si ton cri peut changer
Mes rapports avec l’eau.
Suppose
Que la vague et le sable
Jurent de te dissoudre
Et que je te demande
De m’étreindre à ce point
Qu’on ne puisse te prendre
Et me laisser un corps.
Suppose
Que la nuit me rejette
Quand je suis sans refuge
Et que je te demande
De me garder à toi
Pour affronter le noir
Sans redouter sa haine.
Suppose
Qu’il parle trop ce chêne
Où nous avons appui
Et que je te demande
D’obtenir qu’il se charge
Tout seul de son secret,
Pas plus lourd que le nôtre.
Suppose
Que le soleil couchant
S’en aille satisfait
Et que je te demande
D’aller lui réclamer
Ce qu’il doit nous payer
Pour sa journée de gloire.
Suppose
Que cet arbre et ce mur
M’imposent de les voir
Et que je te demande
De me donner la force
De passer devant eux
En ne voyant que toi.
Suppose
Que le jour et la nuit
Confondent leurs horaires
Et que je te demande
De m’aider à trouver
Comment faire un matin
Quand il n’y en a pas.
Suppose
Que le soleil se mette
A envahir la terre
Et que je te demande
D’être avec moi la glèbe,
La mer et le soleil
Pour la dernière fois.
Suppose
Que s’ouvrent sous nos yeux
Tous les toits de la ville
Et que je te demande
De choisir la maison
Où, le toit refermé,
Tu aimeras la nuit.
Suppose
Que nous soyons devant
La bougie allumée
Et que je te demande
Si tu comprends pourquoi
Nous en avons besoin
Pour nous réinventer.
Suppose
Que le lit nous ramène
A nos trois dimensions
Et que je te demande
D’accepter avec moi
Que nous le reprenions
Comme aire de départ.
Suppose
Que je veuille épouser
La plaine et l’océan
Et que je te demande
Que cela se situe
Dans la complicité
De ton corps exaucé.
Suppose
Que je sois fatigué
D’avoir trop travaillé
Et que je te demande
De te pencher sur moi,
De regarder ailleurs
Et d’ouvrir ton corsage.
Suppose
Qu’un oiseau dans l’hiver
Chante comme on triomphe
Et que je te demande
D’accompagner la plaine,
De façon qu’elle aborde
Au niveau de ce chant.
Suppose
Qu’un ange rencontré
Nous offre un paradis
Et que je te demande
Que nous nous écartions
Et le laissions tout seul
Raconter son velours.
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