Récitatif


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Recitatif

Écoutez-moi.
N’ayez pas peur.
Je dois

vous parler à travers quelque chose qui n’a pas de nom

dans la langue que j’ai connue, sinon justement quelque chose, sans étendue, sans profondeur, et qui ne fait jamais obstacle (mais tout

s’est affaibli).
Ecoutez-moi.
N’ayez pas peur.
Essayez, si je crie, de comprendre : celui qui parle entend sa voix dans sa tête fermée ; or comment je pourrais, moi qu’on vient de jeter dans l’ouverture et qui suis

décousu ?
II reste, vous voyez, encore la possibilité d’un peu de

comique, mais vraiment peu : je voudrais que vous m’écoutiez — sans savoir si je parle.
Aucune certitude.
Aucun contrôle.
Il me semble que

j’articule avec une véhémence grotesque et sans

doute inutile — et bientôt la fatigue,

ou ce qu’il faut nommer ainsi pour que vous compreniez
Mais si je parle (admettons que je parle), m’entendez-vous ; et si vous m’entendez, si cette voix déracinée entre chez vous avec un souffle

sous la porte, n’allez-vous pas être effrayée ?

C’est pourquoi je vous dis : n’ayez pas peur, écoutez-moi, puisque déjà ce n’est presque plus moi qui parle, qui vous

appelle du fond d’une exténuation dont vous n’avez aucune idée, et n’ayant pour vous que ces mots qui sont ma dernière

enveloppe en train de se dissoudre.

Cependant c’est sans importance :

si je souffrais, si j’avais peur…
Mais non.
Je peux vous dire

qu’on a beaucoup exagéré le malheur d’être ici,

de l’autre côté du passage — lui pénible je vous assure,

et même juste après dans la honte de tant d’emphase,

quand c’est fini.

(Pourtant rien ne s’achève ;

on croit avoir tout l’oubli devant soi comme une promesse

enfin tenue, et puis) — je ne sais plus

ce que je vous disais.
Ah oui, si je souffrais, si j’avais peur, ou si je vous aimais

encore,

alors vous pourriez redouter ces mots qui vous recherchent, qui rôdent jour et nuit.

Et je perçois autour de moi qui n’occupe plus aucun espace,

qui n’ai ni autour ni dedans, ni haut ni bas, comme une caisse

de planches démantelées avec ses clous tordus qui brillent,

je perçois en effet de grands claquements de bouches vides

peut-être redoutables.
Peut-être.
En tout cas moi c’est juste

un peu d’étonnement qui tient encore ensemble ce que je fus:

que tout n’ait pas cessé d’un coup me semble étrange,

et qu’une ombre du temps s’allonge à travers le passage

comme une eau faiblement insistante que boit du sable, ici.

Ou si je vous

aimais encore ; si

tant soit peu j’avais autrefois poussé dans la chaleur de votre corps quelques racines ; si

j’avais pu acquérir le savoir qu’enseigne la limite de l’autre

illimité soudain dans son amalgame de glandes ; si

j’avais fait mon creux dans la réalité organique de votre cœur

où le sang pompé noir jaillit avec l’allégresse du pourpre—

ainsi quelques instants roulé sous la rutilante fontaine,

il me resterait, je le crois, de votre humidité, de votre poids, de vos ténèbres,

assez pour flotter moins sans appui ni couleur dans le délabrement progressif de cette fumée.

Pourtant déjà quand j’approchais l’odorante auréole,

explorant sans bouger l’atmosphère de foudre errante et

de givre subit qui nimbe tout corps désiré, déjà n’était-ce pas dans la lenteur irrespirable autour et loin

que je me tenais en silence, n’ayant pour vous toucher que des constellations de

paroles, des girations de mondes barricadés par la distance et qui sur l’œuf en noir cristal massif où se résorbe leur

désastre ne sont plus que l’effleurement bref et musical d’une

touffe de plumes ?

Mais en ce temps autour et loin veillait la solitude.
Alors entre vous et l’espace étouffant qui m’a pris dans sa

glace, par la rue en dérive à longueur de nuit sur les confins le cœur enfin muet dans la profondeur insensible ayant cessé d’attendre et de vouloir pouvait descendre et
s’enfoncer toujours plus loin de la chaleur du centre :

quelqu’un veillait fidèlement de distance en distance, une main faisait signe peut-être à la fenêtre qui s’allume, s’éteint, se rallume la même un peu plus loin
comme cette ombre au coin toujours prête à surgir qui se dérobe — ombre,

passante, rien contre la nuit et le silence

qu’un nom, sous le vôtre affaibli, pour éclairer et retentir plus haut que le haut four à ciel à
Bologne des basiliques ou les toits du
Hradschin couvrant les combles obscurcis de la maison déserte où je vous poursuivais, l’Europe.

