Mais quand est-ce que ça été vraiment vrai


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Mais quand est-ce que ça été vraiment vrai ?

Comme le jardin qui cherche à retrouver sa couleur d’origine, en traversant le paysage du temps présent, je vais entre bois mort et senteurs synthétiques. Pour autant que je me souvienne je n’ai jamais eu d’addiction pour la vie close. Lire oui, mais pas rien qu’aux chiottes. Les bouteilles à mèche, senteur des bois, bruit d’éclatement de la vague, fruits rouges et autres chemins d’escapade chimiques, bah, sincèrement vous me garderez la cabine sur le pont. Les forêts qui n’ont pas encore brûlé retiennent mon attirance par leur partie sans accès-voiture. C’est vrai que chercher à voir passer les nuages au travers des arbres, entrer dans la magie de la bambouseraie, en montant et descendant un torrent, jouer au ballon dans les Vosges, par la crête bleue pour peu que ça mène à la clairière des Fées, c’est fastoche. Le crayon qui me trotte la tête peut alors sans donner à coeur joie. Ecrire sans papier ça a cette indescriptible sensation du torche-feuilles en pleine nature. Nos besoins naturels possèdent un lien avec la nature. On se lave trop pour juste user de l’eau. Parce que le monde n’a jamais été si sale. Les poulets qui courent c’est comme les produits grand-mère, la seule chose qui manque dans la composition relève de l’authenticité. Mais quand est-ce que ça été vraiment vrai ?

L’Aimable Discoureur

Jadis quand je traçai les lois du paysage,
De notre aimable fablier
Empruntant le simple langage.
Je redisais au jardinier : «Laissez là votre serpe, instrument de dommage. »
Je demandais qu’au sortir du berceau.
Chaque plante, chaque arbrisseau,
Pût à son gré déployer son feuillage ;
Que, bravant le croissant, l’échelle et le treillage,
Chaque branche, en dépit des vieux décorateurs,

Et des ciseaux mutilateurs,
Pût rendre un libre essor à son luxe sauvage.
Suivre sa fantaisie, et dépasser ses sœurs ;

Qu’on affranchît les bois, la terre et l’onde…

Tel doit être un jardin, tel doit étte le monde.
Le libre épanchement de l’esprit et du cœur.
Voilà des entretiens la première douceur.
Ils ne connaissent point le pouvoir arbitraire.
Les conversations sont l’état populaire :

Nul n’y veut être dominé ;
On y déplaît, en cherchant trop à plaire ;
Et qui veut régner seul est bientôt détrôné.

Dans ses promenades royales,
Autrefois, nous dit-on, le superbe
Tarquin,
Des plantes de son parc tyran républicain.
Mutilait sans pitié les tiges inégales
Dont la tête orgueilleuse ombrageait leurs rivales,

Et nivelait les fleurs de son jardin.

Tel est l’orgueil : dans sa fierté chagrine

Il voit d’un œil jaloux tout ce qui le domine,

Et, détestant l’empire d’un rival,
Ne souffre point de maître, et craint même un égal.
L aimable discoureur jamais ne nous occupe

De ses talents, de son emploi ;

Il sait combien l’orgueil est dupe.

Quand il ramène tout à soi.
Ainsi qu’une eau douce, limpide et pure.
Dans le canal où son lit est ttacé,

Du terrain qu’elle a traversé
Ne prend l’odeur, le goût, ni la teinture ;
Poète, commerçant, orateur ou soldat,
En discourant il sait oublier son état :

À tous les arts il rend hommage.

Parle à chacun de son métier ;

A l’écrivain, de son ouvrage ;
Au peintre, de dessin ; de manœuvre au guerrier ;

Au savant, des siècles antiques ;
Au négociateur, d intérêts politiques ;
Au juge, de procès ; d’argent au financier.
Le chantre harmonieux, l’algébriste sauvage.
Le mondain enjoué, l’austère magistrat.
Surpris, dans ses discours, d’entendre leur langage,

Partent contents de leur état.
Et se flattent de son suffrage.
Ainsi tous les esprits lui sont conciliés ;
Les amours-propres qu’il ménage
Autour du sien sont ralliés :
Soumis, sans être humiliés.
Tous, à l’envi, déposent à ses pieds
De leur respect l’hommage volontaire ;
La haine même est réduite à se taire,
Et de ses ennemis il fait des alliés.
Son érudition ne bat point nos oreilles
Des auteurs anciens et nouveaux ;
Il ne se venge point sur nous de ses travaux,
Ne nous punit point de ses veilles :
Comme un parfum délicieux.
Dont la mollesse orientale
Remplit un flacon précieux,
En légères vapeurs sa science s’exhale.
Se laisse deviner, et jamais ne s’étale
Dans des discours ambitieux.
C’est ce ruisseau, dont les ondes captives
Caressent mollement leurs rives :
Sans effort, sans bruit, sans fracas,
Son savoir se répand, et ne déborde pas.

Jacques Delille

Tu connais cet énorme poète ?  Venu au monde dans les années 1700, enfant naturel, il a montré que l’histoire du berceau et de la petite cuillere ne détermine pas à coup sûr le brillant de la suite. C’est vrai que le fric ne constituait pas son motif principal. Mais un parcours pareil a demandé d’en trouver tout en s’en foutant. Observateur hors pair  de ses contemporains, il a pas retenu que le côté Trianon de son époque. Et c’est pas un hasard qu’il soit devenu aveugle avant de partir. Je crois qu’à voir on finit par perdre la vue. Je le ressens de plus en plus. Mon oeil celui qui barre, allant de plus en plus mal devient insupportable, il s’en prend maintenant à l’autre (et là, c’est pas de la boutade)… Mais mes ballades dans l’humain me conduisent à considérer qu’en fait, en dehors d’une dégradation évolutive dont l’homme est la cause principale, il y une perte de jouissance du plaisir constante depuis le premier jour. Plus on avance en âge, moins on trouve de goût aux choses actuelles. Ceci n’étant pas assujetti à la perte du goût de vivre. J’aime sans discussion possible, mais pas ce qu’on me met dans l’assiette au sens général. Je crois donc que le Vrai porte l’empreinte de ce qu’on a trouvé en venant au monde et que ça fait son étalon de ressenti.

Niala-Loisobleu – 10 Janvier 2018