SEIN DU JOUR
Du Bon
Du bonnet gauche
De ton soutien-gorge
Le talentueux battement de tes yeux
En glissant par la bretelle
M’a mieux qu’un mou ton
Des cinés muets
Fait t’été
L’art dent Bleu de ton heur !
Niala-Loisobleu – 5 Janvier 2017

Du Bon
Du bonnet gauche
De ton soutien-gorge
Le talentueux battement de tes yeux
En glissant par la bretelle
M’a mieux qu’un mou ton
Des cinés muets
Fait t’été
L’art dent Bleu de ton heur !
Niala-Loisobleu – 5 Janvier 2017


LA CHAMBRE D’AMOUR
Pendant que j’avais la bouche ouverte, les couloirs de mon subconscient claquaient les portes de la nuit avec une voix du guet. Oyez, oyez, braves gens. A se croire sur la route dans une chanson de chemine ô. L’herbe peut avoir des pouvoirs inattendus me dis-je en m’essuyant la moquette d’un reniflement de mâle femmé, se rajustant le diable au lot au fond de son Dim en trois couleurs. A ce moment là, je vis sortir une main de la poche du kangourou. Vois un peu c’qui arrive quand la libido se mêle d’appuyer sur le bouton, me rappelai-je avoir pensé dans la vapeur où, assis sur le banc du sauna, je me flagellais à base de branches de bouleau. Sans doute des réminiscences d’un contrat de 35 heures remis à l’ordre du jour.
Le jour où j’ai sorti de ma mère, mon père maçonnait la maison de mes grands-parents. J’ai venu au monde dans un Beau Dimanche de Printemps, du Gabin dans la ligne de ma main gauche, celle que je peins quand j’écris. La Marne remuait les nappes à carreaux à deux pas. Les canotiers faisant des galipettes dans l’herbe, saucisson, camembert et petit vin blanc après s’avoir lavé au bain de Nogent, moultes rires, mots de bonne humeur au programme improvisé avec un naturel que plus tard le bio cherchera à vanter pour rouler d’autres braves gens. J’ai été marqué tout de suite au faire.Depuis je combats sans répit pour la dignité de l’homme qu’à vu l’home où loge l’amour. Je n’hésite pas à remonter les bretelles des paons t’allons z’enfants se trouvant toujours à l’endroit du bon moment qui rapporte sans jamais en avoir fait une secouée. Pas opportuniste, je connais mieux les portes qui te claquent à la gueule que les arcs de triomphe. Bof, et alors, ça empêche pas de rester jeune en vieillissant comme m’ont toujours montré mes battements de coeur.
Une fenêtre ouvrant sur un lit non-clos, alcôve tant d’odeurs que les fleurs tapissent la chambre à en faire le berceau de l’amour, les menottes trouvent les fossettes, les lèvres les mailles des langues, jusqu’aux yeux qui vous descendent plus profond que le larynx, la tripe au creux. On peut pas expliquer ce chavire qui m’attrape, me renverse, quand je me trouve face au Beau. J’suis glacé de dehors, bouillant, brûlant au-dedans. La colonne vertébrale me saisissant à la remontée en glissade sur la rampe des vertèbres. Un panard. Que j’en ai les yeux qui mouillent à serrer mon Amour en hurlant de silence.
Niala-Loisobleu – 4 Janvier 2017

Ta
mord de dent
qu’a rit quand
hein ?
.
.
… seul compte l’émotion de l’Instant Présent …
.
.
Comme les mots mentis
laissent le miroir sans teint
de la chambre claire
les couleurs
sont sorties opaques
de la transparence
aux draps sales
Niala-Loisobleu – 4 Janvier 2017

LE POÈTE
Du temps que j’étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s’asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Son visage était triste et beau :
A la lueur de mon flambeau,
Dans mon livre ouvert il vint lire.
Il pencha son front sur sa main,
Et resta jusqu’au lendemain,
Pensif, avec un doux sourire.
Comme j’allais avoir quinze ans
Je marchais un jour, à pas lents,
Dans un bois, sur une bruyère.
Au pied d’un arbre vint s’asseoir
Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Je lui demandai mon chemin ;
Il tenait un luth d’une main,
De l’autre un bouquet d’églantine.
Il me fit un salut d’ami,
Et, se détournant à demi,
Me montra du doigt la colline.
A l’âge où l’on croit à l’amour,
J’étais seul dans ma chambre un jour,
Pleurant ma première misère.
Au coin de mon feu vint s’asseoir
Un étranger vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Il était morne et soucieux ;
D’une main il montrait les cieux,
Et de l’autre il tenait un glaive.
