SEZEN AKSU – O Sensin


Sezen Aksu • O sensin. Sezen Aksu & Pakize Barışta, paroles ; Goran Bregović, musique (du film Underground, réalisé par Emir Kusturica, France, Yougoslavie, Allemagne, Hongrie, République tchèque & Serbie, 1995).
Sezen Aksu, chant ; Goran Bregović, arrangements.
Extrait de l’album Düğün ve cenaze / Sezen Aksu. Turquie : Raks Müzik, ℗ 1997.

………

— Quelle tristesse. Elle dit quoi, cette chanson ? Une souffrance ?
— Il me semble qu’elle parle de la ville d’İzmir, ou Smyrne selon le nom qu’on lui donne. De parfums et de souvenirs qui tout à coup reviennent.
— Elle dit la douleur de l’exil, c’est ça ?
— C’est ça, oui.
— Elle dit autre chose encore. Une autre douleur ?
— Elle dit la nostalgie de l’enfance, perdue à jamais, irrémédiablement. Celle d’un amour, aussi. Une nostalgie déchirante. Une douleur, oui.
— On dirait un tango, vous ne trouvez pas ? Nous devrions danser.

………

DANS LA MARCHE


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René Char

DANS LA MARCHE

Ces incessantes et phosphorescentes traînées de la mort sur soi que nous lisons dans les yeux de ceux qui nous aiment, sans désirer les leur dissimuler.

Faut-il distinguer entre une mort hideuse et une mort préparée de la main des génies? Entre une mort à visage de bête et une mort à visage de mort?

*

Nous ne pouvons vivre que dans l’entrouvert, exactement sur la ligne hermétique de partage de l’ombre et de la lumière. Mais nous sommes irrésistiblement jetés en avant.
Toute notre personne prête aide et vertige à cette poussée.

*

La poésie est à la fois parole et provocation silencieuse, désespérée de notre être-exigeant pour la venue d’une réalité qui sera sans concurrente.
Imputrescible celle-là. Impérissable, non; car elle court les dangers de tous. Mais la seule qui visiblement triomphe de la mort matérielle. Telle est la Beauté, la
Beauté hauturière, apparue dès les premiers temps de notre coeur, tantôt dérisoirement conscient, tantôt lumineusement averti.

Ce qui gonfle ma sympathie, ce que j’aime, me cause bientôt presque autant de souffrance que ce dont je me détourne, en résistant, dans le mystère de mon cœur :
apprêts voilés d’une larme.

La seule signature au bas de la vie blanche, c’est la poésie qui la dessine. Et toujours entre notre cœur éclaté et la cascade apparue.

Pour l’aurore, la disgrâce c’est le jour qui va venir; pour le crépuscule c’est la nuit qui engloutit. Il se trouva jadis des gens d’aurore. À cette heure de tombée,
peut-être, nous voici. Mais pourquoi huppés comme des alouettes?

René Char

EMPREINTES PRISES DANS LE CARTON A CHAUSSURES 2


EMPREINTES PRISES DANS LE CARTON A CHAUSSURES 2

LE JARDIN MAGIQUE

… Puis ces mouches, cette sorte de mouches, et le dernier étage du jardin… On appelle. J’irai… Je parle dans l’estime.

— Sinon l’enfance, qu’y avait-il alors qu’il n’y a plus ?

Plaines ! Pentes ! Il y

avait plus d’ordre ! Et tout n’était que règnes et confins de lueurs. Et l’ombre et la lumière alors étaient plus près d’être une même chose… Je parle d’une estime… Aux lisières le fruit

pouvait choir

sans que la joie ne pourrisse

au rebord de nos lèvres.

Et les hommes remuaient plus d’ombre avec une bouche plus grave, les femmes plus de songe avec des bras plus lents.

… Croissent mes membres, et pèsent, nourris d’âge ! Je ne connaîtrai plus qu’aucun lieu de moulins et de cannes, pour le songe des enfants, fût en eaux vives et chantantes ainsi distribué… À droite

on rentrait le café, à gauche le manioc

(ô toiles que l’on plie, ô choses élogieuses !)

Et par ici étaient les chevaux bien marqués, les mulets au poil ras, et par là-bas les bœufs ;

ici les fouets, et là le cri de l’oiseau AnnaôHapax, mot qu’on ne rencontre qu’une seule fois dans la langue. – et là encore la blessure des cannes au moulin.

Et un nuage

violet et jaune, couleur d’icaque

Une prune (fruit de l’icaquier)., s’il s’arrêtait soudain à couronner le volcan d’or,

appelait-par-leur-nom, du fond des cases,

les servantes !

Sinon l’enfance, qu’y avait-il alors qu’il n’y a plus ?… »

Saint-John Perse

(Extrait d’Éloges 1911)

Ah mon Jardin, tu me tires en corps du mal extérieur ! Tes arbres aromatiques sur les pierres à réchauffer les espoirs fous, me sauvent d’un moment de torture. Mais il faut bien rentrer de tant à autres au « vrai monde » comme ils disent, pour jouir de l’Absolu.

Mais le choc de tous ces glapissements, le faux-bois des vrais cercueils et le faux-marbre des journaleux, dur dur. M’aime blindé, j’succombe pas à cette manière d’utiliser tout et son contraire pour faire passer la pilule. En touchant l’arbre d’amour, de la langue qui le boit, des couleurs sont montées au grenier et sortant le cerf-volant de la malle à rias, m’ont emmené remonter l’estuaire. D’en haut, cette vulve ouverte sur la mer m’a donné envie de faire un enfant. J’ai peint, libre de moi.

Estuaire, naissance du monde où l’algue se laisse bercer par le flus et le reflux qui huile et oint tout à la fois. Vertige qui depuis la nuit des temps nous traverse sans commandements.

Je ne suis qu’amour de vivre, ouvert et combatif, de négation déclarée à l’impossible. Et alors, oui Môssieur, j’assume mon rêve en entretenant mon jardin magique.

Je rentre de cabane, séchant la larme d’un retroussé de manches pour la remettre debout sur ses jambes.

Niala-Loisobleu– 25 Février 2017

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LANGUE DE TAIRE


LANGUE DE TAIRE

Rugueuse cette bande de peine insulte se décroche du deuil des ongles de son épave

les derniers rouleaux en chant pognent à scalper la méchanceté pour n’en demeurer que la partie de sel au cuir tanné

qui fit mine d’opale à basse-côte

La barre du contre-courant en retenant le pont démâté dévoile l’espoir pour que le cri des oiseaux-marins lâche le frottement des élingues comme une corne de partance du noyé accroché au flottant salvateur

Les femmes raccrochent les remorques aux vélos pour venir au port saluer le retour de campagne de pêche des morutiers

On a rentré les étendards et bannières de procession dans les placards des enclos paroissiaux en taisant le blasphème pour qu’il n’entache plus la rime de voix communes. De la grève monte un rayon d’Est virevoltant comme plume

L’Isthme pointe à sa branche son oeil de printemps.

Niala-Loisobleu – 1er Mars 2021