Et ce nom je pouvais l’épeler comme on insiste au

téléphone quand personne ne répond plus que le
Séparé, l’Obscur, le
Lourd, l’Inerte, le
Tué, le

Doux qui s’abandonne et se clôt froidement dans

l’espace de la muette — je disais solitude.

À présent plus d’autour puisque le centre a disparu, plus de lointain pour l’étendue nouée en travers de ma

gorge ; et son petit cœur chaud, la solitude, il a claqué sans qu’elle ait eu le temps d’éteindre la lampe et le

poste ; à présent je comprends qu’elle était morte — qu’elle est

morte.

II

Écoutez-moi pourtant :

quelqu’un doucement en chemin vers le plus-personne dit

je laisse tomber laisse peser laisse flotter mourir la pluie petite les montagnes les arbres les nuages ; où ici là partout quelqu’un a marché attendu tirant un fil invisible du
vide en mouvement de sa présence ;
Il poussait des portes, il se

foutait dans l’entrée en jurant contre la même armoire et pleurait dans son lit aux approches de quarante ans pour des choses de
Dieu, d’enfance ; avait un membre une âme un cœur de vrai polochon dans vos

bras théoriques de sœur comme un hôtel où la mémoire frappe de nuit ayant perdu presque tous ses bagages aux détours du grand collecteur qui nous avait
poussés de

ventre en ventre

et alors propulsés pourquoi vers ce confluent de gestes bloqués

d’adultère ou d’inceste, pourquoi

ce long cheminement par l’obscurité des matrices,

si c’était pour finir, au mur, sanglotant comme un con, laissant

les œufs glisser sur le carrelage de la cuisine,

par comprendre en voyant le ciel limer ses ongles sur les toits,

l’affreux soleil propager sa limite,

que la roue avait bien heurté la borne ultime du parcours

et n’avait plus qu’à valser dans le détraquement de la vitesse acquise ?

D est possible

que je vous cherche encore sans désir,

comme si quelque formalité là-bas n’avait jamais été

remplie ; possible

que là-bas je vous aie cherchée comme dans un couloir où l’on espère simplement l’autorisation de poursuivre le voyage au-delà par ces complications d’aéroports et
de

valises, et qu’ici vous, ce que je nommais vous en grand tremblement de tout

l’être, soyez ce plus rien vaporeux à neuf mille mètres d’altitude qui est le ciel inexprimé de tout désir.
Je me disais : que je meure, alors je serai la nourriture insubstantielle

de ses lèvres,

quelque chose de moi qui peine entrera dans la courbe de son nez

et plus profond même peut-être ; je priais :

prenez-moi dans la lunaison du sang, dans les pensées

qui passent de biais par éclats sous un crâne de femme, et dans

le linge au besoin prenez-moi, que baigne la chaleur de gloire.
Mais voilà

qu’ici je me contenterais d’une amitié de pierre

ou de la matérialité du vent qui chasse une lessive.

C’est triste.
Et non plus pas

très triste.
C’est.

Ou plutôt ça n’est guère.

Je voudrais me cogner à la fonte d’une chaudière et dire brûlez-moi,

m’égarer sous des murs de suie en ruines sans rien dire — égarez-moi — si l’on brûlait, si l’égareuse

pouvait enfin toucher mes poignets dressés dans la glace, mes genoux déboîtés par l’inutilité de la vitesse ou mes yeux devenus le dehors invisible de leurs
paupières.
Et encore je me disais que mort du moins glissant avec les caniveaux d’eau

pure, le granit des trottoirs, la lune aveugle sur les toits ; que mort sombrant avec la pente interminable de la rue où vous iriez à votre tour la nuit sans moi, perdue entre les
murs et les couloirs quand tout l’obscur remue et remonte pour respirer timide à la surface — au moindre signe réchappé de la profondeur décisive (une porte qui bat,
la lampe orange qui s’allume)

vous souririez songeant c’est lui comme autrefois qui m’appelle et qui m’accompagne.