De ma peine il semblait souffrir,
Mais il ne poussa qu’un soupir,
Et s’évanouit comme un rêve.
A l’âge où l’on est libertin,
Pour boire un toast en un festin,
Un jour je soulevais mon verre.
En face de moi vint s’asseoir
Un convive vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Il secouait sous son manteau
Un haillon de pourpre en lambeau,
Sur sa tête un myrte stérile.
Son bras maigre cherchait le mien,
Et mon verre, en touchant le sien,
Se brisa dans ma main débile.
Un an après, il était nuit ;
J’étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s’asseoir
Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Ses yeux étaient noyés de pleurs ;
Comme les anges de douleurs,
Il était couronné d’épine ;
Son luth à terre était gisant,
Sa pourpre de couleur de sang,
Et son glaive dans sa poitrine.
Je m’en suis si bien souvenu,
Que je l’ai toujours reconnu
A tous les instants de ma vie.
C’est une étrange vision,
Et cependant, ange ou démon,
J’ai vu partout cette ombre amie.
Lorsque plus tard, las de souffrir,
Pour renaître ou pour en finir,
J’ai voulu m’exiler de France ;
Lorsqu’impatient de marcher,
J’ai voulu partir, et chercher
Les vestiges d’une espérance ;
A Pise, au pied de l’Apennin ;
A Cologne, en face du Rhin ;
A Nice, au penchant des vallées ;
A Florence, au fond des palais ;
A Brigues, dans les vieux chalets ;
Au sein des Alpes désolées ;
A Gênes, sous les citronniers ;
A Vevey, sous les verts pommiers ;
Au Havre, devant l’Atlantique ;
A Venise, à l’affreux Lido,
Où vient sur l’herbe d’un tombeau
Mourir la pâle Adriatique ;
Partout où, sous ces vastes cieux,
J’ai lassé mon coeur et mes yeux,
Saignant d’une éternelle plaie ;
Partout où le boiteux Ennui,
Traînant ma fatigue après lui,
M’a promené sur une claie ;
Partout où, sans cesse altéré
De la soif d’un monde ignoré,
J’ai suivi l’ombre de mes songes ;
Partout où, sans avoir vécu,
J’ai revu ce que j’avais vu,
La face humaine et ses mensonges ;
Partout où, le long des chemins,
J’ai posé mon front dans mes mains,
Et sangloté comme une femme ;
Partout où j’ai, comme un mouton,
Qui laisse sa laine au buisson,
Senti se dénuder mon âme ;
Partout où j’ai voulu dormir,
Partout où j’ai voulu mourir,
Partout où j’ai touché la terre,
Sur ma route est venu s’asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Qui donc es-tu, toi que dans cette vie
Je vois toujours sur mon chemin ?
Je ne puis croire, à ta mélancolie,
Que tu sois mon mauvais Destin.
Ton doux sourire a trop de patience,
Tes larmes ont trop de pitié.
En te voyant, j’aime la Providence.
Ta douleur même est soeur de ma souffrance ;
Elle ressemble à l’Amitié.
Qui donc es-tu ? – Tu n’es pas mon bon ange,
Jamais tu ne viens m’avertir.
Tu vois mes maux (c’est une chose étrange !)
Et tu me regardes souffrir.
Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,
Et je ne saurais t’appeler.
Qui donc es-tu, si c’est Dieu qui t’envoie ?
Tu me souris sans partager ma joie,
Tu me plains sans me consoler !
Ce soir encor je t’ai vu m’apparaître.
C’était par une triste nuit.
L’aile des vents battait à ma fenêtre ;
J’étais seul, courbé sur mon lit.
J’y regardais une place chérie,
Tiède encor d’un baiser brûlant ;
Et je songeais comme la femme oublie,
Et je sentais un lambeau de ma vie
Qui se déchirait lentement.
Je rassemblais des lettres de la veille,
Des cheveux, des débris d’amour.
Tout ce passé me criait à l’oreille
Ses éternels serments d’un jour.
Je contemplais ces reliques sacrées,
Qui me faisaient trembler la main :
Larmes du coeur par le coeur dévorées,
Et que les yeux qui les avaient pleurées
Ne reconnaîtront plus demain !
J’enveloppais dans un morceau de bure
Ces ruines des jours heureux.
Je me disais qu’ici-bas ce qui dure,
C’est une mèche de cheveux.
Comme un plongeur dans une mer profonde,
Je me perdais dans tant d’oubli.
De tous côtés j’y retournais la sonde,
Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde,
Mon pauvre amour enseveli.
