Goodbye Marylou – Michel Polnareff


PABLO PICASSO

 Goodbye Marylou – Michel Polnareff

Quand l’écran s’allume je tape sur mon clavier
Tous les mots sans voix qu’on s’dit avec les doigts
Et j’envoie dans la nuit un message pour celle qui
Me répondra « OK pour un rendez-vous »
Message électrique quand elle m’électronique
Je reçois sur mon écran tout son roman
On s’approche en multi et je l’attire en duo
Après OK elle me code Marylou

[Refrain]
Goodbye Marylou
Goodbye Marylou
Goodbye Marylou
Goodbye

Quand j’ai caressé son nom sur mon écran
J’me tape Marylou sur mon clavier
Quand elle se déshabille, je lui mets avec les doigts
Message reçu OK code Marylou

[Refrain]
Goodbye Marylou
Goodbye Marylou
Goodbye Marylou
Goodbye Marylou
Goodbye Marylou
Goodbye
Marylou
Goodbye

Quand la nuit se lève et couche avec le jour
La lumière vient du clavier de Marylou
Je m’envoie son pseudo mais c’est elle qui me reçoit
Jusqu’au petit jour on se dit tout de nous

Quand l’écran s’allume je tape sur mon clavier
Tous les mots sans voix qu’on s’dit avec les doigts
Et j’envoie dans la nuit un message pour celle qui
M’a répondu « OK pour un rendez-vous »

[Refrain]
Goodbye
Marylou
Goodbye Marylou
Goodbye Marylou
Goodbye Marylou
Marylou
Goodbye
Goodbye Marylou
Goodbye

CHAT SAISISSANT UN OISEAU


PABLO PICASSO

CHAT SAISSISSANT UN OISEAU

L’étang passe, le courant pris à son piège s’est enfilé les deux doigts dans la prise éradiquant la forêt

Mais le cerisier à lui tout seul dans tous les Gobi s’est institué oasis

Sa forme à la tessiture développée perpétue tes cris

Cet appétit qui ne trouverait pas son salutaire sommeil sans ses fruits croqués avant d’aller au lit tout trempé par sa rivière en vie

Ah Pablo tu as du taureau les glands ibères qui m’andalousent aux frontières portugaises comme un Antonio Ramos Rosa !!!

Niala-Loisobleu – 29 Avril 2022

Pour Elle par Georges Moustaki


PABLO PICASSO

 Pour Elle par Georges Moustaki

Elle ne fait pas l’amour elle aime
Elle ne marche pas elle danse
Elle ne parle pas elle chante
Elle ne fait pas l’amour elle aime

Elle ne fait pas l’amour elle aime
Elle ne se prête pas elle s’offre
Elle ne pleure pas elle souffre
Elle ne fait pas l’amour elle aime

Elle ne fait pas l’amour elle aime
Elle ne rêve pas elle plane
Elle ne fait pas semblant de vivre
Elle ne demande pas elle prend

NU ASSIS


PABLO PICASSO

NU ASSIS

Je t’ai laissée assise jusqu’à demain dans l’atelier

un peu couchée sur le tapis contre le chevalet ça s’ra moins dur

le lien étant

et quelques anémones pour un dernier souvenir chat l’heureux à Colette

La couche nuageuse épaisse n’a pas réussie

j’ai peint comme debout au soleil
t’aurais vu le sourire du tapis à quel point la méchanceté a ramassé sa claque.

Niala-Loisobleu – 27 Avril 2022

L’ENCLOS DE RHUYS PAR MICHEL DEGUY


PABLO PICASSO

L’ENCLOS DE RHUYS

PAR

MICHEL DEGUY

Août me confie à l’enclos de genêts comme une bête mauvaise qu’on a laissée sur la jachère. Furieuse, encagée, la jeune bête ici cogne aux gradins de l’océan.

Elle croit guider le vent aux labours du ciel, mais c’est elle la pâturée — par un maître

qu’elle ne reconnaît plus ; bête séparée des autres, jouée par le vent aux esquives de matador, et pour finir, épuisée dans une arène dure qu’elle imagine déserte, trouée, elle perd son sang au soleil qui l’exige, le picador indémontable sur grands chevaux de nuages pommelés.