J’ai disparu.

Non seulement de la surface où flotte et sombre vite

comme un sourire, mais de la profondeur de paix dans les pierres j’ai

disparu.
Ainsi l’eau quand se brisent le fond et les parois, le cœur, quand son noyau sous l’absence d’amour éclate, où le vide partout fait pente et perte se précipite —
écoutez-moi

parler encore un peu le cœur répandu dans ce vide qui gonfle comme un sac, se ferme comme un sac — au

sac les derniers débris de la voix, du cœur qu’on évacue.

III

On m’appelle.

On me tire.

Adieu.

N’écoutez plus.

Ma voix

comme un soir de vent radouci glisse vague mobile

et sans force de sable en travers de la route, sous la

canonnade liquide et l’herbe dans la bouche tremblante

de la pluie, et personne n’appelle et rien ne tire où s’accomplit le dernier tour du fil de la

bobine, et le vent radouci

comme un soir en travers ma voix dans la bouche liquide et sans force tremblant la canonnade de la pluie appelle et tire, et personne n’appelle et rien ne tire

adieu

jetez

la bobine quand tout le fil

aura cassé net sous les dents de la fileuse qui défile

et retrame le fil dans la voilure pour le souffle

en tous sens propulsant la masse du navire sans

écume ni rivage et presque sans

sans souffle mâts brisés pleins du crépitement tu

des signaux en arrière à rien — la soufflerie.
Adieu

n’écoutez plus.

On faisait autrefois des petites maisons pour que l’âme

des morts s’abrite en attendant la fin de la bobine,

des barques par l’extrémité du fil qui vibre encore

un peu vers la harpe du jour tirées

tirées entre les berges

les berges englouties

engloutis les roseaux et la face de l’estuaire

où flotte entre deux eaux comme au bout du film qui

s’achève un sourire pincé sur sa pauvre énigme.

Je sais, pour avoir si souvent dans les cabanes rituelles attendu près de vous la pluie étroite sur la toile, des moulins à prière autour suivant les derniers soubresauts du
son optique, je comprends maintenant que nous, vous et moi, nous des

autres je m’en doutais (mais pourquoi, mais comment, en quelle fausse profondeur d’écran perlé d’étoiles) n’aurons été là-bas que des doubles d’images
déjà

exténuées de copie en copie et disant vous, disant moi

ou si peu n’est-ce pas

mêlant ces lèvres d’émulsion sur une transparence inerte incombustible,

mais assez bien mimant le désir la douleur par bon cadrage, bonne lumière,

pour être au moins saisis du vertige de leur présence

ou d’un frisson de liberté dans l’emportement mécanique —

ainsi les personnages

des vieux films quelquefois protestent

comiquement
Je suis

sans conséquence,

et ces gestes ces cris bloqués vingt-quatre fois par virtuelle seconde,

à jamais pris dans la répétition nulle font signe aussi comme les astres,

supplient

du fond de l’impossible mort le temps

réel et déployé soyeux en nuages de les reprendre,

eux qui dans les ténèbres de cette lumière extérieure s’agitent,

se figent de nouveau hors des cercles de cercles où

toujours de nouveau comme en boucle au ralenti,
Dante reçoit le reçoit le premier salut de
Béatrice.

Disparu j’ai franchi.

Peu d’espace mais j’ai franchi

l’encerclement du révulsif

désir,

et la solitude à son tour je l’ai

franchie.

Ici

les images qui s’affaiblissent

cherchent l’œil sans foyer qui nous aura filmés dansant

sur la pente éternelle de la prairie avant

de nous projeter vous et moi dans l’épaisseur fictive.

Oh aidez-moi

à finir, aidez-moi,

que j’avance, que l’œil éclate et que je vous délivre

du temps lavé de moi comme une dalle où tremble encore votre image ;

que le ciel à portée de l’extrême impuissance de mes doigts

envahisse l’écran où vous demeurez prise — et paix,

paix comme avant que l’histoire n’ait commencé ;

crevaison, rebut du grand fond d’où sortirent nos souffles, nos visages ;

descente, déambulation dans la fin qui ne finit plus —

s’il vous plaît aidez-moi.