J’allais poser le sceau de cire noire
Sur ce fragile et cher trésor.
J’allais le rendre, et, n’y pouvant pas croire,
En pleurant j’en doutais encor.
Ah ! faible femme, orgueilleuse insensée,
Malgré toi, tu t’en souviendras !
Pourquoi, grand Dieu ! mentir à sa pensée ?
Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée,
Ces sanglots, si tu n’aimais pas ?
Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ;
Mais ta chimère est entre nous.
Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heures
Qui me sépareront de vous.
Partez, partez, et dans ce coeur de glace
Emportez l’orgueil satisfait.
Je sens encor le mien jeune et vivace,
Et bien des maux pourront y trouver place
Sur le mal que vous m’avez fait.
Partez, partez ! la Nature immortelle
N’a pas tout voulu vous donner.
Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle,
Et ne savez pas pardonner !
Allez, allez, suivez la destinée ;
Qui vous perd n’a pas tout perdu.
Jetez au vent notre amour consumée ; –
Eternel Dieu ! toi que j’ai tant aimée,
Si tu pars, pourquoi m’aimes-tu ?
Mais tout à coup j’ai vu dans la nuit sombre
Une forme glisser sans bruit.
Sur mon rideau j’ai vu passer une ombre ;
Elle vient s’asseoir sur mon lit.
Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
Sombre portrait vêtu de noir ?
Que me veux-tu, triste oiseau de passage ?
Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image
Que j’aperçois dans ce miroir ?
Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,
Pèlerin que rien n’a lassé ?
Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse
Assis dans l’ombre où j’ai passé.
Qui donc es-tu, visiteur solitaire,
Hôte assidu de mes douleurs ?
Qu’as-tu donc fait pour me suivre sur terre ?
Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère,
Qui n’apparais qu’au jour des pleurs ?
LA VISION
– Ami, notre père est le tien.
Je ne suis ni l’ange gardien,
Ni le mauvais destin des hommes.
Ceux que j’aime, je ne sais pas
De quel côté s’en vont leurs pas
Sur ce peu de fange où nous sommes.
Je ne suis ni dieu ni démon,
Et tu m’as nommé par mon nom
Quand tu m’as appelé ton frère ;
Où tu vas, j’y serai toujours,
Jusques au dernier de tes jours,
Où j’irai m’asseoir sur ta pierre.
Le ciel m’a confié ton coeur.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens à moi sans inquiétude.
Je te suivrai sur le chemin ;
Mais je ne puis toucher ta main,
Ami, je suis la Solitude.
Alfred de Musset

On ne remonte pas au jour sans passer par la poésie.
…La poésie n’est plus l’attribut du poème, mais un attribut caché de ce qui existe, son horizon dans l’âme des hommes, c’est-à-dire l’horizon, dans ce qui aspire à l’être, de ce qui aspire à la mort.
Telle une araignée noire au centre de sa toile, Joë Bousquet attendait au centre de sa chambre. Au milieu des vapeurs d’opium et des parfums que de belles visiteuses avaient laissé s’évaporer, il était là gisant, guettant les bruits du monde, et échangeant des lettres avec ceux qui marchent. Lui colonne vertébrale brisée il pouvait sentir physiquement en lui la terre tourner, alors que les bien – portants n’y prenaient garde.
Dans cette maison du 19 rue de Verdun, puis au 41 et enfin au 53, à Carcassonne, cette maison aux volets toujours clos, il y avait son lit immense avec le coussin réceptacle de son corps, un petit guéridon rond plein de médicaments, une table pour les manuscrits et la bibliothèque basse, une pipe d’opium. Quelques tableaux et des lampes toujours allumées. De 1925 à sa mort le soleil n’est jamais entré dans cette chambre, quelques amis et amies, oui. Cette chambre est maintenant un musée, « La maison des mémoires ». Joë Bousquet reste une de nos espérances.