Michel Deguy

FEMME DANS UN FAUTEUIL ROUGE


Pablo Picasso

FEMME DANS UN FAUTEUIL ROUGE

Des ocres rouges qui lui grimpent du bas du dos et des sanguines qui lui pendent des aisselles, estuaire grand ouvert elle écluse par l’échelle à poissons l’alevin dont elle taira l’existence sans préméditation. Un pont entre la lune et le soleil et un puzzle face à la disparition de pièces maîtresses obligent au devoir de réserve. Ce qui n’interrompt que l’inconséquent en fin de conte

Le calibre n’a rien à voir avec ce qui se trouve tenu à l’intérieur. Les baudruches ont rien à dire et pourtant tout porte à croire qui s’égare à souffler

Pour tenir les souvenirs des ballons captifs qui s’étalaient dans le ciel de Paris durant la dernière guerre, je me souviens qu’ils n’ont rien empêché de s’envoler du génie de Picasso. Du quai des Grand-Augustins où se trouvait son atelier, il a fait décoller au delà d’un alunissage et pour des années lumière

Garde tes mots dits, le tapis rigole de soleil. l’oiseau lui à la clef de ton nombril.

Niala-Loisobleu – 27 Avril 2022

MISE AMOR


Pablo Picasso

MISE AMOR

La forteresse ferme son cercle pour laisser la trompette sonner le départ de ses mots

Alors les plus hautes herbes que l’indifférence avait mise sur le flanc relèvent le front d’une poussée du coeur

la calomnie vide de son sang un temps seulement, la petite fleur blanche retapisse plusieurs fois par heur, riche est le tailleur tant il a de vestes à retourner et le délateur de colis à porter, n’empêche que le mot en son creux reste épouvantail à oiseaux et que l’oiseau remonte plus vite que le serpent

L’attraction a eu son gang j’irai soigner la couleur de la véronique et la passe sera débarrassée des méduses pour réunir les poètes en un soleil vivifian

Voici le taureau coulant l’airain.

Niala-Loisobleu – 26 Avril 2022

PORTRAIT D’UNE FEMME ASSISE


PABLO PICASSO

PORTRAIT D’UNE FEMME ASSISE

Au métal de la plaque mieux que l’acide à la saignée du burin son sabot frappe

aqua tinta

Les rues perdent la mémoire par quartiers détachables

au balcon corporatif sous lequel Roméo plantait une plante grimpante Juliette trempe en corps dans l’ô

Pablo de sa plume maîtresse l’a dessinée saisissante comme hors d’âge à jamais fondée

Le Marais tient droit autour de tout ce qui se voûte comme les seins en tombant reposent contre la racine qui parle intra muros

C’est du bleu d’oeil marin posté où l’anémone survit accrochée à la course d’un chien mordant le noir

L’homme déverse, la femme se dresse.

Niala-Loisobleu – 25 Avril 2022

CONSEILS ET RÉPONSE A DES DEMANDES DE CONSEILS PAR HENRI MICHAUX


Pablo Picasso

CONSEILS ET RÉPONSE A DES DEMANDES DE CONSEILS PAR HENRI MICHAUX


Faut-il punaiser les bébés? » m’écrit
J. O.
Non je ne répondrai pas à cette question insidieuse.
Je ne me sens plus en confiance et ne s’agirait-il que d’un papillon, je ne répondrais pas, quoiqu’il ait un vol singulièrement agaçant, genre : « je viens, je ne viens pas
» et, affiché sur l’aile, un art décoratif pour pompiers et midinettes, non, à son sujet non plus on ne me démasquera pas.

Quant aux bébés, ils sont l’honneur de la nation.
Le futur honneur.
Et s’ils crient, c’est assez naturel.
Cris comme les vagues de la mer, avec hauts et bas : c’est qu’ils doivent reprendre souffle, tout enragés qu’ils sont et vous faire connaître en pointe qu’ils ont mal.
Cris comme un appel à la lumière : c’est qu’ils espèrent arriver une bonne fois à l’exprimer et à vider leur souffrance.

Ces mauvais artistes créent.
Hélas, vous assistez à leur création.
Elle est grotesque.
Trop tôt pour les convaincre de leur déplaisant échec.
Dans quelques années, ces ratés, enfin assagis, renonceront à l’expression, pour s’adonner à la mécanique ou à l’agriculture.
Mais il est malheureux qu’ils s’obstinent en ce moment.

J.
O. m’écrit encore : «
Je les enfariné.
Est-ce bien?
Dans une énorme dune de sable je les précipite.
Dès lors, plus un cri, plus un souffle, et la journée s’achève comme dans une église.
Est-ce bien? »

Non, je ne réponds pas à cet homme.
La guerre, je pense, a dû l’énerver.

Je l’excuse, mais qu’il fasse attention.

