JACQUES BERTIN – UN INSTANT


JACQUES BERTIN – UN INSTAN


Un instant comme tombé de la poche, une cigarette
Un instant ou une herbe arrachée à l’eau
Une césure dans la course, dans l’haleine
Une mesure pour rien juste avant le sanglot
Une blessure qui coupe en deux l’oreille de la plaine
Pour y jeter un fleuve comme un filet d’eau
Si tu parles, c’est sans importance
Parle de la présence du corps et du repos

Dans l’épaule, un instant immobile dans l’épaule de la terre
Arrêté entre les deux pages du livre, un instant
Un regard sur la vie rassemblée, la vie entière
Dans un étage le piano sous les doigts d’une enfant
Le silence sur les toits, la musique
Et juste en dessous des certitudes, cet instant
Juste en dessous des paroles, des promesses, des habitudes
Pour se reconnaître étranger à soi-même et fort un instant

Un instant sur le pont où c’est moi-même arqué entre les rives
Et de partout l’appel qui gonfle, l’appel incertain
Le bruit, le bruit de la rue, des chantiers, le bruit du sang
Dans les artères le bruit, toujours le même bruit de la fatigue et de la peur, le bruit du sang

La vie ou quelque chose comme d’habitude
Qui n’ose pas dire son nom. Peut-être l’amitié pour les hommes
Un fruit volé sur un étal et rien de plus
Un instant dans cette chambre où une femme se déshabille
Lentement dans le silence protégé de ses rideaux

Jacques Bertin

PASSAGE DU COL


PASSAGE DU COL

Redressant le bas du dos le peintre se met d’équerre avec le soleil et pousse le chariot en direction de la rue d’Angoulême la main ferme sur le fil à plomb

L’époque change si vite d’humeur qu’l faut pas tarder à répondre quand l’estuaire ouvre l’écluse

Et puis mis en humeur joyeuse par une pensée bleue par une maison de Mexico qui ne triche pas avec la lutte pour l’espoir, j’ai peint l’envie de faire l’amour qui en navette funicule mon sacré coeur

Le petit oiseau sur ma main chante à vague montante

Niala-Loisobleu – 13 Janvier 2022

MARINES PAR PAUL ELUARD


MARINES PAR PAUL ELUARD

I

Je me suis pris à caresser
La mer qui hume les orages

II

Ma bouche au ras des flots buveuse de paroles

Prenant l’or au soleil sur un chemin d’or chaud

Comme foule pressée entraînée exaltée

Les vagues les étés dans cet arbre ajouré

Dans cet arbre accessible aux couleurs et aux hommes

Leur azur leur ciel pur le mélange des eaux

Leur dentelle et la flamme du matin désert

Deux vallées trois sommets s’unissent font la chaîne

L’océan qui me mène a le destin du ciel

Et la vague initiale amenuise un nuage.

III

Miroir ouvert sur ces oiseaux uniques
Qui tremblent d’aise à chaque goutte d’eau.

IV

L’herbe grande d’océan
Sur les sables assoupis

La fleur de fille marine
Les astres vierges en fête
Midi blanc dans les fonds noirs
Et dans le filet l’hiver

L’injure jetée au vent À la vague du tombeau.

Tout au plus un navire
Tout au plus un navire à demi englouti
Comme un poignard dans sa blessure
Connaît encore l’ombre

Tout au plus un radeau

La mort simple

Et la mer est plus vide qu’un ivrogne pauvre.

VI

Dernière vague ivresse de vieillard

Les solubles coteaux et la lune risible

N’ont trouvé dans mon cœur qu’un espace restreint

Et la mer dans le ciel n’est qu’une goutte d’eau.

Paul Eluard

Photo Niala