
CANIVEAUX PARALLELES DEVIANTS
De la clef du cantonnier jaillit la joie du matin sous mes genoux
Dans cette partie de trottoir le soleil est encore aux jeux de bains des oiseaux
l’ombrelle fermée n’a pas ouvert son langage flatteur autour d’un rien échafaudé par une influenceuse
et le bruit du balai de bouleau qui pousse le vomi de la nuit vénale sent l’eau de toilette
Assis je vois mes camarades rire d’avance aux bouchons qu’ils vont me téléphoner avec les bateaux de papier
Nous décidons de n’avoir jamais l’âge de ceux qui nous entourent de leur éteignoir
Garder le sein sorti des mers pour boire le pré-salé des passages de tropiques
Le petit Jean et Nini embarqués dans le même rire sur la vague scélérate
ce bleu tunisien que Matisse engrange et cloud aux portes des façades blanches
à l’inverse des buses mises par les paysans vosgiens durant mon séjour en exode au cours de la 2ème mondiale
« La Femme » précise le contour de l’ascèse où crayonne ma sensibilité
une autre nudité abolissant l’esprit dominateur actuel
Au poing du combat pour vivre propre
l’idée a disparu
qu’on en arrive à sortir l’étoile jaune pour la mettre au crématoire de la vérité correspondante
Trafic d’enfants, troc d’acides, prostitution de la vertu
Ce ria des marées fait triste caniveau de la Côte Atlantique qui passe au noir sans transition du blanc
Le nautonier n’est pas loin je passe à gué ma foi dans les bottes
fildefériste sur une guitare insoumise au chant veule.
Niala-Loisobleu – 22 Juillet 2021


L’homme décrit par Prévert manque totalement d’esprit critique. Sa manière de penser est la même que sa manière de donner des noms aux fleurs : il se préoccupe de se « [faire] plaisir ». Quelques fois, ses pensées sont simplement superficielles et peu importantes, comme quand il s’occupe de nommer les fleurs : «Mais le lilas tu l’as appelé lilas / Lilas c’était tout à fait ça / Lilas…Lilas ». Ces mécanismes de la pensée sont vraiment superficiels et quand on lit ces vers et les répétitions du mot « lilas » on se moque de l’homme – il est dépeint comme un bouffon. Pour l’homme, les idées sont comme les femmes : il en veut des belles. La plupart du temps l’idiotie de cette pensée est anodine, mais d’autres fois elle est dangereuse. L’homme peut ignorer la raison et accepter des idées attirantes et horribles, les « immortelles », sans vraiment examiner leur validité. A l’époque où Prévert a écrit ce poème il venait de connaître les idéologies populaires pendant les années trente et quarante comme l’antisémitisme. Blâmer les juifs pour la dépression économique et d’autres problèmes en Europe était facile et commode (une belle idée) mais ce n’était pas soutenu par l’évidence.
Pourquoi est-ce que l’homme n’a pas d’esprit critique ? Prévert donne la réponse dans les prochains vers : l’avoir est difficile et ne lui convient pas. Pour Prévert, l’esprit critique a la possibilité de sauver l’humanité des idées destructrices. C’est la fleur « la plus grande la plus belle / Celle qui pousse toute droite sur le fumier de la misère ». L’homme appelle cette fleur « soleil » et « les savants [l’]appellent Hélianthe ». Ces noms expriment les deux aspects de cette fleur. Elle est jaune comme le soleil – une source de lumière et de l’espoir qui chasse le noir et le mal, une force « vivante » et « brillante ». Elle est quelque chose d’énormément bon qui surgit de quelque chose de très mauvais et de répugnant : le fumier de la misère. Le vers suivant a un double sens qui introduit l’autre aspect de cette fleur : « Celle qui se dresse à côté des vieux ressorts rouillés. » « Se dresser » peut signifier s’opposer contre quelque chose d’injuste et le mot « ressort » peut signifier la force morale. Alors, la fleur sert à représenter une bonne force humaine. Mais aussi, ce vers a une interprétation beaucoup moins favorable : approcher cette bonne force n’est pas agréable parce que les obstacles autour d’elle qu’on doit surmonter ne sont pas beaux. La force morale de l’homme est « rouillé[e] », dégradée. Dans ce vers et les prochains, Prévert transmet l’idée du caractère désagréable de l’esprit critique : Celle qui se dresse à côté des vieux ressorts rouillésÀ côté des vieux chiens mouillésÀ côté des vieux matelas éventrésÀ côté des baraques de planches où vivent les sous-alimentés Dans ce passage, on écoute et voit une image de laideur qui fait que l’homme soit mal à l’aise. L’allitération d’une consonne discordante, le r, dans « ressort rouillés » donne une idée de dureté. La répétition de la phrase « à côté des » suivi par des choses laides et la rime à la fin de chaque vers renforcent comment atteindre l’idéal de l’analyse rigoureuse qui est très pénible pour l’homme. Et cela est le vrai problème de l’homme : pour avoir