La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
Je jurerai avoir vu les nageoires d’un poisson traverser la palmeraie à la sortie de la Maison Bleue. Sur la crête des dunes on pouvait compter les chameaux déjà d’une caravane partie très tôt
Un dessin oriental s’étale sur le sable en un très large tapis où personne ne prie mais où deux saltimbanques font l’aubade à l’oiseau
Au loin des tentes déguisées en maison font hôtel pour les voyageurs quand la diligence s’arrête
Cette musique frémit de la peau tendue sur laquelle les mains vont au bout de leurs caresses tout en se déliant avec des cordes en notes. Ce désert est plus vers qu’un parc de loisirs. Il y a même des trains d’arbres dans le fleuve qui le traverse. Des pyramides le bordent de leurs légendes qui seraient venues du soleil au temps où on plantait sans plan de rendement intensif
Aujourd’hui la réalité fait la chasse aux fous qui croient que stopper le gâchis avant que tout casse serait une bonne action. Je ne serais pas étonné d’être arrêté faute de pas me cacher et de ne pas prendre de précautions. Ma foi si vivre implique de rêver, je choisis de me raconter…
Quand j’habitais Alger, je patientais toujours dans l’hiver parce que je savais qu’en une nuit, une seule nuit froide et pure de février, les amandiers de la vallée des Consuls se couvriraient de fleurs blanches. Je m’émerveillais de voir ensuite cette neige fragile résister à toutes les pluies et au vent de la mer. Chaque année, pourtant, elle persistait, juste ce qu’il fallait pour préparer le fruit.
Ce n’est pas là un symbole. Nous ne gagnerons pas notre bonheur avec des symboles. Il y faut plus de sérieux. Je veux dire seulement que parfois, quand le poids de la vie devient trop lourd dans cette Europe encore toute pleine de son malheur, je me retourne vers ces pays éclatants où tant de forces sont encore intactes. Je les connais trop pour ne pas savoir qu’ils sont la terre d’élection où la contemplation et le courage peuvent s’équilibrer. La méditation de leur exemple m’enseigne alors que si l’on veut sauver l’esprit, il faut ignorer ses vertus gémissantes et exalter sa force et ses prestiges. Ce monde est empoisonné de malheurs et semble s’y complaire. Il est tout entier livré à ce mal que Nietzsche appelait l’esprit de lourdeur. N’y prêtons pas la main. Il est vain de pleurer sur l’esprit, il suffit de travailler pour lui.
Mais où sont les vertus conquérantes de l’esprit ? Nietzsche les a énumérées comme les ennemis mortels de l’esprit de lourdeur. Pour lui, ce sont la force de caractère, le goût, le «monde », le bonheur classique, la dure fierté, la froide frugalité du sage. Ces vertus, plus que jamais, sont nécessaires et chacun peut choisir celle qui lui convient.
Devant l’énormité de la partie engagée, qu’on n’oublie pas en tout cas la force de caractère. Je ne parle pas de celle qui s’accompagne sur les estrades électorales de froncements de sourcils et de menaces. Mais de celle qui résiste à tous les vents de la mer par la vertu de la blancheur et de la sève. C’est elle qui, dans l’hiver du monde, préparera le fruit.
CARLOS PRADAL me dit « J’ai beaucoup travaillé, venez voir… ».
J’entre dans son atelier. Au mur, la copie d’un Gréco qu’il fit il y a plusieurs années ; des paysages, des portraits, des natures mortes, anciens pour la plupart ; et un grand « toro » qui sèche. Par terre, posées de champ dans des caisses, des toiles.
Je ne sais pas, une centaine peut-être. On y trouvera trois fois, cinq fois, dix fois le même sujet. Car il ne corrige jamais, il recommence. Comme au saut en hauteur si c’est raté, ne serait-ce que d’un pouce, il faut repartir du sol, de zéro. C’est pour lui une évidence qu’il ne cherche pas à comprendre. Si on l’interroge, il écarte ses longs doigts en éventail, et fait le geste de poser doucement quelque chose sur la toile : il faut que ça y soit… – Du premier coup? – Si vous voulez (Il hésite). C’est un peu ça… ».
Je sais que ce n’est pas tout à fait ça. Il faut pour lui que cet objet qu’on va nommer tableau soit comme un fruit mûr qui tombe à son moment de plénitude car cette chose est en fait un être vivant, qui se conçoit, se crée, s’accouche et croît – et qui n’a qu’une vie.
C’est cet élan sans reprise possible, cette courbe de haut vol, cette unité de l’âme et cette intégrité du corps qu’il veut retrouver sur chaque toile. «Quand je m’effraie de ce combat sans merci, iIl arrive un moment, dit-il, où sur une touche vous jouez tout le tableau ».
Et je sens que c’est là son intuition de la beauté, et je sais pourquoi les maîtres qu’il aime ont nom Vélasquez et Cézanne. Pour aller au-delà, il n’est plus besoin de l’interroger, mais tout bonnement de le regarder vivre. Comme la mère est toute à l’enfant qu’elle porte – le plus beau du monde, on le sait – il ne vit que pour le tableau qu’il est en train de faire. Ceux qui sèchent dans son atelier ont déjà épuisé pour lui leur potentiel d’inquiétude et de joie ; à nous désormais de nous nourrir de cette beauté ; lui, le sens de sa vie n’est déjà plus là, mais dans ses toiles futures, les proches et les lointaines
Sincère, passionné, tenace, en quête de cet absolu mouvant que sa condition d’homme condamne à monnayer, et que les démons qui habitent son regard et ses mains poussent à « donner à voir », il n’est pas unique.
