LA TERRE NOUS EST ETROITE – MAHMOUD DARWICH – EXTRAIT…


PABLO AULADELL

LA TERRE NOUS EST ETROITE – MAHMOUD DARWICH – EXTRAIT…

C’est la porte, et derrière, l’éden du cœur. Nos choses, tout ce qui nous appartient, s’estompent. Porte est la porte, porte de la métaphore, porte du conte. Porte qui épure septembre. Porte qui ramène les champs à la genèse des blés. Nulle porte à la porte, mais je peux accéder à mon dehors, amoureux de ce que je vois et ne vois pas. Tant de grâce et de beauté sur terre, et la porte serait sans porte ? Ma cellule n’éclaire que mon dedans. Que la paix soit sur moi, et paix sur le mur de la voix. En louange à ma liberté, j’ai composé dix poèmes, ici-là et là-bas. J’aime les miettes de ciel qui s’infiltrent par la lucarne, un mètre de lumière où nagent les chevaux, et les petites choses de ma mère… Le parfum du café dans les plis de sa robe quand elle ouvre la porte du jour à ses poules. J’aime la nature entre automne et hiver, et les fils de notre geôlier, et les journaux étalés sur les trottoirs lointains. Et j’ai composé vingt chansons pour maudire le lieu où il n’y a pas place pour nous. Ma liberté : être à l’opposé de ce qu’ils voudraient que je sois. Et ma liberté : élargir ma cellule, poursuivre la chanson de la porte. Et porte est la porte. Et nulle porte à la porte, mais je peux accéder à mon dehors…

 MAHMOUD DARWICH

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LA FERIA ABANDONADA


PABLO AULADELL

LA FERIA ABANDONADA

Derrière sa barbe la diseuse de bonne-aventure improvise une partie de plaisir

le singe-savant termine de serrer le dernier boulon de son homme-robot

pendant qu’une plantation de cacahuètes se gratte les bourses au trottoir des sans-abri

Faites du Trône

L’une à Park

Peint d’épices le cochon cherche la fête à Noeud-Noeud

déchiffrez-moi l’ô bélisque dit un solitaire errant plus qu’un juif s’écartant du Vel-d’Hiv

Peut-être qu’en rouvrant Lascaux on trouverait une main pariétale vivante propre au rempotage.

Niala-Loisobleu – 26 Juin 2022

LES CITRONS – EUGENIO MONTALE


LES CITRONS – EUGENIO MONTALE

Écoutez-moi, les poètes diplômés
ne se déplacent qu’au milieu de plantes
aux noms peu usités : troènes de buis ou acanthes.
Moi, pour ma part, j’aime les routes qui mènent aux
fossés herbeux où dans
des flaques à demi asséchées les garçons attrapent
quelques anguilles hagardes :
les allées qui longent les bords,
descendent parmi les touffes de roseaux
et mettent des citronniers dans les potagers.

Mieux si les divagations des oiseaux
s’en vont avalées par le bleu :
plus on entend le chuchotement
des branches amicales dans l’air qui ne bouge presque pas,
et les sens de cette odeur
qui ne sait pas se détacher du sol
et une douceur inquiète pleut dans la poitrine . Ici , miraculeusement, la guerre se tait sur les
passions amusées , ici aussi c’est à nous pauvres notre part de richesse et c’est l’odeur des citrons.

Voyez-vous, dans ces silences où les choses
s’abandonnent et semblent proches
de trahir leur dernier secret,
on s’attend parfois
à découvrir une erreur de la Nature,
le point mort du monde, l’anneau qui ne tient pas,
le fil à défaire. nous met enfin
au milieu d’une vérité.
Le regard cherche autour,
l’esprit interroge les accords désunis
dans le parfum qui se répand
au moment où le jour languit le plus.
Ce sont les silences où l’on voit
dans toute ombre humaine
s’éloigner quelque Divinité troublée.

Mais l’illusion manque et le temps nous ramène aux
villes bruyantes où le bleu ne se montre
que par morceaux, en haut, entre les margelles.
La pluie fatigue la terre, ensuite ; l’ ennui
de l’hiver accable les maisons,
la lumière devient avare – l’âme amère.
Quand un jour d’une porte mal fermée
parmi les arbres d’une cour
, les jaunes des citrons se montrent;
et le froid du cœur fond, et les trompettes dorées du soleil
rugissent
leurs chansons dans notre poitrine.

Eugenio Montale

FALAISE – EUGENIO MONTALE


ODILON REDON – LE CYCLOPE

FALAISE – EUGENIO MONTALE

Comme un éboulis musical
s’éloigne le son, il dévale.
Avec lui se dispersent les voix
réunies aux volutes
arides des crevasses ;
le gémissement des pentes,
entre les vignes que l’entrelacs
des racines enserre.
La falaise n’a plus de sentes,
les mains s’agrippent aux branches
des pins nains ; puis tremble
et décroît la lueur du jour ;
un ordre descend qui dégage
de leurs limites
les choses qui ne demandent
qu’à durer désormais, à persister,
avec tout leur content de labeurs infini ;
un écroulement de pierraille qui du ciel
s’abîme sur les rives…

Dans le soir qui s’étend à peine, arrive
un hurlement de cor, il se disloque.

Eugenio Montale

Extrait: Os de Seiche

/ traduit de l’italien par Patrice Angelini