Les Lèvres et la Soif (Suite)


Yves Namur, Les Lèvres et la Soif

Les Lèvres et la Soif (Suite)

Yves Namur est un poète et éditeur belge de langue française. Son œuvre riche d’une quarantaine de titres a été couronnée par plusieurs prix prestigieux, dont, pour n’en citer qu’un, le prix Mallarmé.

Ce recueil, Les Lèvres et la Soif, paru aux Éditions Lettres Vives, porte en sous-titre « Élégies ». Voilà qui pose la voix d’Yves Namur, de manière quelque peu nouvelle. Le poète du questionnement intérieur rajoute ici une corde à sa lyre et chante l’amour heureux sur fond de monde qui ne l’est pas. Car il s’agit bien ici de chant et de musique, les distiques et tercets élégiaques en sont une des marques.

Plus encore, la structure musicale du recueil s’ordonne en deux parties bien marquées. Il y a le geste tendre du poète pour la femme aimée dans la première, auquel correspond celui de la femme dans la seconde : ce baiser donné et reçu et qui ne sera jamais nommé. Autour d’un simple mouvement, plus deviné qu’entrevu, une composition en miroir et variations, éminemment dynamique. La forme musicale enlace une guirlande de répétitions, réitérations posées puis reprises avec des variantes. Ainsi, le motif central de l’oiseau apparu dès le premier vers du recueil, « un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres », se voit repris plus loin, transformé, associé ici aux motifs de la soif et du poème :

« un oiseau s’est penché sur tes lèvres,

sur la fontaine de soif, sur un désir de pommes

et de poèmes »

Ce sont ces reprises qui enchantent. Telle encore l’apparition de la femme aimée qui ponctue le recueil, « et toi belle espérée de la maison » devenant « et toi, douce espérée du temps ».

Quant au questionnement sur la création du poème en train de s’écrire, il traverse tout le recueil. Work in progress. Qu’est-ce qu’écrire un poème ? Et singulièrement un poème d’amour ? Est-ce, comme l’écrit Yves Namur, retrouver « le commencement des choses » ? Nous entendons la pensée vive prendre corps, en contrepoint de l’expérience amoureuse. Très souvent, l’italique la souligne, tel un arrêt spéculaire du poème sur lui-même :

« un poème

peut-il sortir du souffle de l’amour »

Yves Namur a su composer une imagerie personnelle qui se déploie en un fin réseau : l’oiseau, l’abeille sur le fruit, la montagne blanche, le nuage et les hauteurs, la fenêtre, la fontaine sans eau — qui dessine en pointillé le motif de la soif, autre visage du désir. Le poète ne se départit pas de la simplicité qui lui est familière :

« mène-moi dans le geste de l’air

dans le nuage bleu de poussières et d’oiseaux »

Et, lorsque le poème en éveil s’aventure au dehors, il célèbre la nature, à sa façon, toute en économie de mots et humilité poétique :

« avec la rosée du temps

avec la rose dansante dans l’herbe »

Ce recueil renvoie aux poètes de prédilection d’Yves Namur. Philippe Jaccottet, Roberto Juarroz, Paul Celan sont là. L’exergue de la seconde partie nous renvoie à la lumière héraclitéenne qui en infuse chaque page. Comme à la conception de l’amour mystique de Rumi. Le poète persan qui voit en l’amour un principe de l’univers y est cité. La femme aimée, pour Yves Namur, est celle qui est « venue dans le cœur fatigué qui était le mien », jamais nommée, même dans la dédicace. Je et Tu, nous n’en saurons pas plus. Le parti-pris de la retenue n’exclut pas certaines images plus brillantes, celle de la femme comparée à une merveille, trouvée chez ce poète du XIIIe siècle.