l’esprit critique et s’approcher de la vérité, l’homme doit faire un choix très difficile. Il doit se débarrasser de ces conceptions simplistes du monde et s’efforcer de penser pour lui-même aux questions plus importantes que comment on doit appeler une fleur. Un petit groupe de personnes, « les savants », prend la décision difficile de s’efforcer d’achever cet idéal. Le fait qu’ils appellent la fleur jaune Hélianthe indique la distinction entre eux et l’homme. Pendant qu’ils poursuivent le raisonnement rigoureux, l’homme l’évite. Pour l’homme cette fleur s’appelle « soleil », une force puissante, une source de lumière qu’on ne regarde pas. C’est-à-dire que l’homme reconnaît les bénéfices de cette fleur, mais il la traite comme quelque chose de trop pénible à regarder. Prévert donne une critique puissante de cette attitude : Toi tu l’as appelée soleil…Soleil…Hélas ! hélas ! hélas ! et beaucoup de fois hélas !Qui regarde le soleil hein ?Qui regarde le soleil ?Personne ne regarde plus le soleil
Dans ce passage, il commence par parler à l’homme comme on parlerait à un enfant qui a fait un acte vraiment imprudent sans penser. Il est fâché et découragé par les actions de l’homme. Dans le denier vers la colère finit et il existe un sentiment de résignation : Prévert répond à sa question de rhétorique. Il comprend que l’homme, comme un enfant obstiné, n’a aucune intention de changer son attitude. L’homme, alors, continue de s’attacher aux mauvaises idées. En continuant, Prévert tourne son attention de l’homme à un groupe d’hommes, les « hommes intelligents ». Ce sont les personnes qui sont faites pour avoir de l’esprit critique mais, contrairement aux savants, ne l’ont pas. Au lieu d’utiliser leur intellect, ils portent des idées immortelles dans leurs têtes comme « une fleur cancéreuse tubéreuse et méticuleuse à leur boutonnière ». Ces adjectifs créent une image des immortelles qui attaquent et vainquent les têtes humaines comme un cancer le ferait – méthodiquement et entièrement. Les hommes intelligents se persuadent qu’ils ont l’esprit critique mais ils ne l’ont pas vraiment. : « Ils se promènent en regardant par terre / Et ils pensent au ciel ». Ils imaginent qu’ils prennent le bien du ciel mais ils prennent réellement les sales idées immortelles. Leur pensée est vide et Prévert écrit d’un ton dédaigneux : « Ils pensent…Ils pensent…ils n’arrêtent pas de penser… ».
Ces hommes se baignent dans le mal de leurs simples conceptions et des idées immortelles. Elles sont comme la boue qui s’accroche à eux et d’où ils ne peuvent pas s’échapper : « Et ils marchent dans la boue des souvenirs dans la boue des regrets. » Ils se sont enlisés « dans les marécages du passé » d’où viennent les idées comme blâmer les juifs pour les difficultés du monde. Quand ces hommes avancent, ils ne le font pas vite mais « à grande peine ». La poésie de Prévert décrit de façon très vivante cette avance : « Et ils se traînent…ils traînent leurs chaînes / Et ils traînent les pieds au pas cadencé… » La répétition du mot « traînent » et les rimes entre « traînent » et « chaînes » et « pieds » et « cadencé » donnent une impression de mouvement lent et méthodique. Les hommes ne bougent pas vite parce qu’ils sont encore enchaînés aux idées du passé. Ils habitent leur propre ciel, « leurs champs-élysées », où ils croient aux idées immortelles. Ces idées sont « la chanson mortuaire … [qu’] ils chantent à tue-tête », comme les idéologies qui recommandent de tuer les juifs. Mais il existe une contradiction là : ces hommes croient au raisonnement qu’on doit tuer les juifs parce qu’ils sont la cause des difficultés, mais ils ne veulent pas se débarrasser de leurs propres idées mortes. Ils exaltent leur propre capacité de penser – c’est « la fleur sacrée…La pensée ». Cette fleur est vraiment en mauvaise condition : « La sale maigre petite fleur / La fleur malade / La fleur aigre / La fleur toujours fanée ». Ils adorent le fait qu’ils peuvent raisonner mais ils ne reconnaissent pas qu’ils n’ont pas vraiment l’esprit critique.
En conclusion, Prévert utilise la métaphore de la fleur pour donner un aperçu de la pensée humaine. Ce n’est pas une belle description : l’homme choisit la piste la plus facile dans la vie. Il ne soumet pas les idées qu’il écoute à une analyse rigoureuse. Au lieu de faire cela, presque tous, même les intelligents, choisissent les idées les plus attirantes sans vraiment considérer leurs mérites. Le seul rayon d’espoir est que les intelligents – les personnes qui peuvent peut-être convaincre les autres de changer d’avis – avancent peu à peu, « à grand-peine. » Avec de la chance, un jour ils arriveront à pouvoir finalement abandonner les immortelles.
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