La vérité du drame est dans ce pur espace qui règne entre la stance heureuse et l'abîme qu'elle côtoie : cet inapaisement total, ou cette ambiguïté suprême. Saint-john Perse
L’amour est une compagnie. Je ne peux plus aller seul par les chemins, parce que je ne peux plus aller seul nulle part. Une pensée visible fait que je vais plus vite. et que je vois bien moins, tout en me donnant envie de tout voir. Il n’est jusqu’à son absence qui ne me tienne compagnie. Et je l’aime tant que je ne sais comment la désirer.
Si je ne la vois pas, je l’imagine et je suis fort comme les arbres hauts. Mais si je la vois je tremble, et je ne sais de quoi se compose ce que j’éprouve en son absence. Je suis tout entier une force qui m’abandonne. Toute la réalité me regarde ainsi qu’un tournesol dont le coeur serait son visage.
Une jambe de bois qu’un vieux capitaine sort des bars du port, traîne sur le quai entre les filets en quarantaine et les mouettes à la hune des mâts, guettant le facteur
ça boîte aux lettres
en martelant du pilon
le Maître de Cérémonies est en déplacement là où une mère s’est retirée
laissant à la saudade dire cet amour qui ne peut s’enfuir sous prétexte de fin de vie terrestre
En attendant comme disait Godot, je change le tuyau de gaz périmé pour tirer du feu le pétale qui dit « à la folie »
En radoub de saison , les cabines de la plage rompent la solitude en sortant l’album-photo des déshabillages du dernier été
Le ferry quitte le quai et traverse
LENDEMAINS
L’heure qui passe après l’heure forte est visage qui se sculpte dans l’air. Je me tiendrai au bord de la lumière du sable plus étrange que la mer. Qui donc sera visible après l’événement ? Anges autour de l’œuvre pie, les lendemains sans lèvres ont des étonnements de baisers clairs.
Gabrielle Althen
Le Nu vigile, La Barbacane, 1995
Par la porte entre baillée
le poids des seins et la poignée des hanches a révélé une absence de sommeil où mes mains se sont accrochées
ça déménage quand tu balances tout ça
comme si il n’y a rien qui meure dans ce qui a pris son départ dans la chair vivante
Mon cœur angoissé sent d’abord s’éclairer la douleur de son amour et le rêve de l’éloignement. La lumière de l’aube porte une traînée de regret et la tristesse sans yeux de la moelle de l’âme. Le sépulcre de la nuit lève son voile noir pour cacher à la lumière l’immense cime étoilée. Que ferai-je dans ces champs ramassant nids et branchages, entouré d’aurores boréales et plein de nuit mon âme ! Que ferai-je si tes yeux sont morts en pleine lumière et que ma chair ne sentira jamais la chaleur de ton regard ! Pourquoi es-tu perdu à jamais dans cette soirée claire ? Aujourd’hui ma poitrine est aussi sèche qu’une étoile terne.
En vue de cette chronique, j’ai reçu simultanément les deux ouvrages des éditions l’Escampette mentionnés sur cette page.
Ma première idée a été de vous faire part, tout d’abord, du recueil Poésie lyrique de Luis Vaz de Camões : sans aucun doute un très beau cadeau de Noël à offrir à ceux qui souhaiteraient découvrir l’essence de la littérature portugaise sans se confronter à la complexité des Lusiades. Mais la lecture de Florbela Espanca – dont la poésie m’était inconnue – a rapidement bousculé mes plans… Florbela Espanca est née à Vila Viçosa le 8 décembre 1894. Elle s’est suicidée le 8 décembre 1930 à Matosinhos – bien que certaines personnalités, dont le réalisateur Vicente Alves do Ó qui a retranscrit la vie de celle-ci sur le grand écran sous les traits de Dalila Carmo, ne croient pas totalement à ce fait. Sa vie brève fut traversée de drames et d’amours déçus. Peu publiée de son vivant, elle est aujourd’hui considérée comme l’une des poétesses majeures de la littérature portugaise.
À la façon de Verlaine, Rimbaud ou Baudelaire, on pourrait qualifier Florbela Espanca de « poétesse maudite » tant ce recueil, qui comporte Le livre des chagrins, Soeur saudade, Bruyère en fleur et Reliquae, est empreint d’une mélancolie terrifiante et envoûtante à la fois. Car la poésie de cette autrice est le paradoxe incarné ; entre chagrin et volupté, Florbela Espanca pourrait être un personnage tout droit sorti d’une pièce d’Alfred de Musset après l’heure.
Elle confesse dans l’un des poèmes de Bruyère en fleur :
Je veux aimer, aimer à corps perdu !
Aimer, seulement aimer : ici, ailleurs…
Celui-ci, celui-là, un autre et tout le monde.
Aimer ! Aimer ! Et puis n’aimer personne !
[…]
Et si un jour je suis poussière, cendre et rien,
Que ma nuit devienne une aurore,
Que je sache me perdre pour me trouver.
Le travail de Florbela Espanca ne fait partie d’aucun courant mais il est imprégné de son vécu, de ses déboires sentimentaux, des drames qui ont parsemé son existence. Luxure, chagrin, érotisme, souffrance et joie sont quelques-uns des qualificatifs donnés à son œuvre.
Ainsi, si vous souhaitez découvrir ce que les femmes ont fait de mieux dans la littérature lusophone, n’hésitez pas à lire et offrir Le livre des chagrins paru aux éditions l’Escampette avec une sublime préface du poète Al Berto (qu’il faut lire !). Émotions assurées !
Le livre des chagrins, Florbela Espanca, réédition de la traduction de Claire Benedetti avec quatre nouveaux poèmes traduit par Max de Carvalho, éditions l’Escampette, octobre 2022.
Marta Serra Assistante éditoriale aux éditions Passiflore capmag@capmagellan.org
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