Poète et fière de l’être par Roger-Yves Roche


Poète et fière de l’être par Roger-Yves Roche

22 mars 2022

« Écrivain, peintre, prostituée », telle est l’épitaphe de Grisélidis Réal (1929-2005), qui vécut telle qu’en elle-même la vie la changea. Ses poèmes, hauts en couleur, sont désormais rassemblés en un seul volume, qu’une biographie admirative de Nancy Huston complète heureusement.


Grisélidis Réal, Chair vive. Poésies complètes. Seghers, 256 p., 17 €

Nancy Huston, Reine du réel. Lettre à Grisélidis Réal. Nil, 176 p., 16 €


On ne naît pas Grisélidis Réal, on le devient. Et comment ! Et comment ? En passant par la case Suisse, une mère, luthérienne à l’excès, le père, magnifique de culture, trop tôt disparu, hélas, le sanatorium à quatorze ans, une « enfance massacrée » dira-t-elle, puis c’est la drogue, la fuite en Allemagne de l’Ouest, les amants dérivants, quatre enfants de trois pères différents (pour combler le manque évoqué plus haut ?), le métier de pute assumé, la peinture essayée, la littérature enfin, les livres sur soi, la reconnaissance, la postérité comme à portée de main.

Chair vive, de Grisélidis Réal : poète et fière de l’être

Grisilédis Réal © Collection particulière / D. R. / Archives littéraires suisses

Tout cela se trouve fort élégamment retracé par Nancy Huston, dans un petit livre-lettre qui tient à la fois de la biographie et de l’exercice d’admiration et qui permet à l’auteure de Tombeau de Romain Gary de plonger corps et âme dans le corps et l’âme d’une lointaine et pourtant proche sœur en existence, féministes griefs compris. Préférant, ô combien on la comprend, le tardif « personnage de Pute au grand cœur et grande gueule » à celle qui, dans ses plus sombres années, prend des coups et en redemande… Et voilà donc que la vie de Grisélidis Réal se trouve dans le même temps continuée par un livre de poèmes, comme une surprise sur le gâteau !

Surprise ? Car, oui, Grisélidis Réal eut un autre métier en plus de ses autres métiers, le plus inattendu peut-être. Et d’ailleurs, pourquoi poète, et pas poétesse ? Parce qu’elle ne se serait sans doute pas posé la question, ou bien parce que le mot n’est pas vraiment beau, ou bien parce qu’il y en a déjà un autre et qu’il est pris, et qu’elle a envie de le prendre à son tour. Et pourquoi métier alors ? il faut peut-être l’entendre comme celui qui sert à tisser : les mots qui viennent de la vie, de sa vie donc, avec autant de hauts que de bas, des aléas en veux-tu en voilà.

Chair vive, de Grisélidis Réal : poète et fière de l’être

Nancy Huston (2007) © Jean-Luc Bertini

Dans ses poèmes, Grisélidis Réal appelle une putain une putain et une passe une passe : « Je te donne mon corps / Pour ton sale argent / Je suis jeune comme un astre et je brille / Tu es vieux et ressembles à une bête ». De même, elle raconte mélancoliquement ses amours tortueuses, sinon torturées, voire tortureuses : « Toi ma grande étoile de mer / Qui fends l’eau calme de mes nuits / Toi ma méduse vagabonde / Errant sur des horizons morts / Toi mon grand poulpe inassouvi / Dont les bras noirs me violentent / Tu bois la pulpe de ma vie ». La prison, elle l’évoque comme on tutoie le silence, la peur : « Le cliquetis des clés / La serrure qui tourne / À travers chaque porte / Un œil nous voit ». Et puis le reste, qui est encore la vie et toujours la poésie : être fière d’être cette Femme, étonnant poème-offrande (« À tous mes Amants, présents et futurs »), être amoureuse derechef (du même et pas du même : « RODWELL / Ton nom bat comme une aile / De phalène brûlée), être désabusée, au bout du rouleau et puis renaissante à nouveau : « Aujourd’hui j’ai le droit de rire et d’être heureuse / Aujourd’hui le temps blesse les branches amoureuses ».

On entend d’ici les puristes et autres défenseurs d’une poésie millimétrée. Poèmes pas assez ceci, pas assez cela. Phrase moindre ou de trop grande envergure, ampoulée aux entournures. Mais si ce n’est pas de la poésie, qu’est-ce que c’est alors ? Du sang, du miel, de la rosée et de l’alcool. Tous mots qui appartiennent à un poème de Grisélidis Réal comme ils appartiennent à la symphonie d’un monde qu’elle tente de mettre au jour. Son monde à elle.