Attendez l’heure de la nuit

où l’œil juste avant l’aube un instant cligne et se renverse,

quand des pas, des voix, des ombres sans voix, sans pas, sans ombre glissent

par l’espace hors de l’espace enclos et déroulé —

alors n’ayez pas peur, écoutez-moi, glissez-vous, faites vite, mettez

simplement un peu d’air dans une boîte d’allumettes

et posez-la dans le courant

d’un ruisseau qui n’atteint la mer que noyé dans l’oubli,

dissous dans la force étrangère des fleuves,

et s’il vous plaît dites que c’est mon âme d’image qui vous aima

et qui morte s’égare entre les murs, contre l’oeil fixe, toujours plus loin de vous, de moi, de tout pour vous rejoindre.

 

Jacques Réda

 

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En corps, en corps
bordel
comment faut-il vous le dire
que j’ai pas la gueule à caisse qu’elle a
me demander
Non juste la gueule du con
qui a du coeur
et une longue
très très longue histoire d’amour !
N-L 6 13/01/18

Les Mots qui ne Sont Pas D’amour


 

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Les Mots qui ne Sont Pas D’amour

A Lelius

Il est inutile de geindre

Si l’on acquiert comme il convient

Le sentiment de n’être rien

Mais j’ai mis longtemps pour l’atteindre

On se refuse longuement
De n’être rien pour qui l’on aime
Pour autrui rien rien pour soi-même Ça vous prend on ne sait comment

On se met à mieux voir le monde
Et peu à peu ça monte en vous
Il fallait bien qu’on se l’avoue
Ne serait-ce qu’une seconde

Une seconde et pour la vie
Pour tout le temps qui vous demeure
Plus n’importe qu’on vive ou meure
Si vivre et mourir n’ont servi

Soudain la vapeur se renverse
Toi qui croyais faire la loi

Tout existe et bouge sans toi
Tes beaux nuages se dispersent

Tes monstres n’ont pas triomphé
Le chant ne remue pas les pierres
Il est la voix de la matière
Il n’y a que de faux
Orphées

L’effet qui formerait la cause
Est pure imagination
Renonce à la création
Le mot ne vient qu’après la chose

Et pas plus l’amour ne se crée
Et pas plus l’amour ne se force
Aucun dieu n’est pris sous l’écorce
Qu’il t’appartienne délivrer

Ce ne sont pas les mots d’amour
Qui détournent les tragédies
Ce ne sont pas les mots qu’on dit
Qui changent la face des jours

Le malheur où te voilà pris
Ne se règle pas au détail
Il est l’objet d’une bataille
Dont tu ne peux payer le prix

Apprends qu’elle n’est pas la tienne
Mais bien la peine de chacun
Jette ton cœur au feu commun
Qu’est-il de tel que tu y tiennes

Seulement qu’il donne une flamme
Comme une rose du rosier
Mêlée aux flammes du brasier
Pour l’amour de l’homme et la femme

Va
Prends leur main
Prends le chemin

Qui te mène au bout du voyage

Et c’est la fin du moyen âge

Pour l’homme et la femme demain

Cela fait trop longtemps que dure
Le
Saint-Empire des nuées
Ah sache au moins contribuer À rendre le ciel moins obscur

Qui sont ces gens sur les coteaux
Qu’on voit tirer contre la grêle
Mais va partager leur querelle
Qu’il ne pleuve plus de couteaux

Peux-tu laisser le feu s’étendre
Qui brûle dans les bois d’autrui
Mais pour un arbre et pour un fruit
Regarde-toi
Tu n’es que cendres

Chaque douleur humaine sens-La pour toi comme une honte
Et ce n’est vivre au bout du compte
Qu’avoir le front couleur du sang

Chaque douleur humaine veut
Que de tout ton sang tu l’éteignes
Et celle-là pour qui tu saignes
Ne sait que souffler sur le feu

Mais tout ceci n’est qu’un côté de cette histoire
La mécanique la plus simple et qui se voit
Une musique réduite au chant d’une voix

Il y manque ce qui dans l’homme est machinal
Les gestes de tous les jours qui ne comptent pas
Les pas perdus
Les pas faits dans ses propres pas

Tout le silence et les colères pour soi seul
Tout ce qu’on a sans jamais le dire pensé
Les meurtres caressés les démences chassées

Il y manque tout ce que parler effarouche
Il y manque l’accompagnement d’instruments
Comme d’une barque barbare au loin ramant