Tout le monde ne sera pas aussi compréhensif que moi, peut-être.

Henri Michaux

GRILLE PAR MICHEL DEGUY


GRILLE PAR MICHEL DEGUY

Parler —

Art de laisser filer la sonde dans la profondeur que ne peut soupçonner l’homme de surface, l’homme actif, psychique. Car nous, riverains ou nageurs, toujours nous péririons dans
l’ignorance de l’altitude sous nous, sans la parole qui opère à tout instant le sondage pour nous, et qui ainsi est notre profondeur,

Ecrire, c’est écrire malgré tout. Comme une barque assemblée contre l’Océan sans mesure — et la barque tire sa forme de l’Enorme qu’elle affronte en craignant la
défaite, et différents sont les esquifs autant que les ports d’un pôle à l’autre — ainsi le style est ajointement malgré tout, manière de se jeter à
cœur perdu mesure de l’immense; et chacun reçoit figure de l’aspect que montre l’Elément où de son côté il se trouve jeté, de la terreur déterminée
que lui inspire l’indéterminé.

Faire front dans le tumulte pour m’y lenir à flot, quelque temps, sur l’inconnaissable. —La phrase, ligne de flottaison.

Poésie —

Se convertir à l’origine, irrécupérable pourtant, dont notre langage quotidien en sa demi-lucidité est la métaphore. Elle renverse la métaphore. Elle restitue le
mouvement premier de venue du sens, elle tente de coïncider avec le premier transport de l’être au cerveau. Elle aime à prendre à rebrousse-pente les inclinations de notre
langue, les tendresses premières venues, les familiarités enfouies avec les choses, celte première habitude qu’est la nature, les privautés inconscientes parce qu’elles
« vont de soi » ; tout le simple est reconsidéré comme dérivé lointain d’une aube où il fut contracté — sans contrat.

Cette folle croyance : qu’ici, lové dans la matrice du monde, attentif, il pourra naître ; que cela va sourdre ; et que la vérité en mots simples viendra.

Les modes profonds de l’être qui se muent pour nous incessamment en tout ce qui est, en ce spectacle, en cette rencontre : toute l’ésoté-rique liturgie de puissances non visibles
mais promises à l’aimante vue mi-close de la pensée, cela va se dérouler… Toute la hiérarchie se révèle maintenant — trop tard.

Car entre-temps tout est devenu apparence, et toute différence insupportable, provoquant l’insurrection. On a décidé alors de rapporter cette différence, la différence
en général, à l’accident historique, à un désordre humain : étant bien entendu que tout est une affaire humaine, que tout cela se passe entre hommes ! Ainsi le
début, c’était le temps du non-sens, le pas-encore-humain, un désordre vraiment considérable et pas mal résorbé aujourd’hui ! Toute l’Histoire serait alors
mouvement de revenir sur ces différences pour les dénoncer, les désarmer ; et ce dont nous souffrons encore aujourd’hui, malgré nos beaux efforts, rien d’autre que l’urgence
soudaine de « problèmes » en moratoire depuis des millénaires, en souffrance trop longtemps, qu’il va falloir liquider. Exemple : les enfants, les femmes, les races… Ils
se pressent aux guichets de la Raison Dialectique Politique, conscients de leur horrible état de sujétion, affamés. « Attendez, attendez, votre tour va venir… »

L’ordinaire c’est l’auberge ; l’ordre c’est la halte. Tout était conçu comme logis où rentrer ; femme, famille, paumes des enfants, c’était organisé comme chez soi,
pour y reposer. Or elles se sont impatientées de ce chemin des hommes qui se perd au-dehors, et de leur visage hagard. Elles se lassèrent du devoir de ne pas les empêcher de
repartir ; elles entendent sortir aussi. La halte se délabre.

Il cherche origine en l’instance des autres ; il devient façade, « recommence a zéro » pour les prendre à témoin de sa naissance. Il cherche assistance,
Anadyomène du Léthé. Irascible.

Originalité du langage ; c’est l’être ajouté ; le supplément, le verbe être le marque. Dès le langage tout se met à Etre… séparé de soi et
ré-uni à soi par le langage qui dit l’être. « À est A ».

Il multiplie le monde par lui-même. Il est le pouvoir de séparer de soi à l’infini toute chose pour pouvoir la rassembler et ainsi la reconfier à son être.

La parole est langage. Le langage s’embarrasse dans sa propre contingence ; miroir introduit dans le monde, au cœur de chaque être, il introduit le problème supplémentaire
de sa faclicité, de son propre reflet en lui-même. Puissance du langage qui culmine aujourd’hui jusqu’à la destruction du monde.