Car nul doute que ces poèmes sont des lettres cachetées-décachetées. On y lit le cœur de Grisélidis Réal à nu, comme on voit à qui elle s’adresse (magnifique poème « Les prisonnières » dédié « À toutes celles qui sont enfermées »). Elle ne parle pas d’elle, elle parle depuis elle, aux autres, pour les autres : « Oh taisez-vous, tendez vos mains / À travers les murs épais – / Et qu’un cœur mourant batte / Et c’est toujours le même / Car tout nous est commun. » Oserait-on le terme de poésie militante ? Oui, si l’on veut bien entendre la chose dans sa racine même : qui se bat, les armes à la main, jamais au grand jamais déposées.

Chair vive, de Grisélidis Réal : poète et fière de l’être

Nancy Huston © Jean-Luc Bertini

À un moment, au début des années 1970 et pour longtemps, la source se tarit, Grisélidis n’écrit plus de poèmes ou presque. La mort de sa mère, le plus violent des amants rencontrés, la décision de rejoindre la lutte des prostituées en France y sont sans doute pour quelque chose. Nancy Huston parle à cet égard d’un « hiatus total ». À la merveilleuse et térébrante exception de cet « Adieu à un chat défunt », portrait d’amoureux, « Moitié clochard, moitié voyou », autoportrait d’amoureuse : « Salut vieux frère / Nul ne saura où reposent tes cendres / Si tu te fais les griffes en Enfer… » Le lecteur la pleure, déjà.

Pourtant, les poèmes de la fin sont peut-être les plus touchants, parce que les plus vibrants, les plus vivants, et en même temps les plus au bord de la mort. Grisélidis Réal ne se dérobe pas, plusieurs dernières fois. Regarde en arrière : « Ma vie s’est déroulée / Comme un long serpent noir / Aux écailles d’argent ». Regarde devant elle, droit devant : « Dansez tubulaires dansez / Votre ballet de cortisone / Sur le ciel jaune de l’hiver / À deux mètres et plus de hauteur ». C’est « l’ombre funeste du cancer » qui guette, gagne du terrain. Mais pas encore, pas tout à fait. La poésie a son dernier mot à dire, la poète avec elle, ses couleurs qu’elle trimballe, son bouquet d’adieu : « Hortensias au sang bleu, roses échevelées / Chardons porteurs d’épines aux lames meurtrières / Dahlias pourpres, Œillets blancs, giroflées d’or brûlée ciel / Tournesols lourds de graines défiant le soleil / Qu’on laisse sur ma tombe une vasque de pierre / où les oiseaux viendront boire dans la lumière / Une eau si pure qu’elle aura le bleu du ciel ». Reste un ultime « Pas de deux » : « Regarder la mort / Les yeux dans les yeux / … Laissez-nous encore / Un dernier instant / Caresser la vie / Vêtue de son double : / SA DERNIERE MUE ».  Saurait-on mourir mieux ?


On peut, pour compléter ces deux lectures, se rendre sur le pense-bête d’Yves Pagès, écrivain, ami et éditeur de Grisélidis Réal aux éditions Verticales. On y trouvera moult photographies, lettres et autres documents la concernant.

Source En attendant Nadeau

Pluie salubre


Pluie salubre

Température légèrement en hausse, sous l’abri du râteau la clef de sol est mise au propre

Sourire montant de l’orteil, les seins sur la pointe des pieds vont bon train, l’haleine ébroue la touffe d’herbe. Il y aura du roux dans les yeux chocolat

L’âne montre combien sa décision est prise.

Niala-Loisobleu – 5 Avril 2022

TENIR SA BRANCHE A SOIE


TENIR SA BRANCHE A SOIE

L’herbe d’un bout d’église de Bretagne, au versant de la colline qui s’est rentrée l’odeur de tes cheveux à la place du confessionnal

Il faut tendre l’oreille pour écouter ton aisselle, mais j’aime passer ta peau au travers des murs

Les pas étouffés des heures d’attente

Gémissements du caniveau quand je glisse sous le pont

Plaisir d’amour que Juliette de sa voix chaude sort du placard

des sons qui franchissent le gel actuel comme pour accompagner les victimes de Boutcha d’une pensée en sachant que c’est pas comme une fleur qu’on accroche aux misères de la star en vogue sur internet

Générer du courant à la rivière pour la laver du linge sale

Je t’aime comme la mélopée qui franchit les frontières sans s’ouvrir à la douane

Et s’écoute

Comme on suit la crotte du lapin sur la piste qui mène à la mer

Te plonger dedans rien que pour moi

Plaisir des sens bien enfoncé.

Niala-Loisobleu – 4 Avril 2022

Rose Heure


A la rampe du vers les marches du palais sertissent la pierre des balustres mouvants de tes hanches

La démarche de ton corps quand j’y pense est un ascenseur extérieur d’où je fouille les rues de la ville, des idées plein la tête

Tu as gardé du monde sa création originelle qui n’incite pas à raser la moquette à la pointe des estuaires.