Ce  qu’on peut tous les jours lire dans le journal
Ce qui vient déranger les rêves à tout coup
Ce qu’on n’a pas choisi qui soit et vous secoue

Il y manque avant tout les tremblements de terre
Et comme on se sent jusqu’à l’os humilié
Un jour à rencontrer un regard spolié

Il y manque le hasard au tournant des routes

Les passions les occupations qu’on a

Et l’art comme le vin des
Noces de
Cana

Tenez
Qu’est-ce pour vous ce voyage en
Hollande
Où vous ne verrez pas ces étranges statues
Devant la mer comme des fauves abattus

Qu’un trafiquant naguère apporta dans des caisses
Avec cent autres merveilles des pays chauds Échafaudages peints d’encre d’ocre et de chaux

Mis à intervalles réguliers sur la terrasse

A tout jamais sur les steamers qui tourneront

Le coquillage vert et roux de leur ceil rond

Que comprenez-vous au jeune homme dont je parle
Si vous ne connaissez chez lui ce goût profond
Des sculptures qu’au bout du monde des gens font

Et comment s’expliquer son voyage à
Genève
Que fait-il à
Cardiff dans la saison des pluies
Au
Caledonian
Market est-ce encore lui

Qui cherche avidement des dieux dans la poussière

Vieux continent de rumeurs
Promontoire hanté

Nous nous sommes fait d’autres idoles

Il y a des reposoirs dispersés à ces religions non écrites

Souvent comme une profanation secrète des autels apparents

J’ai traversé l’Europe

Je me suis assis un peu partout sur des pierres je me suis

Arrêté dans le pays des rêves

Combien de fois ai-je été voir à
Anvers la braise d’or de tes cheveux ô
Pécheresse

À
Strasbourg la
Synagogue aux yeux bandés comme dans la chanson de celui qui tua son capitaine

Le squelette de
Saint-Miciel le
Portement de
Croix à
Gand

Le visage régulier de
Bath qui semble une place
Vendôme

Le
Rhône comme un batelier fou débarquant les corps des tués aux
Alyscamps

Et le beau
Danube jaune

Quelque part entre
Lausanne et
Morges ces coteaux étayés de murs bleus où mûrissaient les vignes de
Ramuz

Uzès
Le jeune
Racine s’y accoude à la terrasse des clairs de lune

Sospel à chaque fois les pins incendiés comme pour y mieux effacer les traces de l’exil et
Buonarroti proscrit

Mais il y a des pays qui n’ont pas de nom dans ma mémoire

Des gares où j’ai perdu deux heures pour attendre un train

Des villes qui ne sont que passage d’arbres flottés sur leurs fleuves

Un désert d’entrepôts dans un port qu’emplit une futaie l’hiver

De hauts réservoirs dans la montagne

Des villages de soleil et de froment

Une région de fontaines bruissantes je ne sais où sans carte en automobile et que je n’ai jamais retrouvée

Des chemins de crête poudroyants de lumière

Et dans l’à-pic des rocs cette chapelle d’ombre où
Charles
Quint s’humilia

J’ai voulu connaître mes limites

Et ce n’est pas assez de
Brocéliande ou
Dunsinane

De la
Forêt-Noire et de l’Océan

Car j’ai dans mes veines l’Italie

Et dans mon nom le raisin d’Espagne

Est-ce que je ne suis pas sorti de ce domaine de cerises

Où est ma place
Est-elle avec ce passé des miens

Femmes de chez nous le pied court et la jambe haute

Les petits cheveux bouclant sur la nuque dont vous étiez si fières

Avec sous la peau blonde et transparente ô lionne

Le sang lombard des
Biglione

Et le goût des pleureuses à dramatiser la parole

Où roule cet écho profond de l’oraison funèbre

Cette voix d’hier douce et voilée

De
Jean-Baptiste
Massillon aux
Salins-d’Hyères

Est-ce que j’appartiens encore à ce monde ancien

Où est la clef de tout cela
Je vais je viens

Faut-il toujours se retourner

Toujours regarder en arrière

J’ai traversé retraversé l’Europe

Et je traînais dans mes bagages
Quelques livres couverts de feu
Qui venaient du
Quai de
Jemmapes

Comme c’était écrit dessus

Ils parlaient d’un pays la moitié de l’année enfoui dans la neige avec le vent qui siffle à travers les maisons de bois les péristyles à colonnes des demeures
nobles

