La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
agitant l’hibernation d’un coucou sortant remonter l’heure passée
Comme l’intempérie fige
la gorge se serre
avant la suée des reins
Que ces couleurs ont de questions semées
Me voilà entre l’impasse et l’ouvert sans demander conseil à ma canne
LES DERNIERS FEUX DU SOIR
Soir, beautés diverses, étrave heureuse, et je m’en suis allé parmi tous ces miroirs. J’avais déjà marché longtemps en quête de fossiles et de projets criards ; c’est que j’ai la soif âpre et ne sais pas où aller boire. Origine ? Futur ? Est-ce que le saurait pour moi mon corps qui murmure et respire si près
Sont conciliants les derniers feux du soir. C’était comme si l’air n’était plus aussi nu et qu’il fallait accepter de se rasseoir.
Gabrielle Althen
Du sac de billes d’un long voyage, ce qui roule et la mousse sont bord à bord de l’amour que le charnel laisse ouvert sans jamais recoudre; certains mots veulent toujours dire ce que d’autres ignorent. Je suis de plus en plus proche de l’arrivée, détaché de ma montre, la même innocence infantile de pensée au Centre d’un Hors-d’Âge lucide
Il faut sortir des trains de marchandise pour rester assis en selle
Au nouage des fils se trame le ressenti en commun du point d’orgue
dans la fusion du mélange pour une seule couleur
l’émoi sous le burnous
franchit la porte d’un croisement de je nous
Quant la photo d’un voyage est passée, la comparaison n’a pas dépassée l’imagination
aux traits des traces sur le sable du feu restait visible dans l’éclat battant de la nature profonde
Présomption de l’éclat, Rougerie, 1981 (Prix Louis Guillaume)
C’était déjà le temps où tu étais blessé à l’être. Nos chairs nous aimaient, je me souviens. Nous menions chaque jour nos exercices de joie plus haut que la dureté des pierres et en guise d’hallali sur ton flanc paissait la rose mûre à naître, le fruit agenouillé du jour. Nous entendions croître les hallebardes du soleil, la moisson des roseaux advenue sur la mer, et celle-ci chaque fois se soulevait dans l’or en flammes parallèles. Pour étendard encore, nous étendrons nos mains sur cet amour.
Gabrielle Althen
Au plus profond de son fauteuil ce pouls bat dans sa forge naturelle
Etonnement une pluie l’attise comme une voix naturelle
dans laquelle je mesure la symbiose du rapport en accord avec le symbole de la couleur.
Une jambe de bois qu’un vieux capitaine sort des bars du port, traîne sur le quai entre les filets en quarantaine et les mouettes à la hune des mâts, guettant le facteur
ça boîte aux lettres
en martelant du pilon
le Maître de Cérémonies est en déplacement là où une mère s’est retirée
laissant à la saudade dire cet amour qui ne peut s’enfuir sous prétexte de fin de vie terrestre
En attendant comme disait Godot, je change le tuyau de gaz périmé pour tirer du feu le pétale qui dit « à la folie »
En radoub de saison , les cabines de la plage rompent la solitude en sortant l’album-photo des déshabillages du dernier été
Le ferry quitte le quai et traverse
LENDEMAINS
L’heure qui passe après l’heure forte est visage qui se sculpte dans l’air. Je me tiendrai au bord de la lumière du sable plus étrange que la mer. Qui donc sera visible après l’événement ? Anges autour de l’œuvre pie, les lendemains sans lèvres ont des étonnements de baisers clairs.
Gabrielle Althen
Le Nu vigile, La Barbacane, 1995
Par la porte entre baillée
le poids des seins et la poignée des hanches a révélé une absence de sommeil où mes mains se sont accrochées
ça déménage quand tu balances tout ça
comme si il n’y a rien qui meure dans ce qui a pris son départ dans la chair vivante
La souffrance et la joie pèsent tout à fait le même poids Tomas Tranströmer
Mozart sourit un peu à la maison Le piano ce matin m’écoute et veut bien me répondre Rire serait de trop pour ce bureau Mozart ne juge rien et ne fait pas non plus la moue Mais il taquine l’air de rien les émois qui se faufilent Puis les console d’un câlin Et à nouveau compréhensive la musique sourit La grande sœur nôtre qui sait tout Et la maison s’adoucit qui accepte en visite le soleil et ses lampes Un pas plus loin nous savons bien que c’est le drame Avec le sol qui craque au-dessus de la mort Et moi qui comprends si peu comment va la lumière En tremblant je m’en vais avec elle jusqu’au dernier accord Qui déjà m’avait tout pardonné
Avec son grand visage vide La beauté me fait face Mon instinct s’intimide Ô cette basse continue de la peine Et le creux martelé du face à face ! Un cheval broute Les routes sont arides Je possède un regard et deux mains Et même un centre dit de gravité Le jour est lourd Dire qu’il y aurait là-bas des rires Et des actes sans poids… Mon Dieu, mon Dieu ! Sauvez-nous de l’informe.
