LE TICKET POUR LE VOYAGE


OTTO DIX

LE TICKET POUR LE VOYAGE

Gare centrale

plane en corps étendus la fumée des batailles

Fanées ces fleurs que les fusils portaient au pied des croix blanches en arrivant à la gare

La dernière colonne soutient le mythe héroïque dans le doute du regard hagard de l’enfant sur le quai des départs

Otto Dix placarde l’expressionisme à la pointe des casques du sacre des bordels

Les instruments serrés sur les seins de vieilles putes fanfaronnent à l’entré du mets trop poli teint

où est le salut porté par un drapeau menant l’armée, qu’exhorte un président auto-proclamé ?

J’ai rêvé de la fiancée du soldat inconnu à qui on a ôté la flamme en même temps que sa robe de mariée

Un drôle d’assemblage des marchands de bonheur dans les labos d’Ukraine remonte les actualités

L’enfant est fascinant

A cet âge mon grand-père m’a appris qu’en sortant de la guerre il avait refusé de reconnaître ma mère mise en train permissionnaire au ventre de ma grand-mère. Depuis tout petit j’ai contracté la désertion des raisons du plus fort avancées par les colombiers.

Niala-Loisobleu – 27 Octobre 2022

Fernando Pessoa 2


La Parafe

« Le Livre de l’intranquillité » de Fernando Pessoa [fragments]

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Je me cherche, sans me trouver. J’appartiens à des heures chrysanthèmes, aux lignes nettes dans l’étirement des vases. Dieu a fait de mon âme quelque chose de décoratif.

Je ne sais quels détails, par trop pompeux et trop recherchés, définissent ma tournure d’esprit. Mon goût pour l’ornemental vient sans nul doute, de ce que j’y sens quelque chose d’identique à la substance de mon être.

***

FERNANDO PESSOA 1


La Parafe

« Le Livre de l’intranquillité » de Fernando Pessoa [fragments]

20 juillet 1930

Lorsque je dors de nombreux rêves, je sors dans la rue, les yeux grands ouverts, mais voguant encore dans leur sillage et leur assurance. Et je suis stupéfié de mon automatisme, qui fait que les autres m’ignorent. Car je traverse la vie quotidienne sans lâcher la main de ma nourrice astrale, tandis que mes pas au long des rues s’accordent et s’harmonisent aux desseins obscurs de mon imagination semi-dormante. Et cependant je marche normalement ; je ne trébuche pas, je réponds correctement ; j’existe.

Mais au premier instant de répit, dès que je n’ai plus besoin de surveiller ma marche, pour éviter des véhicules ou ne pas gêner les passants, dès que je n’ai plus à parler au premier venu, ni la pénible obligation de franchir une porte toute proche – alors je pars de nouveau sur les eaux du rêve, comme un bateau de papier à bouts pointus, et je retourne une nouvelle fois à l’illusion languissante qui avait bercé ma vague conscience du matin naissant, au son des carrioles qui légumisent.

C’est alors au beau milieu de la vie, que le rêve déploie ses vastes cinémas. Je descends une rue irréelle de la Ville Basse, et la réalité des vies qui n’existent pas m’enveloppe tendrement le front d’un chiffon blanc de fausses réminiscences. Je suis navigateur, sur une mer ignorée de moi-même. J’ai triomphé de tout, là où je ne suis jamais allé. Et c’est une brise nouvelle que cette somnolence dans laquelle je peux avancer, penché en avant pour cette marche sur l’impossible.

Chacun de nous a son propre alcool. Je trouve assez d’alcool dans le fait d’exister. Ivre de me sentir, j’erre et marche bien droit. Si c’est l’heure, je reviens à mon bureau, comme tout le monde. Si ce n’est pas l’heure encore, je vais jusqu’au fleuve pour regarder le fleuve, comme tout le monde. Je suis pareil. Et derrière tout cela, il y a mon ciel, où je me constelle en cachette et où je possède mon infini.

VOLETS CLOS


VOLETS CLOS

Une fermeture mise sur le trou du vide

des fleurs en éclos

il passe un filet d’air

Un plombier-zingueur déverse l’arrosoir sur mes sécheresses, changer les draps

sans oublier de ramener la brouette de la rivière

en traversant le bois

fendre

assez pour l’hiver

ah, j’oubliais

si tu vois mon père dis-lui que ça Soulages

la couronne est dévêtue

l’outre-noir s’est calé à la bourse du profit, ça va pas faire baisser l’imposture

j’en peindrai les yeux secs

en mouillant mon rêve de chaudes larmes.

Niala-Loisobleu – 27 Octobre 2022