Les palissades des chantiers beiges grises dentelées

Tout un peuple dans les haillons d’un empire veillant coupant en deux ses cigarettes le fusil

Entre les mains de chaque homme

Les journaux muraux

Et la débâcle et les chansons

Mais tout ce qu’ils disaient ces bouquins au parfum d’interdit

Ils le disaient dans un langage austère et grisant comme un renoncement des poètes

Le vocabulaire abstrait d’une expérience inconnue

Moi je lisais tout cela sans bien comprendre

Comme devant l’obélisque à
Louksor les soldats regardent les signes humains

D’idéogrammes indéchirTrés

Des choses pourtant toutes simples
Sans entendre

Par la campagne le printemps détrempé
Sans voir

Les villes de meetings pleines à déborder d’une passion qui recommence

Et la débâcle et les chansons

Qui a raison d’entre ces hommes

Avec leurs noms compliqués dans le mirage des
Révolutions
Je me perds dans les schismes

Qui a raison

Qu’ai-je besoin du sablier des
Sabéens des
Sabelliens
Je demande ici la vérité des Évangiles

Or j’avais commencé
Lénine à la façon de
Raymond
Lulle ou
Saint
Augustin

Je le tire de ma valise à
La
Ciotat

A
Ustaritz ou à
Saint-Pierre-des-Corps

Bien des choses me sont obscures

D’être écrites précisément dans le parler de chacun

J’avais-t-il oublié le sens élémentaire des mots

À chaque vocable employé je mesure mon ignorance

Il faudra

Il faudra que je reprenne tout du commencement

Tout traduire

Et la débâcle et les chansons

 

Louis Aragon

 

Pendant qu’une employée de surface poussait du balai des escarbilles échappées d’un ancien temps, je caressais des yeux en arrière les hanches pleines de la locomotive placée là en exposition. La gare dans laquelle un cocu a sans doute officié, a été vendue par l’Etat. De quoi faire réfléchir au point de faire un sujet de philo pour un bac d’autrefois. L’idée qui ne va pas manquer de paraître absurde, n’a pourtant rien de ça. Son défaut tient de s’être montrée simple, si je l’avais titrée Notre-Dame-des-Landes, il en aurait été différemment. On se serait mis à plancher durant une bonne cinquantaine d’années. Mais revenant à mon arrêt cheminot de mes chemins, Je crois devoir préciser que je parle en concis de la longueur autrement que d’autres en mettent des couches en grande largeur. Un chemin pour demain, ça chante autrement. Dormir ventre contre son dos, conduisant un sein dans chaque main, fait sauter à chaque traverse comme un élan pour plus loin mieux s’enfoncer dans le treck de sa propre découverte, sans passe pores, à nu, les peaux à la renverse avec les yeux révulsés devant trop d’injustice mesquine. Nous irons, je te le dis, non seulement où il nous reste des cathédrales, mais aussi des sureaux pour faire des tubas pour nos plongées.

Niala-Loisobleu – 13 Janvier 2018

 

Simplement ! Le chemin pour demain


Demain est encore plus loin quand on voit disparaître hier.

De braises et d'ombre...

La simplicité véritable allie la bonté à la beauté.

Platon – La République

La simplicité ! De combien de nos émotions est-elle la mère ?

Par exemple :

Une guitare qui déborde de souvenirs, des doigts que les ans ont décharnés, torturés d’avoir caresser tant de cordes, la voix, douce par-delà la fatigue, d’un vieil homme qui se retourne sur son histoire et chante simplement la nostalgique mélodie d’un Rimbaud de son siècle, compagnon de sa jeunesse, Bob Dylan : il n’en faut pas plus pour donner à nos larmes un goût de liberté.

Il est long le chemin pour demain !

John Winn, après avoir séduit avec sa guitare ses compagnons d'armes de l'US Army au milieu des années 1950, commence à New-York, en 1960, une encourageante carrière de chanteur "folk" dans les cafés branchés de Lower West Village qui lui vaut même de se produire…

Voir l’article original 518 mots de plus

La Fosse Innocence


MASCINMASK-COVER

La Fosse Innocence

L’un portant

l’autre

à portée du fil d’eau

Restera-t-il assez de roses blanches

pour fleurir ce qui tombe

de lui-m’aime

en son cas veau ?

 

Niala-Loisobleu – 13 Janvier 2018