Pour dire ce geste amoureux du baiser, il suffit au poète de quelques mots, « bouche, lèvres, souffle », juste évoqués par métonymie. On est frappé par cette écriture oblique. À la matérialité physique d’un corps présent, quoiqu’à peine effleuré, touché, une image est substituée qui dépayse, déréalise, déporte le motif et sublime l’érotisme. C’est ainsi que l’oiseau-baiser devient « l’haleine d’un songe ou un charbon de neige ». La réalité vacille et bascule en un jeu de métamorphoses. Pointe le motif du charbon, de la brûlure d’amour qui sera repris plus loin, par glissement de sens, en cette image empruntée à Philippe Jaccottet, « comme si c’était du charbon ardent sur la bouche ».

Le poète persiste à le dire, il chante la voix de la femme :

« une voix remplie de poèmes,

de pierres noires et de roses volantes dans les airs »

Les « roses volantes » côtoyant des « pierres noires », voilà qui renouvelle le topos affadi de la rose. Le langage poétique existe à neuf. Sans emphase, à la mesure de l’émotion qui la fait naître. C’est que le bonheur amoureux ouvre la pente de la rêverie — les mots « rêve » et « songe » font retour dans plusieurs distiques. De nombreuses associations, telle celle du baiser, de l’oiseau et du ciel nous ouvrent un vaste monde analogique. Un imaginaire surréel dont « le ciel constellé de roses » nous emmène dans quelque tableau de Chagall. Ou de Magritte, avec « L’Oiseau du ciel », silhouette d’oiseau emplie de nuages qui traverse un ciel.

« qui de l’oiseau ou du poème fut le premier dans les nuages,

le premier à percer la muraille d’air et la muraille

du vide »

N’est jamais oubliée la part de la nuit, celle des douleurs quotidiennes entrevues par le poète, « larmes, solitudes, décombres » ; celle aussi de l’empathie absolue avec « l’homme fuyant le pays des cendres/et du triste ». Celan, nommé et cité dans un vers de La Rose de personne, Celan, toujours présent au cœur d’Yves Namur. Comment ne pas penser à La Tristesse du figuier ? Voilà qui relie le poète captif de son geste d’amant heureux à l’aventure tragique de l’humanité qu’il ne cesse de discerner autour de lui.

Il est vrai que ce baiser à la femme aimée ouvre un horizon au-delà de lui-même. L’ombre tutélaire de Rilke y incite. Le poète de Prague est d’abord présent dans le sous-titre du recueil qui pointe en filigrane ses Élégies de Duino. De sa familiarité avec Rilke, Yves Namur retient le chant du monde, celui qui se donne à portée de main, dans « l’Ouvert », flux primitif de vie avec lequel l’homme, parfois, arrive à fusionner. Yves Namur nous invite à cette saisie authentique qui réponde à la « soif infinie d’être » qui le tient de recueil en recueil. Nous voici, à sa suite dans une de ses plus belles pages, « au bord de l’immense question ».

Dans cet amour pour la femme, c’est ainsi autre chose qui est accordé : la capacité à sortir de soi, à aller vers « le cœur de ces hommes/qui ont marché avec les amours perdues/les prières et les pierres pesantes ». L’amour se fait le passeur qui met le poète de plain-pied avec les expériences humaines d’humbles compagnons. Lumineuse leçon qui clôt tout le recueil sur ce point d’orgue :

« aimer encore

et encore »

Il faut entendre cette musique de la réitération, autour du verbe aimer, sans doute le plus banal, rehaussé par cette respiration de l’adverbe. On relève la tête du recueil. Quelque chose d’ample, d’universel, quoique ténu et humble, affleure.

C’est la poésie qui chante, la poésie qui confère sa hauteur à la voix magnifique du poète.