Niala-Loisobleu – 4 Avril 2022

CE FRUIT QUE TIENT SA FLEUR


CE FRUIT QUE TIENT SA FLEUR

Ici le chant s’étire dans les cailloux laissés après le départ de la rivière, là un noyau laissé après un nuage a roulé par l’aqueux dans la pluie sentinelle

Loin derrière resté sans un mot en plein bataclan le mystère tient son secret

La chaise de Vincent n’a jamais perdu de paille durant l’isoloir de l’asile

l’encre des iris a animée les tournesols

les arbres ont transpercés le froid du sol, d’un coup de burin dans la pierre qui donnera un peu plus tard la vague à Camille dans une force douloureuse d’ex-voto, un écho de cathédrale entre les deux colonnes de la petite chapelle

cri sans nom autre qu’AMOUR porté par la douleur transcendée

Un chevalet, un pupitre

une plume, un couteau

un papier, un bleu

ces fils de l’haleine qui ignorent le mou ton à l’usage du métier

A travers le mouvement perpétuel l’amour se relaie sans penser finir l’Odyssée

les enfants apprendront la goutte qui porte l’eau à l’ardoise en puisant hors de l’école à la noria de leur professeur.

Niala-Loisobleu – 4 Avril 2022

Dans-T-Elle


Dans-T-Elle

Chaud la gorge

Ronronner le ventre

C’est la semaine à l’eau

Qui va courir sur l’ardoise

Retrouver la rivière

Humide éveil de l’amour qui retrouve le sens du courant.

Niala-Loisobleu – 4 Avril 2022

BLEU ARDOISE


BLEU ARDOISE

L’ardoise délitée couvre le dessus de ma chambre

aux craies les vignes s’encalcairent afin d’écrire

un cru verre bistre aux croisées des flacons

indéfinis par des larmes d’or

Vas et ouvre les rideaux de l’horizon

là, ici, quelque part

nous sommes noués

d’un noeud de bois

aux poitrines des grands espaces

nous finirons par tomber dans l’unique haleine

de ce baiser qui sort sa langue du sommeil en dépassant le post-scriptum

Niala-Loisobleu

3 Avril 2022

DE LA BRANCHE DANS LES YEUX


DE LA BRANCHE DANS LES YEUX

Dans l’équilibre de la clarté éblouie le sentiment d’être hésite

les instruments de bord pris de doute font sortir la tête du cockpit pour se frayer le chemin

Le sentiment laissé avant que les routes glissent était-il en avance ou en retard, reste que l’impression en arrivant tôt ne laissa pas de doute sur l’occupation des lieux

C’est glacial en tout, il faut s’activer avant que la stase ne forme son caillot sur l’accomplissement floral

cette contrebasse amenant Coltrane a se sublimer n’avait pas le moindre doute en Impressions

Qui sortira du gosier des urnes dans une semaine ?

Niala-Loisobleu – 3 Avril 2022

MESSAGES PAR ERIC DUBOIS


MESSAGES PAR ERIC DUBOIS

Les gouttes de pluie
Qui tombent sur mon toit
Font entendre une humble musique
À laquelle je ne prête guère
Attention

Peut-être tentent-elles
De me transmettre un message
Que je ne trouverais pas sibyllin
Si je faisais l’effort de l’écouter

Ces branches d’arbres dénudées
Semblent être la proie
De tortures insoutenables

À moins qu’elles ne m’adressent
Des signes désespérés
Pour que je ne fasse pas ceci
Que je ne commette pas telle erreur

En tout cas elles se contorsionnent
Admirablement
Trop admirablement
Peut-être devrais-je ne pas écouter
Mon corps transi
Qui m’ordonne de poursuivre mon chemin
À pas rapides
Peut-être devrais-je les observer
Longuement

Ces vagues qui l’une après l’autre
Viennent mourir paisiblement
Sur la plage
Lorsque le ciel est d’un azur
Immaculé
N’ont-elles rien à me dire

La plainte de ces vagues
Est-elle vraiment une plainte
N’est-ce pas plutôt
Un murmure mélancolique

Mélancolique ?
Ne nourris-je pas une illusion
De plus

Eric Dbois

RELAIS DE POSTE


RELAIS DE POSTE

La venelle remonte la chaleur

Le froid est loin d’être à sa place

Les vieux chevaux sont mis en repos d’autant qu’un âne est plus en symbiose

Si la mer glisse dans un trou de nuage il y aura bien un reste de carottes au menu si pâle.

Niala-Loisobleu – 3 Avril 2022