Dans cette chambre, parfois Jardin des Oliviers, parfois cénacle des courages et des combats contre la médiocrité du monde, parfois boudoir, il était là, merveilleux gisant. Cette chambre « à la fois coquille et son hôte , était sa peau nouvelle, sa mappemonde d’imaginaire, sa furieuse tanière. Lui l’immobile, le gisant lumineux, il devient le vitrail du temps, il savait se mouvoir dans l’espace des consciences. Lui le couché pendant plus de trente ans, naviguait dans l’infini du langage. Sans un cri contre la destinée, il admettait sa haute expérience :
Rien ne nous advient que revêtu de notre âme : nous n’y reconnaissons qu’à la longue ce que nous avons appelé…
Dans cette tanière, il attendait Aragon, Gide, le grand ami René Nelli qui lui parlait de l’amour courtois, et bien d’autres encore qui venaient se faire adouber dans la chambre close aux parfums. Car cette chambre dévouée « à la vie de l’esprit » était devenue l’antichambre des lettres françaises. Tapi dans la douleur, Joë Bousquet aura réussi à habiter la douleur. Lançant ses innombrables correspondances avec les peintres, les poètes, il aura si ce n’est sauvé le monde, du moins sauvé le sien. « Les miracles de l’amitié » l’auront tenu debout et éloigné ses ténèbres. Dans sa chambre (l’oubliette aérienne disait-il) il se sera entouré de toiles qui l’aidaient à vivre (Paul Klee, Max Ernst, Fautrier, Magritte,…). Ses papillons volaient à partir des toiles aimées et tant contemplées.
Courageuse sentinelle, il aura fondé « des planches de vivre », il aura voulu faire œuvre de vie et devenir poète tous les jours un peu plus. Sa grande exigence, commune à celle de son ami René Char l’aura amené à faire de ses nuits, des nuits sacrées.
Ce siècle présent est foutu s’il n’est pas fait contrepoids à sa nuit immense par l’assurance de quelques individus qui tiennent de leur volonté ou de leur vie le privilège de voir et d’éclairer… Je ferai ce que je pourrai pour lui, mais je le crois foutu. Jamais il ne comprendra que l’homme est un cœur, ou rien. C’est-à-dire : courage. Amour.
Joë Bousquet, comme Char, se veut donneur de courage et d’amour. Joë Bousquet voulait mettre dans son écriture « toute sa vie et toute sa personne », offrir par son exemple non une leçon de stoïcisme mais une leçon de vie, un creuset de forces vitales. Par sa souffrance, sa blessure, il aura presque de manière christique dans sa chambre refuge et torture à la fois, inversé les plaies et entonné un immense hymne à la vie. Pourtant il sait que « personne ne sait se mettre à la place de celui qui a été douleur ». Ce combat de résistant de la vie, il le mène seul, mais avec l’écharpe des amitiés en soutien.
Cette blessure du 27 mai 1918 reçue à Vailly, sur le front de l’Aisne, cette blessure sans limites qui le laisse paralysé à vie, cette douleur devenue son corps même, il la transcendera par la poésie. Entre la quatrième et la cinquième vertèbre, la mort s’est tapie, pas trop pressée, mais exigeante.
Il sera allé vers la vérité de la vie par sa volonté et par son vertige. Lui qui se sera fiancé avec cette douleur, se sera marié avec la vie. Intense et lucide, Joë Bousquet ne fuit pas le réel, il ose habiter au cœur de sa douleur, pour simplement dire :« Il faut vivre, vivre, rien que vivre… ». Il entretient la vie « avec la collaboration perpétuelle de la mort ».
La peur de vivre est cachée dans l’amour. Et, ainsi dissimulée, elle ne s’appelle plus la peur de vivre, mais bien l’amour de vivre.
« C’est le désastre obscur qui porte la lumière ». Et Bousquet rejoint Maurice Blanchot.
Il faut que chaque jour s’enterre dans la personne d’un homme pour s’éveiller dans son visage.
Joë Bousquet était donc là au milieu de sa chambrette avec ce sourire qui éteint les lumières, avec son visage en averse, et sa moelle épinière adoubée par une balle. Il devenait songe, il guettait l’autre matin qui mettait en péril sa nuit blanche, il ne pleurait presque plus, et son ombre revenait vers lui, lourde de ce qu’elle avait vu au-dehors. Elle lui redisait tout à l’oreille. Les bruits et la lumière de la ville derrière les murailles de son château fort, les jupes des filles sous la tramontane, les parfums du temps. Parfois il s’interrompait pour donner à manger à sa douleur qui était à ses pieds. Il la flattait, lui caressait la tête, elle qui ne voulait s’endormir.
Les médicaments au bout de la table, ceux de tous les jours, alchimie pathétique pour durer encore un peu jusqu’à cet an 1949. Lui il était devenu un songe. Une force vitale aussi qui transmue ses peurs, ses tourments en regards. Le sommeil curieux donné par l’opium lui ouvre l’horreur de s’éveiller sans son corps, d’émerger de guingois dans une autre forme.