Rien, rien, rien, la litanie du rien, mais le néant ne veut pas commencer et l’air brille. Je n’étais pas concernée, bien que je sache que je manque de chic, puisque je manque de néant. Du reste, ma terreur, qui n’est pas du néant, s’assortissait d’épines. On se parlait. C’est toujours la vie qui parle à la vie. Les oiseaux et le vent le savent, qui lui bredouillent en leur langue un amen. Et l’on cajolait l’ennui et trouvait intelligent de le porter sur soi. Je répondais parfois, mais c’était sans avoir beaucoup à dire, parce que je m’appliquais surtout à continuer de marcher en collectant des miettes, dans les faubourgs qu’il me fallait traverser.
Mais pourquoi notre terre, dans le manteau du soleil, était-elle si petite, notre terre et ses routes exquises, avec cyprès, châteaux et amandiers sur les terrasses ? Et notre peur de perdre et de mourir convoitait ces douceurs de façon si féroce que la fleur fut fauchée et le fruit se rompit. On dit que, par le passé, aurait existé un bel amour qui laissait tout en place en caressant l’instant de ses mains toujours lisses.
L’heure s’attarde…L’heure s’attarde au bout des soirs, page lisse, or fluide, sourire vaste, le tout peut-être décentré. Elle est venue, l’Ange s’incline. Puis c’est le tour du temps distrait qui lui aussi s’incline, tandis qu’un autre plus vivant veut atten- dre debout. Nous sommes cernés, car c’est l’annonciation de la naissance du temps de ce qui pourra naître.Comme on allait à l’eau, toi, tu iras au temps. Ce qui pré- cède était rencontre et ne cessera plus.
«La lumière est certaine, mais elle est en voyage et le soleil oublie de nous donner raison. » Entre les deux aphorismes qui ouvrent et ferment ce recueil, La fête invisible, Gabrielle Althen nous donne à lire une œuvre totalement aboutie.
Gabrielle Althen, La fête invisible. Gallimard, 128 p., 14,50 €
Ses quatre-vingt-quatorze poèmes mêlent avec beaucoup d’inventivité les différentes formes élaborées au cours d’un parcours de quinze titres (en dehors des romans, des nouvelles et des essais), commencé en 1979 aux éditions Rougerie. À l’évidence, la chance d’avoir collaboré avec de très nombreux peintres a nourri le sens de la composition de Gabrielle Althen qui, sous un autre nom, a poursuivi une carrière de professeur de littérature comparée à l’université.
« Et te reste à baiser la main continuelle de la lumière, qui pourtant se dérobe. »
Cent ans après Les champs magnétiques, La fête invisible nous rappelle que l’écriture automatique conserve ses pouvoirs. Refusant les diktats d’André Breton sur cette pratique, devant selon lui révéler le fonctionnement du cerveau et rester vierge de toute réécriture, Gabrielle Althen tourne délibérément les yeux du côté de René Char. Si les poèmes de La fête invisible enchantent la lecture, leur visée n’est pas uniquement d’ordre esthétique. Elle est aussi de libérer les forces d’émancipation de l’imaginaire. En rupture avec les conceptions instrumentalistes de la langue, ses proses et ses vers offrent leurs jaillissements pour ce qu’ils sont, non pour ce qu’ils traduiraient. Chaque poème est libéré de la fatalité d’être la mise en mots d’une réalité censée le précéder. Chacun reprend à son compte la déclaration de Rimbaud : « ça dit ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens ». Que ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Gabrielle Althen l’admet volontiers. Mais ce qui ne se conçoit pas ou ne se conçoit pas encore, ou ne se concevra jamais ?
SONT CONCILIANTS
LES DERNIERS FEUX DU SOIR
Soir, beautés diverses, étrave heureuse, et je m’en suis allé parmi tous ces miroirs. J’avais déjà marché longtemps en quête de fossiles et de projets criards ; c’est que j’ai la soif âpre et ne sais pas où aller boire. Origine ? Futur ? Est-ce que le saurait pour moi mon corps qui murmure et respire si près
Sont conciliants les derniers feux du soir. C’était comme si l’air n’était plus aussi nu et qu’il fallait accepter de se rasseoir.
Qu’on ne s’y trompe pas. Une telle réussite n’est pas à la portée du premier poète venu, à qui il suffirait d’écrire sans le contrôle de la volonté pour se faire une place parmi ceux qui comptent en poésie. L’écriture automatique a très peu été utilisée, passé l’émerveillement premier. Ses formulations, qui reposent sur quelques modèles vite identifiables, se ressemblent trop, et ses beautés sont quasiment incompatibles avec le développement d’une pensée ou d’une émotion. Il faut une grande sûreté de relecture à Gabrielle Althen pour repérer les filons à extraire des paragraphes ; une attention très fine aux associations pour « monter » en bijoux des affirmations surprenantes ; des capacités d’invention renouvelées pour trouver des titres éclairants ; une connaissance très large des poètes susceptibles d’établir des correspondances avec son travail (les trois chapitres sont placés successivement sous le signe d’Alain Breton et d’Antoine Emaz, de János Pilinszky et de Tomas Tranströmer, de Paul Claudel, de W.B. Yeats et de Lionel Ray). En un mot, il lui faut un art poétique très élaboré pour que la fête du titre soit une fête de l’écriture.
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