Une analyse scientifique du langage peut sans doute rapporter les mots comme phénomènes à la biologie de la phonation, car le langage s’incarne dans la matérialité
phonétique ; mais en quoi est-ce l’origine du langage ?

Peut-être le charme d’une phrase exclamative qui commence par Oh…, ou invocative par 0…, vient-il de ce que le long frémissement encore inarticulé de l’apostrophe qui est son
avant d’être sens répète, mais symboliquement, comme la naissance du langage en l’émotion, célébrant un rite d’origine où l’on assiste à la figure de ce
qui se lève, aube nécessaire.

De même qu’il y a une syntaxe de la peinture, et qu’on peut demander ce que le peintre choisit de laisser paraître, de même… Mais le peintre est en présence du spectacle,
tandis que la parole ? Le mystère du langage est que le rapport au monde est dérobé : d’où les hypothèses fantaisistes sur sa naissance — Langage
ingénéré.

Il semble que nous n’ayons plus le terme de référence que nous avions pour la peinture. Car l’être, c’est cette dimension sans précédent qui vient à nous par le
langage. Le langage peut se rapporter au monde grâce seulement à ce pouvoir de nomination de l’être, qui est sa propre essence. L’être est en le langage celé comme sa
vocation au monde.

Tout style ne serait-il pas comme une grille sur un retrait premier, un dédit fondamental ? Ce qu’il laisse transparaître alors dépend de la manière dont l’écrivain s’y
prend pour faire paraître — manière de discerner, de circonscrire l’invisible.

Or une parole organisée précède en fait la parole organisante, cherchante. Car la syntaxe commune, et enseignée, fut premier lieu d’intelligibilité à soi, avant
l’asthme poétique.

La stylistique ne devrait-elle pas donc mesurer la différence, c’est-à-dire la manière dont la parole parlante malmène la parole parlée, la fait souffrir pour lui
extorquer ce qu’elle peut dire. L’intention profonde, inconnue de l’écrivain lui-même, apparaîtrait peut-être. La stylistique jouerait le rôle d’un décryptage
ontologique.

Pour comprendre un écrivain, réassister de l’intérieur, après des exercices d’entrée en résonance avec son rythme, à cet entraînement, cette fuite en
avant qu’est le style, cette manière de tournoyer, de s’emporter autour d’une obscurité préférée ; le style lutte de vitesse avec la répulsion qui émane de ce
centre, pour remonter vers lui à contre-tourbillons, et le circonscrire.

Parlant sous inspiration — on dira aussi bien : de nécessité ; ou : en toute liberté — l’écrivain en prend à son aise avec la langue ; prend ses aises ;
c’est cette aise qu’il s’agit de mesurer en quelque sorte.

Le critique est celui qui parle un espéranto, mais assez intimement pour pouvoir apprécier la grâce qui a visité les autres, c’est-à-dire leur différence. Une
reuvre est événement dans le langage — ensuite, ce sera peut-être un événement historique, sociologique ou autre.

Ecrivant, l’homme s’ingénie; lutte très intime, la plus intime peut-être, de la liberté (ingenium) et de la nécessité (langue) ; combat violent de la liberté
avec soi-même, car elle est depuis toujours déjà confondue avec ce langage qui la lie en la douant de parole — toujours un oiseau dans les rets, qui les soulève à
en mourir.

De la pensée au regard : sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Sensible prétexte. La pensée se demande de quoi; cherchant « de quoi », elle improvise; mécontente
des barreaux d’os.

La pensée est, astreinte à puiser au spectacle les mots de son dire. Les mots qui disent originalement le rapport des choses offert à la vue, l’agencement de choses, cette
première syntaxe (du) visible est donc, transportée de toujours dans la parole comme la syntaxe même de celle-ci et sa propre étoffe, l’incontournable figure qui donne
à notre pensée sa configuration ordonnée à son très profond désir de dire ce qui est : toute parole est figurée, parabole ; tout logos est topologie. La
présence d’esprit, présence à soi-même, n’est ainsi possible que par une syntaxe, qui est agencement d’être des choses — ontologie.

Pourtant notre désir est de dire l’être sans figure !