Ce corps qu’il regardait en étranger, « paralysé à hauteur des pectoraux, moelle épinière non sectionnée mais tordue par le passage d’une balle, mes jambes inertes avaient tendance à se mettre en croix ». Il portera cette croix. Il s’envolera dans une sorte de spiritualité poétique, et d’amour de l’amour, d’amour de la vie. Joë Bousquet est le poète de la sublimation. Du courage et de l’amour, seules armes pour sauver « un siècle foutu ». Lui, l’homme au vol arrêté, a survolé et la solitude et le temps. Par ses correspondances il a tissé la plus belle des toiles d’araignée, fixant rendez-vous auprès de son lit d’infirme aux plus belles amitiés. L’homme immobile de la chambre de Carcassonne aura tant navigué qu’il aura changé les eaux moires de nos mémoires. Lui le foudroyé revenait au petit matin avec son butin du feu dérobé au visible et à l’invisible.

Du brouillard de ses mots et de ses drogues sont montées les plus prégnantes métaphores. Le silence fut brodé au plus profond de ses draps. Il devenait le locataire de son absence, et quand vers le soir, dans la cité qui s’endort s’éveille sa lucarne vers le monde, il fait monter « une neige d’un autre âge » sur nous.
Poète, ce que tu aimes, t’emportera le cœur, il ne resterait de toi que ta poussière, mais ta souffrance sera ta personne.
Ce don de sa douleur au monde par l’eucharistie des mots est troublante. Joë Bousquet semble nous dire : mangez mes mots, vous me mangerez aussi. Bousquet est dans ce qu’il appelle « l’outre-voir » et il veut que nos regards aussi s’éclairent. Il est l’intercesseur du silence, le grand déchiffreur des mots écrits sur le front de la nuit. Lui l’immobile, parcourait toutes les étoiles.
Joë Bousquet se prenait parfois pour une pierre échouée mais qui connaissait le cours des rivières. Il se méfiait des spectres de midi qui promettaient la vérité car « Tout ce qui parle de vérité accuse la poésie ». La poésie qui pour Bousquet est un sens de l’être et surréalise le réel. La poésie est un appel nocturne hors de l’activité des hommes. Elle se cache parfois dans de drôles de petites comptines « Son ombre est sous la terre, ton pas la fait pleurer ».
Pourtant Bousquet n’aura publié qu’un seul recueil de poèmes : « La Connaissance du Soir ». Un seul recueil, mais le frisson des images parcourt en illuminations ses écrits.
Et l’étoile c’est la nuit qui monte à son tour.
La goutte bleue de l’abîme enveloppe la mer.
Joë Bousquet se voulait, se croyait, totalement méridional, homme de jour pur et d’eau courante, mais aussi de vent tourbillonnant et d’échos des troubadours. Il aimait l’amour « son plaisir était de se connaître dans le sexe qui lui faisait accueil ». Il aimait jusqu’à la déraison :
C’est trop d’aimer tu me fais peur
c’est trop d’aimer quand l’autre en meurt
c’est trop d’aimer quand on en meurt
Il savait que le corps n’est pas un élément de disparition et il accueillait « gonflé de joie » les dernières années. Joë Bousquet n’était pas la pleureuse mettant sa douleur en sautoir, mais un phare d’existence. Il n’impose pas sa blessure, il s’impose à la douleur, il tresse la lucidité du siècle, l’amitié du monde. Il fait entrer sa blessure dans son cœur il est devenu sa blessure.
« Ma blessure existait avant moi, je suis né pour l’incarner »
Et cette blessure qui revient soudain en 1939 est pressentiment des horreurs à venir, flanc du corps en offrande pour détourner la mort.
Le corps est le firmament de tout le réel imaginable. Nous sommes la carte de ce firmament ranimée dans le coin où on l’a mise. Il y a plus.
« Mon corps est mon église ; j’en ai fait mon cheval ». Devenu l’intrus de son propre corps il avançait dans les songes et l’amour. Et il savait cela de la vie : « La certitude à communiquer que nous ne faisons pas notre vie et que notre vie nous fait ». Il aura communiqué dans son rôle de gisant magnifique ces vérités de vie.
La vie est vérité. Traversée jamais achevée au terme de laquelle on reçoit son être véritable.
Joë Bousquet est mort le 28 septembre 1950 à 53 ans, laissant une œuvre foisonnante, mais curieusement totalement inachevée. Il était né à Narbonne le 19 mars 1897.
Mais ces copeaux, ces étincelles, toutes ces « aumônes du soir » sont une forme de salut à tous ceux qui seraient perdus sans sa poésie. Entrons dans la chambre obscure de Joë Bousquet, sa petite lampe est éteinte, la pipe d’opium refroidie, le parfum des maîtresses enfuies. Il ne reste même plus les tableaux aux murs
La poésie est le salut de ce qu’il y a de plus perdu dans le monde. (Papillon de Neige)
Lui le traducteur du silence, le meneur de lune il est dans l’affût des tressaillements du cœur, du moindre froissement de la vie. Il est un guetteur à la proue de la nuit.