Marie-Hélène Prouteau
D.R. Marie-Hélène Prouteau
(SourceTerres de femmes)

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Je me tiens à la goutte que ta langue garde

de ce qui crie quand le temps est au plomb
Chaude humidité
de la pensée qu’un parfum exhale
Rotondité mise à plat dans la couleur
que tu ondules-mains aux hanches-ventre à ventre
Comme t’aimer
signifie…
Niala-Loisobleu – 17 Décembre 2016

 

LES LEVRES ET LA SOIF (Extrait)


LES LEVRES ET LA SOIF (Extrait)

http://www.culture.paris-sorbonne.fr/placedelasorbonne/2016/09/23/levres-soif-dyves-namur-joelle-gardes/

un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres,
comme si c’était un infime tremblement de paille
ou de la poussière blanche,

comme si c’était l’haleine d’un songe
ou un charbon de neige,

un oiseau s’est ainsi posé au bord du vide,
au bord de la pensée,

tout au bord du silence,
tout au bord d’un poème entrouvert,


ce qu’on appelle un oiseau, ce n’est pas un oiseau,

c’est un voile avec l’oiseau en dessous,
c’est une prairie avec des insectes minuscules,
de la rosée, du chant d’herbe et un voile au-dessus de tout ça,

et c’est aussi du chant d’oiseau,
si lointain qu’on ne sait pas s’il viendra un jour,

ou s’il restera à chanter au centre
du Nulle part,

au centre d’un poème,



un poème vient en réalité de nulle part

et il ne va nulle part ailleurs
qu’au centre de soi-même,

quelle que soit l’ombre ou la lumière
qui le pousse à devenir un jour
poème


 Yves Namur

Hokuzai Katsushika (1760-1849), Canari et petites pivoines, 1834, estampe nishike-e, Japon, 24

Oeuvre Hokusai Katsushika

Si au chevalet des images pas encore ternies n’étaient plus présentes, je serais la main sur la canne blanche, pour sortir du couloir.

La sensibilité est une épreuve de chaque seconde.

Percevoir et arriver à tenir l’émotion dans le creux de ses paumes est parfois à saigner tant cela peut mettre à vif.

Yves Namur en tout ceci se fait mon interprète avec son émouvant ouvrage,

joyau de délicatesse.

Niala-Loisobleu – 14 Décembre 2016

 

Eros tu m’fais mal au do…


 17-12-2016-1

Eros tu m’fais mal au do…

 

Posé sur la chaise écartée, à première vue on dirait qu’il est au coin

mais avec les impressions, on tire surtout du papier qui sert à rien

quel gâchis

au total des pertes blanches comme dit un ancien gynéco

reconvertit dans la fine anse – j’vois pas où est le changement –

on coupe des forêts quand un arbre aurait pu faire à lui tout seul une bien meilleure feuille

Au début j’saurai dire c’qu’il me faisait quand j’le r’gardai

sa grosse lèvre inférieure, comme un plateau

brrrr ça m’glaçait l’dos

assemblages d’images, le mauvais goût d’un coquillage en péremption, bah, j’sais plus trop,

on a des cicatrices ouvertes dans le corps texte qui faut pas chercher plus loin

et pis son corps avec des habits en peinture

l’appendice caudal en corne d’abondance de palme tressée

ses drôles de ch’veux

comme des plumes de toutes les couleurs

que les épis de ses femmes en tombaient jusqu’à la petite ceinture verte d’avant qu’on pense au grand Paris, maréchaux nous y voilà

j’aimais bien cette simplicité qui fut un tant porteuse de peint

qu’on aurait pas eu la moindre idée grandguignolesque de ce sang et paons-paons-paons à tous les programmes, des droitiers, gauchers ou ambidextres

m’enfin derrière le bambou l’hamac quand y geint c’est pas ramadan

la mine arrêt sur image, vois-tu Bouffi ça m’les gonfle

à réformer les colles pou jouer qu’au casse-tête c’est pas autre chose que de s’éloigner du vrai problème

et toi le Dimanche tu fous quoi, Mémère où Merlin ?

afin de pas sortir de l’énigme

donnes-moi un coup d’rom et hop passe moi l’ti-punch

Mais à la fin de la tirade

le prenant dans ses bras, l’accordéoniste, tira l’instrument de la paille

le sortant de la chaise en coin

pour denser, denser, denser, jusqu’au levé du jour

t’avais d’beaux têtons tu sais, avant que mon hommage

à line-et-aire soit lettre morte

Eros tu m’fais mal au do…

Niala-Loisobleu – 17 Décembre 2016