Disons simplement qu’il est exemplaire.
Michel ROQUEBERT. (1962, revue art présent)
Né en 1932 à Madrid, mort à Paris le 30 Novembre 1988
sa famille est contrainte à l’exil en 1939. Il obtient une licence d’espagnol en 1956 et devient maître auxiliaire. Dessinateur et peintre, il présente en 1960 sa première exposition personnelle à la Galerie Maurice Œuillet de Toulouse. Il collabore régulièrement, jusqu’en 1970, comme illustrateur, à la Dépêche du Midi. Cette même année, il réalise sa première exposition à thème, Les Beaux quartiers, en hommage sans doute à Rembrandt qui, lui aussi, avait peint des morceaux de viande de boucherie. Dès lors, il présentera le plus souvent des expositions thématiques : Les Passantes en 1977, Les Billards en 1980 et Le Flamenco en 1984. En 1972, il s’installe à Paris et devient l’ami des peintres espagnols Peinado et Pelayo. À la mort de Franco, il retourne en Espagne et ne cessera d’exposer chaque année dans son pays. Une grande rétrospective de son œuvre a eu lieu en 1984 au Musée des Augustins de Toulouse. Il consacre les dernières années de sa vie au dessin et à la traduction en français de poèmes espagnols.
Au centre de l’apporte la main attend qu’on frappe depuis le tant qu’on a tout pris chez l’Auvergnat
La Route des Crêtes chassée de la nature par les motards est devenue un circuit de vitesse où les marcheurs de St-Jacques n’entendent plus la mer en se collant la coquille au tympan de la première église
Pour voir un Odilon à sa taille ma voisine m’a demandé une bonne adresse à soutien-gorge
Je lui ai répondu que Redon ne faisait rien pour les plates et j’ai mis ses fleurs sur la première tombe des péris en mère avant de donner à manger aux abeilles
Nous n’irons plus à la pêche aux moules, réservant nos sorties à l’étalon pour enrayer le développement de la contrefaçon de l’intelligence artificielle avant qu’elle ait le dessus
Un enfant qui viendrait au monde en poussant le cri de ses parents à sa conception, aurait une tessiture à effacer les gagnants de ce foutu hit-parade actuel
Mille pertuis me restent à la fenêtre qui part de derrière la bouée du marais
sur leur rocher l’embrun fait bidet pour la promenade à jet central.
LA TERRE NOUS EST ETROITE – MAHMOUD DARWICH – EXTRAIT…
C’est la porte, et derrière, l’éden du cœur. Nos choses, tout ce qui nous appartient, s’estompent. Porte est la porte, porte de la métaphore, porte du conte. Porte qui épure septembre. Porte qui ramène les champs à la genèse des blés. Nulle porte à la porte, mais je peux accéder à mon dehors, amoureux de ce que je vois et ne vois pas. Tant de grâce et de beauté sur terre, et la porte serait sans porte ? Ma cellule n’éclaire que mon dedans. Que la paix soit sur moi, et paix sur le mur de la voix. En louange à ma liberté, j’ai composé dix poèmes, ici-là et là-bas. J’aime les miettes de ciel qui s’infiltrent par la lucarne, un mètre de lumière où nagent les chevaux, et les petites choses de ma mère… Le parfum du café dans les plis de sa robe quand elle ouvre la porte du jour à ses poules. J’aime la nature entre automne et hiver, et les fils de notre geôlier, et les journaux étalés sur les trottoirs lointains. Et j’ai composé vingt chansons pour maudire le lieu où il n’y a pas place pour nous. Ma liberté : être à l’opposé de ce qu’ils voudraient que je sois. Et ma liberté : élargir ma cellule, poursuivre la chanson de la porte. Et porte est la porte. Et nulle porte à la porte, mais je peux accéder à mon dehors…
Écoutez-moi, les poètes diplômés ne se déplacent qu’au milieu de plantes aux noms peu usités : troènes de buis ou acanthes. Moi, pour ma part, j’aime les routes qui mènent aux fossés herbeux où dans des flaques à demi asséchées les garçons attrapent quelques anguilles hagardes : les allées qui longent les bords, descendent parmi les touffes de roseaux et mettent des citronniers dans les potagers.
Mieux si les divagations des oiseaux s’en vont avalées par le bleu : plus on entend le chuchotement des branches amicales dans l’air qui ne bouge presque pas, et les sens de cette odeur qui ne sait pas se détacher du sol et une douceur inquiète pleut dans la poitrine . Ici , miraculeusement, la guerre se tait sur les passions amusées , ici aussi c’est à nous pauvres notre part de richesse et c’est l’odeur des citrons.
Voyez-vous, dans ces silences où les choses s’abandonnent et semblent proches de trahir leur dernier secret, on s’attend parfois à découvrir une erreur de la Nature, le point mort du monde, l’anneau qui ne tient pas, le fil à défaire. nous met enfin au milieu d’une vérité. Le regard cherche autour, l’esprit interroge les accords désunis dans le parfum qui se répand au moment où le jour languit le plus. Ce sont les silences où l’on voit dans toute ombre humaine s’éloigner quelque Divinité troublée.
Mais l’illusion manque et le temps nous ramène aux villes bruyantes où le bleu ne se montre que par morceaux, en haut, entre les margelles. La pluie fatigue la terre, ensuite ; l’ ennui de l’hiver accable les maisons, la lumière devient avare – l’âme amère. Quand un jour d’une porte mal fermée parmi les arbres d’une cour , les jaunes des citrons se montrent; et le froid du cœur fond, et les trompettes dorées du soleil rugissent leurs chansons dans notre poitrine.
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