Va demeure l’horreur du sommeil dans le songe cette peur de mes yeux de se fermer sur moi. J’apprends à te parler de tout ce qui me brise à te détruire au nom de tout ce qui me lie. (Le Meneur de Lune).
L’amour est le sursaut qui fait que la voix parle encore et toujours.
Pour aborder Joë Bousquet, le côtoyer à l’extrême, il aura été surtout emprunté le chemin du « Sème-Chemins » paru aux éditions Rougerie en 1981. Cette belle maison d’édition qui aura tant fait pour Joë Bousquet.
Quand les temps s’assombrissent et que gagne le froid, il convient de ne pas prendre la main de n’importe qui ! Ceux qui refusent, ceux dont la vie a pesé les paroles, ceux-là sont les amis. Parmi eux, Bousquet nous attend. (Alain Freixe)
Gil Pressnitzer
Source Esprits Nomades
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/bousquet/bousquetjoe.html

Chambres
Un bras autour de toi
Le second sur mes yeux
L’un t’empêche de fuir
L’autre maintient mes songes
Ce lieu fermé de nous
Soudain si je m’éveille
Du sommeil des voleurs
La nuit noire m’y noie
Tout m’est plus que mémoire
À ce moment d’oubli
Dans la forêt du lit
Tout n’est plus que murmure
Et notre tragédie
Au long jeu de dormir
À demi-mots amers
L’obscurité la dit
Absente mon absente
Si faussement que j’ai
Dans mes bras étrangers
Comme une image peinte
Absente mon absente
Si faussement plongée
En mes bras étrangers
Comme une image feinte
J’ai des yeux pour pleurer
Quelle que soit la chambre
Les plafonds s’y ressemblent
Pour être malheureux
Ailleurs sans doute ailleurs
Aussi bien qu’où je suis
Oreille à tous les bruits
Qui braillent le malheur
Au grand vent dans un port
Comme un amant quitté
Au bout de la jetée
Espère et désespère
Et les barques à sec
La grève à marée basse
Et là-bas de mer lasse
Échoués les varechs
[…]
Aragon, Les Chambres, Poème du temps qui ne passe pas,
Éditeurs Français Réunis, 1969, p. 25-27 , repris dans
Œuvres poétiques complètes, II, p. 1097-1098.
J’appelle poésie cet envers du temps, ces ténèbres aux yeux grands ouverts, ce domaine passionnel où je me perds, ce soleil nocturne, ce chant maudit aussi bien qui se meurt dans ma gorge où sonne à la volée les cloches de provocation… J’appelle poésie cette dénégation du jour, où les mots disent aussi bien le contraire de ce qu’ils disent que la proclamation de l’interdit, l’aventure du sens ou du non-sens, ô paroles d’égarement qui êtes l’autre jour, la lumière noire des siècles, les yeux aveuglés d’en avoir tant vu, les oreilles percées à force d’entendre, les bras brisés d’avoir étreint de fureur ou d’amour le fuyant univers des songes, les fantômes du hasard dans leurs linceuls déchirés, l’imaginaire beauté pareille à l’eau pure des sources perdues…
J’appelle poésie la peur qui prend ton corps tout entier à l’aube frémissante du jouir… Par exemple.
l’amour l’amour l’amour l’amour l’amour
[…]
Aragon, J’appelle poésie cet envers du temps, dans Œuvres poétiques complètes, II, édition publiée sous la direction d’Olivier Barbarant, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2007, p. 1407.
Les premières mouettes annoncent l’entrée en gare
Le battement des traverses scande déjà moins
Au milieu du drap
Sans consignes nous serons libérés du poids des valises
Lest tombé
C’est une valse
De tourbillonner au bout de la ficelle du cerf-volant
Dans la traversée des nuages du laid
Nous y sommes
Je ne suis plus que ta forme
Moulée à ton empreinte
En corps-à-corps avec les chiens sans l’hallali
Au contrôle des billets nos composts auront fait leur fruit…
Niala-Loisobleu – 3 Janvier 2017


Le jeu
Ils ne se regardaient pas. Dans la pénombre partagée ils étaient sérieux et silencieux.
Il lui avait pris la main gauche et lui enlevait et lui remettait la bague d’ivoire et la bague d’argent.
Ensuite il lui prit la main droite et lui enleva et lui remit les deux bagues d’argent et la bague en or avec des pierres dures.