La pensée est parole ; et y a-t-il quoi que ce soit dans le langage qui ne vienne pas du monde, qui ne recueille le primordial signe des choses ? Tout mot ne dit-il pas, par son sens
premier, un moment ou un mouvement du monde, un fragment du spectacle ? La pensée scrute et veut rejoindre le sens du monde à partir d’une puissance sémantique qui doit tout au
monde, car il est le premier sémaphore. Ainsi, la pensée est-elle, par ses yeux, frappée d’une lumière qui l’aveugle, vouée à une visibilité qui ne cesse de
la décevoir.

Le monde se fait voir à la pensée en lui donnant comme langage les moyens de le voir, et cependant le langage ne cesse, à partir du désir foncier qui l’anime, de parler
comme s’il occupait un point de vue hors du monde, comme s’il provenait d’ailleurs, comme s’il n’était pas dans son essence et sa texture un premier et fondamental transport du visible
à la pensée, une originelle méta-phore, et ainsi seulement pouvoir de nomination. La tâche de la pensée est donc impossible. Le cercle de la métaphore, espace de
la pensée, est tel que, transport du sensible au sens et retour du sens au sensible, il n’est pas possible de déterminer une origine, un sens premier, un sens de la rotation. C’est
pourquoi le style est essentiellement métaphorique ; le langage est une symbolique qui renvoie au symbole du monde dont il provient ; ainsi, tout est symbole, mais de quoi ?

Mais une étymologie fondamentale nous renverrait-elle toujours aux choses comme à ce qui aurait eu le premier mot ? 11 se peut que tout ne puisse être dit grâce au spectacle
; que le figuratif des choses n’épuise pas tout le mystère. Si l’homme en effet n’est pas seulement un « repli dans l’être », il doit y avoir de la
révélation, de l’historique non figurante, une Parole qui se soutient de sa propre autorité, et qui prend elle-même ses allégories dans les choses. Le langage ne peut
dériver entièrement de rien de naturel.

Question : h quoi peut bien se montrer dans la texture du langage son irréductibilité foncière au naturalisme ?

Et le langage philosophique ? Ce qu’il vise n’est pas en dehors de lui ; il se recourbe donc sur soi ; attentif à une sorte de révélation incessante, au plus près de mon
être, source de mon être, qu’il voudrait capter sans médiation, mais dont il est l’immédiate médiation.

Peut-être philosopher est-il l’inlassable endurance de l’absence de fondement, ou néant, qui se mue toujours en stupeur devant la présence de ce qui est ; expérience du
néant qui se rejette toujours déjà à l’être ; qui devient en quelque sorte homme-aux-prises-avec-1’être. Philosopher doit demeurer fidèle au questionnement
sans repos de cette origine, qui parle comme étonne-ment foncier devant ce qui est.

L’homme est philosophique; c’est dire qu’il est philosophé par le passage au travers de son être de ce jaillissement dont la trace va s’appeler tout de suite philosophie, —
trace œuvre. La source se cache dans son propre flux ; elle disparaît dans la fécondité de son sourdre. Penser c’est consentir à ce désir, qui nous constitue, de
remémorer le sourdre indicible ; c’est comme tenter de se convertir à la nuit d’où sort toute aube, et que les yeux, qui sont faits pour le lumineux, ne peuvent voir —
tentative quasi suicidaire de gagner sur cette dérobade de l’originel pour le pressentir, recul de dos au plus près du foyer de notre être qui est abîme, perte
d’être.

Mystique du visible ! Etre favorisé à l’égard du monde de ces très saintes visions dont les visionnaires nous ont rapporté qu’en elles ils ne voyaient plus rien,
passant par-dessus le monde. Secoué par celte contradiction.

Car nous lisons distraitement ; ce que nous aimons c’est l’acte de naissance des paroles sous nos yeux, quand elles zèbrent, évanouies déjà, notre nuit.

La plus belle lecture vaut-elle la plus tremblotante de nos illuminations ? Nous écrivons parce que nous ne savons pas comprendre. Nous exigeons du monde ses éclairs. Il se
révèle lui-même, car c’est encore de lui que provient la lumière qui le traverse, par où il se donne en spectacle. Il ne cesse de recommencer à naître pour
nous ; il se reforme sous nos yeux, célébrant la liturgie de ses épiphanies pour quelques fidèles. Moments où paraît ce qu’il veut dire : il n’y a qu’à lire
et l’éclair entoptique aveugle encore notre mémoire refermée. Profonde rêverie. Peut-être alors le juste récit est-il celui qui ne prétend pas nous livrer une
peinture sincère, mais qui prend son parti plutôt, de connivence même avec l’inévitable déception du lecteur, de l’insuffisance de l’œuvre à combler un autre,
et regagne ainsi notre attention.

Michel Deguy