Elle tendait successivement les mains.
Cela dura un temps. Ils entrelacèrent à mesure les doigts et joignirent les paumes.
Ils agissaient avec une lente délicatesse, comme s’ils craignaient de se tromper.
Ils ne savaient pas que ce jeu était nécessaire pour qu’une certaine chose ait lieu, dans l’avenir, dans une certaine région.
Jorge Luis Borges

MUE
Contretemps, aiguillage à tricoter des déraillements
la preuve par neuf est éculée
quelques crèmes de beauté ridulent aux cerneaux des noyés
L’empêcheur de tourner en rond
forme son dernier carré
Tu sens comme dans le rêve tu m’as bordée la nuit, dis mon Amour ?
Mes reins en courbatures
sont depuis des lignes droites au but que nous ne voyons que mieux
L’automne fait peut-être pas le printemps
mais elle l’aide à pousser le vain hors des vendanges
du sol qui repose et pourri
germe le grain de nos prochains greniers
Je sens le foin
des luzernes de tes alpages, le troupeau va transhumer
en remettant une nouvelle-lune aux marées
Depuis les pierres à feu le volcan couve l’autre matin
dans le déclin du jour fini de Pompéi…
Niala-Loisobleu – 21 Octobre 2014
Déjà 3 ans entamés, que j’ai peint ces mots à la veille des voeux qui allaient naître comme maintenant nous y sommes revenus. L’an tourné un autre s’ouvre. La volonté du passé reste vive. Toute emplie de cette m’aime intention qui l’avait mise au monde. On ne va, je crois jamais au terme de sa construction, on la porte pierre à pierre, jusqu’à s’en remettre les clefs.
Mon cheval poursuit le chemin de la quête entamée un matin où l’été s’est promis d’être.
L’écharpe demeure du blanc qui va au bleu en s’en approchant davantage.
N-L – 02/01/17


Sur le déluge de voeux du à la tradition de passage, après m’être déclaré rébarbatif sur l’usage qui en est fait, je me dois de préciser le fond de ma pensée. Le rite est naturel puisqu’il remonte à l’origine humaine. Les hommes en découvrant et en commençant à comprendre le système planétaire ressentirent un besoin naturel d’en marquer les étapes. Leur célébration païenne s’inscrivit donc naturellement dans la tradition avant de devenir plus tard un rite dans les religions qui ne pouvaient les contourner.
Je ne suis donc en rien hostile au voeu. Je lui appartiens en tant qu’être humain.
L’évolution de notre civilisation m’a fait dire combien je plaçais tout mon espoir dans la Poésie. L’occasion du passage en 2017 me fournit l’occasion d’y revenir. Aussi ai-je pris Hugo, le socle indiscutable pour poser ma thèse. Au point que je souscris, mécréant, à l’analyse qui suit « La fonction du poète ». Remplaçant la présence de Dieu par ma foi laïque qui possède le même pouvoir en l’élargissant.
A vous toutes et à vous tous, qui lirez ce billet jusqu’au bout, je dis merci. Merci, d’avoir accepté mes vrais voeux puisque telle est ma libre intention en signe d’amour universel.
Niala-Loisobleu – 1er Janvier 2017
Victor Hugo
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Analyse
Dans la Préface des « Voix Intérieures« , Hugo avait déjà parlé de la «fonction sérieuse» du poète, de sa mission civilisatrice. L’idée s’affirme et se précise ici : sans descendre dans l’arène politique, le poète doit guider les peuples ; il est l’annonciateur de l’avenir, inspiré par l’éternelle vérité, et ne saurait sans trahir sa mission se limiter à la poésie pure. Cette conviction caractérise la tendance dominante du romantisme après 1830, mais elle est aussi tout à fait personnelle à Hugo chez qui elle ira s’amplifiant ; dès cette date, quelques formules frappantes (v. 21, 32) révèlent sa conception du poète mage, du poète voyant.
Ce poème liminaire donne à tout le recueil son sens, son écho profond. Hugo y affirme que le poète est différent des autres êtres, qu’il est l’homme des utopies, le rêveur sacré, l’homme de l’avenir. Sa fonction est sociale : prêtre des temps nouveaux, il doit servir, être un intermédiaire entre Dieu et les êtres. Le penseur qui se mutile n’est qu’un inutile chanteur retranché dans l’individualisme : l’image de l’automutilation montre donc que l’utilité est intrinsèque à sa nature.
La solennité de ce texte didactique repose sur une structure très régulière, fondée sur de nombreuses reprises. On remarque une volonté de généralisation, l’insistance dans les définitions, les nombreuses exclamations laudatives, les impératifs, apostrophes et injonctions aux peuples.
– Au début, le poète répond à un interlocuteur qui lui conseille d’abandonner l’action politique : «Va dans les bois ! va sur les plages !… Dans les champs tout vibre et soupirre. La nature est la grande lyre. Le poète est l’archet divin !»
Dans le premier dizain, marqué par les trois verbes : «retourne», «prend ses sandales», «s’en va», Hugo condamne la démission des poètes par trois imprécations en anaphore («Malheur», «Malheur», «Honte») enchaînées dans une gradation ternaire. Les images qui évoquent la défection à laquelle le poète se refuse sont à apprécier.
Les oppositions « frère » / « désert », « sandales » / « scandales » sont renforcées par la rime riche et la paronymie
Le poète est un élu de Dieu, le poème commençant par « Dieu le veut » et se terminant par « mène à Dieu », Dieu étant l’origine et la fin. « Pareil aux prophètes » (à rapprocher des “Mages” [“Les contemplations”, VI, 23]), il « voit » là où les autres « végètent », il « inscrit » « ce que la foule n’entend pas » : fortes oppositions.
Dieu parle à voix basse à son âme.
Des anaphores insistent : « Lui seul a le front éclairé », « Lui seul distingue ». Cette mise en valeur du front peut être illustrée par les caricatures donnant à Hugo un large front.
Le comportement du poète peut être comparé à celui du Christ avec « ses rêves toujours pleins d’amour ». Il montre de la constance et du courage malgré les obstacles : « qu’on l’insulte ou qu’on le loue » qu’importe !
« Il plaint ses contempteurs frivoles », montrant ainsi une acceptation de l’adversité.
« Les épines » peuvent être vues comme celles du Christ : les références sont nombeuses à la souffrance, au martyre enduré.
À la fin du texte, le poète acquiert une stature quasi divine : « À tous d’en haut il la dévoile ».
Le poète agit donc pour tous : « Ville et désert, Louvre et chaumière, / Et les plaines et les hauteurs ». « Louvre et chaumière » / « plaines et hauteurs » sont des métonymies incluses dans un chiasme qui efface l’opposition.
Ancré dans le présent, le poète est le pont entre le passé et l’avenir.
La force du texte se maifeste par des images mêlant temps, germination, lumière surgissant de l’ombre.
Les difficultés qu’impose le temps présent est marqué au début de chacun des trois premiers dizains : « temps contraires », « les haines et les scandales », « des jours impies », « quand les peuples végètent », « dans votre nuit », « dans vos ruines »
Le poète a la mission de recueillir le passé, d’où l’image de la récolte : « Marche courbé dans vos ruines / ramassant la tradition. » L’anadiplose « De la tradition féconde / Sort » est un lien stylistique qui établit un lien temporel). Avec «Qui prend le passé pour racine», Hugo affirme une fidélité à la tradition qui devrait être propre à rassurer ceux qui craindraient de voir en lui un révolutionnaire.
Le poète annonce un avenir de lumière : « A pour feuillage l’avenir ». C’est qu’il est « l’homme des utopies / Les pieds ici, les yeux ailleurs ». Il cultive le rêve : « Ses rêves toujours pleins d’amour » – « le rêveur sacré ».
La tâche est difficile : s’il a le don de voyance, il lui est nécessaire de scruter « les ombres des choses qui seront un jour » – « des temps futurs perçant les ombres ».
On remarque l’image végétale de la germination : « en leurs flancs sombres le germe qui n’est pas éclos »
Le but du poète est de « faire flamboyer l’avenir », illumination sur un fond d’ombre.
Les hyperboles et les accumulation dans le dernier dizain traduisent la réussite de la mission sacrée : « Il rayonne ! » – « Il jette sa flamme » – « fait resplendir » – « merveilleuse clarté » – « inonde de sa lumière ».
À partir de «Peuples ! écoutez le poète !», commence la conclusion : Hugo s’adresse directement au public.
La fin qui fait de la poésie « l’étoile» est mystique : elle rappelle l’étoile qui guida bergers et rois mages vers l’étable de Bethléem. Vigny aussi a dit du poète : «Il lit dans les astres la route que nous montre le doigt du Seigneur». (« Chatterton« ).
Ce texte qui est didactique possède une force intérieure, une puissance évocatrice, par la profusion des images souvent religieuses.
Hugo privilégie dans la fonction du poète la communion avec les autres et avec leurs souffrances, leurs problèmes. Il confie au poète la mission d’orienter l’Histoire, de guider vers la lumière, vers le progrès.
André Durand
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